L'Algérie européenne occupait les villes, l'Algérie musulmane les bidonvilles.
L'Algérie européenne couvrait les meilleures terres, l'Algérie musulmane prenait les petits champs secs.
L'Algérie européenne avait des routes, des écoles, des services publics, l'Algérie musulmane comprenait des populations non recensées, non administrées, non soignées, non instruites.
C’était le colonialisme français.
Le conflit en Algérie pouvait-il faire l'économie de la violence ?
Chers amis, j'emploie d'emblée cette formule, que certains d'entre vous repousseront avec effroi, mais je persiste à penser qu'avec vous, il faut d'urgence rétablir le dialogue, dévoyé par vos pires ennemis qui se prétendent vos défenseurs, les anciens de l'OAS, terroristes toujours pas à la retraite.
Donc, oui, nous, les citoyens, porteurs d'un regard extrêmement critique sur le bilan du colonialisme, sommes, que vous le vouliez ou non, vos véritables soutiens, vos seuls défenseurs. Car vous avez été des victimes du colonialisme.
Chers amis, donc, connaissez-vous le capitaine Edmond Pellissier de Reynaud ?
Non sans doute, car les manuels d'histoire de l'Algérie en parlent peu. Alors, je vous en prie, reportez-vous à ses Annales algériennes, publiées en... 1836. Il y prône la fin de la violence dans la conquête, puis un rapprochement des peuples « arabe » et français. Faute de quoi, prévient-il, « ce serait entre eux et nous une guerre incessante, où la France dépenserait son sang et son argent. Le système de fusion est donc le seul applicable ; s'il est impossible, il faut s'en aller, et le plus tôt sera le mieux ». La « fusion » des peuples était sans aucun doute une utopie. Mais, cette illusion ôtée, reste le fond du raisonnement : respectons ce peuple. Écrit en 1836!
Ce courant, que ses détracteurs appelaient, avec une nuance de mépris, indigénophile, a toujours existé. Toujours, en Algérie, il s'est trouvé des Français - oui, vos ancêtres, pieds-noirs ! - pour dénoncer la morgue, le racisme, les inégalités, la répression. Toujours, en métropole, il s'est trouvé des politiques, pour (tenter d') esquisser des solutions acceptables par tous, il s'est trouvé des intellectuels pour appeler à la compréhension, à l'estime, au respect des indigènes.
Mais, chers amis, vous savez bien que ce furent des voix criant dans le désert, des protestations brisées sur le mur des certitudes de la majorité de vos aïeux. Est-ce qu'une fois, en cent trente-deux années de domination coloniale, de telles solutions ont été en mesure de l'emporter ? Le royaume Arabe cher à Napoléon III (qui ne fut pas petit en cette affaire) s'est brisé sur l'hostilité des colons. Tout comme la politique de compréhension voulue par Maurice Viollette. Et le grand espoir du Front populaire, si vite brisé, avec ce pourtant si timide Projet Blum-Viollette, mort-né parce qu'une partie de la communauté française d'Algérie criait à la révolution ? Et la terrible réponse de mai 1945 aux premiers drapeaux algériens arborés à Sétif ? Et Ferhat Abbas, le plus modéré des leaders algériens, en prison ? Et le statut de l'Algérie, deux ans plus tard, qui, bien que limité lui aussi dans ses ambitions, ouvrait quelques possibilités d'expression aux Algériens, si vite trahies par le trucage des élections à la Naegelen ?
Entendons-nous bien. Ce pays de coexistence harmonieuse entre les communautés n'aurait en aucun cas fait l'économie de la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie. L'Algérie algérienne était inscrite dans l'Algérie française, quelles qu'eussent été les politiques suivies. Mais le racisme ambiant a interdit à la majorité d'entre vous, amis pieds-noirs, d'imaginer même ce type de solution, ce type de société égalitaire. La valise ou le cercueil. Regardez la vérité en face : c'est l'adhésion de certains d'entre vous, la tolérance de beaucoup d'autres, vis-à-vis des thèses et des actions des ultras qui vous ont contraints à ce choix si terrible.
Et aujourd'hui ? Certes, toute généralisation est hâtive. Certes, sans enquête statistique, sans sondage, il est bien difficile de savoir ce que pense la majorité d'entre vous. Mais le moins que l'on puisse écrire est qu'une partie de votre communauté, celle qui s'exprime le plus bruyamment, persiste dans cette attitude. Paraphrasant Prévert, on pourrait écrire : «Depuis dix, vingt, quarante ans, cinquante ans ils cultivent la même idée fixe... et ils s'étonnent de ne pas avancer.» Voire de régresser. Le drame est que ce courant empêche les évolutions nécessaires, quant à l'évaluation du passé colonial ; plus grave : quant à la nature et à la qualité des relations de la France avec ses anciennes colonies. Le laisserons-nous « bloquer l'Histoire » ? (2)
Amis pieds-noirs, encore un effort !
Alain Ruscio
(1) Dernier ouvrage publié : Falsifications et instrumentalisations, les Indes Savantes, 2007 (codirigé avec Sébastien Jahan).
(2) Selon l'expression qu'utilisait Pierre Nora en 1961 (Les Français d'Algérie, Julliard).
Ces témoignages peuvent être complétés
par ce livre
Présentation
Enfance gâchée par la seconde guerre mondiale, bombardements, privations, situations traumatisantes, village occupé par l'armée allemande.
Jeunesse gâchée par la guerre d'Algérie, 15 ans après, opérations inhumaines, actions, missions dangereuses, village occupé par l'armée française, pacifiquement.
A l'effigie de l'auguste Marcel PROUST, qui découvre dans le pouvoir d'évocation de la mémoire instinctive qui réunit le passé et le présent en une même sensation retrouvée, sa "petite madeleine" trempée dans le thé, fait revivre, par le rappel du goût d'une saveur oubliée, toute son enfance.
Dans la préface, il est dit que c'est la "petite mitraillette" à la main en arrivant dans ce bled d'Algérie, qui fait revivre par le rappel du dégoût d'avoir à subir une autre guerre, toute aussi cruelle que celle de son enfance !
Tout au long de ce récit, il a fallu juxtaposer les mêmes événements de 1944 et de 1959. Et c'est très étonnant !
Nous, anciens combattants, ne recherchons plus ce" temps perdu", mais ces années gâchées, le boucan infernal des avions en piqué, du canon et de la mitrailleuse, cette peur quotidienne, nous ne pourrons les oublier.
D'aucuns ont dit que nous avions "un devoir de mémoire".
D'aucuns pourront critiquer cette attitude. Qu'ils essaient d'en faire autant : nous sommes les derniers combattants.
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