"Alger sans Mozart" est un roman écrit à quatre mains. C’est également une partition à plusieurs voix. Trois personnages principaux se relaient et témoignent. C’est la partition de leur histoire, leur passion pour une terre, qui est écrite ici par un Français corse, Michel Canesi et un Algérien, Jamil Rahmani.
Il y a tout d’abord le titre qui étonne, paraît improbable, car comment, diront les lecteurs, Alger peut vivre sans Mozart ? D’ailleurs où se niche le rapport entre ce grand compositeur et la ville blanche ? L’intrigue est posée, le lecteur est interrogatif ! Au fil du récit des trois protagonistes, Louise, Marc et Sofiane, on comprend le sens du titre, par ailleurs bien choisi.
Tout commence par Louise. De sa belle voix, elle va nous dérouler son histoire. Celle d’un Française née en Algérie et qui se sent profondément algérienne. Elle parle kabyle et arabe, en plus du français bien sûr. Elle aime ce pays et jure qu’elle ne le quittera jamais. Pourtant, des événements tragiques vont bouleverser le cours de l’histoire. La guerre d’indépendance éclate et scelle la rupture entre une certaine France oppressive et le peuple algérien qui n’avait jusque-là d’existence que sous l’ombre coloniale. Louise alors va "être le trait d’union entre deux peuples pour l’amour d’une terre, pour l’amour d’un homme". Sa rencontre avec Kader, jeune Algérien, étudiant en médecine, va changer sa vie. Même si elle reste lucide car "les criminels étaient partout, chez les musulmans et chez nous", confie-t-elle. Qu’importe ! Louise épouse la cause et ira jusqu’à porter les valises du FLN. Elles contenaient des médicaments non des bombes, dit-elle. Même si le combat des Algériens est juste, elle ne veut pas avoir du sang sur les mains. Pourtant, elle défend la France en parallèle. Elle est donc profondément déchirée entre deux. A la question : "Doù venez-vous ?", Louise répond, je viens d’un pays qui n’existe pas encore !".
Les accords d’Evian conclus le 18 mars 1962, l’Algérie devient indépendante. Louise, fait partie de ces quelques dizaines de milliers de pieds-noirs qui sont restés. Refusant de céder aux sirènes vengeresses et alarmistes de l’OAS. Pour elle "les religions ne doivent pas être insupportables, au contraire, elles doivent aider les gens". Louise estime au fond "qu’il n’y a rien de plus beau qu’un prélude de Bach ou un concerto de Mozart. Elle refuse d’être habillée en pingouin et qu’on l’empêche d’écouter la musique. La vie c’est la liberté : la liberté de croire, de voir, d’entendre et d’aimer sans contraintes, dans le respect de soi et des autres".
Contrairement à sa famille, elle va donc rester en Algérie, seule dans son appartement. Son histoie d’amour avec Kader durera 30 ans. Celui-ci va la quitter pour une autre femme. Car elle est stérile, argue-t-il. "Nous ne pouvions avoir d’enfants et c’était forcément ma faute. J’ai subis de nombreux examens… jusqu’au jour où un collègue gynécologue de Kader me demanda d’ouvrir les yeux. « Arrête de te faire charcuter Louise ! Tes examens sont normaux, il faut chercher de son côté»".
Après sa séparation avec Kader, Louise va vivre coupée du monde, elle va se laisser aller, devenir obèse et faire la connaissance d’un jeune voisin : Sofiane.
Quand il commence à la côtoyer, Kader apprend la langue de Mozart, il découvre l’histoire coloniale sous l’angle de Louise. La littérature française. De son côté, il va essayer de faire bouger Louise, de la réveiller de sa torpeur et la faire sortir de son appartement pour redécouvrir Alger. "Partout du linge aux fenêtres, des antennes paraboliques, paradiaboliques comme disent les islamistes, ce n’est plus ma ville", se dit-elle.
Dans cette galaxie algéroise vient s’ajouter Marc, le neveu de Louise, un célèbre réalisateur qui vit en France. Pendant des années, Marc a appelé sa tante régulièrement pour prendre de ses nouvelles, sans traverser la Méditerranée. Pressé par ses proches, Marc s’envole finalement à Alger pour revoir sa tante, qui lui présente à l’occasion Sofiane. "Les morts, le passé sont en nous, il faut les écouter si on veut continuer à vivre, à sentir, à vibrer. Je les ai retrouvés là-bas. L’Algérie m’a rendu la douleur, celle des nouveau-nés au sortir de leur mère. Les parfums de nos vies sont les mots d’amour de nos morts".
Sans conteste, Alger sans Mozart, écrit par Michel Canesi et Jamil Rahmani, est un bijou littéraire. Le lecteur est pris dès les premières phrases par les auteurs. Une fois entre les mains, on ne peut que le finir avec délectation. Ce roman révèle à la fois l’histoire de ces deux pays, les déchirements humains, la violence sur fond de haine. Au lecteur Alger sans Mozart publié chez les éditions Naïve retrace certains événements et rappelle les différents points de vue. Car "nous sommes une longue chaîne venue du fond des âges, nous sommes des témoins… Chacun de nous est tesselle sur sa grande mosaïque".
Kassia G.-A.
Alger sans Mozart, Canesi et Rahmani
Fruit d’une collaboration entre un Corse et un Algérien, Alger sans Mozart est un roman polyphonique qui entrelace plusieurs récits, à différentes époques. Véritable hommage à l’Algérie, Alger sans Mozart revient sur l’indépendance, et ses conséquences, tant pour les Algériens que pour les colons. Magnifique portrait d’un pays, Alger sans Mozart est publié cinquante ans après les accords d’Evian, et la fin de la domination française en Algérie.
Plusieurs voix s’entremêlent dans ce récit : celle de Louise, d’abord, qui s’avère le personnage le plus important de l’histoire. Louise est une femme de l’entredeux : ni algérienne, ni véritablement française, Louise souffrira toute sa vie du schisme entre son pays de naissance et son pays d’adoption. Abandonnée par sa famille française, rejetée par sa belle-famille algérienne, Louise a vécu les dernières années de l’Algérie française et reste, dans les années 2000, enfermée dans son appartement algérois, refusant de partir. La voix de Marc, son neveu, se fait également entendre. Fils d’un homme farouchement opposé à l’indépendance algérienne, Marc n’a jamais su trouver sa place dans une famille à qui il rappelle trop le deuil de leur vie d’antan. Cynique et désespéré, il bouleversera la vie de sa tante, et de Sofiane, l’ultime protagoniste. Jeune garçon né dans l’Algérie libre, Sofiane est dynamique et curieux. Contrairement aux deux autres personnages, son regard est résolument tourné vers l’avenir. Mais écrasé par le poids d’une société qu’il ne comprend plus, par une ville où il s’ennuie, il se sent prêt à tout pour partir dans cette France qui le fascine tant.
Nos trois personnages, et tous ceux qui les entourent semblent écrasés par une destinée qui les dépassent. Louise, impuissante, observe l’Algérie qu’elle connaît disparaître. Alors qu’elle œuvre avec son futur époux à la libération du pays, les évènements lui échappent. Elle perd peu à peu toute emprise sur sa vie, devient le témoin impuissant de l’islamisation à outrance du pays et de la destruction des symboles français. Alger sans Mozart est certes un roman historique, mais c’est également le portrait d’une femme qui ose, qui n’hésite pas à s’engager dans la résistance des Algériens face à une France méprisante, et qui épouse un Algérien contre l’avis de sa famille. Mais, à l’aube d’un siècle nouveau, nous retrouvons Louise défaite, ultime représentante de la France d’hier. Elle se sent oubliée, et dépassée. Le français qu’elle parle est devenu désuet. Elle se sent algérienne, mais est perçue par la population comme une étrangère. Son destin ne peut manquer d’émouvoir le lecteur.
La fraîcheur de Sofiane contraste. Jeune homme intelligent et curieux, il a tout son avenir devant lui. Devenu l’unique ami de Louise, il apprend par elle le passé de son pays, découvre la culture française et voit naître en lui un profond désir d’émancipation. Louise lui apprend le doute, et lui donne des clefs pour réfléchir par lui-même.
Marc sera finalement le catalyseur des destins des deux autres personnages. Il rappelle à Louise ce neveu décédé, si beau et si charmeur, avec qui elle a grandi. Pour Sofiane, Marc est un radeau de sauvetage, son laisser-passer pour l’Europe, l’aventure, la gloire et la richesse.
Entre les trois protagonistes se noue une relation mi-amour, mi-haine, à l’instar de celle qu’ils entretiennent tout trois envers l’Algérie. Déchirés entre la Paris et Alger, ils sont l’incarnation de cette fascination mutuelle qui existe entre les deux pays, et de la quête d’identité d’un pays qui nie son passé mais ne peut totalement renier son héritage. Héroïne passionnée dans sa jeunesse, Louise n’est plus qu’une vieille femme obèse qui écoute Mozart dans son appartement pour couvrir l’appel des minarets. Alger, autrefois ville splendide, devient, à travers le prisme du regard de la vieille femme, une ville décadente qu’elle ne peut pourtant se résoudre à quitter.
Magnifique roman à quatre mains, Alger sans Mozart est écrit sans fioriture et sait trouver le ton juste. Il évoque avec vérité les relations paradoxales de la France et de l’Algérie et dresse un portrait de femme inoubliable en la personne de Louise qui, en un roman, semble avoir vécu plusieurs vies.
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