Paix au chemin des lavandières sous l'orgueil noir des pins.
Paix sur le silence tiède des bêtes au midi de l'abreuvoir.
Paix à l'enfant nomade écrivant ses rêves sur les murs
Paix au pas du mulet, secret dans ses peines,
Paix au plus loin de l'ombre, sur le sel paresseux des chotts.
Paix à la flûte acide de Taguine, amoureuse des espaces.
Paix sur les matins de Blida, de jasmin exprimés.
Paix sur les filles de l'été aux cheveux de cannelle.
Ils sont les hautes céréales promises après l'orage.
Paix sur les vallées prochaines et les figuiers bleus.
Paix au raisin perdu sous les lenteurs de l'automne.
Paix sur le limon craquelé dans l'été du Chélif.
Paix sur l'orge d'un hiver au pied de l'âne gris.
Paix sur les transhumances, aux feux près du fleuve épuisés.
Paix au fellah distrait par l'odeur des sillons.
Paix au potier taciturne derrière son argile de longtemps.
Paix au marcheur Chergui, ami des forêts et de l'oiseau sans nid.
Ils sont l'instant de tous.
Paix au solitaire sur la grève dérisoire.
Paix aux premières fiancées, attentives au pas.
Paix aux yaouleds des places et des souffrances adultes.
Paix à nos femmes près du puits, à leur ruban de joie.
Paix au docker Bougiote, le dos livré à l'aube.
Paix au mendiant d'hiver, à sa bure froide.
Paix au vagabond sans besace dans le jour arrêté.
Paix au fugitif, surpris à l'approche des villes.
Ils sont l'herbe neuve sous le ciel ennemi
Paix sur le galop furieux au détour de Morsott.
Paix sur l'aube sauvage du Guergour vers les caroubiers éclairés.
Paix sur les Bibans hauts de silence et de climats passionnés.
Paix sur les soirs citadins au bord des rancunes d'un jour.
Ils sont la vie de toutes les vies.
Paix au courage réuni des tribus et du Sud.
Paix à l'angoisse reconnue au réveil des fourrés.
Paix au Sang National, l'hiver surgi des grottes.
Paix au fusil lisse crevant le ciel du Djori.
Paix aux nuits pleines d'orties, de cris et de couteaux.
Paix sur les brunes N'Mancha et les Aurès lyriques.
Paix sur le geste général par les vies résumé.
Paix sur ma Patrie qui monte au milieu des fusils.
Ils sont le serment fixé le long des lauriers-roses.
Paix au deuil le plus proche et au-dedans des larmes.
Paix à l'orphelin encore de douleur étonné.
Paix sur le blessé que la mémoire égare.
Paix à l'infirme trop précis, avant la foule reconnu.
Paix à la sentinelle des Attafs, frère rugueux sous l'eucalyptus.
Paix à la fille fragile de Ténès, son fusil sous la pluie.
Paix au franc-tireur, complice de l'aube dans le défilé de Tagdent.
Paix au brancardier, de temps et de fraternité jaloux.
Ils sont la fibre innombrable de même espoir valable.
Paix au Douar Kimmel, premier enfant de la Révolution.
Paix au saboteur, près du soir, solitaire en son acte.
Paix au gavroche surgi du bivouac derrière son signal de cailloux.
Paix aux embuscades échevelées à coups de sang prodigue et de terre rouge.
Paix sur Miliana la douce pleurant Ali-la-Pointe et Maillot rejoints dans la fraternité des sillons.
Paix sur lajeunesse d'Akli, abîmée au carrefour du Chenoua.
Paix sur Yveton nommé à l'aube sale des polygones.
Paix sur Mustafa du littoral, emporté dans une odeur de prairie de printemps
Ils sont la main unanime sur les maquis réunis.
Paix sur Alger la Berbère et du C.R.U.A. secret.
Paix sur mes frères emportés, sang reconstruit, fibre à fibre.
Paix algérienne, toute de nom surveillé, corolle écarlate et rebelle.
Paix sur mon peuple absolu, Paix-peuple.
Algérie de Djamila Bouhired, guitare déchirée au-dedans d'une rose.
Algérie des soirs magiques en Fadhila Drif enchaînée.
Algérie de Germaine Guerrab, de Toury d'Améziane.
Algérie des précieux fils plongés dans tes môles acides.
Ils sont le vent national après la dignité du jour.
Alger des larmes dans ton port vite contenues.
Alger de la croix et des menottes, des bottes et des paras.
Alger du même Alger, des haines officielles.
Alger d'hier, capitale du mépris.
Algérie des fusillés face à la mer qui les vit naître.
Algérie des juges aux yeux rétrécis par la honte.
Algérie des bourreaux jurant de s'éblouir.
Algérie du plus difficile d'être algérien que colon.
Ils sont l'insomnie vitale allaitant les nuits adverses.
Algérie des nuits partisanes, écoule les mitrailleuses hostiles de novembre.
Prépare ta voix pour le tortionnaire, le mouchard, le flic et le traître.
Frappe et frappe dans ta volonté de frontière.
Mais frappe jusqu'à ta justice de haute écume.
Pour toute l'hypothèque sur les vies, les vieillesses au taudis,
pour la Tribu déracinée, hors du cheval et du code,
pour le fellah voûté, déjà griffes contre terre,
pour l'ouvrier sans chemise, converti en rides,
pour l'artisan obscur dans l'angoisse des faubourgs,
pour l'enfant aux côtes pâles, d'école et de joie affamé,
pour l'étudiant traîné aux murs des polices racistes,
pour chaque solitude précise, chaque espoir interdit,
pour chaque regard sans voix, chaque patience égarée,
pour chaque larme écoutée, chaque mot retenu,
pour chaque odeur de haine, chaque soif enfoncée,
pour chaque soleil perdu, chaque plaie à peine vieillie,
pour chaque réveil anéanti, chaque deuil appelé,
pour chaque insulte bourdonnée, chaque doute étendu,
pour chaque nuit féodale, chaque inexistence assignée,
pour ceux d'Aïn-Naga, de Tablat, d'El-Halia, dans le sang enfoncés,
pour les polygones et la morgue, les chambres de tortures, les dachras ratissées.
Pour tout l'air colonialiste respiré.
Pour la liberté insultée, pour toute la terre volée.
Écris Algérie du jour immense :
Ils sont la nuit irréfutable aux haines, plus hauts que les livres.
Ils sont l'avenir commencé, fusil-peuple revenu des feuillages.
Ils sont les racines nocturnes, colère du territoire.
Ils sont la nation précipitée, couleur de miel noir.
Ils sont le refus nu au malheur d'obéir.
Ils sont l'histoire réveillée, signifiée jusqu'à eux.
Ils sont les héros de tous, au peuple entrelacés.
Ils sont l'honneur physique, fils des cicatrices.
Ils sont le peuple large au retour des crosses.
Ils sont poudre et chanson de ma première patrie.
Ils sont drapeau réparti dans l'héritage furieux de l'aurore
NORDINE TIDAFI
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