Une passionnante enquête familiale menée par la journaliste du "Nouvel Observateur", sur son oncle, né Fernand Doukhan, fils de Saül, "premier homme de la famille à naître français, premier à ne pas porter un prénom hébraïque, et premier à devenir instituteur et non colporteur ou matelassier".
Moins connu que son cousin d'Amérique, cet oncle-là est à la fois plus proche et plus énigmatique. Il a mille ans d'histoire - juif berbère dont les ancêtres ont connu la régence turque - et une nationalité chaotique : indigène sous l'empire colonial français, citoyen de la République après le décret Crémieux de 1870.
Mais quand, en plus, le tonton est un anarchiste patenté, membre du Mouvement libertaire nord-africain, et indépendantiste engagé, il devient le genre de parent que les familles évoquent avec force soupirs, ou pas du tout. Car, comme le rappelle l'auteure, dans l'Algérie d'hier, "il n'y a pas pire espèce qu'un pied-noir anticolonialiste".
Ainsi commence une passionnante enquête familiale menée par Nathalie Funès, journaliste du Nouvel Observateur, sur son oncle, né Fernand Doukhan, fils de Saül, "premier homme de la famille à naître français, premier à ne pas porter un prénom hébraïque, et premier à devenir instituteur et non colporteur ou matelassier". C'est une vie qui refuse de se livrer, des souvenirs qu'il faut arracher.
Oncle Fernand n'a laissé ni descendance ni journal intime, seulement quelques vieux papiers. Les indices sont donc récoltés avec soin : ici, la tombe abîmée de l'ancien cimetière Saint-Eugène à Alger, aujourd'hui Bologhine, au nord du quartier de Bab El-Oued ; là un vieux registre des anciens élèves normaliens de Bouzaréa, qui signifie en arabe "celui qui sème les grains", sur les hauteurs d'Alger, ou bien le bureau, en France, des victimes des conflits contemporains.
Trous de l'histoire
A 26 ans, incorporé dans le 9e régiment des Zouaves, le régiment d'Alger - celui qui, après la guerre, participera au conflit indochinois, aux premières opérations de police en Kabylie, puis à la lutte contre le terrorisme dans la Casbah -, Fernand Doukhan traverse, pour la première fois, la Méditerranée.
Il est fait prisonnier en Picardie, puis transféré dans un stalag du IIIe Reich. "Fernand a dû remercier ses parents de ne pas l'avoir appelé Isaac, écrit sa nièce, qui a épluché les documents. A la mention "nom du père", il est marqué Raoul Dunkhan. Pas Saül. Juste deux lettres et un tréma de différence".
Il y a aussi quelques extraits des cartons d'archives du Centre des archives d'outre-mer d'Aix-en-Provence... On y trouve la trace de l'oncle, correspondant zélé à Alger du Libertaire, parallèlement à son métier d'instituteur, arrêté en janvier 1957, puis interné dans le camp de Lodi, une ancienne colonie de la Compagnie des chemins de fer algériens, transformée en prison pour Français indépendantistes, communistes, syndicalistes, grévistes. L'avocat de Fernand Iveton, seul Français guillotiné de la guerre d'Algérie, y séjournera deux ans. Encore des pièces du puzzle rassemblées.
Et quand les trous de l'histoire ne peuvent plus être comblés, il reste Internet, "la nouvelle patrie des rapatriés d'Algérie", comme l'écrit joliment l'auteure. "Le jour, la nuit, jusqu'au petit matin, ils se réunissent sur les sites de leur ville, de leur quartier, de leur cité, de leur rue d'avant. Ils échangent leurs photos, leurs souvenirs. (...) Ils tentent de laisser sur Internet les traces d'un monde qui n'existe plus que dans leur tête." Il suffit de lancer le nom de l'instituteur Doukhan.
Quelques-uns de ses anciens élèves fréquentent l'endroit, qui se souviennent d'un homme austère. Fernand Doukhan finit par être expulsé d'Algérie, le 8 avril 1958. Il n'y retournera jamais.
Il meurt, à Montpellier en 1996, toujours membre du Parti des travailleurs. Non sans avoir fait lire à sa nièce, à l'âge de 10 ans, La Mère, de Maxime Gorki.
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DOUKHAN Fernand
Né le 29 mars 1913 à Alger (Algérie), mort le 14 mai 1996 à Montpellier (Hérault) ; instituteur : anticolonialiste et syndicaliste, communiste libertaire puis trotskiste.
Fernand Doukhan est né, avenue Durando, dans le quartier algérois de Bab-el-Oued, au sein d’une famille pauvre, d’origine juive berbère. Son nom provenait sans doute du mot arabe, Dukhân, qui signifie tabac. Son père travaillait comme peintre en bâtiment. Ses deux grands-pères étaient de simples journaliers. Comme beaucoup d’enfants des milieux modestes, qui enregistraient de bons résultats scolaires, il fut orienté vers des études d’instituteur. Parce qu’il avait obtenu plus de 120 points au brevet d’études, il fut admis au concours de l’École normale de la Bouzaréah, sur les hauteurs d’Alger, en 1930. Il y croisa notamment l’écrivain Mouloud Feraoun, fils d’un fellah très pauvre, qui devait être assassiné par l’OAS en mars 1962. C’est aussi sur les bancs de l’École normale qu’il s’imprégna des valeurs de la laïcité et a acquis la conviction de la profonde injustice de la société coloniale. Peu de temps avant son arrivée, il était encore de coutume de séparer les musulmans et les européens, qui passaient pourtant le même concours d’entrée, dans les salles de cours, au réfectoire et au dortoir. Cette ségrégation l’avait indigné.
Fernand Doukhan venait tout juste de commencer à militer au sein du groupe local de la Solidarité internationale antifasciste (SIA), quand la France déclara la guerre à l’Allemagne, en septembre 1939. Célibataire et sans enfants, il fut parmi les premiers à recevoir son ordre de mobilisation. Affecté au 9e Régiment des zouaves, le « Régiment d’Alger », il fut fait prisonnier à Crépy-en-Valois (Oise) en juin 1940, et passa toute la durée de la guerre en captivité, en Allemagne, derrière les barbelés du stalag IID, à Stargard, puis de ceux du stalag VC, à Wildberg (Offenburg). Il fut libéré par les Alliés le 20 avril 1945.
À son retour, Fernand Doukhan fut nommé instituteur à l’école Lazerges, dans le quartier Nelson, à Alger. Il recommença également à militer. À partir de 1948, il fut membre du groupe d’Alger de la Fédération anarchiste (FA), et intégra la commission d’éducation de la FA. Les groupes anarchistes d’Afrique du Nord s’étaient en effet constitué, le 2 septembre 1947, en union régionale, devenant la 13e Région de la Fédération anarchiste.
La police et les renseignements généraux l’avaient inscrit sur une liste de militants à surveiller. Il fut interpellé, un soir de l’été 1949, alors qu’il était en train de coller des affiches qui commémoraient l’insurrection espagnole du 19 juillet 1936, suite au coup d’État militaire de Franco, boulevard Baudin, dans le quartier de l’Agha, à Alger. Il passa quelques heures au commissariat avant d’être libéré.
À l’été 1949 il participa au camping libertaire de l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes. À l’époque, la 13e Région de la FA décida de prendre son autonomie sous le nom de Mouvement libertaire nord-africain (MLNA). Les autorités coloniales légalisèrent le MLNA le 31 mars 1950 (acte numéroté 4189), et Fernand Doukhan écrivit à la Commission de relations internationales anarchistes (CRIA) pour demander l’affiliation directe de la nouvelle organisation. Doukhan devint secrétaire du MLNA en 1954.
Quand l’insurrection algérienne éclata, le 1er novembre de cette année-là, Georges Fontenis*, à la tête de la Fédération communiste libertaire (FCL), nouveau nom de la FA, chargea Fernand Doukhan et Léandre Valéro*, d’entrer en contact avec les responsables locaux du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), devenu ensuite le Mouvement national algérien (MNA), dirigé par Messali Hadj* et qui était alors la principale organisation indépendantiste.
Le MLNA ne fit pas seulement l’intermédiaire entre la FCL et le MNA. Il lui apporta également une aide logistique directe : fourniture de tracts, de matériel, de brassards, de « planques », organisation des déplacements des militants, des réunions clandestines, etc. Le local du MLNA, avenue de la Marne, à Alger, intitulé officiellement Cercle d’études culturel, social et artistique, et qui disposait d’une machine ronéo, était utilisé pour imprimer des tracts indépendantistes. La villa Vogt, dans le quartier des Sources, sur les hauteurs d’Alger, où Léandre Valéro*, sa femme et ses fils, s’étaient installés, servait de boîte à lettres. L’appartement de la rue du Roussillon, à Bab-el-Oued, où habitait Doukhan, accueillait les réunions et hébergeait les militants de passage.
Fernand Doukhan signait de son nom ses articles dans Le Libertaire. Il y défendait les thèses indépendantistes, comme « La faune colonialiste de l’Assemblée algérienne » (6 janvier 1955), « De la nomination de Soustelle aux interpellations sur l’Afrique du Nord : règlement de comptes » ((3 février 1955) ou encore « D’Alger : solidarité néo-colonialiste » (24 février 1955). Dès le 11 novembre 1954, dix jours après le début de l’insurrection, il dénonçait, dans un article intitulé, « Mauvaise foi et colonialisme éclairé », ces « légionnaires, gardes mobiles, CRS et autres gendarmes en mal d’expéditions punitives depuis l’armistice en Indochine » et « leur sens élevé de la justice, eux qui ratissent, violent, tuent, sous les ordres de puissants qui veulent continuer à s’enrichir colossalement sur la misère des fellahs, ouvriers agricoles, mineurs, dockers… » Le terrorisme, concluait-il, n’est que la conséquence de « l’expropriation, de la surexploitation, de la répression, des massacres, des hécatombes, de l’analphabétisme, de l’étouffement de la personnalité de l’Algérie ». Il condamnait aussi, dans un autre article, « les aveux extorqués sous la torture » et « l’immense camp de concentration qu’est devenu l’Algérie ».
Le 28 janvier 1957, Fernand Doukhan décida de faire grève à l’appel du FLN, du MNA et du Parti communiste algérien (PCA) dissout en septembre 1955, afin de peser sur le débat prévu à l’ONU sur la question algérienne. Il fut arrêté par les parachutistes à son domicile, rue du Roussillon, conduit et interrogé au centre de tri et de transit (CTT) de Ben Aknoun, puis « assigné à résidence surveillé », au camp de Lodi, à une centaine de kilomètres au sud-ouest d’Alger, près de Médéa. Ce camp d’internement, une ancienne colonie de vacances des Chemins de fer algériens, emprisonnait les pieds-noirs suspectés d’être trop proches des milieux indépendantistes, sans inculpation, sans jugement, sans condamnation, sur simple arrêté préfectoral. Beaucoup de membres du PCA y étaient enfermés cette année-là, notamment Henri Alleg*, ancien directeur d’Alger républicain et auteur de La Question et Albert Smadja, l’avocat de Fernand Yveton, le seul européen guillotiné de la guerre d’Algérie pour avoir tenté, en vain, de faire exploser une bombe contre l’usine à gaz d’Alger.
Fernand Doukhan fut libéré le 30 mars 1958, un an et deux mois après son arrestation, et expulsé d’Algérie. Il eut une semaine pour quitter le pays où il était né, avec deux policiers qui ne le quittèrent pas d’une semelle, jusqu’à ce qu’il ait pris le bateau pour Marseille. À son arrivée en France, il fut hébergé, à Montpellier, par Marcel Valière*, un des dirigeants historiques de la tendance École émancipée du Syndicat national des instituteurs (SNI), dont il était également adhérant et dont il devint le trésorier pour le département de l’Hérault.
Douhkan fut nommé, à l’automne 1958, à l’école primaire de garçons Docteur-Calmette, au Plan-des-Quatre-Seigneurs, à Montpellier, puis épousa Marguerite Hoarau, secrétaire à la faculté des sciences de Montpellier, d’origine réunionnaise, et dont il n’eut jamais d’enfants.
En 1981, juste avant l’élection de François Mitterrand, à la présidence de la République, alors qu’il s’était détourné de l’anarchisme, il rejoignit le Parti communiste internationaliste (PCI), alors la principale formation trotskiste, dirigée par Pierre Lambert, qui devint en 1991 le Parti des travailleurs.
Doukhan mourut des suites d’un accident de voiture à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Une BMW avait grillé un stop et percuté de plein fouet sa Renault Clio. Il avait encore manifesté, quelques mois auparavant, en décembre 1995, pour protester contre le plan de réforme de la Sécurité sociale d’Alain Juppé, le Premier ministre de l’époque. Ses douze volumes originaux de Léon Trotsky, offerts par Marcel Valière*, furent légués, après sa mort, à la bibliothèque du Centre d’études et de recherches sur les mouvements trotskiste et révolutionnaires internationaux (Cermtri), rue des Petites-Écuries, à Paris.
Jacques Ferrandez, adapte "Le premier homme", d'après Albert Camus (Gallimard)
Jacques Ferrandez avait déjà adapté "L'étranger" et "L'hôte", il publie cette fois "Le Premier homme", ce roman inachevé d'Albert Camus qui raconte l'enfance de Jacques Cormery (Camus lui-même) en Algérie, un projet qui lui tenait particulièrement à cœur pour des raisons personnelles. Interview.
Le manuscrit du "Premier homme", a été retrouvé dans la voiture qui le 4 janvier 1960 percuta un platane, tuant Albert Camus sur le coup. 140 pages rangées dans une sacoche en cuir. Intacte. Jacques Ferrandez a découvert ce texte plus de 30 ans après, en 1994, lors de sa publication aux éditions Gallimard. Un choc, dit-il, tant ce récit rejoint son histoire personnelle et l'histoire de sa famille. Une proximité qui lui donne envie, très vite, d'adapter ce texte en bande dessinée. Il a fallu du temps pour que le projet aboutisse. L'album sort aujourd'hui, en même temps que son livre "Entre mes deux rives" (Mercure de France, à paraître début octobre), un autoportrait où il revient sur cette histoire qui le lie à l'Algérie, nourri de dessins, d'illustrations, de photographies et des dessins préparatoires pour "Le premier homme".
"Le premier homme", page 30
Jacques Ferrandez réussit ce défi d'adapter en bande dessinée l'ultime chef-d'oeuvre inachevé d'Albert Camus. On y retrouve la lumière de la méditerranéenne qu'il sait si bien peindre. Le dessinateur nous plonge dans l'enfance de l'écrivain, sa relation si particulière avec son instituteur qui lui offrit la possibilité d'étudier, mais aussi, à travers l'histoire familiale du personnage (qui rejoint celle de Camus), de ces Européens venus construire une nouvelle vie en Algérie, restituant la dureté de leurs vies, leur quotidien, puis les tensions les années 50 liées à la décolonisation. Avec ce nouvel album, Jacques Ferrandez ajoute une pierre à son oeuvre, commencée avec ses "Cahiers d'Orient", poursuivie avec l'adaptation de "L'hôte", puis de "L'étranger" d'Albert Camus, contribuant ainsi à éclairer l'histoire qui lie la France à l'Algérie, et aussi l'oeuvre d'Albert Camus.
Pourquoi avez-vous eu envie d'adapter "Le premier homme"?
Jacques Ferrandez : ma famille a vécu dans la rue où a grandi Jacques Cormery / Albert Camus. Le magasin de chaussures de mes grands-parents était situé dans le quartier de Belcourt, en face de l'immeuble où habitait la mère de Camus, dans une rue qui s'appelait la rue de Lyon. Ma grand-mère connaissait la mère d'Albert Camus. Le magasin de mes grands-parents est même évoqué d'une phrase dans le roman ! La mère voit le magasin par la fenêtre. Dans l'album, j'ai dessiné mes grands-parents qui vendent une bonne paire de souliers solides à Jacques, c'était leur réputation. C'était connu dans tout Alger : les chaussures Roig, c'était du solide !
"Le premier homme", page 125
Avec Albert Camus, on est du même quartier si je puis dire. Nos familles sont proches aussi par leurs origines. La famille de Camus est originaire de Mahon sur l’île de Minorque. La mienne venait d'en face, de la région de Valencia, d'Alicante. Il est probable que ces immigrés parlaient entre eux dans ce dialecte catalan. L'histoire de mon père est proche de celle de Camus. Il est le premier de sa famille à avoir fait des études. Mon père est décédé en 1993 et je suis revenu en Algérie pour la première fois cette année-là. La première chose que j'ai faite, c'est un pèlerinage dans le quartier de Belcourt. L'année suivante, en 1994, "Le premier homme" a été publié pour la première fois, et j'ai pris ça en pleine tête. Ce que ce livre racontait retraçait ce que mon père m'avait raconté de son enfance. Une telle proximité explique pourquoi j'avais envie de me pencher sur cette œuvre…
Est-ce que ce n'est pas trop compliqué de s'attaquer à une œuvre littéraire comme celle-là ?
Ce n'est pas mon premier Camus ! Je faisais le siège des éditions Gallimard depuis 20 ans pour négocier les droits, mais c'était très compliqué avec les ayant-droits. En 2008, j'ai rencontré Catherine Camus, la fille du romancier. C'est quelqu'un qui connait bien la bande dessinée. Quand je lui ai demandé si c'était possible d'adapter "L'Hôte", (une des nouvelles du recueil "L'exil et le royaume", Gallimard, 1957) elle a été très enthousiaste. C'est l'une des œuvres de son père qu'elle préfère. Puis j'ai fait "L'Etranger", qui a été très bien reçu, y compris par les "gardiens du temple", par les "camusiens". J'ai tissé avec Catherine Camus une relation de confiance en l'associant à mon travail, en lui montrant les planches etc. Elle tient beaucoup à ce rapport de loyauté. Quand je lui ai parlé du "Premier homme", elle était un peu réticente, parce que c'est un livre qui parle de sa famille, de son père de sa grand-mère, de son grand-père. Mais j'ai insisté en lui disant que je tirerais l'histoire du côté de la fiction, et du personnage de Jacques Cormery.
"Le premier homme", page 31
Comment s'attaquer à un tel texte ?
J'ai utilisé le texte du roman, et j'ai aussi puisé dans les notes d'Albert Camus, que Catherine Camus a mises à disposition pour l'édition dans la Pléiade du "Premier homme". Des brouillons, des petites notes qu'il écrivait sur des enveloppes, des tickets de métro… Toute cettte matière m'a été très utile pour nourrir le scénario. C'était tout un exercice de reconstitution non pas pour remplir des blancs, mais pour adapter cette œuvre inachevée, pour laquelle Albert Camus avait de grandes ambitions. Il envisageait cette œuvre comme son "Guerre et paix", il voulait en faire une trilogie sur l'amour et la fraternité. Il était à cette époque-là en plein déchirement avec les milieux intellectuels parisiens, à cause de sa position dans "L'homme révolté", considérée comme sacrilège, comme une offense au communisme par la gauche parisienne, par Sartre et les sartriens. Il vivait donc une rupture avec ses compagnons de route, même s'il n'a jamais été encarté. C'est à ce moment-là qu'il a acheté sa maison de Lourmarin pour écrire son "oeuvre". Il n'avait que 47 ans et toute la vie devant lui, toute une œuvre encore à construire…
Comment avez-vous procédé pour adapter ce roman inachevé ?
J'ai décidé de rester du côté de la fiction, de m'attacher au personnage de Jacques Cormery. Cela me permettait de prendre des libertés. J'ai par exemple créé le personnage de Jessica. Dans ce roman inachevé, l'histoire s'arrête à l'adolescence, avant la période de la jeunesse, de l'éveil à la sexualité, et aussi avant les engagements politiques. J'ai donc introduit ce personnage féminin, qui apparait dans une scène inventée, qui se déroule dans les locaux de Gallimard. On y découvre le roman de Jacques Cormery "Les Nomades", qui d'ailleurs était un titre possible pour "Le premier homme", comme il l'indiquait dans ses notes.
Dans le roman de Camus, il y a des phrases torrentielles, sans ponctuation. C'est une matière que je ne pouvais pas utiliser telle quelle dans le scénario. Le personnage de Jessica offre un interlocuteur au personnage de Jacques Cormery. Et cela me permet d'intégrer dans des dialogues ces éléments du roman et aussi des choses trouvées dans les notes. Cela me permet aussi de glisser des informations importantes sur l'histoire, sur le fait que Cormery est écrivain, et un journaliste engagé. Tout cela se retrouve dans la relation de Jacques Cormery avec ce personnage féminin. Jessica d'ailleurs finit par croire qu'elle sera au centre du roman, avant de comprendre que son rôle se limite à faire accoucher Jacques Cormery de son roman, dont le vrai sujet est la relation d'un fils avec sa mère. Camus avait dédié ce livre à sa mère avec cette phrase : "A toi qui ne pourra jamais lire ce livre".
"Le premier homme" page 120
J'ai été obligé de couper dans le texte. Il a fallu que je resserre. Et pourtant cet album est encore le plus long que j'ai jamais fait. 150 planches. Il a fallu couper. J'ai par exemple fait disparaître le frère aîné. C'est un personnage qui est quasi absent dans le récit de Camus. Il y a juste une scène ou deux qui ne sont pas tellement à sa gloire... Donc si j'avais voulu garder ces scènes, il aurait fallu que le personnage du frère soit présent tout le long, dessiné à chaque repas de famille. On se serait demandé ce qu'il faisait là, alors qu'il ne dit jamais rien. J'en ai parlé à Catherine Camus, qui m'a donné son accord, même si ça l'ennuyait un peu pour ses cousines (il sourit). Je trouvais aussi que le personnage de Jacques Cormery avait un profil de fils aîné. Cela m'arrangeait d'autant plus de carrément gommer le frère. J'ai aussi pris des libertés par exemple avec la scène de l'attentat, en y intégrant le personnage de Saddok, l'ami d'enfance de Jacques Cormery, qui a vraiment existé. Il était l'ami d'enfance de Camus, et il est très présent dans les notes de Camus.
'Le premier homme", page 94
Par contre j'ai gardé toute la partie sur l'instituteur, et une autre avec l'oncle Ernest. Ce sont les deux figures qui construisent Jacques Cormery (Camus). L'un pour la tête, l'autre pour le corps. L'oncle Ernest est celui qui accompagne le développement du corps du garçon. Dans sa manière de s'exprimer aussi, on voit bien le milieu très simple, frustre dans lequel Camus a grandi. La scène de la chasse aussi était très importante pour montrer que la ville d'Alger est adossée à l'Afrique, et montrer la puissance des éléments. L'Algérie en tant que paysage, est une dimension très importante pour Camus.
Mais restons modestes. Je suis resté très fidèle au texte de Camus, et j'ai introduit très peu de choses dans les dialogues, et ajouté quelques scènes inventées. Sinon tout vient du texte lui-même, ou des notes d'Albert Camus.
"Le premier homme", page 71
Et la mise en images ?
Tous les lieux décrits par Camus sont des lieux que je connais. Cela n'était pas un problème pour moi. J'avais en tête la géographie des lieux. J'ai arpenté la ville, j'ai emprunté les itinéraires. Je visualisais très bien le trajet du tramway, que prend Jacques pour aller au lycée. Mon père faisait le même chemin. Et pour les endroits qui ont disparu ou changé, cela m'a demandé un petit travail de reconstitution mais les documents ne manquent pas, photos, cartes postales …
"Le premier homme", page 37
Pourquoi teniez-vous à adapter ce roman en particulier ?
Ce que fait Camus dans cette œuvre, c'est rendre justice à cette population de Pieds Noirs. En reconnaissant ses propres origines. Grâce à Camus je peux aussi remettre en lumière cette histoire, le parcours de ces Européens pauvres qui ont quitté leur pays pour construire une vie meilleure dans un nouveau monde. Ils venaient de France, d'Italie, d'Espagne, de Malte, d'Allemagne, et sont arrivés dans un pays dangereux, qui n'était pas pacifié, où ils ont dû faire face aux soulèvements perpétuels, aux razzias, à la misère, aux maladies. Peu ont survécu. Ensuite il y a eu les soulèvements du 8 mai 1945, écrasés par les autorités françaises, qui ont fait germer la révolution. Finalement ce sont des populations qui arrivaient d'ailleurs, et qui se sont retrouvées piégées par l'histoire de la décolonisation française.
Ce que j'aimerais aussi, c'est que la bande dessinée incite évidemment les gens à lire le roman de Camus. Tout le monde a lu "L'étranger", alors que "Le premier homme" est un livre dont on a beaucoup parlé à sa sortie, mais que peu de gens ont lu. C'est pourtant un livre très singulier dans l'œuvre de Camus. On parle toujours de cette écriture "blanche" de Camus, une cette écriture sèche, sans affect. "Le premier homme", au contraire, regorge d'affects dans l'écriture. Dans ce sens on peut dire que "Le premier homme" est un "anti-L'Etranger". Le contraire d'un "cœur indifférent". Avec Jacques Cormery, on est dans l'authenticité, la sincérité, on sent le besoin de faire part de ses relations d'amour avec la mère, avec les siens, avec l'ensemble des gens qui l'ont accompagnés toute sa vie. Il y a de l'amour, de la reconnaissance et énormément d'affects, alors que tous ces aspects sont absents dans 'L'Etranger".
L'histoire imbriquée entre l'âge adulte et l'enfance"
Par Laurence Houot
Journaliste, responsable de la rubrique Livres de Culturebox
Depuis près de 40 ans Jacques Ferrandez suit un parcours bien à lui dans le monde de la bande dessinée. Menant des recherches à la façon d’un sociologue ou d’un historien, il construit des fresques dans lesquelles la vie des personnages est indissociable de leur environnement géographique, économique ou historique. Point d’orgue de son œuvre, la série « Carnets d’Orient », dont les dix tomes retracent la conquête puis l’indépendance de l’Algérie, de 1830 à 1962, à travers une lignée de figures : artistes, colons, militaires…
Né à Alger en 1955, Jacques Ferrandez est forcément sensible à cette histoire. C’est aussi ce qui l’a conduit à adapter trois textes d’Albert Camus en BD, dont l’incontournable « Etranger » en 2013...
Sétif, la fosse commune. Massacres du 8 mai 1945. Enquête de Kamel Beniaiche (Préface de Gilles Manceron). El Ibriz Editions, Alger 2016, 900 dinras, 337 pages.
Mardi 8 mai 1945 : le monde libre scelle la capitulation des armées nazies. Le matin, la ville de Sétif est en ébullition. La cité a été repeinte pour l'occasion. Une ambiance de kermesse. C'est, de plus, jour du marché hebdomadaire, ce qui a amené à la ville bon nombre de ruraux.
Environ 8.000 Algériens, sans armes et sans «aâssa» (canne habituelle) doivent défiler, pacifiquement, scouts en tête (répondant à l'appel de l'AML et du PPA, interdit depuis 1939, selon l'auteur, p.38)... et aller déposer une gerbe de fleurs au monument aux morts, et seulement «brandir des slogans politiques», «démontrant leur bonne foi». Car, des dizaines de milliers d'Algériens sont morts pour libérer l'Europe du nazisme. La France coloniale (dont une bonne partie avait épousé la «cause» nazie à travers le pétainisme) l'oublie assez vite. En cours de route, le drapeau algérien est brandi... Bousculade. Saâl Bouzid est abattu par le policier européen Olivieri ( Peur ? Une «autorité» mal contrôlée ? Exécution d'ordres venus d'en haut ? Ou provocation délibérée ?... ).
D'autres tirs et «chasse à l'Arabe». Réaction de la foule... à Sétif et ailleurs, la rumeur ayant la part belle : 103 morts et 110 blessés européens... Répression féroce... même dans les endroits de la région (et du pays) où il n'y eut aucun incident durant les défilés... Jusqu'à Guelma, Kherrata, El Eulma, Bordj Bou-Arréridj, Ain El Kébira, Bougaa, Ain Abbasa, Bouandas, El Ouricia... 45.000 morts algériens (6.000 tués et 14.000 blessés selon le Gouvernement général de l'époque), des exécutions sommaires (dans une «chasse aux merles» menée par les troupes -composées entre autres de légionnaires, de soldats sénégalais et marocains- et les milices formées de colons haineux), des emprisonnements sans jugement ou suite à des procès expéditifs, des milliers de disparus sans sépulture victimes d'exécutions extra-judiciaires, des charniers sans compter (dont beaucoup restent encore à découvrir), des villages et douars entiers bombardés, mitraillés et détruits (300 sorties aériennes en six jours et pilonnages des montagnes des Babors par les forces navales -dont le croiseur «DuguayTrouin»- à partir des rivages de Bejaia et Jijel), des familles et des tribus décimées, des viols, des incendies, des humiliations publiques, des cadavres sans sépulture livrés aux chacals et aux chiens... les leaders politiques nationalistes accusés d'être responsables des «émeutes» et emprisonnés (à l'exemple du «Tigre», Ferhat Abbas, et du Dr Ahmed Saâdane qui furent arrêtés dans le salon d'attente du gouverneur général d'Alger, le 8 mai 1945 à 10 h 30. Mis au secret, ils n'apprirent les événements du Constantinois que deux semaines après- et de Cheikh Bachir Brahimi... et, même Mme F. Abbas, Marcelle Stoetzel, sera malmenée et écrouée à El Harrach, puis à Alkbou, puis en résidence surveillée, à Mascara), des interdictions de séjours... des traumatismes pour la vie, que l'on redécouvre à travers les témoignages recueillis auprès de survivants. Même les enfants ne sont pas épargnés. Ainsi, 17 collégiens sont priés «de quitter les bancs du collège» (ex-Albertini) pour avoir participé à la manifestation de Sétif... On y retrouve les noms de... Kateb Yacine, Abdelhamid Benzine, Benmahmoud Mahmoud, Mostefai Seghir, Maïza Mohamed Tahar, Zeriati Abdelkader, Torche M-Kamel, Khïer Taklit, Abdeslam Belaïd, Djemame Abderezak... et, certains seront, par ailleurs, emprisonnés. Un véritable massacre en «vase clos», la pressse coloniale (mis à part, un peu plus tard, «le Courrier algérien») et, aussi, «métropolitaine» (comme «Le Monde» ou «Le Figaro») n'évoquant que les morts européennes. Seules les révélations du Consul général britannique à Alger, Carvell, et du consul de Suisse à Alger, Arber, lèveront, par la suite, le voile sur une partie de l'holocauste. De Gaulle, qui dirigeait alors la France (gouvernement provisoire), ne lui a consacré que deux lignes dans ses «Mémoires».
L'auteur : Né à Sétif en juin 1959. Ancien professeur de l'Enseignement secondaire, journaliste correspondant d'El Watan (bureau de Sétif) depuis juin 1996.
Extraits : «On ne déclenche pas une insurrection avec des mains vides, des cailloux ou des chaises du Café de France. Les incidents qui se sont produits dans tous les coins de la région de Sétif ne sont ni plus ni moins qu'une révolte des damnés humiliés par la faim, la misère, les maladies, les injustices et les servitudes» (Un acteur des événements, p. 18), «On ne m'avait pas envoyé dans le trou pour avoir commis un délit, mais pour le seul crime d'être un indigène aspirant, comme beaucoup d'autres, à une citoyenneté pleine et entière» (Cheikh Ahmed, p. 64)
Avis : Onze années de recherche et cinquante témoins. Un livre -pas facile à lire- qui fourmille de détails sanglants et émouvants. Un livre qui alimente la nécessaire réflexion sur les responsabilités françaises dans la répression (un «crime d'Etat» selon le préfacier Gilles Manceron) mais aussi qui pousse à s'interroger sur les responsabilités personnelles et particulières... Un ouvrage qui n'oublie pas de mentionner les meurtres et les violences commises à l'encontre d'Européens. Un ouvrage qui est, aussi, disponible en arabe (nouvelle couverture et à compte d'auteur. Edité en 2018).
Citation : «Le drame de mai 1945 est ancré dans ma tête. Il a scellé la rupture et construit la haine. Au fil du temps, celle-ci s'est accentuée. Les rapports entre musulmans et colons ne sont plus les mêmes... Le déclenchement de la Guerre de Libération réveille l'hémorragie qui sommeillait en nous» (Essaïd, p. 149)
La camp de Lodi. Ou les pieds-noirs militants pour la cause algérienne (1954-1962).
Des syndicalistes, des communistes, des chrétiens progressistes, des anarchistes notamment les membres de la Fédération communiste libertaire, Fcl- et les trotskistes... tous des pieds-noirs anti-colonialistes. Simples sympathisants ou militants actifs, d'abord en soutenant le Mna créé sur les cendres du Mtld, puis le Fln... La répression, dès le déclenchement de la guerre de libération nationale, et tout particulièrement à partir d'avril 55 après la mise en place de l'état d'urgence et, concrètement, à partir des derniers jours de septembre 1955, ne va pas les épargner. Suspects (presque tous) ou impliqués (certains, assez nombreux), ils seront, par centaines, enfermés dans les prisons du pays, dont le camp de Lodi (Draa-Esmar) situé dans la région escarpée du Titteri) sur la base d'un ancien camp de vacances de la Compagnie des chemins de fer algériens (Cfa) : «Le Petit cheminot à la montagne». Le «camp des Français». Le «camp des pieds-noirs» (à noter que l'Algérie va compter un total de douze camps en Algérie... et quatre autres en «métropole»). Premier «arrivage»: cent trente-cinq personnes puis vingt-sept puis cinq, puis... Une moyenne de cent cinquante «pensionnaires» durant toute l'existence du camp de 1965 à 1960. Des arrivées et des départs. Un peu plus d'un millier au total. On dort par terre sur des nattes en alfa, des paillasses jetées sur la dalle de béton... Des centaines de prisonniers... sans compter les femmes, internées dans un autre camp (Tefeschoun, à l'est d'Alger ou à Béni Messous)... et sans compter tous les prisonnier(e)s «hébergé (e)s»... ailleurs.
Il y a de tout, jetés, bien souvent, derrière les barbelés sans condamnation... et pour beaucoup, après un passage dans les centres dits de «tri et de transit», en fait des centres d'interrogatoire et de torture (plus d'une centaine) gérés par les paras: des chrétiens, catholiques ou protestants, des juifs, des athées, des agnostiques, des fonctionnaires, des industriels, des présidents d'associations, des vendeurs de pataugas, des journalistes, des enseignants, des agriculteurs, des médecins, des avocats, des infirmiers, des anciens résitants et prisonniers de guerre durant la Seconde Guerre contre les nazis... Des noms, aujourd'hui bien connus : René Justrabo (ancien maire de Sidi Bel-Abbès et dont l'épouse est internée à Tefeschoun), Léon Cortès (le père d'une actrice célèbre, Françoise Fabian), Pierre Cots, les trois frères Timsit (Daniel qui sera «hébergé» à la maison centrale de Lambèse, Gabriel et Meyer qui, bien que condamnés «avec sursis», s'en iront à Lodi), Jean-Pierre Saïd (dont le cousin Pierre Ghenassia rejoindra le maquis Fln en février 1957 à l'âge de 17 ans et décèdera dans l'Atlas de Blida... comme d'ailleurs Maurice Laban, Roland Siméon, Georges Cornillon, Georges Raffini, Raymonde Peschard, Henri Maillot..), Jean Farrugia (un rescapé de Dachau), Marcel Lequément, Lucien Hanoun, Albert Smadja, Elie Guedj, Robert Manaranche, Maurice Baglietto, Jacob Amar dit Roland Rhaïs (fils d'Elissa Rhaïs, Rosine Boumendil de son vrai nom, la romancière et de l'ancien rabbin de la synagogue de la basse Casbah d'Alger), Gabriel Palacio, Jacques Waligorski, René Zaquin, Elie Angonin, Raymond Neveu, Louis Pont, Fernand Doukhan, Georges Hadjadj, Henri Alleg, René Zaquin, Paul Amar, Henri Zanetacci, René Duvalet, les trois frères Perles (dont deux passés d'abord par la villa Sésini)...
Premières libérations (des internés poussés dehors sans argent et sans titre de transport, devenant ainsi la cible facile de la «Main rouge», entre autres), à partir de mars 1960... assorties d'assignations à résidence, d'expulsions... mais quatorze (neuf Algériens et cinq Européens) seront gardés jusqu'en novembre... pour être gardés, enfermés à Douéra puis transférés à la Santé (en France).
Hélas, pour bien d'entre-eux, ce n'était pas fini : l'Oas les guette... puis l'Indépendance du pays... puis la grande désillusion pour ce qui concerne, en mars 1963, l'obtention de la nationalité algérienne... puis le coup d'Etat du 19 juin 1965 qui vit l'arrestation quai-massive des «communistes» et des «expulsions» vers... la France... puis la guerre israélo-arabe des Six jours en juin 1967 et la montée d'un certain antisémitisme... puis la msie en place de l'Islam comme religion d'Etat... puis les attentats islamistes...
Roland Rhaïs, l'un des derniers à quitter Lodi, resté en Algérie, est mort à Alger en avril 1987 à l'âge de 84 ans, et Maurice Baglietto, dernier interné à avoir été libéré, n'a jamais voulu partir de son quartier du Ruisseau.
L'auteure : Née en 1963. Diplômée de l'Iep de Paris, journaliste («Nouvel Observateur»). Auteure d'un premier ouvrage : « Mon oncle d'Algérie»
Extraits : «L'opération la plus symbolique de l'entrée en guerre des pieds-noirs indépendantistes : le détournement des armes de l'aspirant Henri Maillot» (p. 58), «Au cours des sept premiers mois de 1957, il (Paul Teitgen, un ancien déporté, Sg de la préfecture d'Alger... qui a démissionné en mars 57, en signe de protestation contre les sévices et les tortures infligés) affirme avoir signé vingt-quatre mille assignations à résidence et constaté que trois mille vingt-quatre personnes avaient disparu, comme Maurice Audin... » (p. 131)
Avis : Le monde de l'honneur face à celui de l'horreur. Un livre qui «réhabilite»... Reste à faire un livre identique sur les pieds-noirs et autres Européens indépendantistes et/ou simplement libéraux victimes de l'Oas.
Citations : «Dans l'Algérie en guerre, il n'y a pas pire espèce qu'un Français indépendantiste. Le répression ne va pas les épargner» (p. 24), «La France préfère enfermer les importuns au moindre doute. Parce qu'elle veut se débarrasser de tous les gêneurs... Il faut interner ceux qui risquent de ne jamais être condamnés, mais aussi ceux qui ne l'ont pas été suffisamment» (pp. 31-32)
PS : Denièrement, lors d'une cérémonie de signature d'un contrat de partenariat, le Dg de l'Onda s'en est pris aux chaînes de télévison privées (algériennes) qui, selon lui, «travaillent contre les intérêts de l'Etat algérien en s'adonnant au piratage des œuvres sans aucune autorisation des propriétaires ou détenteurs des droits de diffusion, notamment à l'étranger»... De ce fait, l'Etat «pourrait être contraint à payer des amendes... et des biens de l'Etat pourraient, un jour, être saisis à l'étranger». La cata !
Il faudrait, à mon avis, savoir d'abord de qui (ou de quoi) on parle. Pour l'instant, il n'existe pas de chaînes de télévison privées a.l.g.é.r.i.e.n.n.e.s. Elles sont, t.o.u.t.e.s, de droit étranger, les sièges sociaux des entreprises-mères se trouvant en dehors du territoire national (Paris, Londres, Amman, Genève,... .) et, seules quelques-unes (5) ont des bureaux de «représentation» ou de «correspondants» accrédités en Algérie. Et, ce ne sont pas les facilités accordées aux unes et aux autres, en matière de «couverture», d'«utilisation de locaux», d'«emploi», de «publicité», de «transfert de recettes (?)» qui transitent par des sous-traitants et des voies «légales» qui feront croire le contraire. Mais, il est vrai que c'est une situation complexe et assez originale (comme on en voit beaucoup en Algérie ces dernières decennies) : de l'«off-shore» à l'étranger pour diffuser et programmer... et de l'«off-shore» en Algérie pour la commercialisation. La solution : vivement que l'Arav s'y mette pour clarifier une situation n'ayant que trop duré et pouvant -effectivement- créer bien des problèmes au pays. Au minimum, la dépréciation de son image de marque et la décrédibilisation de sa «gouvernance»
La Wilaya 4 était Si M’Hamed et Si M’Hamed était la wilaya 4
On appela Wilaya 4, la zone de l'Algérois. C'était l'une des 6 Wilaya résultant du découpage territorial décidé lors du Congrès de la Soummam en 1956.
La Wilaya 4 était elle-même divisée en 3 zones (mintaka). Chaque zone était divisée en régions (nahia), chaque région en secteur (kasma), chaque secteur en douar..
Des six wilayas de l’organigramme révolutionnaire, la wilaya 4 était le pivot autour duquel la guerre d’Algérie évoluait. Sous le leadership du colonel M’Hamed, cette région devint la wilaya modèle de la révolution algérienne. Elle fut le centre de tous les événements dont les dénouements ont transformé l’Algérie et la France. L’auteur y était officier des services de renseignements.
La wilaya 4 s’étendait sur le centre du pays, de l’ouest de la Kabylie à la région d’Orléansville et d’Alger au Sahara (voir la carted’époquede la wilaya 4). C’était la wilaya la plus riche du pays et de ce fait elle en était le centre économique : l’essentiel de l’industrie se trouvait à Alger et dans ses environs, les plaines fertiles de la Mitidja et du Chélif nourrissaient l’Algérie et exportaient des céréales vers l’Europe. Alger était aussi la base du pouvoir militaire et politique français où siégeaient la Xe Région militaire, le gouvernement général de l’Algérie, l’assemblée algérienne, les principales fortunes et les grands lobbies du système colonial.
Vu son importance et sa position stratégique, la wilaya 4 devint aussi pour l’armée française un terrain de choix pour expérimenter les techniques contre-révolutionnaires et de la contre-guérilla. La wilaya dut affronter également le maquis communiste et celui des messalistes ainsi que réduire une sédition en wilaya 6 (Sahara).
L’implantation à la lettre de la «constitution révolutionnaire» issue de la Plate-forme de la Soumam, en wilaya 4, créa une démocratie exceptionnelle. Elle fit aussi de la wilaya algéroise un terrain de combat entre les partisans d’une paix négociée et les radicaux du FLN dont l’objectif était le contrôle de la révolution et la prise des pouvoirs à l’indépendance. Dans un premier temps, cette lutte mena à l’ «Affaire Si Salah»; l’auteur a participé à cet épisode tragique de la guerre d’Algérie en tant qu’officier du FLN.
Jusqu’à la fin de 1959, la Wilaya 4 a pratiqué une démocratie révolutionnaire en plein coeur de l’Algérie en guerre. La mort au combat de M’Hamed et l’échec de l’« Affaire Si Salah » ont sonné le glas de cette unique et seule expérience démocratique dans l’histoire de l’Algérie.
L’étude des insurrections (Histoire) et le retour d’expérience
On se réfère aux écrits sur les insurrections du passé, on essaye de comprendre la guerre irrégulière et d’en déduire des leçons applicables aux événements actuels. On dépoussière des ouvrages allant des théories révolutionnaires de Mao Tsé Toung en passant par les guerres d’Algérie, du Viet Nam et autres. Sur ces (re) découvertes, on élabore de nouvelles théories, doctrines, stratégies qui risquent d’engendrer des conséquences contraires aux objectifs voulus. Bien que l’histoire des insurrections soit un trésor inestimable, il faut la prendre avec beaucoup de scepticisme. L’honorable historien britannique, Sir Michael Howard, a reconnu que le passé, qu’il avait dénommé avec justesse « une réserve inépuisable d’événements », peut être utilisé pour « prouver n’importe quoi et son contraire ».1
Il n’existe aucune méthode fiable de déterminer avec précision si un événement est enraciné dans une approximation proche du passé ou dans l’imagination de l’écrivain. Chaque événement dans cette «réserve inépuisable d’événements » a été causé par d’uniques circonstances qui ne peuvent jamais être répliqués ou complètement captés. Conséquemment, les leaders militaires doivent apprendre à sonder «l’histoire » en développant une habitude de scruter rigoureusement les faits et sources, de détecter les raisonnements biaisés et spécieux, et de développer une capacité pénétrante à déceler les mythes qui entourent le passé au lieu de se limiter à des incidents anecdotiques de l’histoire.
L’écrivain, le chercheur et surtout l’expert en contre-insurrection doivent partir du principe que l’histoire est un ensemble de connaissance incomplète, profondément partielle dans certains cas et essentiellement et inéluctablement dynamique. Les analystes et les praticiens de la contre-insurrection doivent examiner analytiquement le passé, plutôt que par procuration, pour développer des compétences critiques rationnelles.
L’histoire, contrairement aux suppositions populaires, n’est pas le passé. Ces termes sont employés d’une manière interchangeable, incorrectement. Le passé veut simplement dire ce qui c’est passé. L’histoire, par contre, est l’interprétation de ce qui c’est passé par l’écrivain.2 Comme le fait remarquer l’historien américain, Carl Becker, l’histoire n’est qu’un peu plus que la « mémoire collective des choses dites et faites. »3
Par conséquent, l’histoire est très proche de la mémoire humaine : faillible et sujette à un rappel sélectif. En tant que telle, elle est aussi manifestement l’idiosyncrasie de l’écrivain et inévitablement imparfaite. Par conséquent, il faut « étudier l’historien [l’écrivain] avant d’étudier les faits », tel que le préconise l’historien E. H. Carr.4
Rémy M. Mauduit, éditeur Air & Space Power Journal, en français Maxwell AFB, Alabama
Notes
Michael Howard, “ ‘The Lessons of History’: An Inaugural Lecture given in the University of Oxford, March 1981,” inThe Lessons of History(New Haven, Conn.: Yale University Press, 1991), p.11.
Howard, “Lessons.” P. 11.
Carl L. Becker, “What is Evidence? The Relativist View–‘Everyman His Own Historian,’ ” inThe Historian as Detective: Essays on Evidence, ed. Robin W. Winks (New York: Harper & Row, 1968), p. 7.
E. H. Carr,What is History?(2d ed.: London: Palgrave, 1987), p. 30.
Rémy M. Mauduit, éditeur Air & Space Power Journal, en français Maxwell AFB, Alabama
A force de s'enfoncer dans un quotidien difficile, les rêves des Algériens semblent se dévitaliser, se rétrécir en peau de chagrin et se banaliser autour de l'incertitude et de l'attente. De l'attente d'un miracle, d'une solution extraordinaire à cette crise-monstre, laquelle viendrait, peut-être, d'une quelconque force surnaturelle..., du «bâton magique de Moïse», ironisent même certains ! Cela simplement pour tenir la tête hors de l'eau, pour ne pas se laisser emporter par les flots du pessimisme, pour résister, pour exister, éviter le chaos, la disparition... Beaucoup d'entre ces derniers se contentent alors de s'écrier : «ce gâchis ne peut plus durer ! Il faudra bien un jour faire quelque chose parce que nous allons droit vers la catastrophe !», d'autres, au contraire, regardent le spectacle de la déchéance et de la forfaiture morale de la nation en spectateurs désintéressés, en disant simplement, le cœur las : «il n'y a rien à faire, le pays est irrécupérable, foutu !» Entre ces deux catégories, plaintive pour la première et fataliste pour la seconde, une toute petite minorité combative mais presque invisible dans le panorama social d'aujourd'hui dresse un petit ruban bleu et continue de labourer les vagues de l'espoir dans un climat suffocant de résignation collective. Mais celle-ci a-t-elle encore de la force pour persévérer sur cette voie ? Puis, jusqu'à quand ? Voilà le problème ! D'autant que, de toute évidence, il y a une perte cruelle de confiance de la société en elle-même, en ses potentialités de progresser, en l'avenir, en son destin. Chose qui non seulement la gêne, mais crée en son sein des tensions et des peurs de plus en plus difficiles à maîtriser. Dans le flou général, l'Algérie apparaît alors comme une grande loterie ouverte à toutes les hypothèses ! Une loterie où plus personne ne sait, au juste, sur quoi on va tomber demain. Outre cette incertitude qui sape le moral, tout se passe comme si les consciences se ralentissent, comme si le corps de la patrie s'amortit, comme si l'attentisme, l'assistanat, le désespoir triomphant et l'angoisse ont castré ce qui reste de vital chez les Algériens. Or, si la présence d'une «saine inquiétude» dans la société est parfois justifiable pour avancer, il n'en demeure pas qu'elle soit, dans notre cas, maladive, frisant par moments la paranoïa.
Les nôtres tirent, à ce qu'il paraît, un malin plaisir à voir le mal partout, à rester dans l'inconfort du ressentiment et du râle, à critiquer sans rien faire pour bouger la locomotive en avant. Ce qui rend désormais la tâche de tout changement presque impossible à accomplir. Dommage !
Toute L'Histoire Algérie, Les deux soldats raconte l’histoire vraie de deux jeunes Français, militaires pendant la guerre d’Algérie, qu’un même sens aigu de l’honneur poussa dans deux directions totalement inverses : l’un déserta pour libérer un jeune prisonnier algérien qu’on allait exécuter, et l’autre pour poursuivre le combat de l’Algérie française aux côtés des ultras de l’OAS.
Deux exemples emblématiques, passionnants, qui permettent de décrire de manière directe, charnelle, ce qui se passa là-bas. Tourné en France et en Tunisie et avec les interventions de Tramor Quémeneur, historien, et Jean-Claude Pérez, l’un des chefs historiques de l’OAS.
Nils Andersson, né en 1933 à Lausanne d’un père suédois et d’une mère française, était « porteur de valises », une petite minorité de Français qui apportaient une aide concrète au Front de Libération Nationale FLN algérien: aider des militants FLN dans leur déplacements en France, louer un appartement, transporter des valises d’argent pour financer la guerre d’indépendance, aider à des évasions de prison…
Ses ouvrages liés à la cause algérienne étaient censurés ou interdits en France, notamment ses rapports avec les réseaux Jeanson et Curiel. La France lui ferme la porte pendant de nombreuses années et en 1966, son engagement dans l’édition militante amène même son expulsion de Suisse. Il habite actuellement à Paris et milite toujours. Il collabore au Monde Diplomatique, Politis, L’Humanité, Les Temps Modernes…
Militant internationaliste et éditeur engagé, Nils Andersson met en lumière dans cette interview les méfaits du néo-colonialisme et offre des pistes d’action pour le développement de la solidarité envers les peuples du Sud.
En 1967, vous étiez éditeur et vous avez été expulsé de votre pays, la Suisse. Pouvez-vous revenir sur les circonstances de cette décision des autorités et les raisons évoquées ?
J’ai été expulsé parce que, né en Suisse, je n’étais pas Suisse, mais de nationalité suédoise. En fait, mon expulsion en raison de mon travail éditorial a été un long processus, la première fois que j’ai été interrogé par la police pour les ouvrages que j’éditais, c’était en 1958 et la mesure d’exclusion est intervenue en 1966. Il s’est donc passé 8 ans pendant lesquels j’ai été régulièrement convoqué par la police à propos de livres que je publiais sur la question algérienne et coloniale. Ensuite, j’ai publié d’autres livres politiques, notamment les thèses du Parti communiste chinois.
Pour ces raisons, j’ai également été interrogé par la police et prévenu à plusieurs reprises que, bien que né en Suisse, une mesure d’exclusion pouvait être prise à mon encontre pour une activité politique qui n’est pas autorisée à un étranger. Si j’avais voulu arrêter mon travail d’éditeur, j’aurais « arrêté », mais la question est de savoir si un engagement est supérieur à un statut ou l’inverse et, pour moi, il n’était pas question de renoncer à ce que je faisais comme éditeur, comme citoyen, comme personne. Donc je n’ai à aucun moment refréné mon action et, à un moment donné, la décision d’expulsion a été prise. Ce ne fut pas une décision de justice, mais du gouvernement fédéral suisse. Ainsi fut le processus, il n’y a donc pas eu de surprise quand la décision a été prise, c’est une décision et une situation que j’ai assumées.
Quand vous y êtes retourné, qu’elle était la situation là-bas ?
Même durant la période pendant laquelle j’étais expulsé, je suis revenu en Suisse pour des raisons familiales, ma mère y demeurait. Je demandais des sauf-conduits au gouvernement fédéral, qui me donnait des autorisations de séjours de deux, quatre ou cinq jours. Je devais notifier à la douane mon entrée et ma sortie de Suisse. Après 20 ans, sur les interventions d’amis, la mesure d’exclusion a été levée et aujourd’hui je viens légalement en Suisse.
Malgré la censure, des livres comme La Question d’Henri Alleg ont eu un impact considérable, mettant en lumière la face cachée du colonialisme et ses méthodes comme la torture généralisée. Quelle est l’importance pour les nouvelles générations d’étudier ce type d’ouvrages et récupérer ainsi une partie de notre mémoire historique ?
Vous posez deux questions, la première est le rôle exceptionnel que le livre a joué pendant la guerre d’Algérie, en raison de la censure et des saisies des quotidiens, des hebdomadaires puis des revues. Un journal saisi est un numéro mort, une revue saisie est un numéro mort, un livre saisi n’est pas un livre mort parce qu’il peut continuer d’être édité, imprimé, diffusé clandestinement, il n’est pas daté comme un journal ou une revue.
Il y a donc eu, de 1957 à 1962, cette situation exceptionnelle où le livre a, en France, concernant la guerre d’Algérie, joué un rôle essentiel d’information sur cette guerre. Cette masse d’informations, de documents, de témoignages qui ont été publiés dans le cours même des événements, je les qualifie aujourd’hui « d’archives citoyennes ». Dans ces livres, ce n’est pas seulement la torture, le sujet le plus sensible, qui a été divulgué, soulevant une question morale devant l’opinion publique, c’est qu’il n’y a aucun fait de guerre qui n’ait pas été dénoncé.
La torture, mais aussi les enfumades, les camps de regroupements, les bombardements au napalm, les zones interdites, les opérations homos, tous ces faits de guerre, que ce soit en France ou en Algérie, on a torturé en France aussi, tout a été alors révélé dans les livres édités alors par les éditions de Minuit, les éditions Maspero et mes éditions, La Cité à Lausanne. Le livre a donc alors joué un rôle d’information considérable, un rôle qu’il ne jouera plus, en raison du développement des moyens d’information qui existent aujourd’hui.
La torture a joué un rôle particulier dans la dénonciation de la guerre coloniale, notamment le livre d’Henri Alleg : La Question. C’est le livre qui a eu le plus d’impact dans l’opinion publique et qui reste le plus symbolique. Je compare toujours le rôle du livre d’Alleg à la photo de Nick Ut, lors de la guerre du Vietnam, où l’on voit des enfants qui ont été brûlés au napalm courant sur une route, cette photo a eu un impact énorme aux États-Unis contre la guerre. Je pense que le livre d’Alleg a joué ce rôle-là, pendant la guerre d’Algérie, en France, et hors de France. La raison pour laquelle Jérôme Lindon a édité La Question et m’a demandé de la rééditer après la saisie du livre, il y en a deux.
D’abord, il fallait montrer au gouvernement français que saisir le livre n’empêche pas qu’il soit réédité, ensuite, pendant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de textes publiés sous l’occupation allemande avaient été édités en Suisse, il y avait donc une symbolique à reprendre ce flambeau. La question de la torture a beaucoup mobilisé l’opinion publique, en France, mais aussi dans le monde, cela a joué un grand rôle contre le maintien du système colonial en Algérie.
Pendant la guerre d’Algérie, elle a été érigée en système, un système théorisé à l’école de Guerre, entre autres par le colonel Lacheroy et d’autres colonels qui avaient fait la guerre d’Indochine et qui ont mis en place cette théorie avec son triptyque : d’abord terroriser les populations, ensuite les retourner, les faire adhérer à l’ordre colonial et troisièmement, pacifier, que l’ordre règne. Cette théorie a été ensuite employée en Amérique Latine, notamment lors de l’opération Condor. Ce sont des officiers français qui l’on enseignée à Fort Bragg, l’école de Guerre pour l’Amérique. Mais la « guerre psychologique contre insurrectionnelle », ainsi qu’elle a été dénommée, même si elle a fait subir de graves échecs à certains mouvements, ne s’est pas avérée efficace, au contraire de ce que prétendent ces théoriciens. Jamais elle n’a permis de gagner une guerre. Mais c’est une question actuelle, la torture existe, il y est encore fait recours lors des guerres actuelles et il faut s’y opposer comme contre toute répression.
Pensez-vous qu’internet ait permis une véritable démocratisation de l’accès à l’information? Ou pensez-vous au contraire, qu’il soit devenu un champ de bataille disputé par la propagande d’un côté et par la tyrannie de la communication mainstream de l’autre?
Je crois qu’il y a deux aspects, il y a le premier aspect que vous soulevez très bien : quelle est la maîtrise par les gens d’un bombardement d’informations? Plus encore quand on est jeune, comment on assimile cette masse d’informations, comment on la digère, la maîtrise, l’interprète?
Donc il y a un vrai problème sur lequel je ne peux pas répondre, mais il y a des analyses très pertinentes là-dessus. Et puis, il y a un autre aspect, que l’on sous-estime, je crois, c’est que, lorsque vous consultez internet, il y a de plus en plus d’informations sur le présent, l’immédiat.
Mais plus on s’éloigne dans le temps, moins il y a de sources. C’est-à-dire que pour l’Histoire, les choses s’effacent. Si vous voulez aujourd’hui prendre des renseignements, par exemple sur ce qui s’est passé dans les années 1950 ou 1970, vous trouverez sur internet ce que des historiens ont écrit, mais il n’y a pas (sans ignorer le nécessaire discernement à avoir) toute cette sève du débat citoyen, que l’on trouve sur internet quand il s’agit de l’actualité présente.
Internet est très jeune, il y a donc, pour des événements plus anciens, une part de la mémoire qui est absente sur internet et ne permet donc pas de se faire une opinion. Il y a un manque de références sur l’histoire plus ancienne pour ceux qui vont uniquement sur internet. C’est normal, il ne peut en être autrement, c’est le fait même d’Internet comme moyen d’information tel qu’il est aujourd’hui. Premièrement, comment le maîtriser et secondement il faut avoir également d’autres sources sur les faits plus anciens.
En 1959, Robert Davezies affirme en conclusion de son livre Le Front : « L’écrasement de la Révolution algérienne, son isolement, son asphyxie, sa mort par épuisement… autant de rêves insensés. » Cette affirmation, chaque jour, se vérifie en même temps que l’obstination coloniale fait courir le risque de voir les factieux emporter la République.
Le conflit algérien, en raison de la guerre qui se prolonge et de son implication géographique, pose problème aux autorités suisses. Il y a avec la France une tradition de liens privilégiés, les deux États appartiennent au monde occidental, de plus les intérêts suisses en Algérie ne sont pas négligeables et, si l’on pense à la famille Borgeaud (1) ou à la Compagnie genevoise des colonies de Sétif, sont anciens.
Le FLN initialement très lié à Nasser, dont le nationalisme panarabe est considéré comme une menace pour l’Occident, reçoit un fort appui du mouvement tiers-mondiste né à Bandoeng et le bloc soviétique lui est favorable, non pas tant dans sa revendication indépendantiste qu’en ce qu’il contribue à l’affaiblissement des puissances coloniales. Enfin, la lutte du peuple algérien véhicule un ferment d’idées révolutionnaires auxquelles les autorités suisses et une large majorité de l’opinion publique ne sont guère favorables.
Après l’affaire Dubois, le gouvernement semble vouloir maintenir un délicat équilibre dans ses relations avec une France amie, mais ombrageuse concernant la question de ses colonies et le FLN, qui n’est encore qu’un mouvement de libération nationale, mais dont l’accession au pouvoir est « inscrite dans l’Histoire ».
Damien Carron (2) souligne dans ses travaux que le gouvernement, en particulier le conseiller fédéral (3) Max Petitpierre, forte personnalité, ont été sensibilisés par les atteintes aux droits humains dont la France se rend coupable et ont adopté une politique assez balancée ; le mérite de la conduite de cette politique initiée par Max Petitpierre revient à Olivier Long, haut fonctionnaire ayant le titre d’ambassadeur. Une politique qui va permettre à la Suisse d’être acceptée par les deux parties pour organiser les rencontres secrètes entre émissaires français et algériens et assurer, sur son territoire, le séjour de la délégation algérienne durant les négociations d’Évian.
Toutefois, dans la période qui précède ce très beau succès de la diplomatie helvétique, les autorités ne sont pas sans craindre que le conflit ne déborde sur le territoire helvétique comme c’est le cas en Belgique, en Allemagne fédérale et en Italie où des attentats sont commis (4).
On peut penser qu’un modus vivendi s’établit entre la Suisse, la France et les Algériens sur cette question, mais provocation, actes isolés ou stratégie du pire ne sont jamais exclus. Ainsi, nous sommes en octobre 1960, l’inquiétude officielle est perceptible lors d’une conférence organisée par le MDE et les étudiants algériens à l’occasion du vie anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne. Claude Bourdet se voit refuser de prendre la parole, la réunion est cependant maintenue.
Quatre cent cinquante à cinq cents personnes y participent, c’est un grand succès. Lecture est donnée d’une lettre de Claude Bourdet (5), de celle de Jean-Paul Sartre adressée au tribunal lors du procès du réseau Jeanson et aussi d’un message de trois signataires des 121, Arthur Adamov, Bernard Dort et Jean-François Revel (eh oui !). Interviennent notamment Jules Humbert-Droz, figure historique du mouvement ouvrier suisse, André Muret, Gilbert Baechtold et Bernard Antenen pour le MDE. Véritable légitimation du droit à l’indépendance de l’Algérie, le Parti socialiste, le Parti ouvrier populaire et la Nouvelle gauche neuchâteloise soutiennent la manifestation de dénonciation de la guerre coloniale menée en Algérie.
Cependant, côté service d’ordre, on fait montre d’une évidente nervosité, comme l’indique le rapport de police : « Pour prévenir tout désordre ou bagarre… un détachement de onze gendarmes… se trouvait au poste de Gendarmerie de Lausanne-Gare (aux abords de la réunion). Ce détachement avait reçu l’ordre de déposer les pistolets et était muni de matraques à n’utiliser que sur ordre… la police de sûreté et la Police fédérale ont organisé une surveillance dans la salle des xxii Cantons (lieu de la réunion) et dans la gare… La police lausannoise également sur place… tenait en réserve une trentaine d’hommes… cinq agents de la Police judiciaire municipale surveillaient les abords immédiats de la gare… et pour faire face à toute éventualité, une brigade de la circulation était de piquet à la caserne de Gendarmerie. » (6) Le seul événement à signaler sera le succès de la manifestation.
À un autre moment, l’inspecteur Racle me prévient que la police dispose d’informations selon lesquelles je pourrais être l’objet d’un attentat, il me propose, pour assurer ma protection, une garde rapprochée. Il est difficile de connaître la réalité de la menace, mais accepter une garde rapprochée signifie être soumis à un contrôle continu de mes activités et de mes contacts. Je décline donc la proposition, mais demande, puisque menaces il y aurait, le droit au port d’arme. Il m’est accordé, ce qui tend à confirmer le bien-fondé de l’information.
En possession de mon autorisation, j’achète un 6,35 et une boîte de cartouches, le tout aussitôt mis dans un tiroir, car si je devais faire face à un commando, que ce soit la « Main rouge » ou l’OAS, les chances d’en réchapper, même doté d’un 6,35, sont minces. Ne pas céder à la peur, maintenir certaines précautions, éviter toute vie publique et mondanités (ce qui me convient parfaitement), renoncer aux sorties entre amis et au cinéma, ne pas avoir d’horaires réguliers et poursuivre sereinement ses activités sont la seule attitude possible.
En Algérie et en France, six années de guerre exacerbent les antagonismes et trois événements vont marquer des étapes décisives vers l’indépendance. En décembre 1960, de Gaulle effectue une nouvelle tournée en Algérie pour expliquer son idée « d’Algérie algérienne ». L’objectif est d’isoler le FLN et de constituer une troisième force avec qui la France négocierait une « autonomie » de l’Algérie. Concession insupportable aux ultras de l’Algérie française, il s’ensuit des affrontements et des violences à l’encontre de la population algérienne.
À la suite de ces agressions, le 11 décembre se produit un événement que personne n’a prévu, ni à Tunis ni à Paris : partant de Belcourt et gagnant tous les quartiers d’Alger, des manifestants descendent massivement dans la rue, scandant « vive l’Algérie ! », « vive l’indépendance ! » Aux fenêtres et aux balcons, sur les terrasses et dans les cortèges, les drapeaux vert et blanc sortent des caches. Le peuple algérien fait connaître sa détermination à ne pas céder jusqu’à l’obtention de l’indépendance. La répression fait 114 morts, mais le cours de la guerre est changé, la volonté populaire ne pourra être vaincue, une seule voie est possible, la négociation.
Après le 11 décembre, pour de Gaulle, mais également pour les dirigeants algériens, rien ne sera plus comme avant. La direction du FLN, consciente de l’impossibilité de remporter une victoire militaire mais portée par le cours de l’histoire et par la légitimité de sa revendication, se devait de tenir, de ne pas céder, mais qu’en était-il d’une population confrontée à la machine de guerre d’un occupant disposant d’importants moyens de répression et de manipulation ? La manifestation du 11 décembre, formidable bouffée d’air pour le GPRA, a montré que la population tenait, que son aspiration était irréductible ; politiquement, la lutte de libération était gagnée.
Les Français d’Algérie vont basculer dans l’aventure jusqu’à vouloir envoyer les paras sur Paris, mais de Gaulle n’est pas Guy Mollet. Si quelques tomates ont suffi pour qu’il renie les promesses du Front Républicain, de Gaulle ne cède pas au chantage des paras lâchés sur Paris. Pour autant, la machine de guerre à l’encontre des Algériens en France ne se relâche pas, les basses besognes pour briser l’organisation du FLN sont confiées à des supplétifs, les harkis, qui sont à la guerre d’Algérie ce que fut la milice de Vichy sous l’Occupation. Réplique de la « bataille d’Alger », la « bataille de Paris » est engagée.
Le 6 octobre 1961, arguant de la recrudescence des attentats FLN contre les policiers, Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de la Gironde sous l’Occupation allemande, devenu préfet de police, décide d’établir dans Paris et la banlieue parisienne un couvre-feu discriminatoire pour les Algériens. Face à l’intensification des mesures répressives et pour peser sur l’ouverture de vrais pourparlers de paix, une riposte est nécessaire. Il faut démontrer que les Algériens, en France, comme en Algérie, sont inflexibles. La décision est prise d’organiser les 17 et 18 octobre des manifestations. Les instructions données sont claires, manifester dans le calme et éviter toute violence.
« À l’heure où, sous la pluie, le pavé noirci reflète les enseignes au néon, à l’heure où Paris fait la queue à la porte des cinémas, où Paris pousse la porte des restaurants, où Paris ouvre ses huîtres, au moment où Paris commence à s’amuser, ils ont surgi de partout… »(7)
Nul ne peut encore envisager la tuerie à venir. Au lendemain du massacre, de Libération (8), France-Observateur, L’Humanité, Le Monde, L’Express, La Croix à France-Soir et Le Figaro, tous reconnaissent le caractère non violent de la manifestation, tous dénoncent ou admettent les « excès policiers » sans en dévoiler l’ampleur.
Des anticolonialistes français ont été disséminés à la demande des Algériens le long du parcours de la manifestation, leur présence empêchera d’accréditer le mensonge officiel. François Maspero est l’un d’entre eux, il publie, avec des photos d’Élie Kagan, Ratonnades à Paris, un livre qui témoigne du crime d’État. Vérité-Liberté fait paraître un numéro accablant : « L’évidence est là : la jonction que nous redoutions en avril entre les tortionnaires d’Alger et les tortionnaires de M. Papon est réalisée dans les faits. »
Selon la Préfecture de police, il y a eu deux morts parmi les manifestants, les Algériens en décomptent plus de deux cents. Ce dernier chiffre se verra confirmé par les travaux des historiens. Dans Les Temps Modernes, on lit : « Pogrom ; le mot jusqu’ici ne s’écrivait pas en français… » Soudain s’étalait en pleine rue, au cœur de la capitale, ce que dissimulait jusqu’alors l’ombre des commissariats et des caves…
Esprit, dans un texte intitulé « Contre la barbarie », fait ce terrible constat : « La Seine charrie les frères des cadavres qui dorment au fond de la baie d’Alger » et répondant aux arguments de Papon qui évoque les « agissements criminels des terroristes algériens » conclut : « Aucun raisonnement politique, aucune prudence administrative ne valent face à de tels crimes. »
Jean Carta constate dans Témoignage Chrétien : « Il ne s’est rien passé d’extraordinaire à Paris mardi soir : on matraquait, on mitraillait. Le seul fait extraordinaire, c’est que pour une fois, les matraquages se déroulaient sous nos yeux, au cœur de la capitale » et de répondre à Roger Frey, ministre de la Justice : « S’il faut mille, dix mille témoins, ils sont prêts, même si la justice, qui doit les entendre ressemble de plus en plus à celle d’Arturo Ui. »
L’infamie dénoncée, il y a l’interrogation d’Hervé Bourges, également dans Témoignage Chrétien. Sous le titre « Le temps de Tartuffe » il écrit : « Je vous le demande : qui, oui qui, à l’appel des partis, des mouvements, des syndicats, aurait dû défiler et réclamer — au nom des principes qui ont fait aimer et respecter notre pays dans le monde — la fin des honteuses discriminations racistes et de la guerre en Algérie ? »
C’est le même triste constat que fait Vérité-Liberté : « Jamais le décalage entre la gauche française et la Révolution algérienne n’est apparu aussi éclatant. » François Maspero dans Partisans souligne ce clivage que la Déclaration des 121 a révélé entre une dénonciation morale de l’horreur et le droit à l’insoumission. « Le fait que le courage, l’héroïsme même des familles algériennes de la région parisienne, aient réussi à faire enfin éclater jusque dans les rues des quartiers bourgeois l’atroce vérité, l’atroce visage de nos chiens en uniforme, ne doit pas permettre à qui que ce soit de se donner le luxe de ces comédies où l’on répète : nous dénonçons, mais nous ne sommes pas du même monde. » (9)
Le 2 novembre 1961, militants FLN et Français membres des réseaux de soutien solidaires engagent dans toutes les prisons françaises une grève générale et illimitée de la faim pour l’obtention du statut de prisonnier politique. La grève dure, l’opinion publique s’émeut, un appel est lancé en soutien aux grévistes, il est important de le relayer hors de France. Dans l’urgence, avec Sylvain Goujon, nous contactons par téléphone des personnalités suisses, elles sont immédiatement et sans réserve favorables à cette initiative.
Dans un délai très court, vingt-quatre heures, l’appel peut être transmis à la presse avec de mémoire les noms de Karl Barth, Léopold Ruziscka, Max Bill, Ernest Ansermet, Friedrich Dürrenmatt… Malheureusement cet engagement des plus grands intellectuels suisses ne sera pas relayé par la presse. L’essentiel, après trois semaines de grève de la faim, le statut de prisonnier politique est accordé aux militants algériens incarcérés.
Manifestations pour la paix en Algérie et contre l’OAS prennent de l’ampleur ; le 8 février 1962, les syndicats CGT, CFTC, FEN, SNI et UNEF organisent une manifestation pour protester contre sept attentats commis par l’OAS dans Paris. Michel Debré, Premier ministre, Roger Frey, ministre de l’Intérieur et Maurice Papon, toujours préfet, font, alors que l’ordre de dissolution de la manifestation est donné, charger des manifestants, les uns refluent dans les rues et immeubles avoisinants, d’autres se réfugient dans les bouches de métro.
À la station Charonne, les manifestants pris au piège, les policiers s’acharnent jusqu’à lancer sur eux des grilles d’arbres, neuf d’entre eux, syndicalistes CGT et communistes, sont assassinés. C’est le crime de trop, le jour des obsèques, des centaines de milliers de personnes marchent vers le Père-Lachaise. L’opposition à la guerre d’Algérie, longtemps un acte minoritaire, prend un caractère de masse ; l’irréductibilité des Algériens se conjugue dès lors avec le refus d’une part toujours plus grande du peuple français. L’issue se profile.
François Maspero publie la revue Partisans qui va être l’expression de la « génération algérienne », on y lit : « Quand nous parlons de génération algérienne, c’est pour fixer ce que nous avons en commun. Nous avons dû résoudre un certain nombre de problèmes, seuls. Solidarité avec le peuple algérien en lutte pour son indépendance, refus de faire une guerre injuste. » (10)
Le comité de rédaction appartient à cette « génération » (11) et l’éditorial, signé par Vercors, passage de génération, ajoute à la symbolique : « Comme l’indique le nom de cette revue, nous sommes des partisans. Littré donne à ce mot deux significations. Nous répondons à l’un et voulons être prêts à répondre à l’autre : “partisans”, ce mot se dit de ceux qui ont de l’attachement pour quelqu’un ou pour quelque chose ; il se dit aussi de ceux qui font une guerre de surprises ou d’avant-postes.
Nous sommes “attachés” à la démocratie, à la justice, à l’égalité des individus et à celle des races humaines, à la libération de tous les hommes de toutes les formes d’oppression et d’aliénation en un mot : à la révolution socialiste. Nous nous préparons à combattre, si l’éventualité nous y obligeait, les ennemis de la démocratie, de la justice, de l’égalité des individus et des différences qu’on les appelle fascistes, racistes ou colonialistes, dans une guerre de surprises et d’avant-postes. » Dès son premier numéro, la revue est saisie.
Terrible fin de partie, les jusqu’au-boutistes de l’Algérie coloniale entraînent la population européenne d’Algérie dans une politique de la terre brûlée, enchaînement suicidaire ne laissant qu’une voie possible, celle du départ, de l’exil.
Dans cette situation de violences, il doit être répondu à de nouveaux besoins, ainsi, en liaison avec le docteur Bentami, délégué du Croissant Rouge Algérien, un ramassage de médicaments pour l’Algérie s’organise et grâce aux initiatives et au dévouement de Madeleine Cuendet, responsable de la section de Lausanne de la Croix-Rouge suisse, des médicaments sont récoltés dont le tri a été assuré par des étudiants de l’UGEMA dans les locaux de La Cité. Les médicaments sont acheminés en Tunisie par le Comité International de la Croix-Rouge (12).
Je suis contacté par Edmond Kaiser, fondateur de Terre des Hommes. Son projet, en liaison avec la CIMADE, faire venir en Suisse de jeunes Algériens des banlieues de Paris et de Marseille pour un séjour de vacances ; un appui logistique des Algériens est demandé pour seconder cette initiative. Les autorités suisses exigeant un contrôle médical en gare de Cornavin, à l’arrivée à Genève, des médecins algériens et suisses effectuent ce contrôle. Je vois l’un d’eux, parfaitement calme, faire une clé à un jeune. Devant ma surprise, il me précise qu’ils sont dans un rapport de force et veulent connaître leur espace. Je me remémore à ce moment une réunion préparatoire avec Edmond Kaiser, où une jeune enseignante, très dévouée, qui faisait partie de l’encadrement du camp, a proposé entre autres « centres d’intérêt », des activités sur la pomme.
Le contrôle médical effectué, le groupe part pour le Jaun Pass. Le lendemain, alerte, les jeunes de Paris et Marseille s’affrontent et l’un d’entre eux, blessé, a dû être hospitalisé. Je contacte l’UGEMA qui envoie immédiatement des étudiants algériens sur place pour suppléer l’encadrement dépassé, la pomme n’était pas le bon thème. Il n’y a pas eu d’autre incident notoire, si l’on excepte une organisation défaillante nécessitant un repli du camp dans le château de Morges, ancienne armurerie et pas encore musée, peu propice à recevoir ces jeunes.
Des filières vers l’Algérie s’ouvrent, d’où le besoin de répondre à des demandes d’un tout autre ordre : par exemple, une voiture à double fond pour la zone autonome d’Alger. Je m’adresse à des anciens de la guerre d’Espagne. Rendez-vous est pris dans un garage à Genève, des dispositions très strictes sont adoptées, je reviendrai avec l’ami algérien, les présentations faites, je m’éclipserai. Je fus informé que la voiture était bien arrivée à Alger.
Autre demande, l’organisation des Algériens souhaite changer une importante somme de francs algériens en francs suisses, le franc algérien n’ayant bientôt plus cours. Je me rends à ma banque, dont je suis un client ordinaire, pour demander d’effectuer cette opération. On me fait monter au premier étage où je suis mis en relation avec une personne habilitée ; l’opération est tout à fait légale. La transaction est acceptée.
L’indépendance se profilant, les initiatives sont nombreuses. Je reçois un appel téléphonique d’Isabelle Vichniac qui veut me rencontrer. Je me rends rue de Beaumont où elle me présente à un membre de l’ambassade d’Israël pour me demander d’informer les responsables algériens qu’Israël est prêt à envoyer en Algérie des spécialistes des traumatismes de guerre, domaine dans lequel ils sont sans nul doute compétents.
Tout en étant sceptique sur l’accueil qui sera fait à cette proposition « d’aide humanitaire », l’opportunité de la démarche israélienne ne me surprend pas, je suis plus étonné que cette rencontre se déroule au domicile d’Isabelle Vichniac, je ne l’ai jamais entendue faire état de rapports avec l’ambassade israélienne. La réponse à la proposition de l’attaché ne peut être prise au niveau des responsables en Suisse du FLN, je fais donc informer des responsables proches du gouvernement provisoire à Tunis. La réponse revient, après quelques jours, ainsi que je le prévoyais, négative.
L’interdiction d’entrée en France ne m’empêche pas de me rendre à Paris pour des rencontres. Pour éviter de dormir à l’hôtel, je dispose de deux hébergements appréciés, l’un et l’autre dans le ve arrondissement, chez François Maspero et Marie-Thérèse Maugis ou chez Gérard Chaliand et Juliette Minces.
Gérard et moi, nous nous sommes connus dans les réunions du comité de rédaction Partisans. Comme je l’ai déjà signalé, il milite avec Georges Mattéi pour l’organisation des passages de frontières réceptionnés par Francis Baudin dans le Jura neuchâtelois. Je n’ai connu cette « proximité » qu’après l’indépendance. Nous avons spontanément communiqué : chaleur dans l’accueil qui a des racines culturelles, passion d’échanger et de connaître les autres, l’amitié n’est pas seulement chez Gérard Chaliand, homme de fidélité, un sentiment, elle lui est consubstantielle, si le mot fraterniser à un sens, avec lui, ce mot se fait réalité. De plus, nous avons beaucoup à partager.
La signature des accords d’Évian ne met pas un terme à l’horreur, ultras de l’Algérie française et barbouzes de de Gaulle s’entre-tuent, les Algériens ont des comptes à régler avec leurs traîtres, l’OAS organise ses ultimes attentats en France. Quand de Gaulle échappe à l’attentat du Petit-Clamart, l’Algérie est indépendante.
Le 3 juillet 1962, la liesse est générale en Algérie. À Lausanne, l’UGEMA organise une fête pour l’indépendance, ce fut une rencontre entre Algériens, Suisses et Français, sœurs et frères, réunis. Jean Pouillon prit la parole pour la rédaction des Temps Modernes. Dans ce moment, le projet commun à tous les Algériens est de rejoindre leur pays ; ce départ va aussi être celui de Suisses qui souhaitent contribuer à aider une Algérie meurtrie par cent trente ans de colonialisme et huit ans de guerre. Pour célébrer l’indépendance, des Algériens se rendent à une invitation chez un banquier du nom de François Genoud, c’est là une autre histoire.
Le choix de l’insoumission a permis de ressentir et de partager l’espoir qui unissait nos frères Algériens et il nous a unis à eux ; ce fut une expérience irremplaçable de savoir que les dénués de droit peuvent vaincre. Avoir répondu à cet appel n’a pas été un mérite, mais un moment de convictions partagées.
Notes:
Henri Borgeaud, petit-fils du fondateur de la dynastie, député et sénateur français. Son oncle, Jules Borgeaud, fut consul de Suisse.
Op. cit. : La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne, 1954-1962.
Ministre des Affaires étrangères.
Rappelons parmi les attentats commis, en Belgique celui contre Georges Laperche, militant anticolonialiste, en Allemagne contre Yaici Abdelkader (Nouasri), militant algérien et en Italie contre Taïeb Boulahrouf, représentant du GPRA.
Signe évident d’une évolution des opinions, La Nouvelle Revue de Lausanne, organe quasi officiel du Parti radical, publie in extenso la lettre de Claude Bourdet.
Rapport de la police de sûreté du 4 novembre 1960.
« À propos de la génération algérienne », Partisans, n° 1, 1961.
Le Comité de rédaction est composé, autour de François Maspero, de Jean Carta, Gérard Chaliand, Georges Dupré, Maurice Maschino, Marie-Thérèse Maugis, Pierre-Jean Oswald, Jean-Philippe Talbo, Nils Andersson.
Effet collatéral, les contacts pris avec des représentants cantonaux des sociétés de médecine pour qu’elles contribuent à la récolte de médicaments suscitent une enquête de la police.
« Si l'argent, d'après Augier, vient au monde avec une tache naturelle de sang sur la joue, le capital naît dégouttant de sang et de boue des pieds à la tête.» Karl Marx
Nous fêtons ces jours ci le bicentenaire de la naissance de ce géant de la pensée qu'est Marx homme qui a structuré depuis deux siècles La pensée économique Fabrice Aubert décrit le parcours de Karl Marx et pense que c'est un intellectuel intégral qui touche avec bonheur à plusieurs domaines « Une idée disait Marx devient une force lorsqu'elle s'empare des masses » . Le 5 Mai 1818 naquit à Trèves, un enfant dénommé Karl Marx et en ce 5 mai 2018, nous voici renvoyés à l'effluve créatrice du spectre, tant de fois déclaré mort et tant de fois revenu du néant. Dans l'histoire humaine, nous avons eu de grands scientifiques et penseurs. Archimède, Aristote, Platon, Copernic, Léonard de Vinci, Galilée et plus proche de nous Einstein qui ont marqué de leur empreinte l'Histoire Humaine. Marx fait partie intégrante de ces penseurs Il est référencé en philosophie, en Economie, en Histoire, en Politique, puisqu'il s'est engagé toute sa vie et enfin du fait de son approche « Marxiste » en termes de « lutte des classes », il est l'un des fondateurs de la sociologie. ( ) « N'est pas marxiste qui veut : On peut se proclamer « Marxiste », c'est souvent mon cas, mais il est vraiment difficile de pouvoir y prétendre de manière réelle. Le « tube à essai » du « marxisme », c'est la société elle-même «l'émancipation du prolétariat sera l'œuvre du prolétariat lui-même » (1)
Si Marx revenait parmi nous
A bien des égards, Karl Marx n'avait pas prévu les conséquences du capital Plusieurs intellectuels, ont « interviewé » Marx sur un certain nombre de sujets, tel que l'argent, l'or, la religion, ce qu'est devenu le « capital ».
Pour Henri Pena-Ruiz il est l'auteur de toutes les réponses, élaborées à partir de la pensée de Marx Nous écoutons Marx Aujourd'hui le capitalisme fait rage. C'est le règne de l'argent roi. Comment caractériser le genre de relations qu'il instaure entre les hommes ? : L'argent en possédant la qualité de tout acheter, en possédant la qualité de s'approprier tous les objets est donc l'objet comme possession éminente. L'argent est l'entremetteur entre le besoin et l'objet, entre la vie et le moyen de subsistance de l'homme. Mais ce qui sert de moyen terme à ma vie sert aussi de moyen terme à l'existence des autres » Parlant de la « relique barbare ; Karl Marx s'exclame : « De l'or ! De l'or jaune, étincelant, précieux ! Non, dieux du ciel, je ne suis pas un soupirant frivole...
Ce peu d'or suffirait à rendre blanc le noir, beau le laid, juste l'injuste, noble l'infâme, jeune le vieux, vaillant le lâche... il arrachera l'oreiller de dessous la tête des mourants ; cet esclave jaune garantira et rompra les serments, bénira les maudits, donnera aux voleurs place, titre, hommage et louange sur le banc des sénateurs ; Allons, métal maudit, toi qui mets la discorde parmi la foule des nations... » (2)
« ( ) Ma force est tout aussi grande qu'est la force de l'argent. Les qualités de l'argent sont mes qualités et mes forces essentielles à moi son possesseur. Ce que je suis et ce que je peux n'est donc nullement déterminé par mon individualité [...]. Si l'argent est le lien qui me lie à la vie humaine, qui lie à moi la société et qui me lie à la nature et à l'homme, l'argent n'est-il pas le lien de tous les liens ? L'argent ne peut-il pas dénouer et nouer tous les liens ? N'est-il pas non plus de ce fait le moyen universel de séparation ? Il est la vraie monnaie divisionnaire, comme le vrai moyen d'union, la force chimique universelle de la société. Il fait fraterniser les impossibilités. Ensuite il est la courtisane universelle, l'entremetteur universel des hommes et des peuples. La perversion et la confusion de toutes les qualités humaines et naturelles, la fraternisation des impossibilités Il transforme la fidélité en infidélité, l'amour en haine, la haine en amour, la vertu en vice, le vice en vertu, le valet en maître, le maître en valet, le crétinisme en intelligence, l'intelligence en crétinisme ». (2)
On m'accuse d'avoir écrit poursuit Marx que la religion est l'opium du peuple, la phrase a été sorite de son contexte Le philosophe Pierre Tevenian a compris ce que je voulais dire Je lui donne la parole : « il faut bien relire le texte. Quand on le lit, il est clair qu'il n'est pas directement antireligieux, bien que son analyse parte d'un point de vue non religieux, matérialiste, et qu'il propose une analyse critique de la religion. Marx critique la religion, c'est vrai, mais comme un passage obligé, parce que la critique de la religion est le grand sujet de l'époque pour la gauche qu'on appelle « hégélienne », que Marx qualifiera d'idéaliste. ( ) le point de vue critique sur la religion débouche en toute logique sur une critique de la société. L'opium signifie l'antidouleur, c'est une métaphore très fréquente à l'époque pour parler de la religion, que Marx n'a pas du tout inventée. La métaphore dit donc que c'est un antidouleur, une consolation face à un monde qui rend malheureux. Par conséquent, dit Marx, si l'on souhaite l'abolition de la religion qu'il considère effectivement comme étant une illusion , il faut remplacer cette consolation par un bonheur réel.
C'est ainsi que la critique de la religion débouche nécessairement sur une critique de la société. Il estime que la question de la religion n'est pas le débat principal, ce n'est pas la question sur laquelle il faut mener un combat idéologique ou politique ». (3)
Les grands problèmes actuels « conséquences » du Capital
Si Marx revenait parmi nous, il serait étonné de ce qu'on lui fait dire, par l'exégèse de son œuvre remise au gout du jour s'il revenait parmi nous. Fabrice Aubert décrit cette pensée:
« Sur le travail : Karl Marx fut sans doute avec Engels, le premier « sociologue du travail » [Il n'a pu de fait comprendre le Capital, comme rapport social dominant, qu'en étudiant attentivement le travail.
Il en découle une approche sociale aiguisée : « Le travail est humain. Il l'est par définition, et l'activité de l'animal ne peut être appelée un 'travail' : 'Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. » (1)
Sur le communisme : K. Marx et Engels furent des militants du communisme, mais qu'entendaient-ils par là ? Une utopie ? Un modèle ? Une nouvelle religion ? En fait, trop instruits des dogmes du passé et se méfiant de ce que pourraient en faire des religieux ils ont laissé aux hommes le soin de matérialiser au quotidien ce qui suit : « Pour nous, le communisme n'est pas un état de choses qu'il convient d'établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses.» (1)
« Sur la mondialisation pour suit Fabrice Aubert : Ainsi, qui peut croire que ces lignes sont écrites en 1848 : « 'Par l'amélioration rapide de tous les instruments de production, par les communications rendues infiniment plus faciles, la bourgeoisie entraîne toutes les nations, jusqu'aux plus barbares, dans le courant de la civilisation. Le bas prix de ses marchandises est son artillerie lourde, avec laquelle elle rase toutes les murailles de Chine [ , avec laquelle elle contraint à capituler les barbares xénophobes les plus entêtés. Elle contraint toutes les nations, sous peine de courir à leur perte, à adopter le mode de production bourgeois ; elle les contraint d'importer chez elles ce qui s'appelle la civilisation, autrement dit : elle en fait des nations de bourgeois. En un mot, elle crée un monde à son image » (1).'
« Sur l'écologie : Souvent la caricature renvoie les marxistes à leur productivisme, critique fondée si l'on regarde l'histoire de l'URSS et du stakhanovisme. Mais dans la réalité du marxisme de Marx et non de ses disciples, la nature, l'environnement et l'équilibre humain font partie de ses priorités : « Le Capital épuise deux choses : le travailleur et la nature ».Aujourd'hui avec le changement climatique déjà commencé, la pollution des mers par le plastique, formant un nouveau continent, la déforestation planifiée par le profit, la malbouffe, l'exploitation du gaz de schiste, la poursuite de la domination du pétrole débouchant sur des coups d'Etat et ses guerres meurtrières (Irak-Syrie), n'est-on pas confronté à la nécessité d'une « bifurcation » ] radicale au nom même du devenir de l'humanité ? »
Où en est-on aujourd'hui ?
La situation n'a pas changé fondamentalement dirait Marx. Le capitalisme est toujours aussi prédateur sauf que la lutte des classes pour Marx est le moteur de l'histoire : la lutte des classes ne mène pas à la dictature du prolétariat mais à sa disparation mais en tant qu'entité globale. Le prolétaire est livré à lui-même en face du patron Il n'y aura pas de phase transitoire de sociétés sans classes phase transitoire, laissera place à une société sans classes :
Cependant il est vrai que : « Le capitaliste, propriétaire momentané de la force de travail du salarié, peut très bien le faire travailler au-delà des 4 heures nécessaires à la production de la force de travail. ( ) Cela confirme les prévisions de Karl Marx pour qui capitalisme et crise économique sont inséparables, les périodes permettant au prolétariat de vivre confortablement étant l'exception et non la règle. Ce qui nous semble inadmissible (misère, chômage, crise) n'a rien d'une anomalie, c'est en réalité le fonctionnement normal du capitalisme » (4)
Le néolibéralisme : destruction du collectif et atomisation de l'humain
«Le discours capitaliste, disait le philosophe Lacan c'est quelque chose de follement astucieux (...), ça marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux. Mais justement ça marche trop vite, ça se consomme. Ça se consomme si bien que ça se consume» Le capital symbolique qui a été sédimenté par pans entiers sous les coups de boutoir du marché du libéralisme fruit d'une mondialisation sans éthique. Même les sociétés qualifiées il n'y a pas si longtemps « primitives » sont en train de perdre leur identité sous la pression d'un Occident néolibéral qui dicte la norme. Elles sont en danger du fait d'une disparition rapide d'un capital symbolique au profit d'une macdonalisation de la culture.
L'Occident veut à travers le libéralisme sauvage imposer une vision du monde qui fragilise les sociétés et les laisse en proie à l'errance. Margareth Thatcher avait l'habitude de dire qu'elle ne connaissait pas de citoyens, elle ne connaissait que des consommateurs » L'État Providence est mort de sa belle mort. Tous les acquis que les travailleurs ont été arrachés aux démocraties libérales grâce à leur lutte et à la pression qu'exerçait le camp socialiste sur le «monde libre» se réduisent comme une peau de chagrin .Empires disloqués, nations éclatées, voilà l'orientation que le néo-libéralisme veut imposer au sens de l'histoire. Le capital a horreur des frontières comme il a horreur des solidarités. (5)
La disparition des solidarités
« Le monde économique, s'interroge Pierre Bourdieu, est-il vraiment, comme le veut le discours dominant, un ordre pur et parfait, déroulant implacablement la logique de ses conséquences prévisibles, et prompt à réprimer tous les manquements par les sanctions qu'il inflige, soit de manière automatique, soit - plus exceptionnellement - par l'intermédiaire de ses bras armés, le FMI ou l'OCDE, et des politiques qu'ils imposent : baisse du coût de la main- d'œuvre, réduction des dépenses publiques et flexibilisation du travail ? Le mouvement, rendu possible par la politique de déréglementation financière, vise à mettre en question toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur : nation, dont la marge de manœuvre ne cesse de décroître ; groupes de travail, avec, par exemple, l'individualisation des salaires et des carrières en fonction des compétences individuelles et l'atomisation des travailleurs qui en résulte ; .( ) Ainsi s'instaurent, , le règne absolu de la flexibilité, avec les recrutements sous contrats à durée déterminée ou les intérims et les « plans sociaux » à répétition, et, au sein même de l'entreprise, la concurrence entre filiales autonomes, entre équipes contraintes à la polyvalence et, enfin, entre individus, à travers l'individualisation de la relation salariale ». (6).
De plus, nous vivons une époque où le plaisir est devenu une priorité, où les carrières autrefois toutes tracées se brisent sur l'écueil de la précarité, la vie à deux ressemble de plus en plus à un CDD amoureux. Par ailleurs on peut citer comme autre perturbation inédite, le développement de l'individualisme, la diminution du rôle de l'Etat, la prééminence progressive de la marchandise sur toute autre considération, le règne de l'argent, la transformation de la culture en modes successives, la massification des modes de vie allant de pair avec l'individualisation et l'exhibition des paraître » (7)
Dans Le Divin Marché, la révolution culturelle libérale, Dany-Robert. Dufour tente de montrer que, bien loin d'être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l'emprise d'une nouvelle religion conquérante, le Marché ou le money-théïsme. Il tente de rendre explicites les dix commandements implicites de cette nouvelle religion, beaucoup moins interdictrice qu'incitatrice - Destructeur de l'être-ensemble et de l'être-soi, il nous conduit à vivre dans une Cité perverse. Pornographie, égotisme, contestation de toute loi, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l'autre : notre monde est devenu sadien.. (7)
« La valeur symbolique, écrit le philosophe Dany-Robert Dufour est ainsi démantelée au profit de la simple et neutre valeur monétaire de la marchandise de sorte que plus rien d'autre, aucune autre considération (morale, traditionnelle, transcendante...), ne puisse faire entrave à sa libre circulation. Sous les coups de boutoir de la post-modernité, la civilisation telle que nous l'avons connue risque de disparaître rapidement. (7)
Marx et le colonialisme
Là ou Marx a fait tout faux c'est sa position concernant le colonialisme , grand ami d'Engels dont il épouse les idées . Pour Marx , les nations occidentales doivent civiliser, et coloniser C'était à l'époque des Renan des Gobineau et des Jules Ferry avec son crédo de races supérieure » Pour Marx « L'Angleterre a une double mission à remplir en Inde : l'une destructrice, l'autre régénératrice - l'annihilation de la vieille société asiatique et la pose des fondements matériels de la société occidentale en Asie » Marx et Engels en arrivent à la logique d'extension transnationale du capital. La logique même du capitalisme et le besoin de « débouchés toujours nouveaux » poussent à l'affranchissement des frontières. « La bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares » Karl Marx connaît Alger puisqu'il y a séjourné en 1882 pour des raisons de santé. Engels va encore plus loin lorsqu'il écrit pour la New American Encyclopedia un article sur l'Algérie. Après avoir décrit la situation géographique, climatique, politique etc., de l'Algérie, il décrit les peuples autochtones.
Et il recycle les vieilles études de l'ethnologie coloniale. Le territoire est peuplé de trois groupes différents : les Kabyles, les Arabes et les Maures. Il établit une hiérarchie de civilisation entre eux, Engels, dans l'esprit du temps, se plaît à opposer les Berbères aux autres indigènes d'Algérie. Cette attitude est typique de la tactique « diviser pour régner » de la conquête coloniale » (8)
Pour nous Marx en 2018, serai ébloui voir choqué par les conséquences de l'ouverture de la boite de Pandore qu'est devenu le Capital.
Homme de son temps, il ne peut que mesurer les dégâts du néolibéraalisme prédateur qui atomise les solidarités et précarise l'individu sans compter les dégâts faits à la nature sont irréversibles et nulle part dans le Capital nous trouvons un Plan B pour sauver l'humanité.
Née en Algérie, Bariza Khiari a accédé aux plus hautes fonctions politiques. Première sénatrice musulmane de France, ex-vice-présidente du Sénat, juge à la Haute-Cour de justice de la République, chevalier de l'Ordre national du mérite, un parcours exemplaire qui a piqué notre curiosité. Dans son bureau, à l'Elysée, où elle nous reçoit chaleureusement, elle évoque, pour les lecteurs du Quotidien d'Oran, son itinéraire et ses combats et ses projets. Entretien
Le quotidien d'oran : Comment, sur une période d'une trentaine d'années, jugez-vous du processus d'intégration des populations d'origine immigrée en France ?
Bariza Khiari : Sur une trentaine d'années, je peux dire que le bilan de l'intégration des populations issues de l'immigration est plutôt positif même s'il faut parfois pondérer cet avis à cause des discriminations. Mais, il est vrai qu'est apparue une classe moyenne, issue de ces populations, il y a des cadors, nous avons donc des jeunes qui se construisent individuellement. Sur le plan individuel, il y a des réussites exceptionnelles. A titre personnel, lorsque j'ai été élue sénatrice, au début il y avait envers moi une certaine méfiance, parce qu'on ne me connaissait pas, mais lorsque vous faites valoir des compétences, on vote pour vous. J'ai été élue première vice-présidente du Sénat, poste que j'ai occupé trois ans durant, et la droite et la gauche ont voté unanimement pour moi. Lorsque j'ai quitté la vice-présidence du Sénat, les sénateurs de droite, qui sont censés être mes adversaires en politique, m'ont demandé d'être candidate à la Cour de justice de la République. Lorsque j'ai demandé la raison, on m'a expliqué qu'ils étaient assurés que je jugerais les faits, non les personnes. Les jeunes peuvent réussir en faisant valoir leur savoir-faire, à condition bien entendu qu'ils respectent les règles et les lois de la République. J'ai toujours été persuadée que les compétences effaçaient dans le regard de l'Autre l'appartenance. Ces réussites, comme je l'ai déjà dit, restent individuelles. Mais, sur le plan collectif, c'est beaucoup moins brillant. En somme, les succès personnels et l'émergence d'une classe moyenne sont les signes d'une réelle intégration en dépit de toutes les discriminations qui sont à l'œuvre. Discriminations qui représentent un vrai fléau auquel il faudra bien qu'on s'attaque. Les discriminations sont des morts sociales. C'est, en effet, beaucoup plus difficile quand on est fils ou petit-fils d'immigré de décrocher un poste à diplôme égal. Cependant la prise en compte de cette diversité est visible, elle est du reste tellement visible qu'on se préoccupe de s'adresser à ces générations-là pendant les périodes électorales. C'est un signe évident que ça commence à compter.
Q. O.: Vous avez été une militante anti-raciste, que pensez-vous du malaise latent, parfois ouvert comme durant les émeutes de 2005 dans les banlieues, de ces jeunes qui sont parfois tentés par des engagements djihadistes ?
B. K.: Cela est tout à fait regrettable. Il est possible que la République n'ait pas été suffisamment à l'écoute de cette frange de la population. En tout cas, certains ont agi de telle sorte qu'on en arrive à cette situation. Et qu'ont fait ces obscurantistes, ces intégristes ? Ils ont fait en sorte que l'islam se réduise à des types d'oppositions binaires : ceci est permis, cela est défendu ; ceci est licite, cela est illicite ; ceci est haram ; ceci est halal. C'est devenu le critère moyennant quoi nos textes scripturaires sont devenus un code pénal, et, du coup, ces intégristes ont fait perdre à la religion musulmane toute la dimension verticale et spirituelle. Car la spiritualité est le cœur de l'islam et, à partir du moment où vous asséchez la religion, car c'est à cela que nous avons assisté, les théoriciens du salut peuvent surgir, ces analphabètes bilingues qui promettent un billet premium pour le paradis et qui trouvent des personnalités faibles pour les croire.
Q. O.: Ce serait là la faille ?
B.K.: La meilleure façon de lutter contre l'islamisme radical, c'est de promouvoir l'islam et ses valeurs, de mettre l'accent sur la spiritualité de cette religion. Or, on n'a pas fait ce qu'il aurait fallu faire pour transmettre les savoirs fondamentaux de l'islam. A l'Institut des cultures d'islam que j'ai l'honneur de présider, j'ai pu me rendre compte que cette transmission des valeurs spirituelles de l'islam ne s'est pas faite dans les familles. Il y a des manques graves dans la passation de ces valeurs, car si elles avaient été inculquées aux jeunes, on n'en serait pas arrivé à une situation aussi dramatique.
Q. O.: N'y aurait-il pas aussi un manque grave du côté de l'école, les valeurs républicaines non plus n'ont pas été transmises, on ne peut que le constater
B. K.: Si l'école républicaine n'a peut être pas rempli sa mission, les familles pas davantage. Du coup, n'importe quel démagogue, agitateur, prédicateur islamiste peut leur « bourrer le crâne ». Et voilà comment on parvient par glissements successifs à un phénomène de radicalisation, lequel aboutit à légitimer l'action terroriste.
Q. O.: Comment avez-vous vécu les attentats de 2015 ?
B. K.: Très mal. Ces actes terroristes rejaillissent malheureusement sur l'ensemble des musulmans. Ce que ces radicalisés font est gravissime.
Q. O.: En quoi précisément est-ce gravissime ?
B. K.: A titre d'exemple et pour battre en brèche, l'argument agité par certains, qui se plaisent à répéter qu'en Islam écouter ou pratiquer de la musique relève du haram, j'ai dû « monter » une exposition d'arts contemporains, organiser des conférences et des concerts pour expliquer que rien de tout cela n'est, au regard de l'islam illicite. C'est en effet une forme de chant que de psalmodier le Coran. On ne sait pas assez qui, en Europe médiévale, a fondé le premier conservatoire est un musulman du nom de Ziryâb1. C'est le philosophe Al-Kindî2 qui a créé une forme de solfège où l'on reconnaissait les notes à l'aide de chiffres, sans oublier les chants spécifiquement religieux, et le très important patrimoine de la musique andalouse qui irrigue toute la culture musulmane. Dans ces circonstances, décréter que la musique est illicite, ce serait vouloir interdire à des oiseaux de chanter.
Q. O.: Après les attentats de 2015, certains se sont hâtés de dire que ces actes criminels n'avaient rien à voir avec l'Islam, d'autres ont défendu l'idée qu'il devait y avoir malgré tout un rapport, quel est votre sentiment ?
B. K.: Je n'ai pas d'avis tranché sur la question. Ce que je peux vous dire, c'est que les Musulmans dans ce pays n'ont pas à s'excuser pour les actes commis par une « bande de cinglés ». Pas plus que les autres communautés du reste. Mais il faut avouer que ces actes commis au nom de l'Islam nous atteignent vraiment.
Q. O.: La gauche de gouvernement a répondu aux attentats, notamment par le projet de la « déchéance de nationalité », quelle a été votre réaction ?
B. K.: C'est sur ce projet que s'est faite ma rupture avec le Parti socialiste. Les prémices de la rupture, ce fut lorsque Manuel Valls, alors premier ministre, est allé rendre visite à Angela Merkel pour lui faire la leçon au sujet des migrants. Cette femme, de droite, a été, dans ces circonstances, l'honneur et la conscience de l'Europe. Franchement, si l'Europe n'est pas aussi un corpus de valeurs, alors qu'on veuille bien nous le dire. C'est moi qui avec d'autres, au Sénat, ait fait capoter ce projet, car j'ai réussi à fédérer une majorité de sénateurs socialistes en leur disant : « N'avez-vous pas honte ? Nous avons adhéré à ce parti sur la question des valeurs et aujourd'hui on en est là ! ». Du coup, l'exécutif,qui n'avait pas de majorité dans ses rangs pour faire adopter le texte, a été contraint de le retirer. Si j'ai quitté le PS, c'est aussi à cause de cette forme hystérique de laïcité dans laquelle je ne me reconnaissais pas.
Q.O.: N'y aurait-il pas une alternative possible à cette laïcité hystérique que vous évoquez ?
B.K.: Pour le président Emmanuel Macron la laïcité est un espace de liberté, liberté de croire ou de ne pas croire. Il ne se sert pas de la laïcité ou de questions sur l'identité française pour diviser les français car contrairement à d'autres il cherche lui à les rassembler.
Q. O.: On voit bien en effet la réaction très vive d'une certaine gauche contre le fait que le président Macron tende la main aux catholiques et qu'il fera de même sans doute avec les musulmans
B. K.: Mais le président Macron a tendu la main aux Musulmans, en plusieurs occasions, je peux vous l'assurer. Partisan du rassemblement des français, le Président est pour une laïcité qui ne crée pas de rupture entre les citoyens. Ça change tout. La laïcité est définie par une loi qui interdit certaines choses, mais qui en permet d'autres et qui doit être respectée. Si l'État est laïc, les gens ne le sont pas. La laïcité est un espace de liberté qui nous permet de vivre ensemble, tout en étant différents. Le président Macron l'a très bien compris. Parce qu'il possède cette culture philosophique et historique dont étaient dépourvus ses prédécesseurs immédiats, il a compris que le premier terrain à investir, c'était celui de l'éducation et son maître mot est l'émancipation. À titre d'exemple, lorsqu'on divise le nombre des élèves par deux dans les petites classes, c'est pour permettre à ces enfants de savoir lire, écrire et compter. Car lorsqu'un gamin ne dispose que de trois cents mots, il a tendance à faire usage de la violence pour s'exprimer. Vous le savez comme moi, l'éducation est une cause absolument fondamentale.
Q. O.: Est-ce qu'une partie du problème ne vient pas du fait que la gauche socialiste n'a pas pris au sérieux la question religieuse ?
B. K.: Avant d'évoquer la question religieuse, permettez-moi de vous dire que la bonne conscience de la gauche, ça a été l'antiracisme. Quand on mène une lutte contre le racisme, à un moment donné, il faut l'évaluer, en dresser le bilan, et pointer du doigt les insuffisances. Or, pendant que la gauche à travers une organisation luttait contre le racisme en organisant des concerts, Jean-Marie Le Pen est parvenu à se hisser au second tour de l'élection présidentielle !
Q. O.: Ça n'a pas fonctionné
B. K.: Parce que la lutte menée n'a pas porté sur la promotion de l'égalité ou la lutte contre les discriminations. Pour cela, il aurait fallu concevoir d'autres outils. Car c'est un travail précis, sur le long terme, un travail de terrain qui dépasse le temps d'un quinquennat. Il aurait fallu s'attaquer en profondeur aux inégalités et ça n'a pas été fait.
« C'est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles. J'avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l'impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l'ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme » (Kateb Yacine)
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. Au matin de ce jour là, quelques dix mille personnes affluent entonnant l'hymne nationaliste Min Djibalina, avec des pancartes dont « À bas le colonialisme », « Vive l'Algérie libre et indépendante ». Un policier tire sur Bouzid Saâl, jeune scout musulman tenant un drapeau de l'Algérie et le tue devant le café de France. Dans l'après-midi, le mouvement s'étend à Guelma, la manifestation ayant débuté Place des figuiers avec quelques 1500 à 2 000 jeunes et enfants de Guelma, arborant des pancartes « Vive la démocratie », « Vive l'Algérie »... Des émeutes identiques eurent lieu également dans plusieurs villages au nord de Sétif : Kherrata, Amouchas, Beni Aziz (alors Chevreul), Aïn El Kebira (alors Périgot-Ville), El Ouricia et Beni Fouda (Sillègue). La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Pour l'historien Mohammed Harbi : « En attendant des recherches impartiales, convenons avec Annie Rey-Goldzeiguer que, pour les 102 morts européens, il y eut des milliers de morts algériens » (« La guerre d'Algérie a commencé à Sétif » in Le Monde diplomatique, mai 2005). Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance. Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable.
Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de « guerre d'Algérie » après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des « six historiques » : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : « L'Algérie, c'est la France ». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer. De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef ). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Du rapt d'avion...
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf. Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans douté affaiblis par ces purges internes. Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN).
Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence. En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
... au GPRA et l'indépendance
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés. Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts.
Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le « clan d'Oujda ») et l'« armée des frontières ») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. Ce, outre le conflit avec le Maroc en 1963 (« guerre des Sables ») et plus tard le différend quant à la question du Sahara occidental depuis les années 1970. Ainsi, après plusieurs mois d'incidents frontaliers, il y eut une guerre ouverte (notamment dans la région algérienne de Tindouf) pour s'étendre ensuite à la région de Figuig au Maroc. L'Organisation de l'unité africaine (OUA) obtint un cessez-le-feu définitif le 20 février 1964, la frontière entre les deux pays étant inchangée. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit de Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Le coup d'Etat du 19 juin 1965 vit l'accession de Houari Boumediene au pouvoir jusqu'à sa mort en décembre 1978. La politique suivie fut ce qui a été qualifié par le régime en place de « socialisme spécifique » avec la mise en place de la planification de l'économie et la bureaucratie d'Etat. La rente pétrolière aboutit hélas à un mal développement et un endettement excessif, avec la reconduction de la personnalisation du pouvoir politique.
Sur le 8 Mai 1945 (liste non exhaustive)
Ouvrages :
- Mahfoud Kaddache, Il y a trente ans le 8 mai 45, Paris, Éditions du Centenaire, 1975.
- Boucif Mekhaled, Chroniques d'un massacre: 8 mai 1945 ; Sétif, Guelma, Kherrata, Paris, Syros, 1995, 251 p.
- Mehana Amrani, Le 8 mai 1945 en Algérie : les discours français sur les massacres de Sétif, Kherrata et Guelma, Paris, L'Harmattan, 2010, 282 p.
- Radouane Ainad Tabet, Le Mouvement du 8 mai 1945 en Algérie, Alger, Office des publications universitaires, 1985, 246 p.
Films :
- Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois, Les massacres de Sétif un certain 8 mai 1945, 1995.
- Yasmina Adi, L'autre 8 mai 1945, aux origines de la Guerre d'Algérie, 2008.
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