Pour les générations aînées, les révolutions ont été déjà faites, comprendre celle de Novembre 1954 et l'autre d'Octobre 1988, les colères ont déjà été clamées et la messe est dite. Rééditer l'exploit ? Impossible car les temps ont changé. Rééditer l'échec ? Impossible aussi car nous en sommes atteints en plein cœur. Nous sommes, m'avait si bien dit un jour l'un de mes profs de littérature, comme ces voyageurs qui attendent, stressés, un train sur le quai de la gare alors que celui-ci était déjà parti depuis longtemps. Que faire alors rentrer chez soi ou y rester à perdre son temps ? L'angoisse de ces derniers est celle de tous les Algériens aujourd'hui. Aussi, ceux-ci entendent-ils se poser, çà et là, cette interrogation pleine de mépris, de sous-entendus : de quoi vous vous plaignez, vous autres, les plus nantis et les plus sécurisés dans toute la région ? Mieux vaut rester comme ça, en paix, qu'entendre chaque jour et chaque nuit le bruit des déflagrations de bombes au-dessus de vos toits et le langage des mitraillettes comme en Syrie ! Résultat de ce matraquage populiste : pas même une incitation à l'utopie ni à une quelconque croyance en l'astre de l'espoir, du changement par les idées, la mobilisation citoyenne. En effet, les jeunes Algériens sont victimes du triomphalisme par procuration de leurs aînés, dans un pays où le courage d'autrefois est, malheureusement, en rupture de stock. La génération des aînés n'a pas su leur transmettre son expérience, son savoir-faire, son élan révolutionnaire ni les pousser en avant, mais les a, au contraire, étouffés comme on recouvre la terre d'une chape de plomb. C'est, somme toute, une génération qui n'a pas su enfanter ses successeurs ni faire essaimer ses idées, son engagement , son héroïsme libérateur. L'Algérie est devenue par la force de leur entêtement et de leur laisser-aller, une usine de castration de compétences et de déprime, «une caserne oisive» comme le résume un célèbre chroniqueur, d'où sortent des rentiers-crocodiles et des handicapés de la pensée par milliers. Qui a gagné dans tout ça ? Qui a perdu ? Révolution ratée, héritage culturel liquidé, décadence sous toutes ses couleurs à nos portes ! Le butin, la bataille, le trophée de cette génération-là semble être notre inanité, notre faiblesse, notre ignorance , notre déperdition. Or, une société qui ne produit pas un espace nouveau pour les libertés, qui ne va pas jusqu'au bout d'elle-même, qui n'aide pas sa jeunesse à prendre son autonomie, est promise à l'échec. Puis, celle-ci ne peut jamais changer la vie de ses citoyens tant qu'elle ne sait pas comment nommer ses problèmes pour pouvoir les identifier et se transformer par la suite. Tous les dégâts sont là bien que la graine démocratique existait déjà. Une graine qu'il suffit d'arroser pour qu'elle redonne tous ses fruits, beaucoup de fruits...
par Kamal Guerroua
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