The Stranger contre The Outsider
Pourquoi le roman de Camus "L’Etranger" a-t-il pour titre "The Outsider" en Grande Bretagne et "The Stranger" aux Etats-Unis ? Quelle a été la genèse des éditions américaines et anglaises du futur best-seller intergénérationnel?
Comment le roman a-t-il été reçu outre-Manche et outre-Atlantique? Comment un "trop plein de guillemets" dans la version anglaise de son roman L’Etranger, a-t-il révélé à Camus qu’il y avait un problème dans la traduction de Stuart Gilbert ? Que dit la fiche du FBI de l’écrivain-journaliste résistant, Albert Camus, à l’occasion de sa venue à New York en 1946?
Antoine Compagnon, titulaire de la chaire « Littérature française moderne et contemporaine :Histoire, critique, théorie » au Collège de France nous entraîne dans l’immédiat après guerre, entre Londres et New York. Il nous invite à rencontrer, dans le cadre de son séminaire, lié à sa série « De la littérature comme sport de combat » , Alice Kaplan, professeur de Français à la chaire John M. Musser à Yale et spécialiste de l’histoire du XXe siècle.
Cette universitaire travaille à l’intersection de la littérature et de l’histoire, en mêlant étroitement un travail sur les archives et l’analyse minutieuse des textes.
« J’essaie de me situer à la charnière de l’histoire et de la littérature, compte-tenu du privilège que j’accorde à la narration », disait-elle en 2007 dans Libération.
En 2014, Alice Kaplan décide de raconter la genèse du roman l’Etranger et part enquêter en Algérie. Pour l'historienne de la littérature,
il s'agit d’ « accompagner Camus, mois après mois, comme si je regardais par-dessus son épaule ».
Ce sera le passionnant Looking for the Stranger, biographie d’un texte publié en français chez Gallimard en 2016, sous le titre En Quête de l’Etranger. Au magazine Elle, Alice Kaplan explique :
« Le premier intérêt de ce roman réside dans le contexte de son écriture, quand à 25 ans seulement, Camus entame la rédaction de l'Etranger, il le construit au rythme des événements et des bouleversements d'une guerre, celle de 1939-1945. La réception de l'œuvre est toute autant fascinante… entre réticence, puis une incroyable explosion d'amour qui échappe à son auteur. En écrivant cet ouvrage j'ai également voulu combler le vide de ma propre éducation, on ne m’avait jamais parlé de l'Algérie. Et l’Etranger est le premier roman que j'ai lu en français ».
Elle situe le projet de Camus, qui n’a cessé d’interroger depuis la parution du roman. Selon elle,
Camus "veut représenter le racisme de l'Algérie coloniale, il comprend qu'il peut montrer une société raciste à travers des effets de langage sans avoir à l’expliquer. L’étranger est l’inverse d’une autobiographie, il crache tout ce qui le révulse. Et devient le grand humaniste que nous connaissons".
"Le message politique délivré est terriblement actuel : on y voit le meurtre de l’autre, celui qu’on ne nomme pas, qu'on ne voit pas, qu’on n’ entend pas. Ce meurtre de l’Arabe, par Meursault, entre en résonance avec les assassinats dénoncés par le mouvement américain Black Lives Matter, né ces dernières années".
Au journal Le Monde, Alice Kaplan explique l’influence du Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain (traduit en français en 1936) :
« Camus observe l’effet qu’obtient James Cain, en utilisant l’appellation « Le Grec » au lieu d’un véritable nom propre, Camus comprends que lui-même peut produire un effet similaire, en appelant son propre personnage de victime, l’Arabe. Réduire un homme à un simple qualificatif ethnique lui permet de signifier le racisme sans avoir à l’expliquer »
Alors comment Britanniques et Américains reçoivent-ils L’Etranger de Camus en 1946 ?
Et nous gagnons tout de suite l’amphithéâtre du Collège de France, le 13 mars 2018 pour le séminaire d’Antoine Compagnon, aujourd’hui : "The Stranger contre The Outsider : un combat pour le titre de L’Étranger" avec Alice Kaplan.
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