La Casbah, ses palais et sa Citadelle
Surplombant la baie d’Alger, sur les hauteurs à 118 mètres d’altitude, la Citadelle, ou Dar Essoltane (le Palais du sultan), comme on l’appelait jadis, a résisté au temps et aux profondes dégradations qui racontent l’histoire douloureuse de la colonisation. La bureaucratie, l’absence de coordination, le manque de financement et de volonté politique ont lourdement retardé sa restauration, décidée il y a plus de 40 ans.
Néanmoins, durant ces dernières années, les travaux ont repris et permis à plusieurs édifices, la poudrière, les bains et les casemates des janissaires, pour ne citer que ceux-là, de renaître de leurs cendres, alors que le Palais du dey, sa mosquée, les suites de son harem sont en chantier, ainsi qu'une partie des nombreuses bâtisses de La Casbah.
Construite sur les hauteurs de la vieille Médina d’El Djazair, il y a plus de cinq siècles, Dar Essoltane, ou la Citadelle, a survécu au temps, malgré les profondes blessures du passé colonial et de la bêtise humaine du présent.
Plus de cinq siècles (1516) après sa construction par Baba Arrouj, cette dernière demeure des deys d’Alger, que de profondes lacérations ont défigurée, commence à renaître de ses cendres. Entamés il y a plus de 40 ans, les travaux de sa restauration donnent enfin les premiers résultats.
La visite dans cet immense chantier nous renseigne sur la complexité des opérations de restauration, mais aussi sur l’étendue des agressions humaines contre cette forteresse, devenue le centre du pouvoir politique et militaire après que le dey Ali Khodja eut décidé d’abandonner, vers 1817, le palais de la Jénina, situé à la Basse-Casbah, pour des raisons de sécurité.
Les premières opérations de préservation lancées après l’effondrement d’une partie de la muraille de ce Palais ont permis la découverte de quelques fortifications médiévales, visibles, grâce à une gaine en verre, et qui prouve que l’histoire de cette forteresse renforcée par les Ottomans remonte à bien plus loin que l’époque médiévale.
Dans cet immense chantier de la Citadelle, aux sept remparts, dont un a disparu et un autre se trouve encore à l’intérieur de la caserne militaire, construite durant les premières années de la colonisation, après voir coupé la forteresse en deux, par une rue qui sépare les jardins du Palais du dey. Après 40 ans de tracasseries administratives, financières bureaucratiques, politiques..., quelques édifices historiques sont enfin finalisés.
Des modifications pour dénaturer la splendeur du Palais
Réalisée par PKZ, le premier bureau d’études polonais, auquel la restauration a été confiée, dans les années 1980, la maquette donne une idée de ce qu’était la Citadelle, avant que le général De Bourmont ne décide, dès les premiers mois de la colonisation, de la couper de son jardin, par une route, et faire de nombreuses transformations pour dénaturer le site et effacer une bonne partie de son histoire et de ses repères, aussi bien cultuels que culturels.
Sur la maquette, on peut aussi remarquer les différentes modifications opérées par Ali Khodja et Hussein Pacha, derniers deys d’Alger, qui ont pris la décision de quitter le siège du pouvoir politique de la Régence d’Alger, au palais de la Jénina, pour s’installer à la Citadelle, alors quartier général des janissaires (militaires). Mais c’est le dey Hussein Pacha, qui a laissé le plus de traces, en adaptant la Citadelle aux commodités de la vie en famille pour lui et pour les deys qui venaient lui rendre visite.
Au centre, une immense cour, recouverte de marbre blanc et de colonnes, et non loin, les appartements réservés aux femmes, le Diwan, où se tenait les réunions du Dey, la mosquée privée de celui-ci (dont le minaret a été complètement enlevé pour être restauré pièce par pièce), ainsi que les suites de son harem, le bain, les casemates et la mosquée des janissaires, la mosquée des beys (d’Oran, Constantine et Médéa), le jardin d'été, la poudrière et les cinq batteries réparties sur les différentes ailes du palais, etc. L’édifice a subi d’importantes transformations durant les premières années de la colonisation. Il fut scindé en deux par une route, qui l’a isolé de son jardin et de certaines de ses dépendances.
De visu, nous pouvons voir les séquelles de ces actes de dénaturation du site, comme, par exemple, les nombreuses décorations enlevées, des murs détruits, des fenêtres placées un peu partout, des piliers en marbre disparus, des poutres métalliques installées, de nouveaux murs en ciment érigés et des fresques aux magnifiques couleurs abîmées. Ces actes révèlent une volonté de détruire tout ce qui incarnait la splendeur, l’art et la prospérité des lieux.
Les bains des janissaires, leurs casemates et la poudrière restaurés
Les travaux de restauration ont pu sauver quelques édifices, auxquels il fallait enlever tout ce qui a été greffé comme béton, métal et autres matériaux, mais aussi sauvegarder l’ingénieux réseau hydraulique de la forteresse, relié à des aqueducs, qui ramenait l’eau de Aïn Zeboudja, Tixeraïne, Bouzaréah et d’El Hamma, pour la distribuer aux 54 fontaines (il n’en reste que 4 ou 5) de la Médina. Avec sa forme octogonale, et son architecture unique dans le Maghreb, la poudrière ou Dar El Baroud, comme on l’appelait jadis, en est à la fin de sa restauration.
Doucement mais sûrement, elle ressuscite de ses décombres, et pourra s’offrir, dans quelques mois, aux regards des visiteurs. Il en est de même pour le bain des janissaires, qui est à 90% de son achèvement. Les lieux sont féeriques. Ils vous transportent carrément à la fin du XVe siècle. Un travail de fourmi a été accompli pour se rapprocher le plus possible de la vie d’antan.
Les dalles de marbre, les petites lunettes en verre qui laissent passer la lumière du jour, à travers le plafond arrondi, mais aussi tout le système de raccordement de la tuyauterie en terre cuite, qui ramène l’eau chaude et l’eau froide jusqu’aux robinets, qui existaient déjà à l’époque.
Les visiteurs pourront admirer la salle d’eau principale et les petites autres salles de repos. Un peu plus loin, la restauration des casemates des janissaires est à moitié terminée, alors que celle du Palais du dey est encore loin d’être achevée. Les travaux nécessitent une expertise très poussée, parce qu’il a fait l’objet de nombreuses transformations devant être corrigées, mais aussi de l’utilisation du béton et du métal, qui doivent impérativement être enlevés.
Cependant, sa mosquée est terminée. Un bijou architectural, avec une décoration de faïences, de marbres et de sérigraphie arabe, qui laisse sans voix.
Non loin, les travaux de restauration du Palais des beys, ses dépendances et sa mosquée avancent et leur achèvement approche, même si c’est à petits pas en raison de leur complexité et leurs spécificités.
Les lieux renaissent des leurs cendres, et leur beauté est à couper le souffle. Tout le long de la terrasse, que longeaient H24 les gardiens, surveillant tout mouvement de foule dans la Médina, et de navire au large de la baie, de nombreuses latrines sont aménagées.
Un système d’évacuation d’eau très ingénieux
Dotées d'un système d’arrivée et d’évacuation d’eau ingénieux, elles aussi sont en chantier et doivent être remises dans leur état initial, après les différentes transformations qu’elles ont subies lors de la colonisation. En face de l’entrée principale du Palais du dey, la mosquée El Berrani (l’étranger) est toujours en chantier. Sa rénovation n’est pas pour demain.
Nous quittons difficilement le palais. Dans ce plan de restauration, des travaux de trois canalisations d'assainissement des eaux usées de La Casbah, sur une longueur de 1,6 km, seront bientôt terminés. L’opération s’effectue sans creuser le sol, grâce au recours à de nouvelles technologies. Avec ses 1816 bâtisses, réparties sur une superficie de 105 hectares, La Casbah vit sous la menace des effondrements, malgré le plan de sauvegarde, qui a permis, il y a trois ans, l’étaiement de 717 maisons menacées d’écroulement.
Or, cette opération devait être limitée dans le temps, pour être suivie du lancement des travaux de restauration. Sur les 1816 maisons recensées, dans ce quartier, 605 sont dans un état de dégradation moyen ou superficiel, 507 en situation de dégradation avancée, 331 en dégradation extrême et 373 ont été vidées ou en état de ruine.
A signaler que la première phase de ce plan de restauration a concerné 17 lots sur les 33 devant être restaurés, ainsi que la réhabilitation de 7 palais historiques, parmi lesquels Dar Khedaoudj, tandis que les travaux se poursuivent au niveau des mosquées Sidi M'hamed Cherif et Sidi Ben Ali, ainsi que 78 autres bâtisses.
Notre visite à ce quartier donne la chair de poule, surtout lorsque l’on voit ces dizaines de maisons soutenues par des madriers en bois. L’aspect d’éternel chantier qui s’offre aux visiteurs, mais aussi aux habitants, qui vivent sous la menace perpétuelle des effondrements, suscite un sentiment de peur et un pincement au cœur.
La restauration de la Casbah est très complexe
Pour Abdelwahab Zekkar, directeur général de l’Office de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés, la restauration de La Casbah est très complexe, notamment en raison de la situation juridique de la propriété. Un tiers des habitations sont en bon état, parce que habitées par leur propriétaires. L’autre tiers, en situation de délabrement, est occupé par des locataires, et le dernier tiers est squatté par des indus occupants. De plus, la majorité des propriétaires des 400 parcelles restées vides après l’effondrement des maisons «sont à ce jour inconnus ou ne disposant pas de documents nécessaires pour ceux qui se présentent comme tels.
Ce qui rend toute intervention difficile. Les dispositions du plan de sauvegarde sont claires. Les occupants souhaitant bénéficier d’une des formules d’aide à la réhabilitation doivent justifier d’un acte de propriété». Il précise par ailleurs que «30% des habitants de La Casbah sont aujourd’hui locataires et la moitié d’entre eux souhaitent le rester».
Les problèmes juridiques liés à la propriété ont été pour beaucoup, révèle le responsable, dans les lenteurs de la prise en charge de la restauration des maisons. L’exemple des bâtisses restaurées de Sidi Ramadane est révélateur.
Etant en situation d’effondrement, le ministère de la Culture avait pris, en 2012, la décision d’engager les travaux après les recherches infructueuses de leurs propriétaires, des travaux d’urgence.
Une fois l’opération achevée, ces derniers sont apparus et beaucoup ont refusé de participer au coût des travaux, sous prétexte qu’ils n’avaient pas été informés. «Les dispositions juridiques actuelles permettent aux propriétaires qui veulent restaurer leurs maisons de bénéficier d’une aide financière allant de 15 à 50% des montants nécessaires, octroyée par tranches sur présentation des factures.
En 2008, sur les 1816 constructions de l’époque ottomane et coloniale, 544 maisons ont été classées rouge car nécessitant d'urgence des travaux d’étaiement. Jusqu’en 2014, cette opération a touché 717 maisons étayées, et il n'en restaient que 66 dont les locataires refusaient catégoriquement les travaux. Avec le plan d’attaque qui a démarré en 2015, il y a eu 212 maisons restaurées complètement.
Salima Tlemçani
http://www.elwatan.com/actualite/medina-d-alger-une-memoire-a-restaurer-08-04-2018-365896_109.php
Qui se souvient du temps où La Casbah s’appelait El Djzaïr…
Son histoire pourrait commencer comme les vieilles légendes que les conteuses se transmettaient jadis. «Il y a près de mille ans, un prince venu du Sud découvrit au bord de la mer un endroit merveilleux et il décida d’y bâtir une ville ...»
C’est en effet au milieu du Xe siècle (quatrième siècle de l’Hégire), que Bologhine, fils de Ziri, roi d’Achir, fait construire sur les vestiges romains d’Icosium, peuplés par la tribu des Beni-Mezghana, une cité qui prend le nom d’El-Djazaïr, en raison des îlots qui parsèment sa baie.
Bien que de modeste importance, cette bourgade fortifiée, qui s’étage en gradins sur le flanc de la colline, suscite aussitôt toutes les convoitises. Dès le onzième siècle, les Almoravides s’y installent, comme l’atteste la Grande Mosquée qu’ils ont laissée en héritage. Puis ses voisins hafsides et zianides lui imposent alternativement leur loi, et lorsqu’enfin, au début du seizième siècle, la ville commence à prendre un peu d’indépendance, les Espagnols, qui poursuivent leur Reconquista après la chute de Grenade, viennent à leur tour la menacer. Mais en bâtissant leur Penon sur les îlots de la baie, ils n’imaginent guère que cette forteresse «plantée comme une épine dans la chair d’El Djazaïr», va être à l’origine de son prodigieux destin.
Car là encore l’histoire ressemble à une légende
Trois siècles de gloire et de fortune, durant lesquels El Djazaïr ne cesse de croître et d’embellir. Sur les pentes du «djebel», la partie haute de la ville, les maisons se multiplient. Comme les écailles d’une pomme de pin, elles s’étagent de terrasse en terrasse et les ruelles en escalier serpentent sous les murs qui s’enchevêtrent comme des voûtes ou des tunnels. L’eau ruisselle sur les faïences des fontaines qui ornent chaque carrefour.
Les minarets des mosquées dressent leurs innombrables flèches dans l’azur, et, derrière leurs façades aveugles, les palais cachent aux regards curieux leurs patios ensoleillés, leurs colonnes sculptées et leurs cours pavées de marbre. Dans la grande rue des Souks, qui traverse de part en part l’«outa», la ville basse, une foule cosmopolite s’affaire bruyamment : bourgeois cossus, paysans des campagnes, femmes drapées dans leur haïk immaculé, janissaires armés jusqu’aux dents, esclaves chargés de fardeaux, corsaires et marchands étrangers qui font escale dans le port.
Dans les échoppes des orfèvres des tourneurs ou des potiers, on discute et on marchande en arabe, en kabyle, en turc, et même dans ce curieux sabir de la Méditerranée, qui est parlé dans tous les ports. Au-delà des remparts, dans les faubourgs populeux, où les nomades venus du Sud dressent leurs tentes, des troupes d’enfants déambulent parmi les ânes et les chameaux.
Sur les sentiers bordés d’aloès qui longent le rivage, les dévots font pèlerinage aux petites coupoles des sanctuaires. Autour de la baie, de jolies maisons de campagne se blotissent dans la verdure, un chapelet de forts hérissés de canons s’égrène le long de la côte et, au sommet de la ville, la vieille citadelle de La Casbah surveille.le port.
Toutes voiles au vent, les chébeks partent en course.
El Mahroussa, El Djazaïr la «bien gardée», défie la mer !
Car c’est la mer qui, au long des siècles, l’a nourrie de sa substance. Ville de corsaires, ville d’invasions et de conquêtes, mais aussi ville de commerce et d’échanges, El Djazaïr a peu à peu absorbé tout ce que la Méditerranée lui avait apporté au cours de son histoire. Bon ou mauvais, elle l’a assimilé, emmêlé, confondu, et de ce tout elle a formé son vrai visage. En elle l’Orient et l’Occident se confondent. Elle s’enrichit de leurs contrastes ....
Mais à la fin du dix-huitième siècle, le mauvais sort s’abat sur la cité des corsaires. La peste, la famine, les tremblements de terre et les émeutes ont affaibli la ville que l’Empire ottoman n’est plus capable de protéger, et lorsqu’en 1830 l’armée française débarque à Sidi Fredj, les troupes vont la ruiner. Alors dans El Djezaïr envahie les destructions se succèdent. On éventre ses ruelles, on rase ses remparts, on démolit ses palais, on convertit ses mosquées, on transforme ses souks en «places d’armes»...
Amputée de toute sa partie basse, coupée de son port par les nouveaux boulevards, défigurée par des constructions qui lui sont étrangères, la ville mutilée se replie sur elle-même. Fière, elle attend l’heure de sa revanche. N’est-il pas symbolique qu’elle se confonde avec sa citadelle pour s’appeller désormais «La Casbah» ?
Car de 1954 à1962, c’est bien une citadelle, secrète et impénétrable, qui, au cœur de la Révolution, offre au mouvement de libération le refuge de ses rues enchevêtrées, de ses passages souterrains et de ses terrasses communicantes. Malgré les barbelés qui la déchirent, malgré les fouilles et les perquisitions, La Casbah assiégée poursuit sa résistance. Avec une volonté farouche, elle redevient El Djazaïr...
La paix retrouvée et l’indépendance acquise, l’ancienne cité aurait dû retrouver tout son lustre. Mais il n’en a rien été. Noyée dans cet Alger moderne qu’elle a pourtant engendré, La Casbah n’est plus qu’un quartier populaire, livré à la foule rurale, qui s’est engouffrée dans ses murs.
Et la cité millénaire n’a plus la force de résister à cet ultime assaut. Le temps a miné ses fondements, l’histoire a ébranlé ses assises, l’oubli a englouti ses trésors. Affaiblie et usée, sa texture fragile s’amenuise à chaque instant sous la poussée violente des hommes et chaque jour s’écroulent sous nos yeux ces prestigieux vestiges que le temps et l’histoire n’avaient pas réussi à abattre.
Aujourd’hui l’histoire de La Casbah n’est plus une légende. La Casbah est en danger. Pour sauver ses murs délabrés qui conservent la mémoire de son peuple et les souvenirs du passé, La Casbah livre sa dernière bataille. Pour la gagner, elle ne demande qu’un peu d’amour et de respect.
Par C. Chevallier Historienne et auteure de plusieurs ouvrages sur La Casbah d’Alger
http://www.elwatan.com/contributions/qui-se-souvient-du-temps-ou-la-casbah-s-appelait-el-djzair-03-04-2018-365625_120.php
Les commentaires récents