«Il y a seulement de la malchance à n'être pas aimé ; il y a du malheur à ne point aimer.» Albert Camus,
L'Été «Ô mon âme, n'aspire à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible !» Pindare, IIIe Pythique
Ceci est une fiction ou peut-être pas.
Dans les sphères daéchiennes, la fête de l'amour est à abattre. En condamnant sa fête, c'est l'amour lui-même que l'on empêche. Il est ainsi décrété haram, traqué et proscrit, à coups de fatwas et de prêches. Se sentant haï, menacé et trahi, l'amour a fini par quitter son bien-aimé pays ! Voici contée l'histoire d'un divorce tragique.
Sur l'autoroute Est-Ouest, l'amour roule à une allure à distancer le vent et le temps. Il n'a plus d'illusions, ne rêve plus à grand-chose, ou peut-être à une dernière chose.
Il ne pense pas aux beaux jours, pas même aux mauvais d'ailleurs, pas même aux scandales de l'autoroute sur laquelle il roule, ni à la pluie qu'annoncent les nuages gris qui s'attroupent en grognant.
Il roule, à contresens de ces nuées boulimiques que le vent fait paître dans ce ciel si sombre, et qui ne cessent de brouter des étoiles. Il roule à contresens de ces idées si obscures qui broutent les lumières et la vie.
Une bruine fine luit sur cette chaussée noire et glissante, aussi glissante que le destin noir de son amour de pays.
Il roule, les idées brouillées comme une omelette, la tête dans les nuages fixant cette dernière idée, qui lui pourrit l'esprit comme ce ciel livide sans étoiles.
Il roule et voit, sur les bords, des ombres qui jubilent, qui défilent comme sa vie pourrit, sur cette pourriture d'autoroute qui pue le scandale. Il scrute au loin son horizon pour savoir si demain s'annoncent des jours meilleurs ou si le ciel annonce des jours sans lendemain.
L'amour pense à une dernière chose, la seule question philosophique qui vaille. Il pense à en finir. Sa vie absurde défile face à des ombres qui exultent, comme une fanfare qui joue Kassaman à un président qui défile, sur une chaise roulante, sans pouvoir réciter Kassaman.
L'amour sait que s'il ne trépasse pas en passant par-dessus un pont inachevé de cette route qui se déconstruit depuis vingt ans, s'il ne périt pas en heurtant un poteau électrique en pleine autoroute, il mourra sur une civière, entre une tentative de grève de médecins inachevée et un hôpital qui se déconstruit depuis vingt ans. Il sait que s'il ne périt pas sur cette route, il mourra pendu ou lapidé, sur la place des martyrs, comme une femme amoureuse qu'on accuse d'adultère.
Curieusement, cette idée d'en finir le soulage. Il imagine même son épitaphe et s'en réjouit : « Ici, repose le suicidé amour. » Et juste en dessous, un verset de Camus en guise de prière : «Quand une fois on a eu la chance d'aimer fortement, la vie se passe à chercher de nouveau cette ardeur et cette lumière. » Il verse alors une larme, non pas sur lui-même, mais sur son bien-aimé pays. Il l'imagine coincé pour l'éternité dans la haine, comme cette épitaphe prisonnière d'une pierre tombale.
Il l'imagine mangeant ses enfants, lapidant ses femmes et déshumanisant ses hommes. Il l'imagine récitant des versets de haine, qui le bannissent et l'arrachent des cœurs à jamais : «Ici, on ne célèbre pas l'amour, juste un dieu austère. L'amour est bidaa, une fable d'impies, une hérésie à extraire comme on arrache les seins nus d'une statue de marbre », diront les versets daéchiens.
L'amour songe à sa mort, et à ces enfants, qui, par manque d'amour, par désespoir, se jetteront par milliers par-dessus des ponts inachevés, ou s'offriront à une mer qui rejettera leurs corps décomposés.
Il ne voit évidemment pas ses obsèques dans la grande mosquée d'Alger, non parce qu'inachevée depuis vingt ans, mais parce que ce dieu daéchien de la mosquée n'aime ni les histoires d'amour ni les suicidés qui ne meurent pas pour lui.
Il n'y a pas de place pour l'amour, plus de place pour la beauté, plus de place pour la vie, se dit l'amour. Le pays dérape, s'enlise, chavire. L'amour capote. Il meurt et laisse, derrière lui, un pays en décomposition, rejeté par l'océan de l'humanité, et qui rêve, l'instant d'une prière, de voiler le nu des statues ou de chanter Kassaman à un président absent.
Il meurt, en rêvant qu'un jour, dans le pays où Camus célébra les noces du soleil et de la mer, des ruines et du printemps, on récitera à nouveau Shakespeare, à tue-tête et en glorifiant la prière de Juliette et de son bien-aimé Roméo :
ROMÉO : Restez donc immobile, tandis que je recueillerai l'effet de ma prière. (Il l'embrasse sur la bouche.) Vos lèvres ont effacé le péché des miennes.
JULIETTE : Mes lèvres ont gardé pour elles le péché qu'elles ont pris des vôtres.
ROMÉO : Vous avez pris le péché de mes lèvres ? Ô reproche charmant ! Alors rendez-moi mon péché. (Il l'embrasse encore.)
Cet article est également paru sur The Dissident.eu
Ceci est une fiction ou peut-être pas.
Dans les sphères daéchiennes, la fête de l'amour est à abattre. En condamnant sa fête, c'est l'amour lui-même que l'on empêche. Il est ainsi décrété haram, traqué et proscrit, à coups de fatwas et de prêches. Se sentant haï, menacé et trahi, l'amour a fini par quitter son bien-aimé pays ! Voici contée l'histoire d'un divorce tragique.
Sur l'autoroute Est-Ouest, l'amour roule à une allure à distancer le vent et le temps. Il n'a plus d'illusions, ne rêve plus à grand-chose, ou peut-être à une dernière chose.
Il ne pense pas aux beaux jours, pas même aux mauvais d'ailleurs, pas même aux scandales de l'autoroute sur laquelle il roule, ni à la pluie qu'annoncent les nuages gris qui s'attroupent en grognant.
Il roule, à contresens de ces nuées boulimiques que le vent fait paître dans ce ciel si sombre, et qui ne cessent de brouter des étoiles. Il roule à contresens de ces idées si obscures qui broutent les lumières et la vie.
Une bruine fine luit sur cette chaussée noire et glissante, aussi glissante que le destin noir de son amour de pays.
Il roule, les idées brouillées comme une omelette, la tête dans les nuages fixant cette dernière idée, qui lui pourrit l'esprit comme ce ciel livide sans étoiles.
Il roule et voit, sur les bords, des ombres qui jubilent, qui défilent comme sa vie pourrit, sur cette pourriture d'autoroute qui pue le scandale. Il scrute au loin son horizon pour savoir si demain s'annoncent des jours meilleurs ou si le ciel annonce des jours sans lendemain.
L'amour pense à une dernière chose, la seule question philosophique qui vaille. Il pense à en finir. Sa vie absurde défile face à des ombres qui exultent, comme une fanfare qui joue Kassaman à un président qui défile, sur une chaise roulante, sans pouvoir réciter Kassaman.
L'amour sait que s'il ne trépasse pas en passant par-dessus un pont inachevé de cette route qui se déconstruit depuis vingt ans, s'il ne périt pas en heurtant un poteau électrique en pleine autoroute, il mourra sur une civière, entre une tentative de grève de médecins inachevée et un hôpital qui se déconstruit depuis vingt ans. Il sait que s'il ne périt pas sur cette route, il mourra pendu ou lapidé, sur la place des martyrs, comme une femme amoureuse qu'on accuse d'adultère.
Curieusement, cette idée d'en finir le soulage. Il imagine même son épitaphe et s'en réjouit : « Ici, repose le suicidé amour. » Et juste en dessous, un verset de Camus en guise de prière : «Quand une fois on a eu la chance d'aimer fortement, la vie se passe à chercher de nouveau cette ardeur et cette lumière. » Il verse alors une larme, non pas sur lui-même, mais sur son bien-aimé pays. Il l'imagine coincé pour l'éternité dans la haine, comme cette épitaphe prisonnière d'une pierre tombale.
Il l'imagine mangeant ses enfants, lapidant ses femmes et déshumanisant ses hommes. Il l'imagine récitant des versets de haine, qui le bannissent et l'arrachent des cœurs à jamais : «Ici, on ne célèbre pas l'amour, juste un dieu austère. L'amour est bidaa, une fable d'impies, une hérésie à extraire comme on arrache les seins nus d'une statue de marbre », diront les versets daéchiens.
L'amour songe à sa mort, et à ces enfants, qui, par manque d'amour, par désespoir, se jetteront par milliers par-dessus des ponts inachevés, ou s'offriront à une mer qui rejettera leurs corps décomposés.
Il ne voit évidemment pas ses obsèques dans la grande mosquée d'Alger, non parce qu'inachevée depuis vingt ans, mais parce que ce dieu daéchien de la mosquée n'aime ni les histoires d'amour ni les suicidés qui ne meurent pas pour lui.
Il n'y a pas de place pour l'amour, plus de place pour la beauté, plus de place pour la vie, se dit l'amour. Le pays dérape, s'enlise, chavire. L'amour capote. Il meurt et laisse, derrière lui, un pays en décomposition, rejeté par l'océan de l'humanité, et qui rêve, l'instant d'une prière, de voiler le nu des statues ou de chanter Kassaman à un président absent.
Il meurt, en rêvant qu'un jour, dans le pays où Camus célébra les noces du soleil et de la mer, des ruines et du printemps, on récitera à nouveau Shakespeare, à tue-tête et en glorifiant la prière de Juliette et de son bien-aimé Roméo :
ROMÉO : Restez donc immobile, tandis que je recueillerai l'effet de ma prière. (Il l'embrasse sur la bouche.) Vos lèvres ont effacé le péché des miennes.
JULIETTE : Mes lèvres ont gardé pour elles le péché qu'elles ont pris des vôtres.
ROMÉO : Vous avez pris le péché de mes lèvres ? Ô reproche charmant ! Alors rendez-moi mon péché. (Il l'embrasse encore.)
Cet article est également paru sur The Dissident.eu
par Hebib Khalil
Les commentaires récents