Elle revenait te hanter souvent, les longs soirs d'hiver.
Je sens encore le parfum des orangers, la chaleur du désert,
Mais aussi les horreurs qui t'ont fait oublier tes prières.
J'étais enfant et j'écoutais tes récits, sagement,
Ils m'ont fait comprendre combien l'homme est un tyran,
M'ont donnés des frissons avant que j'ais l'âge de raison.
Les tortures, les gamelles, tirailleurs marocains, rations.
Tes mots raisonnent encore en moi, et j'ai vu ton regard,
Cent fois, mille fois tes yeux étaient repartis là-bas, hagard.
Des scènes indescriptibles, le goût de la mort te poursuivra
A jamais. Dépression post-algérie, les soldats ne parlent pas de ça.
Tu étais beau jeune homme et la vie devant toi, pleine de promesse,
Mais cette guerre t'a maudit, fait tourner la tête, rempli d'ivresse.
Je me demande parfois pourquoi les chants arabes me plaisent tant,
Quelques mots me reviennent aux senteurs des parfums d'orient.
Tu m'a si bien dépeint ce pays aux accents de velours,
Que tu as embrassé de tes bras de vingt ans avec amour
Après une longue traversée un cargo vous déversant
Ondée de jeune recrue à ces nouveaux vents grisants.
Mon père, je l'ai écoutée cent fois, mille fois ta guerre.
Je n'ai d'elle que quelques photos et des récits les longs soirs d'hiver,
Où je t'écoutais sagement avec mon regard d'enfant, innocent.
Tes récits de l'enfer où tu t'en est sorti, psychologiquement, survivant.
« La guerre d’Algérie » a bien eu lieu, puis elle a prit fin il y a plus de cinquante ans. L’aurait-on oubliée?..
Qu’est-ce qu’un poète peut « écrire » de cette guerre? La poésie peut-elle « saisir »l’évènement ? Peut-elle le signifier ? Et nous-mêmes aujourd’hui qu’attendons-nous de tels écrits, de tels vers ? Que sommes-nous prêts à entendre de ses chants ou de son murmure?...
C’est ce serein défi que l’ anthologie (« Les poètes et la guerre d’Algérie ») entend relever en nous la remettant « en perspective »; en nous remettant en mémoire quelques aspects des solidarités de combat avec les humiliés : hommes, femmes, enfants, histoire, paysages et principes…
On les tue par le feu, l’eau, l’électricité
Eux qui vécurent loin des sources
En rêvant d’eau toute leur vie
Eux qui grelotaient, sans charbon
Au soleil glacé du Mouloud.
Eux qui veillaient sans lumière
Au fond d’un bidonville obscur
La première fois qu’il vit
De près
Une baignoire
Fut le dernier jour de sa vie (écrit-elle en septembre 1955)
Elle qui durant la résistance au nazisme avait pris les armes puis avait écrit un poème resté fameux dans les annales de la poésie de résistance :
« Neuf balles dans mon chargeur
Pour venger tous mes frères
Ça fait mal de tuer
C’est la première fois
Sept balles dans mon chargeur
C’était si simple
L’homme qui tirait l’autre nuit
C’était moi »
« Femmes avec fusils »
Suit un poème d’Aragon, « … Il rêve à l’Algérie », extrait du Roman inachevé (1956).
Puis « Pour la paix » de Maurice Cury :
[…] Ils nous offrirent des décombres
Et la mort à pleines brassées
Nos tout puissants ministres de la peur
Nos anciens guerriers nostalgiques
Désiraient que nous devinssions
Des tueurs et des tortionnaires
Contre les peuples opprimés
Qui désiraient leur liberté […] (octobre 56)
« Les poètes et la guerre d’Algérie » s’étire sur plusieurs chapitres. Le premier ouvre sur les poètes français contre la guerre. Le second est un « Hommage à Maurice Audin ». Le troisième est consacré à 13 poètes algériens (1954-1962). L’avant dernier chapitre présente quatre poèmes traduits de l’arabe. Le dernier, enfin, un poème traduit du kabyle et des boqalat. Suit un index des quarante quatre poètes du recueil avec une courte biographie pour chacun. Un travail soigné et méritoire qu’on aurait aimé voir dans quelques vitrines de nos librairies, pour le plaisir de le feuilleter, l’acheter et l’offrir à nos ados…
Pour un premier envoi, nous choisissons choisissons quelques poètes français en « éclaireurs ». [Revenir plus tard sur la suite….]
Le premier poème qui ouvre l’ouvrage est de 1952…
L’aube comme un cheval
Se mit sur les genoux
Devant nous
Alger se leva
L’Afrique à sa fenêtre
Nous regardait entrer
Je ne venais pas comme un frère
J’étais en uniforme […]
Le poème est signé de Jacques Dubois, officier de réserve durant la guerre d’Algérie et qui fut insoumis…
Les commentaires récents