Algérie, 19 mars 1962...
Tous les étés que Dieu fait, des milliers d’estivants algériens dressent leurs parasols sur les plages de Boumerdès ou y transitent en route vers Dellys et Azzefoun.
Interrogez-les sur les faits emblématiques qui dessinent l’histoire de la cité balnéaire et en impriment la monographie. A l’unisson, ils mettent en avant un évènement aux contours dramatiques : le séisme qui, en mai 2003, a endeuillé la région et l’a transcrite irrémédiablement sur la carte de l’Algérie sismique.
Seule une toute petite poignée d’Algériens serait en mesure de rappeler que Boumerdès s’était installée, voici 53 ans, au cœur de l’actualité internationale. L’ancienne Rocher Noir avait été érigée au rang de capitale ‘’politico-administrative’’ de l’Algérie au sortir du plus sanglant des conflits de décolonisation.
C’est là, sur les bords d’une des plages les plus prisées de l’Algérie balnéaire qu’a été gérée la période dite ‘’transitoire. Une transition qualifiée de ‘’chaotique’’ par les historiens et dévolue à une institution désignée sous le qualificatif d’Exécutif Provisoire présidé par Abderrahmane Fares.
A l’évidence, Rocher Noir/Boumerdès s’inscrit comme un jalon historique et mémoriel important. Jalon au miroir de l’histoire franco-algérienne d’abord et, au-delà, jalon au miroir de l’histoire des décolonisations.
L’invisibilité historique de la petite bourgade aux allures de campus est à l’image de l’invisibilité de l’institution politico-administration à laquelle elle avait servi de chef-lieu de préfecture/wilaya.
Double effacement
Ce double effacement – Boumerdès/Rocher Noir et l’Exécutif provisoire – ne surprend pas outre-mesure. De toutes les thématiques constitutives du feuilleton sanglant de la guerre d’Algérie, l’Exécutif Provisoire fait partie des pages réduites à leur plus simple expression.
Le récit historique élaboré des deux côtés de la Méditerranée la décline comme une halte, une séquence qui se raconte brièvement au détour de l’évocation de la seule sanglante page OAS.
‘’Peu de travaux ont été menés sur l’Exécutif Provisoire’’, précise, en guise d’explication, Aissa Kadri, professeur émérite de sociologie à l’université Paris VIII. Ce spécialiste de l’’’Enseignement au temps de l’Algérie coloniale’’ et de l’intelligentsia maghrébine vient de codiriger un fécond travail collectif de remise en perspective : ‘’La guerre d’Algérie revisitée’’ (éditions Karthala, 2015).
Soucieux d’apporter de ‘’nouveaux éclairages’’ pour la compréhension de la ‘’guerre longtemps sans nom’’, Aissa Kadri, Moula Bouaziz, Tramor Quemeneur et le collectif de chercheurs ont labouré plusieurs sujets peu sinon gère abordés jusque-là. Au rang des thématiques passées au crible, une étude inédite sur l’Exécutif Provisoire.
Son auteur, Aissa Kadri, s’y attaque remarquablement, convaincu que l’institution du Rocher Noir brille par son absence dans la multitude de travaux menés jusqu’à présent.
L’Exécutif Provisoire ‘’a été le plus souvent pris en compte de manière indirecte, souvent incidente, dans le cadre d’approches et d’analyses sur d’autres objets, faits et évènements de la guerre d’Algérie’’, argumente l’historien à l’appui de son texte.
Les familiers de la production historique sur le conflit auront observé que l’irruption de l’Exécutif Provisoire dans le récit monographique se fait très rare. L’organe du Rocher Noir ‘’est souvent mis au-devant de la scène à propos des négociations de l’été 1962 avec l’OAS’’.
Avec le temps, il s’est complètement éclipsé. Résultat de sa rétrogradation du corpus ‘’guerre d’Algérie’’ : un silence pesant sur cette institution et sur ses enjeux, au demeurant non dénués d’importance. Qui plus est dans un contexte de ‘’transition chaotique’’ entre l’Algérie coloniale et l’Algérie indépendante.
Un inventaire académique bien maigre
S’agissant de la page du Rocher Noir, Aissa Kadri dresse un maigre inventaire académique. ‘’Ont été occultés aussi bien son travail de gestion administrative, juridique, sociale et politique que la sociologie particulière de la composante humaine des élites qui l’ont exercé’’.
Chronologiquement, l’Exécutif Provisoire exerce son pouvoir et résonne médiatiquement sur une durée ‘’relativement courte mais de fait très dense et importante’’.
Concrètement, il exerce les prérogatives qui lui sont dévolues pendant sept mois. Installée le 28 mars 1962 dans la foulée de la signature des accords d’Evian et l’accord de cessez-le-feu, l’Institution aura vécu le 15 octobre 1962 au moment de la passation des pouvoirs aux autorités algériennes à l’heure de la formation du gouvernement d’Ahmed Ben Bella.
De fait, il s’agit d’un ‘’moment historique’’ dans l’histoire à la fois de l’Algérie et de la France de la Ve République. Victime de ‘’l’effacement en perspective historique de ses activités’’, l’Exécutif Provisoire suscite -- plus que jamais -- une somme de questions. Qui restent en suspens et pousser à ouvrir le chantier historique de cette page. Aissa Kadri en donne le coup de starter.
‘’Les questions restent posées de savoir si l’on peut parler "d’un gouvernement provisoire", d’un gouvernement de transition, d’un gouvernement de "sortie de guerre"’, explique l’historien.
L’Exécutif Provisoire se décline-t-il comme une administration plutôt que d’un gouvernement ? Ou s’est-il transformé en un ‘’centre de pouvoir "néocolonial" qui pouvait s’autonomiser, selon les appréhensions de certains membres du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA, ‘’parlement’’ de la révolution) ?
Les élites du Rocher Noir
Autre question digne d’intérêt soulevée par Aissa Kadri et promise à l’examen des historiens : l’étude de la composante de l’Exécutif Provisoire.
‘’Les élites qui vont prendre en mains la gestion des affaires au sein de l’Exécutif Provisoire, du cessez le feu à la mise en place des institutions de l’État indépendant, représentent des catégories issues du milieu des luttes politiques qui ont marqué l’histoire coloniale de l’après-seconde guerre mondiale, qui se connaissent et qui ont été pour la plupart engagées dans des processus d’intermédiation ou d’établissement de passerelles entre les différentes composantes et forces sociales de l’Algérie coloniale’’
Remis en perspective au miroir des historiens, l’Exécutif Provisoire ne vaut pas seulement par la seule analyse politico-sociale des hommes qui ont présidé à ses destinées. Un chantier entier pourrait s’ouvrir qui passerait au crible les moyens – somme toute limités – avec lesquels Rocher Noir a géré la ‘’transition chaotique’’.
A titre d’exemple, l’exercice historien gagnerait à réexaminer la ‘’Force locale’’, cette en entité de police qui avait vocation – du moins en théorie – à servir d’’’épine dorsale de la politique sécuritaire’’ entre le cessez-le-feu et la passation ‘’politique’’ avec les autorités algériennes.
Des échecs ou, à tout le moins, des limites, l’Exécutif provisoire en a rencontré. A commencer par ‘’l’échec total’’ dans le registre sécuritaire par la faute d’une OAS qui, tuant et incendiant, a pratiqué la ‘’politique de la terre brulée’’ et promis ‘’la valise ou le cercueil’’.
Mais, globalement, la mission de Rocher Noir n’a pas été dénuée de mérites. L’échec sécuritaire, note Aissa Kadri "n’occulte pas les avancées de l’Exécutif provisoire en vue de « fonder l’Etat algérien sur un processus démocratique", de construire des institutions pérennes, d’asseoir les principes d’un Etat de droit pour la reconnaissance du droit des minorités, du pluralisme culturel et politique’’.
Rien que pour le réexamen de la mission et du bilan de l’Exécutif provisoire à l’aune de la transition et à la lumière de la crise de l’été 1962, la ‘’revisite’’ historienne de la page du Rocher Noir promet de remettre en perspective une étape cruciale et décisive dans l’histoire de l’Algérie. L’entrée de la nation indépendante dans une phase où nombre d’idéaux se sont conjugués au mode du désenchantement.
Le chef de l'exécutif provisoire Abderrahmane Fares
Composition de l'Exécutif provisoire
Président : Abderrahmane Farès, notaire.
Vice-président : Roger Roth, avoué.
Délégué aux affaires Générales : Chawki Mostefai, docteur en ophtalmologie, représentant le GPRA.
Délégué aux affaires économiques : Belaid Abdesslam, étudiant, représentant le GPRA.
Délégué à l’agriculture : M’hamed Cheikh, agriculteur et éleveur.
Délégué aux affaires financières : Jean Mannoni, docteur en médecine.
Délégué aux affaires administratives : Abderrazak Chentouf, avocat représentant le GPRA.
Délégué à l’ordre public : Abdelkader El Hassar, avocat.
Délégué aux affaires sociales Hamidou Boumediène, docteur en radiologie représentant le GPRA.
Délégué aux travaux publics : Charles Koenig, professeur de CEG.
Délégué aux affaires culturelles : El Hadj Bayoud Brahim, chef religieux du Mzab.
Délégué aux postes : Mohammed Benteftifa, pharmacien, représentant du GPRA.Source: 'La Guerre d'Algérie revisitée''. Editions Karthala 2015
HuffPost Algérie | Par Youssef Zerarka Publication:http://www.huffpostmaghreb.com/2015/03/19/algerie-evian-executif-provisoire_n_6899798.html
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