Aucun élément nouveau sur la cause directe» de l'assassinat des sept moines trappistes du monastère de Tibhirine, sur les hauteurs de Médéa en 1996, n'a été décelé par les experts français qui ont analysé les échantillons des crânes des moines français. La seule certitude des experts, qui ont travaillé sur des échantillons des crânes exhumés des moines français, est qu'ils auraient été tués avant l'annonce de leur décès. Selon les conclusions des experts remises le 23 février aux juges antiterroristes, les experts affirment que «les résultats des analyses n'apportent aucun argument nouveau concernant la cause directe de la mort» des religieux, dont les têtes décapitées ont été retrouvées au bord d'une route de montagne, mais jamais les corps, jusqu'à présent. Les prélèvements avaient été effectués à l'automne 2014 lors d'une exhumation des crânes des religieux enterrés à Tibhirine, mais les juges et les experts français qui y avaient assisté n'avaient pu les rapporter d'Algérie. Ce n'est qu'en juin 2016, que la juge d'instruction française Nathalie Poux, qui travaillait auparavant sous la houlette d'un premier magistrat, Marc Trévidic, sur le dossier, avait ramené des prélèvements des têtes des moines en France et ordonné une expertise dans la foulée. Le rapport des experts met ainsi une nouvelle fois en doute les conditions de la mort décrite dans la revendication du GIA, qui avait revendiqué l'assassinat des moines trappistes, notamment sur le point crucial de la datation des meurtres. 'L'hypothèse de décès survenus entre le 25 et le 27 avril, soit bien avant l'annonce officielle de leur mort, reste plausible», estiment les experts qui ont notamment mené des analyses sur l'apparition de cocons d'insectes et confirment que des traces d'égorgement n'apparaissent que pour une minorité des moines et que tous présentent les signes d'une «décapitation post-mortem». Les experts jugent également «vraisemblable» l'hypothèse d'une «première inhumation» avant la découverte des têtes. Ensuite, l'absence de traces de balles sur les crânes vient une nouvelle fois fragiliser la version d'une éventuelle bavure de l'armée algérienne lors d'une opération menée depuis un hélicoptère. En somme, rien de nouveau sur l'assassinat des sept moines trappistes de Tibhirine, qu'une partie de la presse et des politiques français ont imputé aux services de sécurité algériens. Ce que l'on sait de cette triste affaire, c'est que dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les moines trappistes Christian de Cherge, Luc Dochier, Paul Favre Miville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard sont enlevés du monastère et emmenés vers une destination inconnue par le GIA, alors dirigé par Djamel Zitouni. Une version confirmée bien après par un de ses adjoints, Boukabous. Un peu plus de deux mois après leur enlèvement, le 30 mai, les têtes des moines assassinés ont été retrouvées, au bord d'une route de montagne. Mais leurs corps n'ont jamais été retrouvés jusqu'à aujourd'hui. S'ensuit alors une terrible tension entre Alger et Paris, au plus fort des attentats terroristes en Algérie, les deux parties s'accusant d'avoir provoqué l'assassinat des sept moines. En octobre 2014, un juge algérien du pôle spécialisé dans les affaires de terrorisme et le crime organisé, s'était rendu à Paris, accompagné de deux collaborateurs, dans le cadre de cette affaire. La mission du juge algérien, qui est intervenue après celle de son collègue français Marc Trévidic, était simple : entendre deux anciens officiers des services secrets français, Pierre le Doaré, ancien chef d'antenne de la DGSE à Alger (1994 - 1996) et Jean-Charles Marchiani, ex-officier du même service et ex-préfet du Var, proche et homme de main du ministre de l'Intérieur Charles Pasqua. M. Marchiani, également proche du milieu marseillais, avait été chargé d'une mission auprès du Groupe islamique armé (GIA), qui avait revendiqué le massacre. Il a confirmé au juge antiterroriste chargé côté français de l'affaire, Marc Trévidic, en 2012 que cette mission avait été décidée par le président Jacques Chirac pour négocier une rançon, mais que le Premier ministre de l'époque, Alain Juppé, qui n'en avait pas été informé, y a mis fin, signant 'l'arrêt de mort des moines'', selon le témoignage de M. Marchiani. Quant à Pierre le Doaré, il avait reçu, dans les locaux de l'ambassade de France, à Alger, un émissaire du GIA, qui lui avait remis une bande sonore, preuve de vie des moines, en captivité, selon plusieurs témoignages et documents. Marc Trevidic, chargé alors par le parquet de Paris de ce dossier, et sa collègue Nathalie Poux, en charge actuellement du dossier, s'étaient rendus en 2014 au monastère de Tibhirine, dans le cadre d'une commission rogatoire, demandée en 2011, pour élucider l'assassinat des moines trappistes. Plus aucune information de nature à éclairer davantage ce dossier n'a été divulgué depuis, hormis le témoignage de Boukabous sur les circonstances de l'assassinat des sept moines trappistes par le GIA. Ni le parquet d'Alger ni celui de Paris n'ont rendu publiques leurs conclusions. Au mois de mai dernier, l'ancien patron de la direction du contre-espionnage français, la DST, avait stigmatisé les 'hypothèses fantaisistes» sur ce drame. «Les médias, particulièrement français, ont joué dans cette affaire un rôle que je n'approuve pas. Je ne partage pas en particulier un certain nombre d'hypothèses qui ont été émises et qui sont d'ailleurs fantaisistes, et qui visent uniquement à faire de cette tragédie une sorte de machination algérienne», a-t-il souligné lors d'une émission TV.
par Yazid Alilat, amedi 31 mars 2018
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5259272
Le nouveau rapport sur l’assassinat des moines de Tibhirine en trois questions
Un nouveau rapport d’expertise sur l’assassinat des moines de Tibhirine a été remis à la justice française en février. Il n’apporte pas la vérité tant attendue, mais donne au moins des pistes de compréhension. Décryptage.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, en plein coeur de la guerre civile en Algérie, sept moines du monastère Notre Dame de l’Atlas, à côté du village de Tibhirine, ont été enlevés par des éléments du Groupe islamique armée (GIA) puis assassinés. Un mois plus tard, leur mort a été revendiquée par ce groupe à travers un communiqué publié le 23 mai (mais daté du 21). Le 30 mai, leurs têtes ont été retrouvées par l’armée algérienne – sans les corps – sur une route au nord-ouest de Médéa.
Depuis, cette affaire fait partie des grands mystères de la décennie noire en Algérie. Elle a franchi une nouvelle étape, le 23 février, lorsque les experts français, saisis de cette affaire pour en élucider les nombreuses zones d’ombre, ont présenté un rapport d’expertise à la justice française. révélé par France Info, ce document de 185 pages – que les familles des victimes ont pu consulter- ne contient pas de révélations majeures, mais apporte quelques précisions à ce qu’on savait déjà. Résumé en trois questions-clés.
- À quand remonte cette expertise judiciaire française ?
Au moment du crime, les autorités algériennes avaient déclaré que les moines ont été enlevés puis exécutés par le GIA. En 2003, mettant en cause cette thèse, des familles des victimes ont déposé plainte à Paris réclamant que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce drame. La justice française avait alors chargé deux juges antiterroristes, Marc Trévidic et Nathalie Poux, de diligenter une expertise sur les crânes des moines enterrés à Tibhrinie. Mais leur mission sera jonchée d’obstacles. En octobre 2014, après plusieurs années d’attente, ils ont été autorisés à exhumer les têtes, sous la supervision d’un magistrat algérien, afin d’y effectuer les examens nécessaires. Mais les autorités algériennes ont refusé qu’ils ramènent les têtes en France pour cause de souveraineté nationale. Un refus d’autant plus embêtant pour les juges français que plusieurs doutes planent sur la sincérité de la thèse officielle sur les circonstances du crime. Ils dénoncent « une confiscation des preuves ».
En juin 2016, coup de théâtre : Alger autorise enfin les juges français à ramener les échantillons en France. C’est donc le résultat de cette expertise qui vient d’être présenté à la justice française en février et qui a été consulté par les familles des victimes.
-
Qui a assassiné les moines de Tibhirine ?
Pour définir les responsabilités, les enquêteurs français devaient, dès le départ, répondre à trois questions : s’agit-il d’un assassinat des islamistes du GIA ? D’une erreur de tir de l’armée algérienne ? Ou d’une manipulation des services secrets algériens ?
Aucune réponse définitive n’a été apportée à ces trois questions dans ce nouveau rapport d’expertise. Par contre, trois pistes sur les circonstances de l’assassinat ont été confirmées.
1/ Les têtes ne portent pas de trace de balles. Ce qui écarte la thèse d’une erreur de tir de l’armée algérienne avancée en 2009 par le général Buchwalter, ancien attaché militaire de l’ambassade de France. Selon ses dires, au cours d’une opération de ratissage, des avionneurs algériens auraient visé un campement tuant les moines séquestrés. Par la suite, toujours ses dires, l’armée les aurait décapités faisant croire à un crime commis par le GIA.
2/ Les moines ont été assassinés plusieurs semaines avant la découverte officielle des têtes, probablement fin avril. Le rapport indique la présence de cocons d’insectes à l’intérieur des têtes bien avant leurs découverte le 30 mai 1996 confirmant que les moines auraient été tués bien avant leur décapitation. Lorsque les autorités algériennes avaient découvert les têtes sur la route de Médéa, elles avaient aussitôt accusé le GIA d’être derrière l’enlèvement et l’exécution des religieux. Ce qu’avait confirmé un témoignage d’un ancien émir de ce groupe, Hassan Hattab – amnistié par le pouvoir et vivant toujours à Alger – dans le documentaire Le Martyre des sept moines de Tibhirine, sorti en 2013.
3/ Les dépouilles ont été décapitées après la mort. Des traces d’égorgement avec une lame fine puis une lame à dents ont été retrouvées sur certaines têtes. Vraisemblablement, même en l’absence de preuves catégoriques, ces dernières ont été inhumées une première fois avant leur découverte à l’air libre sur la route de Médéa.
- Et maintenant ?
Les résultats des analyses effectués sur les échantillons des têtes des moines ne donnent aucun argument sur la cause directe de leur mort. De fait, les zones d’ombre sur les responsabilités réelles demeurent. Elles resteront probablement encore tant que les corps n’ont pas été retrouvés.
Les commentaires récents