Promenade dans les villages de la colonisation
D'après l'étude réalisée par Julien FRANCK, la MITIDJA, au début de l'ère quaternaire, était une mer intérieure qui fut comblée par les alluvions apportées par les torrents qui descendaient des monts et collines environnants. Son premier nom fut peut-être MATIDIA. L'écrivain Edouard CAT, dans son essai sur la province romaine l'attribue à une nièce de TRAJAN qui possédait de grandes propriétés dans cette plaine, vers l'an 100 de notre ère. Notons qu'il a été trouvé de très nombreuses traces de la période romaine à OUED-EL-ALLEUG, BOUFARIK, EL-AFFROUN, BERBESSA, ainsi que des ruines d'un important camp près de MOUZAIAVILLE et des vestiges de silos bien cimentés à ATTATBA. Selon d'autres écrivains, il faudrait trouver l'origine du nom de cette région dans une ancienne ville forte située sur la route de MILIANA à ACHIR et dont l'emplacement est dificile à déterminer. Cette ville fut détruite vers la fin de la révolte d'IBN GHANIA au cours de la lutte entre les ALMORAVIDES et les ALMOHADES. Le géographe arabe Léon L'AFRICAIN, vers 1550, écrit : "La plaine qui entoure ELDJEZAIR et que l'on appelle la METIDJA, produit un grain en toute perfection". En 1725, l'historien LAUGIER DE TASSY, dans son livre "HISTOIRE DU ROYAUME D'ALGER ", désigne cette région sous le nom de MUTIDJA. En 1830, d'après l'historien CLAUZOLLES, dans son livre : "HISTOIRE DE LA RÉGENCE D'ALGER", édité en 1843, elle est devenue la METIDJA. Nous l'appelons la MITIDJA, ce qui, d'après le Colonel TRUMELET dans son ouvrage sur BOUFARIK, édition de 1887, signifie "La Couronnée" ou bien encore " Celle qui a des couronnes ". ; Elle se présente en effet comme un joyau serti par collines et rivières : le Sahel d'Alger au nord, les contreforts de l'Atlas Tellien au sud, les oueds Nador et Meurad à l'ouest, et à l'est les oueds Arbatache et Boudouaou. Mais dans quel état les colons français trouvèrent-ils cette contrée avant de la transformer en un paradis de verdure, de cultures et d'orangeraies ? Fin juin 1830, lors de la bataille pour la prise d'ALGER, les troupes françaises qui évoluent sur les coteaux du djebel BOUZARIA (Bouzaréah plus tard) découvrent la plaine de la MITIDJA. Un narrateur en fait le récit suivant :
" Devant nous, dix mille maisons mauresques, un semis de marabouts élégants, de tombeaux, de forts, de fontaines, y paraissent jetés dans des corbeilles de verdure, ainsi que de charmantes villas dans une oasis. C'est là que les habitants aisés venaient passer la saison des fortes chaleurs, que les consuls des puissances européennes tenaient leur résidence officielle. Ils avaient arboré leurs couleurs sur le faîte de leurs habitations. Sur la droite de nos positions, naissait et se déroulait au loin une campagne magnifique : c'est la MITIDJA. Adossée aux pentes septentrionales de l'Atlas, elle n'a rien à redouter du souffle brûlant du désert, et elle semble jetée sur la côte comme une immense ceinture d'or, pour appeler à elle et enlacer l'industrieuse Europe dont la mer la sépare. Presque toute l'année elle se pare d'une riche couronne de moissons, où elle exhale en tourbillons, les émanations de ses roses et de ses orangers, où elle étend ses pelouses vertes sous les pieds des Odalisques ." D'après une carte géographique de l'époque, la vue qui s'offrait à ce témoin, devait s'étendre de L'ALMA jusqu'à la région alors très peu habitée délimitée par les villages actuels de ROVIGO, L'ARBA, RIVET et FONDOUCK. L'hydrographie de la MITIDJA est très riche. La basse plaine de l'HARRACH jusqu'à l'embouchure de cette rivière, était marécageuse, ainsi que la partie de la MITIDJA partant du pied des collines du SAHEL depuis l'Oued KHERMA jusqu'au lac HALLOULA, et couvrant tout le bassin des oueds BOUFARIK et MAZAFRAN. Les eaux de l'oued DJER qui descendaient du Djebel ZACCAR, du BOU-ROUMI dont les sources se situent dans le Djebel MOUZAIA, et de La Chiffa s'écoulant du mont TITTERY par les gorges de LA CHIFFA, forment le MAZAFRAN. L'oued FATIS reçoit les eaux de l'oued KHEMIS qui prend sa source dans le Djebel FEROUKRA, de l'oued BOU CHEMALA (canalisé dans sa partie contournant la ville de BOUFARIK et qui draine les marais du nord de cette ville) qui descend du Djebel MARMOUCHA, tous deux au sud de BOUFARIK, des oueds TLATA et ETHTHARFA dont les sources se situent dans les collines du FAHS qui dominent ALGER. Le MAZAFRAN, après avoir recueilli les eaux de l'oued FATIS atteint la mer par une vallée relativement étroite, coupant les collines du SAHEL. La faible pente de son cours, dans les derniers kilomètres, faisait que, par gros temps du nord ou nordouest, la mer refoulait ses eaux, inondant des milliers d'hectares sur plusieurs kilomètres. Plus à l'ouest, le marécageux lac HALLOULA qui, aux plus hautes eaux couvrait 15.000 hectares, n'avait aucun écoulement important. Entre 1926 et 1930, à l'initiative des colons et des Pouvoirs Publics, fut réalisé un projet datant de 1890 : un tunnel percé sous les collines du SAHEL, drainait les eaux du lac qu'il déversait sur la côte, entre BERARD et TIPASA, près du " Ravin des Voleurs ". C'est dans la région de ce lac que la tribu des HADJOUTES vivait et lançait ses guerriers dans des attaques contre l'armée française, pendant la période précédant la complète colonisation de cette plaine. Après leurs raids destructeurs et sanglants, ils revenaient se mettre à l'abri dans les marécages dont seuls ils connaissaient les moindres sentiers et lieux de passage. Lors de la conquête, il existait dans certaines parties de la plaine, des domaines (Haouch) appartenant à l'Etat turc. Les tribus qui y habitaient devaient fournir, par la contrainte, et sans rétribution, le matériel et le personnel nécessaire à la bonne marche de ces propriétés : c'était la Thouïza. Bien plus tard, le témoin, cité au début, va parcourir la METIDJA et la décrire ainsi : " Derrière le massif d'Alger, se déroule la METIDJA comme une magnifique zone de 16 à 18 lieues de long sur 6 ou 7 de large. Au sud elle est encadrée par l'Atlas dont les pics s'élèvent perpendiculairement et lui forment comme un rempart gigantesque. Lorsqu'on descend dans la plaine par la Maison Carrée ou par Douera, la plaine offre un aspect sévère et de grandeur imposante et sauvage. Au printemps, elle se couvre d'un riche manteau de verdure mais la solitude de ces campagnes inspire un profond sentiment de mélancolie ; nulle voix humaine n'anime ce désert et l'on se croirait dans une véritable thébaîde, sans quelques traces de culture, sans les sentiers que l'on voit serpenter dans la plaine et la fumée qui s'élève de quelques hameaux éloignés. Cependant, en se rapprochant de la montagne, la contrée change d'aspect et l'on aperçoit ça et là des villages, des hameaux, des fermes entourées d'ombrages. Les restes d'une ancienne prospérité se manifestent parfois : des traces de canaux d'irrigation, des bâtiments dont les murs encore debout, sont revêtus, intérieurement, de peintures, de dorures, de marbres, de ruines enfin, dont les débris portent encore l'empreinte d'une civilisation avancée, attestant que cette contrée a été l'asile des arts et de l'opulence. On sait en effet, que ces constructions, que ces travaux étaient l'ouvrage des Maures de Grenade et de Valence qui s'y étaient réfugiés après leur expulsion d'Espagne. Mais bientôt la domination tyrannique des Turcs, leurs violentes attaques et exactions opprimèrent cette population laborieuse qui alla chercher refuge dans les vallées de l'Atlas, et cette belle région devint inculte en quelques années. La METIDJA représente environ 750 à 200.000 hectares de terres cultivables. La population de la plaine, évaluée d'après le nombre d'hommes que chaque tribu peut mettre sous les armes, ne dépasse pas 60 à 70.000 âmes. Elle est habitée par des tribus généralement paisibles, dédaignées par leurs belliqueux voisins des montagnes. Mais à l'extrémité occidentale, sont les Hadjoutes dont le territoire, du temps des Turcs comme aujourd'hui servait d'asile à tous les bandits du pays. La plupart des villages ne sont qu'une agglomération de misérables cabanes en torchis parmi lesquelles se trouvent quelques maisons de pierre. Il y a aussi de belles fermes solidement construites dont les matériaux ont été empruntés aux ruines éparses sur le sol. Tout cela entremêlé de tentes noires servant de campement des arabes nomades, et qu'ils transportent d'un lieu à l'autre, avec leurs familles et leurs troupeaux. La Metidja semble destinée à la colonisation : 50.000 familles européennes pourraient s'y procurer une heureuse existence. La richesse du sol est incontestable, la couche de terre arable y est partout profonde et la magnificence de la haute végétation qu'il suffit de voir, ainsi que la vigueur des plantes herbacées, pour être saisi des belles destinées qui attendent cette contrée, lorsqu'elle sera cultivée par des mains laborieuses et intelligentes. A notre arrivée à Alger, en 1830, la vue de cette plaine stimula l'émulation des colons. Chacun s'empressa d'acquérir, chacun voulut avoir quelques parcelles de cette terre qui devait réaliser tant de rêves dorés, et des hommes entreprenants allèrent bravement s'installer dans la plaine au milieu des arabes. Les guerres, les incursions des Hadjoutes, ont arrêté maintes fois cette impulsion. Les colonies ne s'improvisent pas : c'est une oeuvre de persévérance autant que de courage. " Le gouvernement s'occupe des moyens de mettre la Metidja à l'abri de l'invasion ". Léon ROCHES, en 1832, décrit ainsi la Metidja : " Je suis revenu émerveillé de ma course dans la Metidja... Elle est occupée par plusieurs tribus sédentaires qui la labourent avec des charrues tout à fait semblables à celles que devait employer le premier agriculteur. Cette plaine produit des céréales et du tabac très estimé ". Mais, le Capitaine DE SAINT-ARNAUD (futur Maréchal) dans une lettre adressée à son frère le 1er Juin 1838, relate la traversée de la Metidja, en ces termes : " En revenant de Blida, nous avons traversé cette grande plaine de la Metidja. Elle est coupée par des mares boueuses, par des fossés et à chaque instant, il fallait faire des détours pour chercher le passage. Ennuyé de ces contre-marches qui doublaient la fatigue, je me mis à franchir les mares et les fossés en droite ligne. Chaque deux ou trois cents pas, nouvel obstacle, nouveau saut. J'étais imité par plusieurs jeunes officiers, mais au bout du douzième ou quinzième saut, je m'étais donné un effort ". Dans son livre sur BOUFARIK, le Colonel TRUMELET cite l'historien SALLUSTE vantant la richesse de cette portion de la Maurétanie Césarienne, si féconde, que les impôts s'y payaient en grains. II cite aussi STRABON, géographe grec, qui prétend que la récote s'y faisait 2 fois l'an, que les épis y atteignaient cinq coudées de hauteur, qu'ils avaient l'épaisseur du petit doigt et que le rendement y était de 240 pour 1. Mais le Colonel TRUMELET conclut en écrivant : " La Mitidja n'a pas eu d'histoire, aussi son passé se trouve-t-il enveloppé du nuage du doute et de l'incertitude. Deux ou trois voyageurs arabes : EL BEKRI, IBN KHALDOUN et IBN BATHOUTA, en ont dit quelques mots qui sont tout à fait insuffisants pour faire la lumière sur les époques historiques de cette plaine célèbre, surtout, depuis l'occupation française ". Certains historiens ont prétendu qu'au Xlllème siècle, la MITIDJA renfermait une trentaine de villes dont on n'a retrouvé aucune trace. Par ailleurs, l'historien LAUGIER DE TASSY écrit ceci, concernant la période où les Frères BARBEROUSSE détenaient le pouvoir à ALGER, vers 1515 : " Les descendants de SELIM ben TEUMI que Harouch BARBEROUSSE avait assassiné pour lui succéder, se liguèrent et firent appel à l'aide des vaillantes et riches populations de la fertile plaine de la MUTIDJA ". Dans la suite de son récit, il ne cite plus la Mutidja. Le Général DUVIVIER dans son livre : Solution de la question algérienne, en 1841, écrivait : " L'occupation française devrait être limitée, dans la province d'Alger, à la ligne qui va de Birkadem à Douera ; limite qui devrait être marquée par un retranchement continu. Au-delà du retranchement, écrivait-il, est l'infecte Mitidja, nous laisserons aux chacals, aux courses des bandits arabes, et au domaine de la mort sans gloire, Boufarik et Blida, qui sont de grands inconvénients militaires.
Boufarik
est un grand malheur. Il y a là, une petite population qu'il faut empêcher de s'épandre hors de son retranchement, et qu'il est nécessaire d'amener par tous les moyens possibles, à diminuer, voire même à se dissoudre. Les plaines telles que celles de la Mitidja et de Bône sont des foyers de maladies et de mort. Les assainir ? On n'y parviendra jamais ". Quelles conclusions tirer de la lecture de ces témoignages ? Certains historiens sont d'accord pour supposer que jusqu'à la période turque, vers le XVème siècle, la Mitidja était très fertile. Le Colonel TRUMELET laisse planer un doute sur cette opinion. Mais il est d'accord avec CLAUZOLLES qui écrit que la période de l'occupation turque a été néfaste pour la Mitidja. Opinion confirmée par le Consul des Etats-Unis, M. SHALER, dans son rapport sur l'état du Royaume d'Alger en 1826, adressé à son Président. Ecoutons la complainte de Mohamed, fils du Marabout de SIDI DIF ALLAH : " Où es-tu belle Mitidja Toi qu'on nomme la mère du pauvre La Mitidja renfermait des biens nombreux On la nommait l'ennemie de la faim Sa terre belle et tendre, Pouvait produire deux moissons. " M. Julien FRANCK résume un peu toutes ces assertions : " Les descriptions détaillées, montrent suffisamment que la plaine était cultivée dans certaines de ses parties, comme les régions du HAMIZ, des BENI-MOUSSA, de BOUFARIK, ainsi que dans celles comprises entre OUED DJER et LA CHIFFA. Il faut reconnaître que, pourtant même au milieu de ces portions cultivées, on trouvait de vastes espaces incultes, envahis par les hautes herbes, les broussailles, les plantes bulbeuses, et surtout les palmiers nains. Dans l'ensemble c'était la végétation libre, sauvage, qui formait la note dominante, la Mitidja présentant l'aspect d'une vaste friche, au milieu de laquelle apparaissait, ça et là, égayant cette tristesse, quelques oasis cultivées". On peut dire que les premiers colons installés dans cette plaine ont trouvé une région très malsaine et presque inculte. Ils ont souffert et souvent péri des fièvres paludéennes qui sévissaient dans ces anciens marécages. Ils les ont assainis par des travaux de drainage que l'on imagine mal. En effet, certains domaines possédaient des kilomètres de canaux dont l'entretien incombait aux propriétaires. Pendant longtemps, dans les populations de BOUFARIK et OUED-EL-ALLEUG la mortalité était de beaucoup supérieure aux naissances et les survivants ne devaient qu'à la quinine et à leur opiniâtreté de survivre. En 1841, la population de Boufarik qui comptait 430 habitants a été amputée de 89 colons : 8 assassinés, 25 enlevés par les Arabes, 56 emportés par les fièvres. Il y eut 12 naissances seulement. La plus forte fraction de la population fixe appartenait aux départements du Midi de la France ; on y comptait aussi de nombreux Alsaciens-Lorrains, soit au total 283 Français ; une centaine d'Allemands, 14 Italiens, une douzaine d'Espagnols et de Polonais constituaient le reste de la population. Le séjour de la ville avait été formellement interdit aux indigènes. La population flottante, au nombre d'une centaine, se composait en majorité d'ouvriers, attachés aux Ponts et Chaussées, ou qui travaillaient dans le bâtiment. La plupart d'entre eux, minés par le paludisme, s'intoxiquaient dans les 18 cabarets et les 14 auberges que comptait Boufarik. Si bien que lorsqu'on voyait un homme au teint terreux, on disait de lui : " II a un air de Boufarik ". On peut être sûr que si les colons de cette région ont obtenu des résultats que beaucoup de personnes enviaient et jalousaient, ils les avaient chèrement payés.
jean.salvano.perso.sfr.fr/Blida/Darnatigues.pdf
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