Washington, qui avait eu du mal à accepter aussi bien la fin rapide de la guerre d’Indochine et les accords de Genève en juin 1954 que le rejet dela CED deux mois plus tard, entretint de mauvaises relations avec le gouverne mentMendès France (juin 1954-février 1955). Soupçonné par Dulles de flirter avec le neutralisme, voire le communisme, Mendès fut accueilli fraîchement quand il demanda aux Américains d’user de leur influence pour que Le Caire tempère le soutien que sa radio apportait aux rebelles algériens. Washington accepta malgré tout, redoutant une fois de plus qu’autrement Paris refuse de ratifier les accords Paris-Londres, et le 27 novembre 1954, l’ambassadeur américain au Caire, Jefferson Caffery, arracha aux Égyptiens la promesse qu’ils réduiraient leur propagande en faveur des rebelles. Washington fut néanmoins soulagé quand Mendès France fut renversé en février 1955 et remplacé par Edgar Faure, sur lequel les Américains fondaient quelque espoir. Effectivement, le nouveau président du Conseil coopéra facilement avec eux et Theodore Achilles fut autorisé à l’assurer que les États-Unis reconnaissaient que l’Algérie était composée de plusieurs départements français et, plus généralement, qu’ils soutenaient la présence française en Algérie. Mais, sur cette question algérienne, le département d’État était lui-même divisé, la direction des affaires européennes et celle des affaires africaines ayant des points de vue différents, William Tyler considéré depuis longtemps comme une autorité sur les questions françaises, pensait que les États-Unis devaient répondre aux aspirations des peuples musulmans de la région et il qualifiait de « politiquement absurde » le soutien américain à la France en Algérie. Mais cela ne suffit pas à décourager l’ambassadeur de Washington à Paris, Douglas Dillon. Il était content des nominations faites par Edgar Faure au Quai d’Orsay. « Maintenant, écrivait-il, nous pouvons travailler facilement et librement avec trois ou quatre des principaux responsables. » Les perspectives étaient encourageantes quant à l’influence libérale que les États-Unis pourraient exercer sur la politique française en Algérie. Par ailleurs Edgar Faure s’était engagé à négocier l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, ce qui contentait les Américains. Mais quand Dillon rencontra le nouveau chef de gouvernement et son ministre des Affaires étrangères, Antoine Pinay, ceux-ci avaient une requête à lui présenter, eu égard à la politique « libérale » de la France dans l'ensemble de l’Afrique du Nord : que Washington soutienne plus activement la position de la France sur l’Algérie. C’est qu’Edgar Faure devait trouver un équilibre subtil entre les demandes contradictoires des Américains d’une part et des députés français de l’autre : il accordait l’indépendance à la Tunisie et au Maroc — voilà pour les premiers — mais en échange de la promesse qu’il tiendrait bon en Algérie — voilà pour les seconds. Dillon protesta : les États-Unis avaient déjà exprimé leur soutien à maintes reprises. À quoi Edgar Faure répondit que le sentiment général des Français était fort différent : beaucoup croyaient au contraire que Washington accordait son appui aux ennemis de la France. Et Faure de citer Irving Brown, le représentant des syndicats américains, qui soutenait les syndicats nationalistes et réclamait que Caltex, en Libye, engage des réfugiés marocains et tunisiens « anti-français ». Ce que réclamaient les États-Unis, répondit Dillon, c’était que la France mène en Algérie une politique libérale. Edgar Faure l’assura que telle était bien son intention. Ce type d’échange devait se reproduire tant et tant. La France recherchait le soutien des États-Unis, qui le lui accordaient en échange de tout ce qui pouvait signifier des concessions de sa part. Et l’on n’est pas surpris d’entendre Dillon dire à Dulles, le 5 juin 1955, que l’Afrique du Nord est à la fois le problème numéro un de la France et le point le plus douloureux dans les relations franco-américaines, pas plus que de voir Dulles, déçu, demander à Julius Holmes, spécialiste de l’Afrique du Nord au département d’État, le premier d’une longue série de rapports sur la situation dans cette région.
En conclusion de son travail, Holmes recommandait une modification de la politique de Washington dont le soutien devrait aller non plus à la France mais aux Arabes. « La France, écrit-il, ne peut pas méconnaître la marche de l’histoire telle que l’exprime la vague nationaliste qui a déferlé sur le monde occidental. » Cette fois-ci, Dulles ne suivit pas la recommandation de J. Holmes, qu’il jugeait excessive. Elle devait cependant lui être renouvelée et être finalement assez forte pour s’imposer à lui.
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