Toute l'affaire démarre, pendant les négociations d'Évian, à propos de l'organisation du referendum sur l'application de l'autodétermination. La délégation FLN prétend que la France a pour habitude en Algérie de truquer les élections. Ce qui est loin d'être faux.
Pour exemple, voici une anecdote véridique qui nous a été confiée par le chef de SAS de B. justement au sujet du référendum sur l'autodétermination :
Pour éviter que les élections ne soient troublées par le FLN, il les avait tout simplement supprimées dans sa circonscription, se contentant de glisser dans l'urne les bulletins qu'il pensait convenir le plus honnêtement à la situation telle qu'il la voyait, soit 50/50. Il avait ensuite envoyé les urnes à la Sous-préfecture pour le compte de la commune qu'il gérait au titre de délégué spécial. Au dépouillement du scrutin, il avait noté que sa commune était créditée d'un vote à 80% en faveur du "oui". À la réunion post-électorale avec le Sous-préfet, il avait froidement remarqué qu'en ce qui le concernait, les élections avaient été truquées. Indignation du Sous-préfet : - Comment ! Vous osez mettre en doute la probité des scrutateurs ! C'est tout à fait inadmissible !
Alors, il avait finement ajouté qu'il avait lui-même rempli les urnes et qu'il connaissait donc parfaitement leur contenu initial. Un silence de plomb avait suivi sa remarque et le Sous-préfet était passé illico au point suivant de l'ordre du jour.
Ceci étant, la délégation FLN, redoutant que l'armée française n' "organise" les élections, réfute alors sa présence en tant que force de l'ordre. Mais paradoxalement, elle considère que le scrutin est acquis d'avance et qu'il est donc inutile de l'organiser. D'où sa proposition de remplacer, dès le cessez-le-feu, l'armée française par l'ALN ! Habituée à courber l'échine, la délégation française exprime quand même un refus.
Mais alors, quid du "maintien de l'ordre" ? - Il y aura d'abord des zones de regroupement des katibas, où l'armée française n'a pas le droit d"y mettre le pied - la responsabilité de ces katibas est pudiquement passée sous silence ; - Il y aura ensuite la création d'une "Force algérienne" ( sic ), chargée du "maintien de l'ordre" ; - Il y aura ensuite un changement de mission de l'Armée et la police françaises : rester l'arme au pied sans défendre les citoyens contre les bandes armées, mais également lutter contre l'OAS, en liaison avec les "barbouzes" ; - l'ALN des frontières devra rester "hors barrages" jusqu'au résultat du scrutin.
Pour dire vrai, la souveraineté française disparaîtra donc de fait en Algérie dès le 19 mars 1962, malgré toutes les protestations officielles, et avec toutes les conséquences que cela implique.
Et pourtant, il eut été si simple - quoique cynique, bien sûr - de dire à la délégation FLN, voire même directement au Colonel Boumediene : - Puisque l'habitude est de truquer les élections, et que rien ne dit que les prochaines ne seront pas truquées, elles aussi, - des directives ont d'ailleurs été données aux maires recommandant que le résultat ne dépasse pas 100 %, c'est dire ! - truquons-les d'un commun accord : entre 88% et 98% quel résultat souhaitez-vous dont nous garantissions l'officialisation ? Pour prouver l'authenticité de ces chiffres, nous ferons appel à des observateurs de l'ONU, qui se feront un plaisir de les contre-signer. Mais en échange, nous vous demandons ceci, dans le cadre du "dégagement" : - l'armée française sera seule garante du maintien de l'ordre contre toute tentative d'exaction, d'où qu'elle vienne, au besoin par la force. Ensuite, dès le premier jour de l'indépendance, ce sera la responsabilité entière du futur État algérien. - les Algériens qui souhaiteront rester français seront, à leur demande, regroupés dans des zones en attendant leur transfert en France. - les Algériens habitant en France, auront le statut d'étranger.
Un tel langage eut peut-être changé bien des choses.
À titre indicatif, les résultats officiels du referendum en Algérie sur "l'autodétermination" sont (cf interview de Chawki Mostefaï, conseiller du Président de l'Exécutif provisoire Abderrhamane FARES, dans El Watan du 1 novembre 2004 ) :
"La commission centrale de contrôle du référendum de l'autodétermination institué dans le cadre des affaires générales, réunie le 3 juillet 1962 à 10 h 15, proclamant les résultats, constate qu'à la question «Voulez-vous que l'Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1952 », les électeurs ont répondu affirmativement dans une proportion de 99,2 % des suffrages exprimés."
Soit 99,88%
Il s'agit donc bien d'un résultat typiquement hyper "démocratique et populaire" !
Au lieu de cela, entre autres, il a été planifié un "petit monstre" : la "Force algérienne", d'ailleurs vite fait rebaptisée "Force locale", que la malice populaire a immédiatement transformée en "Force bancale".
Ce fut l'improvisation d'un fourre-tout entassant pêle-mêle gendarmes, gardes mobiles, etc. avec encadrement français rarement volontaire, par manque de volontaires algériens, et très curieusement des appelés du contingent pas du tout heureux d'être enrôlés de force dans une armée étrangère, soit 20 à 25 français de métropole paru chacune des 114 unités dans toute l'Algérie. Certains étaient secrétaires, cuistots, d’autres portaient le poste de radio, le fusil-mitrailleur. Ceux des officiers qui n'étaient pas d'accord : aux arrêts ! Par exemple le futur créateur des foulards Hermès. Tout cela était-ce bien raisonnable ?
Le général Maurice Faivre, qui dans son livre "Les archives inédites de la politique algérienne" a rassemblé entre autres les documents concernant la Force Locale, rapporte le texte fondateur de la Force Locale :
"Considérée comme un atout majeur de notre politique, elle participera au maintien de l'ordre afin de représenter effectivement une force de sécurité proprement algérienne, sans laquelle le pouvoir algérien serait une fiction. Elle pourra constituer la structure de base d'une force algérienne si l'existence de celle-ci s'avérait rapidement nécessaire."
Et il rajoute "in petto", page 71 : "On se demande comment des officiers expérimentés et intelligents ont pu élaborer ce projet."
Charles de Gaulle, Président de la République française, lui répond, page 72 : " Plus l'Exécutif exercera une emprise, plus il souhaitera avoir une armée. Ces forces peuvent être appréciées et devenir le noyau d'une future armée au lieu de l'ALN. Le but à atteindre est de fournir des éléments militaires valables qui puissent constituer l'embryon de cette armée." !
Premier témoignage, comique celui-ci, celui de … Jean Kersco :
1 - Sur son sentiment en tant que chef de SAS en 1962, page 150 de son livre "Quand le merle sifflera" : "… La Force locale est une troupe de bric et de broc créée à titre précaire ( trois mois ) dans la période entre le cessez-le-feu et l'indépendance, pour éviter que l'armée française ne passe directement les consignes aux bandes du FLN qu'elle vient de décimer ou aux bataillons de l'ALN qui débouleront de Tunisie et du Maroc. On en profite aussi pour essayer de déverser le tout-venant des harkas, des maghzens, forces supplétives de gendarmerie, etc. qui déserte au bout de quelques jours avec son arme afin de donner des gages tardifs au FLN. C'est la démarche du patron qui veut licencier sans respecter ses obligations légales : il crée une structure provisoire dans laquelle il entasse les candidats au licenciement. Un véritable fiasco, un tonneau des Danaïdes qui se vide aussi tôt qu'il se remplit."
2 - Sur son unique contact avec la Force Locale ( venu récupérer les clés de la SAS ), page 170 : … Le lendemain, donc, arrive l'adjudant de la Force Locale. C'est un jeune con super-fouille-merde, issu de la gendarmerie, et qui s'imagine qu'être d'origine maghrébine lui donne une intelligence supérieure et une espérance de carrière cornecul. Il râle sur tout, l'état des bâtiments, le mobilier, les traces du feu dans la cour - les archives confidentielles - , et manque de défaillir quand il voit le toit du magasin sans tuiles. - Vous vous rendez compte, c'est du sabotage. Je ferai mon rapport au Sous-préfet. - Faites ce que vous voulez, ce magasin n'est pas en dotation, donc administrativement, il n'existe pas. D'abord, qui vous a dit qu'il avait un toit ? - Je signerai le procès-verbal avec des réserves sur le magasin. - D'accord, on mettra des réserves dans le magasin. Il vaut mieux arrêter la discussion le plus vite possible. Les véhicules sont prêts. François démarre vite fait, en laissant la Force Locale enrager.
Second témoignage, plus poignant celui-ci, de C.R. , dans le courrier des lecteurs d'Historia Magazine n° 369 :
"J'avais été incorporé directement en Algérie, le 5 janvier 1961 ...
… Au mois d'avril 1962, je partis en permission en France. Trois semaines plus tard, je regagnai Sebdou. Mes premiers camarades me saluèrent avec une visible compassion. J'appris ainsi, par bribes, ma mutation à la "Force Locale".
Je me présentai aux bureaux de la Force Locale, qui étaient installés dans le casernement de mon ancien escadron. Nous avions le même capitaine, le même bureau, les mêmes cuisines et les mêmes radios. Je fus affecté au 2ème peloton et fis mon entrée dans la chambrée.
J'avais à cette époque 16 mois de service militaire, dont 12 à Sebdou. Je n'étais donc pas un "bleu". Pourtant, j'eus l'impression d'entrer dans une chambrée de bagne. La chambrée, baraque préfabriquée en fibro-ciment de 15 m sur 5 contenait auparavant vingt personnes. Quarante lits superposés s'y entassaient à présent. Partout des soldats musulmans, aucun visage français. Des dizaines de transistors clamaient de la musique arabe. Des drapeaux de papier vert et blanc étaient épinglés sur tous les murs et partout des visages arabes qui me scrutaient.
Et soudain, une frénésie sembla s'emparer d'eux. Les transistors hurlèrent à plein régime, un chant que j'entendis souvent ensuite : l'hymne FLN chanté par "Farid el-Atrach". Les Arabes tapaient dans leurs mains, riaient, exultaient, au comble de l'excitation. J'étais pétrifié …
Je fus atterré. Le repas du soir m'apporta un peu de réconfort. Nos camarades des cuisines confectionnaient une gamelle pour les cinq Français avec parfois du cochon et toujours du vin. Je fis connaissance avec mes quatre camarades, ou plutôt je les retrouvai, car ils étaient tous issus du commando 127.
La faveur de nous réunir pour les repas nous fut retirée deux jours plus tard. Les musulmans s'étaient plaints de nos réunions de "comploteurs". L'adjudant de quartier, arabe également, vint nous prévenir que nous déjeunerions dorénavant dans nos chambrées, avec les autres. Cela nous supprimait nos réunions, le cochon, le vin, nous étions totalement isolés. Ce fut le désespoir dans notre petit groupe.
Le lendemain soir, ce fut l'explosion. Nous avions décidé de solliciter du capitaine la faveur de nous réunir entre Français afin de partager les colis envoyés par nos familles. Le seul gradé du groupe, un caporal, se chargea de la démarche. Nous avions profité de la promenade du soir que les principaux officiers et sous-officiers faisaient ensemble dans la cour pour présenter notre requête.
Très vite, nous avons compris qu'elle ne présentait qu'un mince intérêt. Au comble de l'énervement, je me suis précipité vers le groupe. Je m'adressai au capitaine qui me connaissait : - Je n'ai pas demandé cette affectation ! Je ne les considère pas comme mes frères ! Je n'en ai rien à faire de la Force locale !
Dès les premiers mots, le capitaine m'arrêta. - Puisque vous le prenez sur ce ton, Renaud, je refuse de vous écouter.
Il me tourna le dos. Fou de rage, je continuai à lui crier mon désespoir. Le lieutenant Razzi, un Arabe, me prit par le bras et m'entraîna à l'écart - Qu'est-ce qu'il y a, Renaud, qu'est ce qui ne va pas ?
J'étais incapable de parler, les larmes me brouillaient les yeux …
… Ce qui nous rassurait, c'est que les gradés étaient à la même enseigne que nous. Effectivement, le 30 juin au soir, un camion du régiment vint nous chercher … Le soupir de soulagement qui souleva nos poitrine reste toujours dans ma mémoire.
Dans la nuit, le drapeau du FLN remplaça le tricolore. L'épuration commença aussitôt. Tel sergent assomma un autre sergent farouchement francophile, lui. Depuis dix ans, ils mangeaient au mess l'un en face de l'autre. Notre lieutenant colonel, responsable de l'intendance du régiment, voulut récupérer le matériel : camion, jeep, radio, chambre froide, etc. On lui barra l'entrée, baïonnette sur l'estomac …
Historia Magazine, dans son numéro 369 ( 1973 ) produit un article de Léo Palacio sur "Le long calvaire des Pieds-noirs" :
Magazine, qui a par ailleurs publié un grand nombre de numéros sur la guerre d'Algérie
Il semble bien que totale ait été la carence à Oran de la Force Locale, dont la mission prioritaire était d'assurer le maintien de l'ordre, en voici un exemple très significatif :
"… Dans la nuit du 4 juillet 1962, vers 3 heures du matin, notre compagnie a été investie par un détachement de l'ALN arrivant du Maroc. Nous avons été désarmés manu militari et, sans explications aucune mais avec des regards menaçants, emmenés les mains en l'air dans une banlieue lointaine du quartier arabe. Nous nous sommes arrêtés vers 5 heures du matin dans un endroit désert. Le capitaine et moi-même avons été séparés de nos hommes et tout laissait présager que nos allions être exécutés car les conciliabules entre les chefs de l'ALN de notre groupe semblaient ne faire aucun doute sur leur issue. Nous avons été sauvés par l'intervention in extremis des chefs locaux du FLN que nous connaissions bien pour avoir été en contact quotidien avec eux ... " ( Témoignage de G. M. officier français muté dans la Force Locale à Oran )
Transcription d'un jugement déclaratif de décès : … Le Procureur de la République près le Tribunal a l'honneur d'exposer que Albert M., né le 20-01-1941 à Aigurande … a disparu le 02-07-1962, alors que, militaire au 3/6e R.I., devenu 470 ème unité des forces de l'ordre, il effectuait son service à Reibell (Algérie). Qu'il résulte des rapports en date des 21-09-1962 du Chef de bataillon M. et du Lieutenant F. que le 1 ère classe M. a été tué au cours d'un accrochage avec ces éléments de la wilaya 4 venus pour désarmer la section de la 470 UFO.
Certes, trois ou quatre hirondelles, montées en épingle, ne font pas le "printemps algérien", mais les "événements" ont alors suivi une pente glissante qui n'était pas vraiment la bonne.
En conclusion, on peut estimer que la "Force Locale" a livré la dernière et la plus grande bataille de la guerre d'Algérie. Une bataille perdue ( par la France ) sans combat et sans ennemi. Pourquoi ? Les chiffres des pertes matérielles sont éloquents : 25 300 armes de guerre dont 440 armes collectives, 590 véhicules et 995 postes radio volatilisés … sans compter les morts et disparus, "morts pour la France" dixit le sous-directeur des bureaux des cabinets du Cabinet du Ministre de la Défense le 14 juin 2012, mais ne seraient-ils pas plutôt "morts pour le roi de Prusse" ?
Le 10 juillet 1962, le Général de Gaulle prenait enfin acte de son erreur : " Étant donné l'anéantissement de la Force Locale par désertion, il paraît nécessaire de reprendre les cadres français que nous y avons encore " écrit-il à Pierre Messer, Ministre de la Défense. Qui dit mieux ???
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