La discussion sur les frontières de l'Algérie commence dès le 27 mai 1961. • La position française est la suivante : l'autodétermination ne s'applique qu'aux 12 départements du nord. Le Sahara ne fait donc pas partie de l'Algérie, mais constitue une "mer intérieure" à gérer avec les pays riverains, dont l'Algérie."Ce que nous entendons par le Sahara est une sorte de mer avec des îles. Vous parlez comme si l'Algérie avait toujours existé : en réalité, elle s'est faite peu à peu." ( Louis Joxe )
• La position algérienne est la suivante : l'autodétermination s'applique au Sahara. "L'Algérie est pour nous celle que nous avons appris dans les écoles françaises." ; "le lien qui existe entre toutes les régions d'Algérie a été établi par la souveraineté française" (Saad Dahlab)
Personne ne s'inquiète de savoir qui a tracé les frontières du Sahara et pour quelles raisons. En tout cas la délégation algérienne, pour une fois, fait entière confiance aux géomètres français. Et si les frontières avaient été différentes, qu'eut-elle dit ? D'un autre côté, la position française est faible puisqu'elle a négocié l'indépendance des anciennes colonies riveraines sur les bases des frontières actuelles, sans aucune réserve. C'est donc du tout ou rien.
Louis Joxe entame une démonstration administrative relativement peu convaincante, relayé par M. Chayet qui précise que le seul lien qui existe entre l'Algérie et le Sahara est la souveraineté française ( donc une quasi-identité de vue avec Saad Dahlab ), mais insiste sur le fait que les conditions de l'installation de la souveraineté française au Sahara sont profondément différentes de celles de l'Algérie. Or, s'il y a transfert de souveraineté, pourquoi ne pourrait-il pas être global ? L'hypothèse d'un Sahara français "indépendant" et enclavé, face à une Algérie indépendante hostile, est franchement cauchemardesque.
Très justement, Ahmed Francis pose le principe du système de l'achaba pour justifier des liens antérieurs à la conquête française. ( l'achaba est la transhumance des troupeaux du sud vers les moissons à glaner du nord ). Mais Louis Joxe omet de lui opposer la traite des esclaves noirs par la Régence d'Alger, et qui a créé des liens encore plus forts au sud du Sahara. Avec un peu plus d'humour, il eut pu évoquer également la traite des esclaves blancs par la même Régence d'Alger qui a aussi créé des "liens" avec l'Italie, la Corse, l'Espagne, etc. et demander si ces pays devraient également faire partie de l'Algérie. Malheureusement Louis Joxe n'a pas exprimé cet humour, qui eut certainement fait rire la délégation algérienne.
M. Boumendjel fait un exposé très documenté sur les statuts juridiques successifs du Sahara, et sur les populations sahariennes, que ce soient les Mozabites, les Touaregs, les Chaambas, les Gouraras du Touat, les habitants de la région de Colomb Béchar, les habitants de Tindouf. Tous ces gens ont plus ou moins fait partie d'invasions arabes anciennes. La faiblesse de cette argumentation est que, pour la délégation algérienne, les conquêtes arabes sont valables, pas la française. Il y a aussi la participation à la guerre d'indépendance par des habitants du Sahara. Mais dans ce cas, pourquoi craindre une autodétermination si tous les Sahariens sont pro FLN ? Si tel était le cas, de lui-même le Sahara se joindrait à l'Algérie pour former une confédération ou un pays unique... Et puis les Turcs, précédents colonisateurs, ne se sont pas risqués au Sahara, ils avaient déjà fort à faire pour récupérer les impôts en Algérie. Quant aux Noirs, également des Sahariens, sont-ils vraiment issus des Arabes algériens ?
La faiblesse de la position de la France est qu'elle n'ait pas fait du Sahara un pays indépendant auparavant. Il n'y avait pas là de pieds noirs qui puissent s'y opposer. Mais l'absence de stratégie et la solution de facilité ont prédominé. Et puis, que Monsieur Joxe nous pardonne sur un point historique, ce n'est pas Abd el-Kader qui a perdu la bataille de l'Isly, mais les Marocains. Abd el-Kader suivait la bataille de loin, désapprouvant de joindre ses forces à celles des Marocains dans une bataille qu'il jugeait perdue à l'avance ! Bref, il faut quand même avouer que ce ne sont pas les 580 000 habitants du Sahara qui intéressent les deux délégations, mais les richesses minérales, sur lesquelles le FLN - quoiqu'il dise - compte bien pour assurer les recettes du futur État algérien. La France, qui a investi des sommes très importantes dans l'exploitation de ces richesses, a les mêmes préoccupations.
Tout ceci provoque la rupture des négociations le mardi 13 juin 1961.
Les deux délégations parviendront-elles à un accord, et en quels termes ?
Dans cette vidéo, Redha Malek explique la hâte de la délégation FLN d'exercer la souveraineté au Sahara. Aucune des deux délégations n'avaient la moindre idée de la responsabilité à supporter après les explosions. Pourtant, avant de signer, les Algériens auraient pu consulter les Soviétiques, qui ont été les spécialistes de la pollution nucléaire au Kazakhstan.
La video est extraite de l'enquête de Larbi Benchicha :
http://www.dailymotion.com/video/xfseb2_des-rives-les-essais-nucleaires-francais-en-algerie_news
Ce n'est que très ( trop! ) tardivement que le gouvernement algérien s'est aperçu qu'il y avait un problème.
À notre avis, les bons arguments n'ont pas toujours été mis sur la table de part et d'autre.
Par exemple, du côté français :
"- Puisque vous n'êtes pas satisfait de l'œuvre de la France, revenons en 1830. La Régence d'Alger faisait partie de l'Empire ottoman. Il faut donc revenir aux frontières de l'Empire ottoman, telles qu'elles étaient exprimées à l'époque. Que dire du Sahara, zone d'échange, certes, mais surtout zone d'échange d'esclaves noirs au profit de la Régence. Que dire également de la frontière avec le Maroc ? Faut-il rendre au Maroc les territoires que la France a annexés ?"
Et du côté algérien :
"- Lors des indépendances des pays riverains, il n'y a pas eu de revendications particulières de leur part sur le Sahara. Ce qui signifiait que le Sahara était implicitement annexé à l'Algérie. Nous ne faisons que poursuivre la droite ligne de la diplomatie française. D'ailleurs l'évacuation des hydrocarbures du Sahara passe techniquement par des terminaux algériens. Les logiques diplomatique et technique font que le "Sahara français" ne serait pas viable. D'autre part, pourquoi priver l'Algérie indépendante de ressources qui lui seraient logiquement affectées si l'option de francisation était choisie lors de l'autodétermination ?"
De toute façon, dès le 5 septembre 1961, le Général de Gaulle n'est plus intéressé par la "propriété" du Sahara, mais seulement par la possibilité d'y conserver des bases atomique et spatiale, pendant un temps à négocier. La délégation algérienne comprend alors que l'occasion est unique pour accepter un tel "deal", quitte à refuser toute base spatiale et à diminuer singulièrement les délais d'occupation de la base atomique, pendant les négociations aussi bien qu'après l'indépendance, ce que le jeune ministre algérien des affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika s'appliquera à obtenir avec constance. Mais un point très important, que la délégation algérienne a totalement oublié de négocier, a été un éventuel transfert de technologie nucléaire au nouvel État. Le devenir des populations exposées aux radiations suite aux essais n'a pas non plus été abordé par les délégations.
Ces nouvelles dispositions, extrêmement favorables au FLN, feront que la négociation se débloquera sur les autres points.
Certes, au début de ces négociations, Georges Pompidou, très remonté, avait apostrophé la délégation du FLN, qui faisait de la question du Sahara un préalable :
- Vous voulez un cadeau ?
Mais, en final, ce cadeau sera un cadeau empoisonné, car il développera chez les Algériens le goût du gaspillage et de la corruption.
Il faut aussi remarquer qu'en début 2013, le problème du Sahara est encore en attente d'une solution finale, avec la tentative d'AQMI d'y instaurer une république islamique guerrière. Le maillon faible est le Mali, mais faut-il penser que la Mauritanie riveraine est hors de portée ? Quant à l'Algérie, elle masse des troupes près de ses installations pétrolières ...
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