"Négocier avec le FLN, c'était pour la France, à mesure que le conflit se prolongeait, se résigner à reconnaître l'indépendance et, au-delà, à compter avec une dynamique révolutionnaire qui non seulement pourrait, à terme, affecter sa présence en Algérie, mais représenterait une menace virtuelle pour la stabilité de la région. A l'inverse, transiger, pour le FLN, ne pouvait se faire qu'au détriment de ses principes - indépendance, unité du peuple, intégrité du territoire - et de sa stratégie, un arrêt prématuré des combats, l'exposant à sa mise à découvert et à l'anéantissement de ses buts de guerre." ( Redha Malek - porte-parole de la délégation algérienne aux négociations d'Évian, futur ambassadeur d'Algérie en France - et dans d'autres pays -, futur chef du gouvernement algérien ).
Cette analyse d'une grande pertinence illustre bien les obstacles qui allaient faire partie du quotidien des deux délégations.
Avant les négociations d'Evian, un certain nombre de contacts à haut niveau ont lieu, mais ont toujours achoppé sur les craintes réciproques de perdre la partie ( voir "L'Algérie à Evian" de Redha Malek ). Tous les contacts ne sont pas cités ci-dessous, seulement ceux qui semblent pouvoir déboucher sur des négociations. Il ne semble pas qu'il y ait le moindre procès-verbal de ces contacts.
• Premier contact : Georges Gorse chargé par Guy Mollet : large autonomie de gestion pour l'Algérie, libération des détenus politiques, garanties aux éléments de l'ALN, élections libres, négociations avec les représentants des élus. Rejet par la délégation extérieure du FLN ( Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Lamine Debaghine).
• Deuxième contact : Joseph Begarra, conseiller à l'Assemblée de l'Union française, pied noir libéral propose le collège unique. Refus de Khider : les interlocuteurs algériens ne doivent être autres que ceux désignés par le FLN.
• Troisième contact : Pierre Commin, ami de Guy Mollet, avec Ahmed Francis et M'Hammed Yazid, munis d'un ordre de mission signé par Ben Bella et Khider. Des négociations secrètes ont lieu. La délégation française propose l'autonomie. Revirement et refus de Lamine Debaghine : "Avant toute discussion sur le fond, la condition sine qua non exigée par le peuple algérien en guerre pour la libération est la proclamation de l'indépendance." Ce revirement vient à la suite de l'arraisonnement de l'avion "des Cinq", qui serait donc tombé à point nommé pour épargner au FLN l'éclatement, au grand jour, d'une crise majeure.
• 1957 - Quatrième contact : Goëau-Brissonnière, plus ou moins mandaté par le gouvernement français, se heurte toujours au préalable de l'indépendance.
• 1959 - Proclamation par le Général de Gaulle de l'autodétermination. Malgré les conseils pressants du Président Bourguiba et du Roi du Maroc, le "nouveau" GPRA rejette toute proposition de contact secret. Le conseil des ministres du GPRA désigne les "Cinq" à la majorité pour entamer des négociations avec le gouvernement français. Le Général de Gaulle refuse.
• 1960 - Ferhat Abbas lance le 17 février un appel, en forme de déclaration d'intention, aux Européens d'Algérie, qui ne réagissent pas. Le 14 juin, le Général de Gaulle lance un appel à la réalisation de l'autodétermination. Finalement une délégation du FLN se rend à Melun. Au même moment Si Salah, chef par intérim de la Wilaya IV, demande à Ferhat Abbas d'y répondre favorablement. L'échec de l'affaire Si Salah retentit sur les pourparlers de Melun, qui sont par voie de conséquence un échec.
• 1961 - le Général de Gaulle donne un feu vert pour l'ouverture de négociations officielles. Une rencontre en Suisse est organisée avec Georges Pompidou, venu avec un faux passeport. Pompidou "veut connaître seulement, dans les grandes lignes, les garanties qui seront données aux Européens et à tous ceux, Français ou musulmans amis de la France, qui pourraient être massacrés."
Boumendjel proteste contre ce dernier mot, puis déclare que le GPRA est seul qualifié pour parler au nom de l'Algérie. Pompidou propose une trève, que refuse le FLN. Sur tous les sujets, la négociation s'enlise. Finalement le Général de Gaulle "estime que l'essentiel est que s'ouvre une conversation officielle". Dès lors le FLN organise sa délégation. Contraints et forcés ( "j'obéis, mais je n'adhère pas" ), les militaires de l'ALN, hostiles aux négociations, acceptent de faire partie de la délégation présidée par Belkacem Krim, mais qu'ils quitteront quelque séances plus tard.
• 20 mai 1961 - Les négociations officielles commencent à Evian le samedi 20 mai, à 11 heures du matin, dans la salle de l'hôtel du Parc. La France décide une trêve unilatérale, ce que n'apprécie pas la délégation algérienne qui prend cette décision pour un acte de propagande. Et les séances se poursuivront en forme de bras de fer, chaque délégation exposant, encore et encore, ses positions. Toutes les interventions seront fidèlement rapportées dans des procès-verbaux.
"La délégation française est un concentré de compétences, d'énarques bardés de références qui fonctionnent au quart de tour, de diplomates chevronnés, à l'esprit ouvert mais à la dent dure. Ce qui procure une certaine aura à ces délégués, c'est qu'ils sont des Français de France et, qui plus est, des gaullistes triés sur le volet, donc des hommes, en principe, sans préjugés affirmés à l'encontre de l'Algérie. Bien que non dénués d'expérience, ni de savoir-faire, les délégués algériens ne laissent pas d'être impressionnés par cette phalange qu'on a alignée devant eux. Ils redoubleront de vigilance en s'efforçant à une rigueur dans le discours et les positions qui surprendront parfois leurs vis-à-vis." ( Redha Malek ).
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