Bali, Java, Yogyakarta... la réalisatrice Fatma Zohra Zamoum a ouvert son journal de bord. Entre découvertes et réflexions intimes, un souffle vers de nouveaux horizons.
Jour 1 : Après près de 16 heures de vol avec escale, me voici à Bali, aéroport de Denpasar. L’airport pick-up de l’hôtel fonctionne bien, un gars avec une pancarte à mon nom m’attend à la sortie des vols internationaux. J’avais choisi un hôtel à Kuta, une vieille guest house, peu cher, installée dans une maison traditionnelle indonésienne, tranquille au milieu du quartier touristique et foisonnant de poppies 1 et 2 et à quelques dizaines de mètres de la plage la plus connue de l’île. Les rues sont étroites et ne s’y trouvent que des bars, des pubs, des night-clubs, des restaurants, des instituts de massages et des vendeurs de souvenirs. Le quartier touristique par excellence. A la sortie des ruelles tortueuses, on tombe sur Jalan Legian (Legian street), où se trouve le Ground Zero, qui commémore le traumatisme indonésien d’un acte terroriste en 2002. Le nigh-club le plus en vogue est le 61 Legian, sur plusieurs étages, qui gueule une musique plus forte que celle des autres. Bref, je tombe de sommeil, ne sachant plus depuis quand je suis debout.
Jour 2 : Vers 10h, je fais un tour à la plage des surfeurs, celle de Kuta, pour comprendre ce sport de la vague.Malheureusement, j’arrive trop tard, la mer est basse et les vagues ne sont guère importantes. Qu’à cela ne tienne, je me dirige vers Jimbaran à la pointe extrême sud de l’île, où, paraît-il, on mange du très bon poisson. On me propose bien un véhicule à l’hôtel ou un taxi dans la rue, mais j’opte pour un bus, il faut bien que je rencontre des Indonésiens. Pour l’instant, je me trouve à Tourist Land et je n’ai pas encore rencontré de vrais Indonésiens. Le bus me dépose à Jimbaran sur l’autoroute, là je prends encore un véhicule et arrive à la plage des restaurants les pieds dans le sable. Le garçon du restaurant qui sert du très bon poisson m’explique qu’il est originaire de Java.
Cependant, il préfère vivre à Bali parce qu’il y gagne mieux sa vie. Mais surtout parce que Bali est plus calme. Je lui demande pourquoi est-ce bruyant à Java, il repond que les appels à la prière des musulmans cinq fois par jour c’est trop. Bali est la seule île à majorité hindouiste dans tout l’archipel indonésien et mon serveur en fait partie. Sinon l’archipel indonésien compte quelque 17 508 îles de différentes tailles et importances et sont à majorité musulmane. Sans oublier que majorité ne signifie pas absence de minorités représentées un peu partout : hindouistes, bouddhistes, chrétiens, juifs et autres minorités dont je n’ai pas connaissance. Le jour déclinant au bord de l’eau, la plage se rempli peu à peu de promeneurs, de pêcheurs, des dîneurs et autres personnes venus se faire photographier sur le littoral. Toute l’Asie est là : Indiens, Malaysiens, Coréens, Chinois, Arabes du Golfe, Japonais et Indonésiens. Je remarque un Indonésien avec un tee-shirt où est inscrit : «Fuck the terrorists.» Je saurais plus tard qu’il y a eu également un attentat à Jimbaran en 2012.
Jour 3 : Je décide de sortir de Kuta et de retrouver un peu de dignité touristique : la culture. Cette fois, le taxi vient me chercher à 8h pour aller à Ubud, capitale culturelle de l’île, avec ses musées privés et publics et son palais royal — le descendant du roi de Bali y a encore son palais. La ville est superbe, perchée sur une colline et entourée de belles rizières. Le Neka Art Museum, qui est un bijou, est ouvert depuis 1982 grâce à un mécène du nom de Neka. Le lieu m’introduit dans l’art pictural indonésien autant qu’aux liens que celui-ci entretient avec la modernité occidentale (hollandaise, française et italienne). Je mémorise quelques noms, dont Affendi, faciles à retenir. Et surtout, je commence à m’interroger sur le batik.
Pour moi, ce mot et cette histoire sont essentiellement javanais, aussi ai-je décidé de prendre l’avion pour Java pour en savoir plus. Comme quoi la culture ouvre à d’autres horizons. Je rencontre à Ubud une Australienne activant pour la culture avec un festival littéraire, des rencontres cinématographiques et picturales. Le seul festival de l’île. Janet me reçoit dans son merveilleux café-restaurant Casa Luna, connecté avec toutes les beautés de l’île et des arts, inclus ceux de la table. Finalement, le raffinement balino-australien est en marche. Cela me réconcilie avec l’île dont les charmes humains ne m’avaient pas encore touchée.
Jour 4 : Direction Yogyakata, à Java, et je me rends compte tout d’un coup de la grandeur du pays, je ne verrai ni Bornéo, ni Sumatra, ni Jakajarta, il y a trop d’îles et je manque de temps. Je rends alors visite à une autre Australienne, tout comme Janet, mariée à un Indonésien. En réalité, les Australiens sont les touristes les plus présents sur l’île et sont de différentes catégories : les jeunes surfeurs athlétiques, qui vivent de passion du surf et d’eau fraîche, et les retraités qui n’ont pas suffisamment de retraite pour bien vivre chez eux et qui font des locations au mois dans les hôtels. Parmi eux, il y a ceux que détestent les Indonésiens parce qu’ils les traitent en esclaves alors qu’ils sont des Australiens pauvres. Ce qui, selon les dires de certains, aurait tué la gentillesse et le désintéressement des Balinais.
Ensuite, il y a les Australiennes, seules, en couple, touristes, ayant une affaire sur place ou mariées à des Indonésiens, elles sont l’élément structurant de la Touristic Attitude. Elles apportent du liant, du savoir, de la stabilité et un brin de culture. J’ai rencontré l’une d’entre elles dans l’avion de Bangkok à Densapar et c’est elle que je vais voir cet après-midi dans sa boutique showroom à Ganggu. Une fois arrivée, elle m’accueille à bras ouverts et nous passons l’après-midi ensemble. Son mari, musicien indonésien, donne un concert le soir, mais je ne peux pas rester car je dois aller me préparer pour l’excursion de demain.
Jour 5 : 6 h, pick-up à l’hôtel pour une journée sur une petite île. Au programme : la découverte de Lembogan à quelques kilomètres de traversée de Bali. Les vagues sont hautes et le bateau tangue énormément. Nous sommes une dizaine de personnes. J’entre en vacances, entre snorkelling (observation du fond marin peu profond), déjeuner au bord de l’eau, découverte des backwaters et visite de lieux historiques locaux. La curiosité de l’île étant une maison construite sous terre, des pièces se succèdent et l’architecte qui serait l’équivalent du Facteur Cheval a en plus attribué à sa maison des qualités cosmologiques : 12 pièces pour les signes zodiacaux, 8 entrées pour les astres, etc. Une complexité théorique difficilement visible dans le noir, car il a bien fallu descendre une dizaine de mètres. Au ressortir, je me rends compte que l’activité en plein air est un privilège dont nous ne jouissons pas suffisamment et j’ai décidé de travailler là-dessus dorénavant.
Jour 6 : Tous les restaurants en Indonésie s’appellent warang quelque chose. Donc ce jour-là je décide de rompre avec le warang simple pour aller dans un restaurant chic : poppies, restaurant historique de mon quartier de Kuta. Personnel formidable, cuisine raffinée. Je commande du Nasi Goreng, plat national à base de riz, fruits de mer et poulet, juste pour savoir s’il peut être meilleur que celui des warang. Tandis que je mangeais le poulet avec les mains et que j’ai demandé du piment, les serveurs ont savoir d’où je viens. L’addition est salée.
Jour 7 : Je quitte Bali sans avoir compris l’Indonésie et les Indonésiens. Kuta ressemble à quelques variantes près à tous les endroits touristiques dans le monde. L’industrie du tourisme nécessaire absorbe toute la vie des habitants, car elle est bien trop puissante, alors j’espère mieux de Java. Mon avion sur Lions Airline est en retard. Je traîne dans l’aéroport. Dans l’une des salles fumeurs, je croise Brice de Nice, version plus vieux. Oui, il existe et il habite l’île de Samba, en pleine expansion pour devenir Bali 2. A Yogyakarta, m’attend le airport pick-up pour mon hôtel, un homme d’âge mûr surpris de me voir seule, sans mari. On sent les problématiques bien musulmanes. Ce n’est pas méchant, mais c’est déjà intrusif et c’est sûrement dû à mon nom. L’hôtel assez cher est aussi une guest house historique au centre de Yogya, prononcer Jogja. Piscine, personnel en hidjab et sans, mixte quoi et sans complexes.
La ville par contre n’a aucun charme à partir de l’aéroport, de la circulation et des commerces à tout-va et dans tous les sens. La rue dans laquelle se trouve mon hôtel est imprononçable mais elle est connue : Prawirotaman. Après une douche, je sors armée d’une carte. Les conducteurs de calèches attelées à des vélos ou à des mobylettes qui guettent le touriste me préviennent : «Si tu vas sur Malioboro, t’en auras pour une heure, c’est à 4 km.» Ce n’est pas grave, je dis que «j’ai besoin de marcher». En fait j’ai surtout besoin d’aller à l’office du tourisme à Malioboro (Les Champs Elysées de la ville), seul endroit où je peux trouver des informations fiables sur les activités culturelles locales et prendre des billets pour des spectacles et des excursions. Jogja est pleine de promesses culturelles indonésiennes, certes traditionnelles, mais il faut bien commencer par quelque chose. Je marche à vive allure et trouve l’office du tourisme. Chemin faisant, je regarde les passants et ils me le rendent bien, la ville n’est pas si touristique et les gens établissent un vrai contact. Je prends des billets et m’informe sur tout. La femme qui m’accueille est patiente et de bon conseil. Elle me demande d’où je viens, je dis : «I am from Algeria but i live in France.» Elle réfléchit puis me dit : «Ici on dit Al Djazair !» J’entre dans une nouvelle dimension, Bandung n’est pas loin.
Jour 8 : Aujourd’hui, visite du palais du roi de Yogya : le Kraton. Un palais avec une succession de cours à thème dans la décoration (car orné de cadeaux anglais, français, chinois et hollandais) et à usages divers : publics, privés, enfants, femmes, serviteurs, etc. Quelque 2000 personnes y travaillaient et vivaient autour, alors cela donne une idée de la dimension. Le dernier descendant des rois de Yogyakarta, Rama 12 — je crois, en fait, que tous les descendants de la lignée s’appelaient Rama et dans mon souvenir on en est au 12e du nom — est très respecté, autant que l’ont été ses aïeux. Sans avoir de pouvoir politique, il est très écouté sur de nombreux sujets.
Lui et ses aïeux ont toujours fait des choix judicieux en matière de politique, l’entraînement avec tous les envahisseurs et les Hollandais en particulier semble avoir été profitable. Il est donc respecté pour ce qu’il est : un tenant de l’histoire et d’une diplomatie fine faite de compromis mais aussi de sauvetages culturels immenses. Dire que le Kraton s’ouvre au monde indonésien et à la culture javanaise est une expression sans grande signification dans le langage, mais dans les faits, c’est là que j’ai compris la subtilité de la culture indonésienne du pile ou face et du pile et face, du faux et du vrai, de l’illusion et sa fabrique, de l’effet de miroir. Là, le touriste, le voyageur attentif, le cultureux, l’adepte de l’immersion commencent à saisir l’architecture, l’art et le mode de vie. Il faut tout de même prendre un peu de recul pour comprendre.
C’est là que je repense à un temple hindouiste visité à Bali, sans y faire trop attention. Les édifices des plus simples aux prestigieux tels que les temples, les salons de réception, les palais, sont constitués d’une succession de petites bâtisses sans murs, juste un toit et des piliers, ainsi on est dedans et dehors en même temps. J’avais, en visitant le temple à Bali, sur la route d’Ubud, demandé au guide : «Pourquoi il n’y a pas de mur, n’y a-t-il rien à protéger ?» Il m’a répondu que c’est ainsi que les gens construisent en Indonésie, des petits toits sur des piliers qui abritent leurs maisons, leurs réceptions, leurs cérémonies et toute la vie publique et privée. Quand on vient de nos régions où les portes et les fenêtres sont les seules ouvertures sur le monde, on met un certain temps pour comprendre.
Après le Kraton, je visite la mosquée du roi et le palais des femmes par la suite. La mosquée n’a pas de visiteurs, les touristes non musulmans ne s’y intéressent pas, j’arrive à l’heure du dhohr, le muezzin se précipite devant moi, ouvre la mosquée puis appelle à la prière. Des hommes affluent par-ci par-là pour accomplir leur devoir dans cette petite mosquée. Un homme me propose de faire la prière et me montre les burkas intégrales à l’usage des musulmanes. Je décline, je n’ai pas vraiment prié depuis longtemps. Mais l’ambiance est sympathique et je suis contente d’être là. Comme j’avais demandé mon chemin à l’aller à une jeune femme en hidjab qui faisait de la cuisine en plein air, elle m’attend au retour pour me demander si j’ai bien trouvé ce que je cherchais, curieuse !
Elle me dit que je suis tellement belle (en me montrant son nez épaté). Nous avons une petite conversation en arabe et elle ne cesse de rire d’étonnement à chaque phrase prononcée ou comprise. Oui, nous venons de continents différents et nous nous comprenons. Elle prend des cours d’arabe à une école affiliée à la Muhammadia, un grand parti ou mouvement islamique local. Je comprendrais par la suite que ce parti est très puissant et contribue à faire porter le hidjabs aux petites filles. Cela me choque, car l’enfance n’a pas de sexe. Et s’il y a une joie de l’enfance, c’est justement de pouvoir faire l’expérience du monde en dehors des problèmes d’adultes conscients de leur appartenance.
Le soir, j’assiste à un spectacle au musée de Bonobudoyo, qui présente durant deux heures le Ramayana en quatre épisodes. Le Ramayana étant l’un des récits traditionnels et ancestraux de la geste des dieux (ou le récits des mythes anciens sujets à croyance dans l’hindouisme, comme le seraient l’épopée de Gilgamesh ou les récits de l’Iliade ou l’Odyssée, etc.). Bref, un spectacle en VO, destiné aux touristes, car l’île à majorité musulmane ne s’y intéresse pas. Le spectacle, bien évidemment retrace l’histoire de Rama et son combat pour le bien contre le mal, mais ce qui se joue devant les yeux des touristes c’est le savoir-faire des artisans du batik pour la création des poupées d’ombre, c’est l’art de la narration (malheureusement obscur quand on ne comprend pas l’indonésien, d’autant que celui qui interprète les textes des personnages, fait toutes les voix, alors on a du mal à savoir qui parle).
Car là, tout a l’air d’une chose et son contraire en même temps, c’est l’art du négatif et du positif, c’est l’art du point de vue mais aussi celui de la contradiction. Je le résume maintenant, mais à la visite, c’est juste le côté troublant des choses qui m’a sauté aux yeux. Ce qui est fabuleux, c’est que l’on peut voir le spectacle devant ou derrière, on peut le voir du côté de l’ombre, en noir et blanc, et on peut le voir du côté de la lumière en couleurs. On peut choisir de s’asseoir face à l’écran et voir des figures élaborées, entendre les chants et les dialogues, suivre l’action et on peut se mettre côté lumière pour voir l’homme manipuler les poupées, parler à leur place, voir qui chante, les musiciens jouer et les poupées peintes.
Jour 9 : La journée commence à 6h et sera longue. je dois visiter de Borobudur, le plus vieux temple bouddhiste de l’île. Visiter le Prananbanan, un temple historique hindouiste, restauré partiellement grâce aux aides de l’Unesco après un terrible tremblement de terre. Déjeuner dans un restaurant entouré de rizières en pleine ville. Visiter le musée Affendi puis retourner au Prananbanan le soir pour voir un Ramayana version live, avec comédiens, danseurs et musique (150 danseurs et comédiens). Une journée d’activités culturelles et d’émotions sans fin, mais je n’ai plus que cette journée pour tout voir. Borobudur est conforme à sa réputation : historique et à voir comme on visite un musée, pour sa valeur historique. J’en retiendrai d’extraordinaires paysages et vues mais comme tout musée, rien n’y vit au présent à part le visiteur. On espère que Bouddha regarde toujours le paysage et c’est ce que j’ai essayé de capter dans mes photos.
Le restaurant au bord des rivières est une arnaque, j’ai lu l’info dans mon guide, je m’en sors avec un poisson de culture dit grillé alors qu’il est frit et un restaurant désert pas du tout entouré de rivières. Cela m’apprendra à vouloir trop en faire en une seule journée. Le musée Affendi est un endroit extraordinaire, rendu moche aujourd’hui par une autoroute qui passe pile en face de son nid d’aigle. Le lieu était la maison du plus grand artiste contemporain indonésien et elle est devenue à sa mort un musée, exposant ses œuvres, accueillant des ateliers pour enfants et diverses manifestations.
La dernière est une exposition consacrée à l’élection présidentielle de juillet et où des artistes ont fait des œuvres picturales spécialement pour dire leur soutien au second mandat du président. Certaines œuvres sont juste de circonstance et d’autres sont assez intéressantes. Malheureusement, je n’ai pas été autorisée à prendre des photographies, bref c’est connu en matière de message politique. Place à présent au Ramayana. Je rencontre avant le spectacle un architecte et une designer, venus tous deux de Jakarta pour des rendez-vous professionnels. Ils me reprochent de ne pas aller à Jakarta, promis j’y reviendrai. Ils m’apprennent que Bandung est une ville universitaire de haut niveau et je comprends qu’en dehors de rater nombres d’îles, je raterai aussi des villes.
Jour 10 : Ce matin, j’ai juste le temps de rejoindre mes amis de Jakarta qui veulent m’expliquer le batik au marché Beringharjo, je dois ensuite prendre un vol pour Denpasar puis retour. Ces amis me confirment que le batik est originaire de Java et que son implantation en Afrique est le fruit d’une longue histoire de commerce et d’échanges commerciaux entre l’Asie et l’Afrique via le Moyen-Orient ou l’Europe. La technique ancienne consiste à peindre des motifs à la main (avec des instruments de différentes grosseurs) en recouvrant les parties en réserve avec de la cire, et cela recommence pour chaque couleur. Cette technique donne des tissus de grande valeur et très chers à partir de quatre couleurs. Puis, il y a des techniques moins coûteuses au pochoir et les impressions industrielles actuelles. Les motifs, les formes, les couleurs sont initialement de Java et sont très exubérants.
De nos jours, les batiks sont portées par les Indonésiens en sarong ou en chemise et par les Africains en pagne ou en robe alors qu’en Europe, tout cela passe pour du tissu d’ameublement ou linge de maison. La vie des formes et des couleurs est bien surprenante. Je reprends l’avion et fais escale à Denpasar (Bali). Je revois l’aéroport autrement : les sculptures, comme j’en ai vu des dizaines souvent effrayantes devant chaque édifice, ornent là aussi l’entrée côté piste de l’aéroport. Alors, je pense aux voyageurs d’antan, accueillis par ces figurines en tous lieux, c’était sûrement une façon d’exorciser le mal qu’apporte celui qui vient d’ailleurs (car il en est venu des étrangers sur ces îles, les Indiens, les Chinois, les Arabes, les Anglais, les Hollandais, des Papous, etc.).
Du coup, certaines îles ont acquis la réputation de renfermer des démons, certainement pour décourager la concupiscence des conquérants, d’autres avaient pour démons des volcans, des ouragans, des vents terribles et des marées engloutissantes et elles ont toutes survécu. Etonnantes îles ! A Denpasar, je rencontre un monsieur qui me fait volontiers la conversation, il parle anglais alors que son supérieur ne le parle pas. Il est député ou sénateur et l’homme en face de lui est chef de parti qu’ils représentent tous deux. Ils sont venus de Flores, une île que je ne connais pas et ils représentent le troisième parti du pays.
Un peu le parti «pêche et agriculture sous l’égide de la mère nation». Ils œuvrent pour le développement des régions rurales et des pêcheurs, et il y en a. Ils se rendent à Jakarta pour un meeting du parti. L’homme m’explique que l’Indonésie aura un grand challenge politique dans cinq ans. A ce moment-là, le système de vote sera grands votants et vote populaire en même temps et pour départager le parti et le candidat gagnants, il faudra annoncer les deux résultats en même temps. Un challenge dans un pays qui compte une population de 252 millions d’habitants, répartis sur une superficie énorme et fragmentée et avec de grandes disparités sociales et religieuses.
Dans l’avion je lis The International New York Times et j’y trouve un compte rendu de la visite du Premier ministre chinois au Premier nouveau ministre indien qui le reçoit chez lui autour d’un banquet de 150 plats végétariens. Et il lui dit : «The world is divided in two camps : one camp believes in expansionist policies while the other believes in development» (le monde est divisé en deux camps : celui qui croit aux politiques expansionnistes, pendant que l’autre croit au développement). Cela résonne pas mal comme idée pour mon séjour indonésien.
Le voyage a bien tenu ses promesses.
Fatma Zohra Zammoum
Est née en 1967 à Bordj-Ménaiel. Après l’Ecole des Beaux-Arts à Alger, elle poursuit des études en histoire de l’art et en cinéma à Paris 1 Sorbonne. Elle réalise ses premiers court-métrages autoproduits à partir de 1996, écrit des scénarios et des romans, dont A tous ceux qui partent (éd. L’Harmattan, 1999) et Comment j’ai fumé tous mes livres (éd. La chambre d’échos, 2006). Le court-métrage La pelote de laine (2005), reçoit de nombreuses distinctions, dont le Tanit d’argent à Carthage et des prix spéciaux au Fespaco. Elle a réalisé depuis cette date Z’har or (Un)Lucky, long-métrage expérimental, 2009, Le Docker noir, Sembène Ousmane, documentaire, 2009, puis Kedach Ethabni (ou How Big Is Your Love), long-métrage de fiction, 2011, qui vient de sortir en DVD à l’Harmattan vidéo. Son dernier film, est un documentaire fiction historique intitulé Azib Zamoum, une histoire de terres, 2014. Elle travaille depuis deux ans sur un long-métrage de fiction intitulé Rajasthani Rai et sur des sujets documentaires fictions historiques. Fatma Zohra Zamoum a été Lectrice au CNC (France) et enseignante en histoire de l’art et en cinéma aux universités de Marne-La-Vallée et Paris 7 Diderot (France) entre 2002 et 2010. Elle est productrice et associée dans Z et Compagnie Productions (Algérie).
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