a. Une économie rentière
b. Un climat des affaires dégradé
c. Une prise de conscience suffisante ?
a. Une économie rentière
« Comment va l’Algérie ? Elle pourrait aller mieux si elle ne dépendait pas autant des hydrocarbures, qui représentent 97 % des exportations. Cela ne peut plus durer »(118). En quelques mots, Issad Rebrab, fondateur et PDG de Cevital, premier groupe privé d’Algérie, a parfaitement décrit l’obstacle majeur auquel est confronté son pays : une hyper-dépendance à un seul secteur qui n’est pas sans conséquence néfastes sur les autres domaines de l’économie algérienne.
En effet, l’économie algérienne est principalement fondée sur l’exploitation des ressources du sous-sol, pétrole et gaz. Le secteur des hydrocarbures n’emploie que 3 % de la population active mais représente environ 40 % du PIB, environ 70 % des recettes fiscales et 97 % des recettes d’exportations. Et la majorité des 3 % restants est issue de produits dérivés d’hydrocarbures ou liés à la sidérurgie, les produits agricoles, agroalimentaires ou manufacturés demeurant marginaux dans les exportations globales(119).
La manne qui est tirée de cette « rente » a permis de rembourser la quasi-totalité de la dette extérieure qui est aujourd’hui tombée à 2,2% du PIB, ce qui fait de l’Algérie le pays le moins endetté de la région Moyen-Orient Afrique du Nord grâce à des réserves de changes estimées à 200 milliards de dollars.
Pour autant, ces données que jalouseraient bien des pays en Europe, ne doivent pas tromper : la situation économique de l’Algérie est préoccupante et, à terme, loin d’être viable.
Tout d’abord, gaz et pétrole ne sont pas éternels. D’après les informations recueillies par votre rapporteur, le « pic » pétrolier et gazier – c’est-à-dire le moment où la production commencera à décliner – n’est pas très éloigné. « Si l’on en croit la BP Statistical Review, une référence dans les milieux énergétiques, le pays dispose de dix-huit années de réserves pétrolières au taux actuel de production et de cinquante années en ce qui concerne le gaz. En fait, nombre d’experts s’attendent à voir intervenir le pic bien avant : pour le pétrole, dès 2020, pour le gaz, vers 2030. Il est peu probable que l’on découvre de fortes réserves d’hydrocarbures conventionnels »(120).
De même, gaz et pétrole apparaissent être des ressources relativement instables pour l’Algérie en raison des variations que peuvent connaître les cours internationaux de ces matières. Or, ces cours ont une influence directe sur les ressources budgétaires du pays, lequel voit son destin lié à un prix qui peut connaître des chutes vertigineuses comme en 2008, année où le baril, après avoir atteint un record de 147 dollars en juillet, chuta à moins de 34 dollars en décembre(121). Dans ce contexte, la question de l’équilibre budgétaire de l’État algérien se pose avec acuité, d’autant plus que le volume des exportations algériennes d’hydrocarbures a baissé au cours des dernières années – de par une concurrence internationale accrue et une demande européenne atone – et que la demande intérieure a explosé. La rente pétrolière devient de plus en plus vulnérable : désormais, il semble qu’il faille un baril autour de 121 dollars pour équilibrer le budget, ce qui est loin d’être acquis actuellement. Certes, l’Algérie dispose de marges de manœuvres confortables avec, entre autres, des réserves de change couvrant près de trois années d’importations et une dette extérieure devenue résiduelle mais il est évident que le modèle algérien fondé sur une rente très généreuse n’est guère durable.
De surcroît, la rente liée aux hydrocarbures a eu un effet anesthésiant sur l’économie algérienne en freinant, pendant longtemps, tout effort de diversification de l’économie. Un exemple a frappé la mission d’information : l’absence de réelle ouverture de l’Algérie au tourisme alors même que ce pays, à la population si accueillante, a des atouts immenses. Outre son climat agréable, il offre à ceux qui le visitent des paysages magnifiques et un patrimoine historique remarquable qui pourraient en faire une destination de premier plan. Or, l’Algérie apparait, encore aujourd’hui, et malgré des efforts de diversification que votre rapporteur va avoir l’occasion de souligner ultérieurement, comme prisonnière d’un secteur unique. L’aisance budgétaire permet de financer des importations massives même si ce doit être, parfois, au prix, d’un non-sens économique(122). Elle offre aussi à l’État la possibilité de jouer un rôle prédominant dans la vie économique du pays au détriment d’un « paysage entrepreneurial algérien [qui] ressemble malheureusement plus aux steppes arides de Biskra (ville de l’Est, porte du désert) qu’aux plaines fertiles de la Mitidja (plaine agricole de l’arrière-pays algérois)… Moins de 12 entrepreneurs pour 1.000 habitants, un ratio largement inférieur à ce qu’on voit ailleurs ; 30 créations d’entreprises pour 1000 habitants »(123), soit dix fois moins qu’au Maroc. La rente facilite aussi le clientélisme et permet de financer la politique sociale du gouvernement : augmentations des salaires et des retraites, construction de logements et autres infrastructures qui, comme votre rapporteur l’a souligné, ont permis à l’État de faire face efficacement à la contestation apparue au début de l’année 2011.
b. Un climat des affaires dégradé
Outre les effets néfastes de sa rente pétrolière, l’Algérie souffre également d’un environnement des affaires difficile et, par là même, peu favorable au développement du secteur privé et aux investissements étrangers.
Comme votre rapporteur a déjà eu l’occasion de le relever – et les autorités algériennes l’admettent elles-aussi (124) – la bureaucratie et des pratiques administratives parfois pesantes bloquent grandement l’initiative privée et le développement de l’économie algérienne. Bien souvent, la volonté gouvernementale se retrouve encalminée dans l’appareil administratif et ne donne pas les résultats escomptés. Le cas du marché financier algérien, par exemple, est impressionnant : « depuis plus de 15 ans maintenant, [il] reste obstinément réduit à des proportions lilliputiennes : la capitalisation financière de la Bourse d’Alger représente moins de 1/1000e du PIB national. Le bilan est squelettique : trois titres cotés, bientôt quatre, un nombre d’obligations en chute libre avec un niveau de transaction annuel qui ne dépasse pas deux millions de dollars. En comparaison, la Bourse de Palestine, qui ne dispose quand même pas de toutes les facilités, compte plus de 40 titres cotés, celle du Vietnam, toujours dirigée par un parti communiste, représente déjà plus de 15% du PIB. Les Tunisiens arrivent à 20% du PIB alors que la Bourse de Casablanca accueille des centaines de sociétés et représente en capitalisation plus de 60% du produit national marocain » (125).
La législation algérienne elle-même peut également soulever des inquiétudes auprès des investisseurs. La règle la plus fréquemment citée est assurément la loi dite 51/49 qui, depuis 2009, plafonne à 49 % les participations étrangères au capital des entreprises tant dans les secteurs stratégiques que non stratégiques. Selon les autorités algériennes rencontrées par les membres de la mission à Alger, en mars 2013, un tel texte, s’il permet de protéger l’économie du pays le temps qu’elle acquière une compétitivité suffisante pour résister à une ouverture plus large, est aussi favorable aux entreprises étrangères puisqu’en devant s’associer à un partenaire algérien, le risque financier qu’elles prennent est réduit et leur appréhension des arcanes de l’administration algérienne est moins problématique. Par ailleurs, la législation algérienne impose aussi un contrôle pointilleux des changes qui constitue une gêne pour les sociétés étrangères. Le droit des affaires présente aussi un côté « repoussoir » car en disposant que la bonne foi du contrevenant ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale, un chef d’entreprise qui prend un acte de gestion s’avérant mauvais pour l’intérêt de la société est passible d’une peine de prison alors même qu’il n’y avait pas d’intérêt personnel en jeu.
Ce climat des affaires peu favorable se traduit par un classement guère brillant de l’Algérie dans les études internationales. Le rapport de la Banque mondiale « Doing Business » pour 2013, par exemple, place l’Algérie au 152ème rang sur 185 pays(126). Certes, votre rapporteur admet bien volontiers les biais et les limites méthodologiques de ce genre de « palmarès » mais il n’en contient pas moins un fonds de vérité. Par ailleurs, il convient de rappeler que l’Algérie n’a pas encore adhéré à l’OMC alors que la demande d’adhésion au GATT remonte à 1987 et que les négociations effectives d’adhésion ont débuté en 1998 (127).
c. Une prise de conscience suffisante ?
Les autorités algériennes semblent avoir conscience des risques que fait courir sur l’avenir du pays le modèle économique actuel qui prévaut en Algérie.
En effet, comme l’ont indiqué, à Alger, plusieurs interlocuteurs rencontrés par la mission d’information, les autorités algériennes entendent privilégier désormais le redressement de leur appareil industriel, encore largement dominé par les entreprises publiques, bien qu’un secteur privé dynamique commence à émerger (128), afin d’assurer la diversification indispensable de l’économie, la création d’emplois, la montée en gamme et en compétences de l’appareil productif, et envisager, à terme, une capacité d’exportation qui, on l’a vu, est aujourd’hui quasi inexistante à l’exception des hydrocarbures. Dans cette perspective, la volonté de rapprochement avec la France évoquée précédemment par votre rapporteur traduit parfaitement cette orientation de politique économique dont il convient désormais de suivre avec attention la mise en œuvre et les résultats. Car la volonté de diversification n’est pas nouvelle. L’Algérie a, par le passé, adopté plusieurs plans successifs ayant, entre autre, cet objectif. Ce fut notamment le cas du « plan complémentaire de soutien à la croissance » (PCSC) qui allouait une enveloppe de 180 milliards de dollars(129), sur la période 2005-2009 pour le développement des infrastructures et la diversification de l’économie. Un nouveau plan lui a succédé, le « plan quinquennal pour la période 2010-2014 » qui prévoit des investissements publics d’un montant de 286 milliards de dollars dont 130 sont destinés à parachever les grands projets non achevés du précédent plan, notamment dans les secteurs de l’eau, des transports ferroviaire et des routes, ce qui traduit assurément une certaine difficulté à mener à bien les projets entamés.
En ce qui concerne l’attractivité de l’Algérie, là aussi, les autorités du pays paraissent désireuses d’apporter des améliorations. Un « comité national d’amélioration du climat des affaires » a ainsi été créé en réponse au mauvais classement de l’Algérie dans le rapport « Doing Business » de la Banque mondiale précédemment évoqué par votre rapporteur. Ce comité, auquel, fait notable, a été associée la Banque, a été installé, au mois de mars, par le ministre de l’industrie, M. Chérif Rahmani, avec l’idée de rendre « amical et convivial » le climat de l’investissement en Algérie et d’inscrire durablement le pays dans une dynamique de croissance et d’attractivité afin de rompre avec la logique de « rattrapage permanent » dans lequel il se trouve vis-à-vis tant de ses partenaires régionaux que de ses concurrents internationaux. Ce comité semble avoir agi rapidement puisqu’il aurait remis à la Banque mondiale son rapport sur « les mesures de facilitation et d’allègement relatives à l’environnement de l’entreprise et de l’investissement » prises en 2012-2013 » (130). Il sera intéressant de voir les suites concrètes qui seront données à ce travail mais aussi de constater l’éventuel effet de celui-ci sur le prochain classement « Doing Business » que produira prochainement la Banque mondiale.
118 () Issad Rebrab, fondateur et PDG de Cevital, premier groupe privé d’Algérie, entrevue parue dans Jeune Afrique, 30 juin 2013.
119 () Tarik Ghezali, Un rêve algérien, chronique d’un changement attendu, 2012, p.90.
120 () Hervé Kempf, L’Algérie hésite entre le gaz de schiste et le soleil, Le Monde, 17 mai 2012.
121 () Mohamed Touati, L’Algérie en état d’alerte, l’Expression, 7 avril 2013.
122 () Zoubir Benhamouche, entretien paru dans Le Magazine de l’Afrique, juillet-août 2012, p. 18.
123 () Tarik Ghezali, Un rêve algérien, chronique d’un changement attendu, 2012, p.93.
124 () « La bureaucratie nous tue. Elle est pire que le cancer » (Abdelmalek Sellal, Premier ministre, 26 juin 2013).
125 () Yazid Taleb, L’essor du marché financier en Algérie bloqué par la bureaucratie d’Etat, Maghreb Émergent, 9 avril 2013.
126 () http://francais.doingbusiness.org/data/exploreeconomies/algeria
127 () http://www.wto.org/french/thewto_f/acc_f/a1_algerie_f.htm
128 () Ryadh Benlarech, Hors du public, un début de salut, Jeune Afrique, 26 mai 2013.
129 () Dollars des Etats-Unis.
130 () http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/388174
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES de FRANCE
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 novembre 2012,
sur l’Algérie
Président
M. Axel Poniatowski
Rapporteur
M. Jean-Pierre DUFAU
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