a. Une puissance régionale volontairement en retrait sur la scène internationale
b. Un environnement régional tendu
i. A l’Ouest, la rivalité structurelle avec le Maroc et la question du Sahara occidental
ii. A l’Est, des transitions sous surveillance
iii. Au Sud, l’instabilité du Sahel
a. Une puissance régionale volontairement en retrait sur la scène internationale
Puissance régionale, l’Algérie l’est sûrement. Avec ses 37 millions d’habitants – ce qui en fait un des États les plus peuplés d’Afrique du Nord, et en tout cas le plus peuplé dans son environnement immédiat –, son ouverture sur la Méditerranée et sa proximité avec le Sahel, ce pays est un carrefour entre l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique. Avec un territoire de 2.381.741 millions de km², c’est aussi le plus vaste État africain depuis la partition du Soudan, en 2011. Sur le plan militaire, l’Algérie consacre 3,3 % de son PIB à la défense et elle dispose d’une force conséquente avec une armée de 400.000 hommes, dont 170.000 pour les forces terrestres, 14.000 pour les forces aériennes et 26.000 pour les forces navales, ce qui lui offre une capacité d’intervention militaire significative).
Pour autant, cette puissance n’a pas de traduction diplomatique directe car, en matière de politique étrangère, l’Algérie reste fidèle à ses principes fondateurs, au moment de son indépendance : lutte en faveur de la décolonisation des peuples du tiers-monde, « non alignement », soutien aux « causes justes » comme la cause palestinienne, respect de la souveraineté des États indépendants ou, refus de toute interférence étrangère. L’Algérie s’est d’ailleurs vivement opposée à l’intervention internationale en Libye, en 2011, ce que n’ont pas manqué de rappeler nombre d’interlocuteurs algériens rencontrés par la mission d’information, à Alger, en mars 2013. De même l’Algérie s’interdit-elle d’envoyer des soldats à l’étranger. La Constitution algérienne contient d’ailleurs diverses dispositions qui sont interprétées dans ce sens comme son article 26 qui précise que « l’Algérie se défend de recourir à la guerre pour porter atteinte à la souveraineté légitime et à la liberté d’autres peuples » et « s’efforce de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques » ou son article 28 qui dispose que « l’Algérie œuvre au renforcement de la coopération internationale et au développement des relations amicales entre les États, sur la base de l’égalité, de l’intérêt mutuel et de la non-ingérence dans les affaires intérieures. » .
La défense des principes fondateurs de l’Algérie indépendante est donc encore une réalité aujourd’hui et empêche certainement ce pays de se donner les moyens d’une diplomatie active et entreprenante.
b. Un environnement régional tendu
À côté des limites « doctrinales » qui la caractérisent, la diplomatie algérienne est aussi confrontée à un environnement régional tendu qui exerce une pression certaine à ses frontières.
i. A l’Ouest, la rivalité structurelle avec le Maroc et la question du Sahara occidental
La rivalité entre l’Algérie et le Maroc remonte à la « guerre des sables », en 1963, née d’incidents à propos des frontières coloniales et dont le souvenir reste vivace chez les militaires algériens. Depuis ce conflit, Alger et Rabat n’ont cessé de diverger. Durant la guerre froide, par exemple, la république démocratique tiers-mondiste n’était pas dans le même camp que la monarchie ouverte et proche de l’Occident. Sur le plan économique, les modèles retenus par les deux États furent, dès le début, antinomiques et, sur le plan militaire, les doctrines et postures des deux « frères ennemis » étaient clairement distinctes(132) , ce qui a encore un impact sur l’organisation des armées respectives. Il n’y a qu’à voir, par exemple, aujourd’hui, l’équipement des forces aériennes de chaque État : là où l’Algérie s’approvisionne quasi exclusivement auprès de fournisseurs de l’ex URSS (Sukhoi 30, Mig 29, Yak 130…), le Maroc, lui, a longtemps fait confiance à la France et, plus récemment, s’est équipé de F16 américains qui en font l’un des pays les mieux équipés en Afrique du Nord.
Deux contentieux historiques douloureux empêchent aujourd’hui une normalisation des relations algéro-marocaines. Il y a d’abord un contentieux humain remontant aux années 70 à la suite de la dépossession de milliers d’Algériens de leurs terres agricoles au Maroc mais aussi de l’expulsion de plus de 300.000 Marocains d’Algérie, en 1975 après la « marche verte » décidée par le roi Hassan II (133). Le Sahara occidental constitue le second – et assurément le plus célèbre – contentieux entre l’Algérie et le Maroc. La question du statut du Sahara occidental est en effet non résolue depuis le départ de la puissance coloniale – l’Espagne –, en 1975 et oppose durablement un Maroc qui en revendique la souveraineté à une Algérie clamant le droit à l’autodétermination des Sahraouis et soutenant le Front Polisario.
Deuis trente-huit ans, le Sahara occidental est un abcès pour l’ensemble de la région. Officiellement entre les mains de l’ONU, il oppose régulièrement l’Algérie et le Maroc sur la scène internationale. Si, dans la foulée des évènements du « printemps arabe » de 2011, on a pu assister à un semblant d’accalmie avec la visite du ministre des affaires étrangères du Maroc en Algérie, début 2012, et l’échange de nombreuses visites techniques, le durcissement est à nouveau de mise. On l’a vu, en mai 2012, lorsque le Maroc a retiré sa confiance à M. Christopher Ross, envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental(134). On l’a également vu plus récemment lors de la tentative américaine d’étendre le mandat de la MINURSO au suivi des droits de l’homme(135). De surcroît, ces tensions sont à chaque fois exacerbées par des campagnes médiatiques hostiles de part et d’autre (136) et imposent aussi à notre diplomatie une prudence extrême, la France devant sans cesse composer avec cette dommageable rivalité(137).
Les conséquences les plus spectaculaires de ces contentieux persistants entre l’Algérie et le Maroc ont été la fermeture de la frontière entre les deux États mais aussi l’absence de véritable perspective d’intégration régionale au Maghreb. Ainsi la frontière algéro-marocaine n’est-elle restée ouverte,ces cinquante dernières années, que pendant 28 ans, de 1963 à 1974 et de 1975 à 1994. Peu d’indices semblent indiquer, aujourd’hui, sa réouverture prochaine, quand bien même la situation actuelle confine parfois au ridicule. Car alors que tant de pays se regroupent aujourd’hui en marchés communs ou en zones de libre-échange, le Maghreb, lui, reste ostensiblement à l’écart. Ainsi, « pour qu’une tomate marocaine se vende sur un marché algérien, il lui faut d’abord transiter par Marseille »(138). La boutade est cruelle mais malheureusement pas infondée. Pourtant, potentiellement, les instruments sont là. L’Algérie est membre de l’Union du Maghreb arabe, organisation économique formée par les cinq pays du Grand Maghreb. Par ailleurs, comme votre rapporteur l’a déjà souligné, l’Algérie est l’un des membres fondateurs du processus euro-méditerranéen de Barcelone lancé les 27 et 28 novembre 1995. Dans le prolongement de cette initiative, elle a également rejoint l’Union pour la Méditerranée (UpM) le 13 juillet 2008, sous l’impulsion de la Franceet de l’Égypte. L’Algérie est également membre depuis le 1er janvier 2009 de la Zone arabe de libre-échange (ZALE) ayant pour but la facilitation et le développement des échanges commerciaux entre les États arabes. Il est plus que dommage qu’aucune de ces initiatives, bloquée ou ralentie par les tensions politiques, diplomatiques et économiques, ne parviennent à donner une portée concrète à la coopération et à l’intégration régionales dont le Maroc et l’Algérie pourraient être de remarquables moteurs comme la France et l’Allemagne l’ont été en l’Europe.
ii. A l’Est, des transitions sous surveillance
Comme votre rapporteur l’a précédemment souligné, le souvenir terrible de la décennie noire a beaucoup contribué à ce que l’Algérie ne s’aventure pas, comme la Tunisie, la Libye ou l’Égypte, dans un changement brutal de régime au cours de l’année 2011.
Pour de nombreux Algériens, les révolutions qui ont embrasé leurs voisins orientaux ont été perçues avec inquiétude – voire assez négativement – car synonymes d’instabilité pour la région. Ces expériences politiques renvoient en effet l’Algérie à sa propre histoire, celle de la fin des années 80 et du début des années 90 où, à la suite de l’interruption du processus électoral, le pays plongea dans une guerre civile des plus meurtrières.
Et les faits ne donnent peut-être pas tort à l’Algérie. La Libye, par exemple, est devenue une réelle source d’insécurité, pour le Maghreb et pour le Sahel dans leur ensemble, mais aussi, plus spécifiquement, pour l’Algérie puisque c’est du territoire libyen que se sont infiltrés les terroristes d’In Amenas. De même, la destitution du Président égyptien Mohamed Morsi, en juillet 2013, est également allée dans le sens des pourfendeurs du Printemps arabe – nombreux en Algérie – et a implicitement conforté le régime algérien qui, à plusieurs reprises, a mis en garde contre les risques de la « vague verte » consécutive aux révolutions de 2011.
L’évolution de la région est donc suivie avec la plus grande attention en Algérie, tant par les autorités, la presse que par la population. Votre rapporteur y reviendra plus tard mais ce pays semble être en attente, en position d’observateur privilégié d’une situation qu’il juge périlleuse et qu’il estime pouvoir apprécier avec justesse à l’aune de l’expérience de la « décennie noire ». Mais cette attente est remplie d’inquiétudes et constitue une source de pression supplémentaire sur l’Algérie et les Algériens.
iii. Au Sud, l’instabilité du Sahel
La région sahélienne constitue une source de préoccupation majeure qui alimente, elle aussi, grandement, les obsessions obsidionales de l’Algérie.
Pendant longtemps, cette dernière a eu un comportement envers la situation sécuritaire du Sahel pouvant, à certains égards, être considéré comme « ambigüe ». L’Algérie, en effet, a longtemps refusé catégoriquement que toute puissance étrangère – notamment occidentale – puisse intervenir aux marges de son flanc sud. La France était notamment visée, tant en raison du poids de l’histoire qu’à cause d’un prétendu « agenda caché » inavouable(139). Elle a ainsi, pendant plusieurs années, insisté sur la nécessité d’une solution politique sans pour autant en fournir les clefs. De même, elle a tenté, sans succès, d’affirmer son « leadership » dans la coordination des efforts régionaux dans la lutte contre AQMI et les autres groupes terroristes, arguant, entre autres, de sa réussite dans leur éradication sur son sol. Elle fut ainsi à l’initiative de l’installation du CEMOC – comité d’état-major conjoint (140) – à Tamanrasset, en avril 2010 mais cette structure, bien qu’unique en Afrique, ne donna aucun résultat tangible. Comme avaient pu l’analyser nos collègues François Loncle et Henri Plagnol dans leur rapport d’information intitulé « Le Sahel pris en otage », publié à la fin de la XIIIème législature, il n’était pas inenvisageable de voir dans l’attitude de l’Algérie un double, voire un triple langage(141). Car, tout en assurant prendre au sérieux la menace terroriste sur son flanc sud, ce pays n’en prenait pas moins des actions allant dans un sens contraire. Par exemple, le « pari » algérien sur Ansar Eddine a pu soulever de légitimes interrogations(142). Il était également frappant de constater que l’organisation géographique de l’outil militaire algérien, de loin le plus important de la région, était entièrement tournée vers la « menace » marocaine et non vers la frontière méridionale.
Les autorités algériennes se sont rapidement adaptées à la nouvelle donne créée par l’opération Serval en assouplissant leurs positions traditionnelles hostiles à toute interférence étrangère dans la région. L’Algérie autorisa ainsi le survol de son territoire par nos avions et par ceux de nos alliés. Elle contribua également à la fourniture de carburant à nos troupes et cette aide fut des plus précieuses lorsque nos soldats combattaient, dans des conditions difficiles, dans des zones proches de la frontière algéro-marocaine.
Ainsi que votre rapporteur l’a souligné dans la première partie, cette coopération a été « spectaculaire » car inimaginable encore quelques semaines auparavant et a sans doute été rendue possible par le réchauffement des relations entre la France et l’Algérie consécutif à la visite d’État du président Hollande. Pour autant, laisse-t-elle présager un changement durable d’attitude de la part de l’Algérie sur la question sahélienne? Il est sans doute encore trop tôt pour le dire mais nul doute que cette dernière va demeurer une source d’inquiétude vive pour les autorités algériennes, d’autant plus que, pour certains, l’opération Serval n’a fait qu’illustrer « l’incapacité de l’Algérie à sécuriser son environnement régional »(143). En tout état de cause, l’évolution de l’influence de l’Algérie sur la région, la stabilité des États du champ, le sort des Touareg (144), la dissémination des djihadistes dans les pays environnants… sont autant de paramètres qui vont, encore plus qu’avant, structurer la diplomatie algérienne dans les mois et les années à venir.
134 () http://www.afp.com/fr/node/128961/
135 () http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/04/26/dossier-sahraoui-le-maroc-fait-reculer-les-etats-unis_3167168_3222.html
136 () Voir, par exemple l’article « Pourquoi Mohammed VI a peur aujourd’hui de la Minurso ? » paru dans La Liberté le 21 avril 2013.
137 () Isabelle Mandraud, Paris tiraillé entre les frères ennemis du Maghreb, Le Monde, 19-20 décembre 2012
138 () Isabelle Mandraud, La longue guerre froide du Maghreb, Le Monde, 21 avril 2013
139 () « Agenda caché » que quelques interlocuteurs ont encore mis en avant lors de la visite d’une délégation de la mission d’information, à Alger, en mars 2013.
140 () État-major rassemblant les pays du champ : Algérie, Mauritanie, Mali et Niger.
141 () Rapport d’information n° 4431 de MM Loncle et Plagnol, députés, sur la situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne (6 mars 2012).
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES de FRANCE
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 novembre 2012,
sur l’Algérie
Président
M. Axel Poniatowski
Rapporteur
M. Jean-Pierre DUFAU
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