1. Une relation unique
a. L’Algérie, un statut particulier dans l’empire colonial français
b. La décolonisation violente de l’Algérie (1954-1962)
2. La constitution d’un espace commun de part et d’autre de la Méditerranée
a. Un lien démographique dense et dynamique
b. La langue française, un pont entre les deux rives
1. Une relation unique
La France a été présente en tout et pour tout 132 ans en Algérie, soit l’équivalent de cinq ou six générations. Cette longue présence française au cœur du Maghreb, conclue par une violente guerre d’indépendance, a généré un phénomène d’assimilation et d’hybridation culturelle qui n’a existé nulle part ailleurs, pas même en Tunisie ou au Maroc, rendant les rapports entre la France et l’Algérie à la fois complexes et uniques.
a. L’Algérie, un statut particulier dans l’empire colonial français
À la suite de la capitulation du dey d’Alger le 5 juillet 1830 et l’occupation militaire de l’Algérie, cette dernière fut progressivement rattachée puis intégrée à la France. L’Algérie fut dans un premier temps officiellement annexée par une ordonnance royale en date du 24 février 1834, faisant des Algériens des sujets – mais non pas des citoyens – français. Une ordonnance royale de 1845 divisa le territoire algérien en trois provinces – Alger, Oran et Constantine – comprenant chacune trois types de circonscriptions : territoire civil, territoire mixte et territoire militaire(3). L’ « appartenance » de l’Algérie au territoire national fut ensuite consacrée par la constitution républicaine de 1848(4), laquelle accorda à l’Algérie une représentation politique à l’Assemblée nationale. Dans la foulée, les territoires civils des trois provinces furent transformés en départements.
De 1852 à 1858, Napoléon III rétablit un régime militaire sur l’ensemble du territoire, supprima la représentation algérienne au Parlement, mais maintînt les trois départements d’Oran, d’Alger et de Constantine. Le régime civil fut rétabli à la suite de la défaite du Second Empire. L’année 1881 marqua l’assimilation totale du territoire algérien à la France sur le plan institutionnel. L’Algérie fut considérée comme faisant partie intégrante du territoire métropolitain et fut rattachée administrativement aux ministères métropolitains. Elle se vit conférer par les lois de 1898 et du 29 décembre 1900 une personnalité civile et fut dotée d’une assemblée coloniale élue, de délégations financières et d’un budget spécial(5).
Au-delà de l’assimilation territoriale et administrative, la France, pour conserver les vastes territoires progressivement acquis et s’y enraciner, vit dans la « colonisation », c’est à dire le remplacement des soldats par des colons, la meilleure façon de pérenniser la conquête(6). À partir de 1848 et, surtout, de 1850 une véritable politique de colonisation fut alors entreprise(7) couplée à de massives concessions gratuites de terres dans l’espoir de réaliser un peuplement rural français. Ainsi, entre 1871 et 1919, 870.000 hectares furent livrés aux colons. Les habitants musulmans perdirent quant à eux 7 millions et demi d’hectares sur cette même période. Près de 130.000 colons dont 65.000 Français (8) s’installèrent en Algérie entre 1871 et 1881. La population française en Algérie passa ensuite de 219.000 habitants en 1886 à 318.000 (dont 50.000 naturalisés) en 1896, puis 657.000 en 1926. Dès 1896, l’Algérie compta plus d’Européens nés sur son sol que d’Européens immigrés et ce taux ne cessa d’augmenter jusqu’à atteindre 79 % en 1954.
Entre 1870 et 1940, la politique d’assimilation s’appliqua pleinement aux Juifs algériens (décret Crémieux du 24 octobre 1870) et aux étrangers européens (loi du 26 juin 1889(9)) dont la naturalisation permit d’enrichir la population française d’Algérie de dizaines de milliers de nouveaux citoyens. Elle laissa en revanche à l’écart les musulmans algériens, que l’on appelait également les « sujets français musulmans non-naturalisés » ou les « Français musulmans de souche nord-africaine ». Ces derniers restèrent, dans leur très grande majorité, privés des droits et libertés démocratiques fondamentaux et soumis à de nombreuses dispositions répressives et discriminatoires. Il fallut attendre l’ordonnance du 7 mars 1944 pour que des droits politiques et civils soient accordés à des Algériens musulmans, à condition que ces derniers justifient de certains diplômes et titres. Ainsi, jamais les Algériens « indigènes » ne bénéficièrent, dans leur globalité, de l’égalité juridique et ne furent regardés comme des Français à part entière sauf, bien entendu, et avec force arguties, lorsque cela pouvait être dans l’intérêt de la puissance coloniale. Ainsi, « quand un Algérien se disait arabe, les juristes français lui répondaient : non, tu es français. Quand il réclamait les droits des Français, les mêmes juristes lui répondaient : non, tu es arabe ! » (10). Ce confinement des Algériens dans un statut juridique spécifique et inférieur ne fut pas étranger au caractère violent et dramatique de la fin de la présence coloniale française en Algérie.
b. La décolonisation violente de l’Algérie (1954-1962)
Contrairement à ses voisins tunisien et marocain qui acquirent leur indépendance dès 1956, l’Algérie n’accéda à la souveraineté qu’en 1962 après un conflit douloureux, – la « guerre d’Algérie » au nord de la Méditerranée, la guerre d’indépendance au sud – qui dura huit ans et eut des conséquences dramatiques dont le souvenir reste encore très présent aujourd’hui.
Les attentats de la « Toussaint sanglante », dans la nuit du 1er novembre 1954, marquèrent le début du soulèvement mené par le Front de libération nationale (FLN) contre la présence française en Algérie.
Si le conflit conduisit à l’implication totale de l’armée française dans des opérations décrites à l’époque comme relevant du « maintien de l’ordre », il eut également un impact politique et social majeur. La survie des institutions républicaines fut à plusieurs reprises menacée et celles-ci ne durent leur sauvegarde qu’à une profonde révision constitutionnelle qui modifia la nature du régime et provoqua, par conséquent, la fin de la IVème République, en 1958.
La guerre d’Algérie fut aussi singulière en ce qu’elle n’opposa pas seulement les Algériens d’une part et la population française d’Algérie et de métropole d’autre part, mais divisa les partis, les syndicats, les intellectuels et les familles tant en France que sur le sol algérien. Après plus d’un siècle de présence française, les liens entre les deux pays étaient plus denses qu’entre n’importe quelle autre colonie et sa métropole.
Le bilan définitif de la guerre d’Algérie n’a jamais été établi avec certitude et donne lieu à de profondes divergences de part et d’autre de la Méditerranée. Les travaux des historiens spécialistes de la question permettent d’estimer qu’« au-delà des considérations économiques et du coût qu’elle a représenté pour une économie qui achevait sa reconstruction et poursuivait sa modernisation, la guerre d’Algérie a fait environ 25.000 morts et 65.000 blessés dans les rangs de l’armée française, ainsi que plusieurs dizaines de milliers de morts parmi les harkis. Dans le camp adverse, près de 150.000 membres du FLN et soldats de l’ALN ont été tués. Prise à partie par les deux belligérants, la population civile fut la première victime du conflit : bien qu’un chiffre exact soit difficile à fixer, les estimations les plus vraisemblables sont de 300.000 à 400.000 victimes algériennes et plusieurs milliers de civils français »(11). Quoi qu’il en soit, ce bilan fut, proportionnellement à la population totale du pays, plus meurtrier que la première guerre mondiale pour la France.
Outre les morts, la guerre d’Algérie s’est accompagnée d’un impressionnant cortège d’atrocités, tant du côté de combattants du FLN que de certains éléments des troupes françaises qui ont eu recours à la torture contre des militants nationalistes et leurs soutiens. De même, « le cœur de Paris fut le théâtre de manifestations réprimées dans le sang. Le 17 octobre 1961, 11.000 Algériens [furent] arrêtés par la police et plus d’une centaine tués, pour certains jetés dans la Seine. Le 8 février 1962, au métro Charonne, neuf manifestants [moururent] sous les coups des policiers »(12).
Les accords d’Évian, en mars 1962, qui conduisirent à la fin du conflit, constituèrent une étape importante dans l’histoire des deux pays sans pour autant marquer la fin des violences. Pour l’Algérie, l’année 1962 reste l’année de l’indépendance. Pour la France en revanche, elle est davantage associée aux exactions telles que la fusillade de la rue d’Isly qui, le 26 mars, fit plus d’une soixantaine de victimes civiles mais aussi aux massacres d’Oran du 5 juillet qui virent plusieurs centaines d’Européens assassinés, blessés ou enlevés. 1962, c’est aussi l’exode massif des pieds noirs vers la métropole et les représailles dont ont été victimes les harkis. Des centaines de milliers d’Européens partirent d’Algérie en l’espace de quelques mois : 68.000 entre janvier et avril, 83.000 en mai, 328.000 en juin, 61.000 en juillet et 40.000 en août(13). Au total, ce ne sont ainsi pas moins de 800.000 Européens qui ont fui l’Algérie cette année-là, emmenant avec eux, en France, les souvenirs de toute une vie mais aussi la mémoire d’une aventure unique dans l’histoire de France.
2. La constitution d’un espace commun de part et d’autre de la Méditerranée
a. Un lien démographique dense et dynamique
Comme votre rapporteur vient de le rappeler brièvement, en 132 ans d’histoire commune, l’Algérie et la France ont tissé un lien humain très dense qui s’est très tôt traduit par un flux significatif de population entre les deux rives de la Méditerranée mais n’a pas été rompu par l’indépendance, en 1962.
Si, comme on l’a vu, l’Algérie accueillit très tôt un nombre important de Français et de populations en provenance de plusieurs pays européens alentours, l’immigration algérienne en France est, elle aussi, ancienne : elle débuta très tôt dès la fin du XIXème siècle, principalement en provenance de Kabylie, une région particulièrement pauvre à l’époque(14). Ainsi, d’abord économique, notamment pour fournir une main d’œuvre aux mines du nord de la France puis, après-guerre, aux usines automobiles, l’immigration algérienne en France se poursuivit dans les années 70 et après, y compris à la suite de l’arrêt de l’immigration de travail, par l’intermédiaire de mesures de regroupement familial puis, lors de la décennie noire, par l’arrivée, sur notre sol, de cadres et d’intellectuels menacés dans leur pays.
Ces flux ont une aujourd’hui une réalité statistique concrète.
En ce qui concerne nos compatriotes, 30.000 Français étaient inscrits dans nos consulats en Algérie à la fin 2012, les doubles nationaux français et algériens constituant presque 90% de la communauté française et le reste étant constitué essentiellement de détachés (d’entreprises ou d’administrations) ainsi que par quelques centaines de Français qui résident en Algérie depuis longue date, soit qu’ils y sont nés (« pieds noirs »), soit qu’ils soient venus par solidarité en l’Algérie juste après l’indépendance (les « pieds rouges »)(15). Ces chiffres ne reflètent toutefois qu’une partie de la réalité car si tous les ressortissants exclusivement français se font enregistrer dans les consulats (c’est une exigence des autorités algériennes pour l’obtention d’une carte de séjour), en revanche, une partie seulement des doubles-nationaux est connue des consulats puisque beaucoup d’entre eux vivent à cheval sur les deux rives de la Méditerranée et conservent une adresse en France. L’enregistrement consulaire ne leur apporte alors aucun avantage spécifique d’autant plus que les autorités algériennes n’autorisent pas l’exercice de la protection consulaire à leur égard, sur le territoire algérien.
En ce qui concerne la communauté algérienne en France les chiffres sont bien plus imposants. Les statistiques officielles indiquent que les ressortissants algériens titulaires d’un titre ou d’une autorisation de séjour en France au 31 décembre 2011 sont environ 560.000 personnes(16). A ce nombre, on doit bien évidemment ajouter les personnes présentes sur notre territoire mais en situation irrégulière – dont, par définition, il est difficile d’estimer la taille – ainsi que les binationaux qui, selon les sources, seraient entre 2,5 et 4 millions(17).
Au total, si on additionne Français d’Algérie et Algériens de France double nationaux, Français d’origine algérienne et, notamment les « pieds noirs », la dimension humaine de la relation franco-algérienne, c’est-à-dire une population « commune », repose sur une base supérieure 5 millions de personnes. Ce chiffre est impressionnant. Les ressortissants algériens sont aujourd’hui la deuxième communauté étrangère présente en France, derrière les Portugais. Notre pays est, de loin celui qui accueille le plus d’Algériens après l’Algérie elle-même, très loin devant les autres États européens ou nord-américains (18)
Cette population « franco-algérienne », considérée dans un sens très « large », n’est bien évidemment pas immobile. Le lien entre les deux rives de la Méditerranée, au quotidien, c’est d’abord des flux humains significatifs.
La France est la première destination des ressortissants algériens tant à des fins touristiques que d’émigration. Notre réseau consulaire en Algérie a délivré 180.000 visas de court séjour et 20.000 visas de long séjour ont été délivrés à des Algériens en 2012, ce dernier chiffre incluant notamment le regroupement familial et les visas pour suivre des études(19) (le service des visas d’Alger est ainsi le deuxième de notre réseau mondial après Moscou).
L’Algérie reçoit aussi un nombre significatif de citoyens français chaque année. C’est essentiellement un flux de Français possédant également la nationalité algérienne, lesquels se rendent en Algérie avec leur passeport algérien pour effectuer une visite familiale. Plus résiduel est le nombre d’hommes d’affaires appelés à se rendre régulièrement en Algérie dans le cadre de leur activité professionnelle.
Ainsi, malgré les barrières et difficultés politiques administratives, les hommes et les femmes n’ont cessé de circuler entre la France et l’Algérie. Il résulte de l’ensemble de ces liens qui ont pu se tisser qu’un véritable espace commun s’est constitué au fil du temps entre les deux rives de Méditerranée. In fine, la France et l’Algérie sont bien plus proches qu’on pourrait en attendre de deux États indépendants, éloignés l’un de l’autre par un millier de kilomètres. Les relations familiales entretenues régulièrement au téléphone, sur les réseaux sociaux ou lors des « retours au bled » estivaux (20) mais aussi les chaînes télévisées algériennes captées en France et françaises reçues en Algérie, peut-être encore plus que la presse et la littérature, contribuent à entretenir une véritable proximité humaine franco-algérienne qui double les canaux officiels de la diplomatie. Cela ne va pas, bien sûr, sans soulever des questions d’identité et d’intégration, un thème qui n’est pas le sujet de la mission d’information et qui pourrait justifier, à lui seul, un travail spécifique. Cela conduit en tout cas à des situations parfois surprenantes où il apparaît que bon nombre d’Algériens connaissent mieux notre vie politique ou notre paysage audiovisuel bien mieux que certains Français. Lors de son déplacement à Alger, la mission d’information a pu s’en rendre compte par elle-même et a été marquée par les propos tenus par des interlocuteurs, lesquels maîtrisaient parfaitement les subtilités de notre jeu politique. Il est d’ailleurs significatif que les élections françaises semblent passionner bien plus les Algériens que leurs propres scrutins. Votre rapporteur va avoir l’occasion, ultérieurement, de revenir sur ce paradoxe.
En tout état de cause, cet espace commun de part et d’autre de la Méditerranée possède un moteur qui le cimente. Ce moteur, indiscutablement, est la langue française qui joue un grand rôle dans la relation franco-algérienne.
b. La langue française, un pont entre les deux rives
La langue française n’a pas d’existence officielle en Algérie. Aux termes des articles 3 et 3 bis de la constitution, « l’arabe est la langue nationale et officielle » et le « tamazigh est également langue nationale ». On peut aisément comprendre que compte tenu du poids de l’histoire (21) et des réactions contre notre pays au sortir de la période coloniale, les autorités algériennes aient entendu réduire rapidement l’influence de la langue française au profit de la langue arabe, jugée, avec l’islam, comme l’un des deux piliers du nouvel État (22). Un processus d’arabisation du pays fut alors entrepris après l’indépendance, et ce, en dépit d’une administration formée par la France et se montrant une force de résistance non négligeable contre ce processus. Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’article 76 de la première constitution du pays, tout en rappelant que « la réalisation effective de l’arabisation [devait] avoir lieu dans les meilleurs délais sur le territoire de la République », admettait, à titre dérogatoire, que « la langue française [puisse] être utilisée provisoirement avec la langue arabe ». Une trentaine de lois ou décret ayant trait à l’arabisation furent donc adoptés dans les années qui suivirent l’indépendance. Ces textes concernèrent l’ensemble des secteurs de la vie publique et administrative mais le domaine économique, par exemple en imposant l’arabe comme langue de l’affichage. Mais c’est surtout dans le domaine de l’enseignement que des mesures importantes furent prises afin d’arabiser progressivement l’ensemble du cursus scolaire. Or, dépourvue d’enseignants d’arabe « classique », l’Algérie dut en recruter dans d’autres pays arabes – en Égypte et en Iraq notamment – lesquels, bien souvent, envoyèrent des incompétents ou des extrémistes. Cela eut inévitablement des conséquences à long-terme sur la société algérienne car tout en nuisant à la qualité globale de l’éducation, cet afflux de maîtres moyen-orientaux médiocres eut aussi sa responsabilité dans la montée de l’islamisme dans les décennies qui suivirent.
Pour autant, en dépit de cette politique d’arabisation, la langue française continue d’être très présente, aujourd’hui, en Algérie. C’est en Algérie que se trouve la seconde communauté francophone au monde avec 16 millions de locuteurs environ (23) (sur 37 millions d’habitants au total) même si la qualité de la maîtrise de notre langue est quelque peu disparate selon les générations. De même, l’Algérie est le lieu d’un véritable foisonnement linguistique et il n’est pas rare – la mission a pu le constater par elle-même à Alger – que les Algériens utilisent plusieurs langues dans la même phrase, la commençant par exemple en français pour la terminer en arabe avec quelques mots de kabyle au milieu, ce qui explique peut-être que bon nombre d’Algériens – avec du dépit mais aussi de l’humour et de l’autodérision – n’hésitent pas à se qualifier d’ « analphabètes trilingues ». Quoiqu’il en soit, en dépit de cette situation, le français est aujourd’hui indispensable pour réussir en Algérie. C’est un sésame incontournable dans le milieu des affaires mais aussi pour obtenir un visa et, le cas échéant poursuivre des études à l’étranger. L’administration, elle aussi, ne fait pas exception et, en dépit de la politique d’arabisation constante depuis l’indépendance, certains secteurs de la fonction publique continuent d’accorder une place prépondérante au français comme, par exemple, la justice dont l’organisation reprend, dans les grandes lignes, celles de la justice française. L’enseignement, lui-même, fait une place non négligeable à notre langue : certes, l’arabe est la langue d’enseignement obligatoire durant les neuf premières années mais le français est enseigné à partir de la troisième année, c’est aussi la langue d’enseignement pour les cours avancés de mathématiques et de sciences. La mission a d’ailleurs pu se rendre compte par elle-même de l’importance de la langue française mais aussi de l’attrait qu’elle exerce auprès de nombreux jeunes Algériens en ayant des conversations riches et passionnantes avec certains d’entre eux(24) mais aussi en visitant l’Institut français d’Alger, véritable havre de tranquillité et de savoir au cœur de la ville. Cet institut est une des antennes de notre réseau culturel en Algérie avec Annaba, Constantine, Oran et Tlemcen, la réouverture de celle de Tizi-Ouzou, longtemps bloquée et suspendue à la résolution de certaines difficultés administratives, étant aujourd’hui impossible du fait du refus des autorités algériennes (25). Au cours des cinq dernières années, le nombre d’inscrits aux cours de langue française proposés par ces centres a explosé : de 4.500 durant l’année 2008/2009, ils sont aujourd’hui supérieurs 11.000 ! La demande pour notre langue est considérable. Beaucoup de jeunes éprouvent le besoin de se perfectionner au moment de leur entrée à l’université où ils seront confrontés à des cours qui seront uniquement donnés en français, langue qui, comme on l’a vu, est indispensable à la réussite professionnelle ou à l’émigration. Ainsi, l’unique lycée français d’Algérie – le lycée Alexandre Dumas – est-il assailli par les demandes d’inscription. Et il est quelque peu paradoxal de constater que les premiers demandeurs sont souvent de hautes personnalités du régime algérien.
Notre langue est donc encore bien présente en Algérie et est le principal vecteur du lien très fort qui unit, encore aujourd’hui, les destins algérien et français. Malgré tout, elle demeure un enjeu politique et continue d’être officiellement considérée avec prévention comme le montre le refus algérien d’adhérer à l’Organisation internationale de la francophonie ou même de n’y avoir que le statut d’observateur(26). Votre rapporteur, tout en comprenant que le poids de l’histoire puisse encore susciter des réticences, ne peut que constater que la participation de l’Algérie aux travaux de l’OIF enrichirait grandement la famille francophone mondiale. Au cours du déplacement de la mission à Alger, il a, à plusieurs reprises, souligné l’utilité d’un éventuel début de rapprochement au niveau parlementaire, par l’intermédiaire de l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Il espère que cet appel sera entendu et que des progrès pourront être effectués, dans ce domaine, dans les années à venir. Le Français, « butin de guerre » (27) a assurément un avenir prospère en Algérie.
3 () Le premier, officiellement pacifié, était administré « à la française » par des fonctionnaires civils, tandis que les deux autres étaient administrés par des officiers (Collot, Les institutions de l’Algérie durant la période coloniale (1830-1962), 1987, p. 36-41).
4 () Article 109 : « Le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français ».
5 () Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), La Découverte « Repères », 2004, p.20.
6 () A ce titre, l’Algérie présente une grande différence avec ses voisins tunisien et marocain, dont il ne fut jamais question de peupler massivement le territoire de colons français.
7 () On envoya notamment en Algérie une grande partie des ouvriers parisiens qui s’étaient révoltés en juin 1848… ce qui amena un député de l’époque à souligner qu’« il s’agissait plus de donner un coup de balai dans les rues de Paris que de coloniser l’Algérie » !
8 () Principalement des Alsaciens et des Lorrains refusant de devenir allemands et ayant préféré quitter leur région, annexée par la Prusse en 1871.
9 () Cette loi donna la pleine citoyenneté française, avec soumission à toutes les lois françaises, aux enfants d’immigrés européens nés sur le sol algérien (« naturalise automatiquement tout étranger né en Algérie s’il ne réclame pas à sa majorité la nationalité d’origine de son père »).
10 () Ferhat Abbas, La Nuit coloniale, Julliard, 1962
11 () Travaux de Benjamin Stora, cités par M. Alain Néri dans son rapport fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur la sur la proposition de loi, adoptée par l’assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (17 octobre 2012).
12 () Rapport de M. Alain Néri, précité.
13 () Pierre Daum, Ni valise, ni cercueil, les pieds noirs restés en Algérie après l’indépendance, Actes Sud, 2012, p. 44.
14 () Votre rapporteur ne peut que recommander la lecture du passionnant dossier consacré à l’immigration algérienne en France, sur le site du musée de l’histoire de l’immigration (http://www.histoire-immigration.fr/histoire-de-l-immigration/dossiers-thematiques/caracteristiques-migratoires-selon-les-pays-d-origine/l-immigration-algerienne-e- )
15 () Source : Quai d’Orsay.
16 () Source : Quai d’Orsay.
17 () Voir notamment « Les binationaux veulent être français à part entière », Le Figaro, 20 décembre 2012.
18 () Voir notamment le site de l’ « Algerian International Diaspora Association »
( http://aida-association.org/diaspora/index.php?sr=6 )
19 () Aujourd’hui, le taux de refus de visas est de 20 % à Alger et de 30 % à Annaba et à Oran. Les motifs de refus sont principalement le risque migratoire et les ressources insuffisantes. Contrairement à il y a une dizaine d’années, les motifs d’ordre public sont désormais peu fréquents.
20 () Voir notamment : Tarik Ghezali, Un rêve algérien, chronique d’un changement attendu, 2012, pp. 103 et s.
21 () Voir infra.
22 () Depuis l’indépendance, l’État algérien se définit comme arabe et musulman. Invariablement, depuis 1963, toutes les constitutions algériennes ont disposé que « L’islam est la religion de l’État » et que « l’arabe est la langue nationale et officielle » (http://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/algerie-3Politique_ling.htm )
23 () Délégation générale à la langue française et aux langues de France, « La langue française dans le monde, références 2012 » (http://www.dglf.culture.gouv.fr/publications/References12_la_langue_francaise_dans_le_monde.pdf )
24 () En particulier lorsque la mission d’information a rendu visite à l’association SOS Bab El Oued le 25 mars 2013.
25 () Site TSA, 14 juin 2013 : http://www.tsa-algerie.com/actualite/item/844-le-projet-de-centre-culturel-francais-a-tizi-ouzou-definitivement-enterre
26 () Même s’il convient d’avoir en mémoire qu’à Beyrouth (2002), l’Algérie participa pour la première fois à un sommet francophone, le président algérien ayant été l’ « invité spécial » des autorités libanaises. À cette occasion, Abdelaziz Bouteflika estima « qu’après avoir été récupérée et renforcée, notre arabité est suffisamment affirmée, pour ne courir aucun risque » et affirma que l’Algérie avait « conscience que l’usage de la langue française [permettait] à nos jeunes d’élargir leur horizon, et de participer à l’évolution du monde moderne ».
27 () Expression chère à l’écrivain algérien Kateb Yacine (voir : Isabelle Mandraud, « La langue française, « butin de guerre », prospère en Algérie », Le Monde, 18 décembre 2012).
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES de FRANCE
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 novembre 2012,
sur l’Algérie
Président
M. Axel Poniatowski
Rapporteur
M. Jean-Pierre DUFAU
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