C’est ainsi que le patron de l’armée française à Alger, le général Massu, à l’époque des faits, voulait envoyer un message en direction d’autres candidats intellectuels ou pas, souhaitant remettre en cause la présence française en Algérie.
Le 11 juin 1957, Maurice Audin, 25 ans, mathématicien à la faculté d’Alger, militant communiste pacifiste de la cause nationale, est arrêté à son domicile par des militaires français sous les yeux hébétés de sa jeune épouse et de ses trois enfants en bas âge. Depuis cette date, il ne reverra plus jamais les siens. L’énigme de sa disparition marquera profondément l’histoire de la guerre d’Algérie. Il sera torturé, assassiné puis enseveli sous terre par ses geôliers d’une manière abominable, son corps ne sera jamais retrouvé, sa femme n’ayant pratiquement pas fait le deuil de son mari.
La version officielle
Le général Massu, en charge de la sécurité publique à Alger, était parfaitement au courant de son arrestation et de son interrogatoire poussé, il savait aussi qu’un communiste engagé, aux mains du sinistre groupe Aussaresses, aurait très peu de chance d’en sortir vivant. Au nom des impératifs de rétablissement de la sécurité à Alger, il cautionnera son exécution en couvrant tous ceux qui ont participé à cette œuvre macabre. Selon la version officielle de l’armée, Maurice Audin se serait échappé de la Jeep qui devait le ramener vers un autre centre de détention.
Cette thèse concoctée dans la précipitation ressemble à quelques détails près à d’autres cas d’exécution de détenus algériens encombrants. Bien entendu, personne n’a cru à ce mensonge «officiel», un communiqué établi au nom de la France qui restera un discrédit indélébile de la politique suivie par le pouvoir de l’époque. L’enquête réalisée, en 1958, par son ami, compagnon de lutte et codétenu, Pierre Vidal-Naquet, aboutit à la conclusion qu’il ne pouvait pas s’échapper, mais qu’il aurait été exécuté par les parachutistes durant les séances de torture. Le consentement implicite du pouvoir politique était clair aux yeux de l’armée, son exécution se devait d’être «pour l’exemple», c’est un Français, de surcroît communiste, de quoi donner à réfléchir à d’autres candidats mal orientés politiquement.
La grande muette
Pendant des années, on a cru qu’il aurait été étranglé par un de ses bourreaux, en l’occurrence le lieutenant Charbonnier. Cette thèse n’a pas été confirmée ni infirmée d’ailleurs. Dans un contexte aussi flou, caractérisé par le silence absolu observé par l’armée, que certains historiens appellent «la grande muette», il était devenu difficile d’apporter la moindre réponse fiable à cette disparition sans une participation désintéressée des principaux acteurs. Tous les historiens et même sa fille, Michèle, qui se sont penchés sur l’énigme Audin à la recherche de la vérité sur sa disparition buteront contre cette grande muette qui a maintenu un black-out terrifiant à ce sujet. Son épouse a catégoriquement rejeté cette thèse et il est facile de comprendre pourquoi.
Aussaresses et sa conscience
En mars 2012, la journaliste Nathalie Funès du Nouvel Observateur publie des articles et révèle qu’Audin aurait été tué sur ordre du lieutenant Garcet. Elle s’est basée sur des carnets de notes appartenant à l’ancien colonel Yves Godard, commandant de la zone Alger-Sahel en 1957, un proche du général Massu. Ces carnets de notes se trouveraient dans les archives d’une université américaine. Yves Godard, après avoir quitté l’Algérie en 1962, n’est pas retourné du tout en France, il demeura jusqu’à sa mort en Belgique.
Cette thèse sera aussi accueillie avec scepticisme, mais pour la première fois elle conforte l’idée d’un ordre transmis par la hiérarchie militaire et la responsabilité du général Massu. Elle a aussi permis de citer le nom de l’exécuteur, un lieutenant subalterne du tortionnaire Aussaresses, en charge des basses besognes de l’armée. Maintenant que le chemin des divulgations est un peu mieux balisé, il ne restait plus à ce dernier que de passer à table. C’est ainsi que sur pression de sa nouvelle femme et de sa fille, Aussaresses, peu avant sa mort, révèlera à l’écrivain Jean-Charles Deniau que le lieutenant cité par le colonel Godard est bien l’auteur du coup de poignard fatal qui tua Maurice Audin.
Il avoua aussi qu’il serait enterré quelque part à 20 km environ d’Alger, mais il ne révélera pas le lieu exact. Ces aveux tardifs n’apporteront pas plus d’éclaircissements par rapport à ce que l’on savait ou supposait, ils seront rejetés par l’épouse d’Audin. C’était avec une voix caverneuse et affaiblie, signe d’une fin de vie proche, que ce général s’est confessé. Il ne regrette rien de son passé et refuse toute idée de repentance. Le long chemin de la vérité est de plus en plus lointain. Les acteurs-clés de ce drame disparaissent l’un après l’autre sans avoir révélé leur part de vérité. Le lieutenant Garcet, toujours en vie, refuse tout contact avec la presse. De grands noms du monde scientifique et littéraire, des illustres savants et prix Nobel tels que Laurent Schwartz et Yves Montagnier ont participé à des comités sur la recherche de la vérité sur la disparition de Maurice, force est de constater que cette vérité est toujours d’actualité.
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