L’histoire officielle veut que Larbi Ben M’hidi se soit suicidé dans sa cellule dans la nuit du 3 au 4 mars 1957.
Une mort aussi suspecte que celle survenue quelques jours après, le 23 mars, de l’avocat Ali Boumendjel qui se serait jeté par la fenêtre d’un immeuble de l’avenue Ali Khodja, à El Biar. Au sujet de la fin tragique de Larbi Ben M’hidi, le colonel Jacques Allaire (à l’époque lieutenant sous les ordres de Bigeard) qui l’avait arrêté dans un appartement de l’avenue Claude Debussy à Alger, le 25 février 1957, ne croit pas au suicide. Il a qualifié l’homme de «seigneur» : «Ben M’hidi était impressionnant de calme, de sérénité, de conviction. Un tel homme ne pouvait pas se suicider. Je l’ai remis à l’état-major et à une équipe qui est venue le chercher, et c’était la nuit, et bien que le règlement s’y opposait, je lui ai fait présenter les armes, parce qu’il faut reconnaître chez son adversaire la valeur et le courage.»
Quelqu’un en qui l’ennemi-même reconnaît une telle valeur et un tel courage pouvait-il se suicider ? «Ce n’est pas un homme comme Larbi Ben M’hidi qui se suicide !», avait avoué le général Marcel Bigeard à la sœur du martyr, Drifa Ben M’hidi, en 2002, à Paris. En 2001, dans son livre Services spéciaux, Algérie 1955-1957, paru aux éditions Perrin, le général Paul Aussaresses reconnaît avoir procédé à l’exécution sommaire, par pendaison maquillée en suicide, de Larbi Ben M’hidi, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, avec «l’assentiment tacite de sa hiérarchie militaire et d’un juge qui aurait lu le rapport sur le prétendu suicide avant que celui-ci ait eu lieu».
Dans une interview accordée au journal Le Monde, le 5 mars 2007, Aussaresses décrit dans les détails les derniers moments de Ben M’hidi : «Larbi Ben M’hidi est conduit dans la ferme désaffectée de la Mitidja d’un colon extrémiste située à 20 km au sud d’Alger. Six hommes, dont Aussaresses, préparent l’exécution en passant une corde à travers un conduit de chauffage. L’un des hommes a joué le rôle du supplicié pour vérifier que tout était au point. Il est monté sur un tabouret, a passé sa tête dans le nœud et regardé les autres, provoquant un fou rire général. Un parachutiste veut bander les yeux de Ben M’hidi. Celui-ci refuse. Il sera pendu les yeux bandés et se taira jusqu’à la fin. Pour le pendre, ils vont s’y prendre à deux fois. La première fois, la corde a cassé.»
Une brèche pour les historiens
A une vingtaine de km d’Alger, en allant vers le sud, dans la plaine de la Mitidja, parmi les colons qui préparent leur «défense et le contre-terrorisme», Robert Martel, agriculteur et propriétaire de vignes à Chebli, essaie d’attirer l’attention de tout le monde. Dès 1954, il propose au maire de sa commune la mise sur pied d’une milice. L’Union française nord-africaine est née le 25 août 1955 (Robert Martel en sera le secrétaire général en octobre de la même année). Le discours de l’UFNA est radical et milite ouvertement pour l’autodéfense des Français d’Algérie : «S’il le faut, avant d’être égorgés, nous égorgerons !» Il sera, par la suite, l’un des fondateurs de l’OAS. Les habitants de la région, encore vivants aujourd’hui, parlent de réunions fréquentes de militaires et de prisonniers torturés dans les caves, les remises et autres garages. Des messes nocturnes qui n’auguraient rien de bon.
Certains prétendent même que Paul Aussaresses venait fréquemment rendre visite à Robert Martel. L’emplacement de cette ferme concorde avec celui de l’endroit où le tristement célèbre général avoue avoir aidé ses complices à «suicider» Larbi Ben M’hidi. Les Arabes de Chebli savaient que les sales besognes se déroulaient dans cette ferme qui leur faisait peur, tant son propriétaire était redouté. La ferme s’appelait La Cigogne ; une mauvaise prononciation du nom en français en a fait d’elle «haouch cigou». Ce qui reste encore debout de la sinistre ferme de Robert Martel, théâtre probable d’innombrables crimes, témoigne d’un sombre pan de l’histoire de l’Algérie qui reste à écrire si l’on veut tourner la page sereinement et définitivement sur ce qui s’est passé loin du regard de l’historien.
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