En effet, alors que certains journaux français de droite réservaient leurs unes aux événements meurtriers de ce quartier et ne parlaient des Success Stories des Arabes, des Indiens et des Turcs de France qu’au fin fond des pages de leurs canards, Faïza visait la célébrité. Elle envisageait de devenir romancière, réalisatrice ou scénariste.
La jeune franco-algérienne se fait remarquer à l’âge de 13 ans, en fréquentant un atelier d’écriture audiovisuelle à Pantin. 4 ans plus tard, elle a écrit et réalisé 5 courts métrages en vidéo. Parmi eux, certains ont été primés dans des festivals européens. Elle a même décroché, haut la main, une subvention du Centre national du cinéma.
Grâce à son association de quartier, elle réalise en 2002 son premier court métrage. Intitulé RTT, racontant l’histoire de Zohra, une mère célibataire. Le film remporte 3 prix dans les festivals. 5 courts métrages suivront et un documentaire sur le fameux 17 Octobre 1961, (ndlr : une manifestation organisée par des Algériens à Paris pour demander leur droit à l’égalité salariale. Un événement qui s’est soldé par une attaque policière qualifiée de meurtrière).
A 18 ans, elle réalise un moyen métrage intitulé Rien que des mots, dans lequel elle fait jouer sa maman. Durant la même année, elle commence son roman Kiffe kiffe demain. Après l’avoir rédigé en une demi-centaine de pages, au stylo plume, sur les feuilles d’un classeur, son professeur de français, responsable de l’atelier d’écriture, lit ce texte, en tombe amoureux, en fait une copie en catimini et l’envoie à la maison d’édition Hachette Livre. Pour prolonger l’effet de la surprise, il n’en a même pas averti sa disciple.
7 jours plus tard, elle reçoit l’appel qui a littéralement changé sa vie de romancière amatrice. L’éditrice Isabelle Seguin lui propose de signer un contrat bien avant de terminer la rédaction du roman. Sitôt sorti en 2004, le livre a eu droit aux meilleures louages. Grâce, en partie, à cette tornade médiatique, Kiffe kiffe demain, une belle ode à l’espérance et à l’optimisme se vend à plus de 400000 exemplaires. Et ce n’est pas tout, il a été traduit dans plus de 26 langues.
« La traduction! Ce n’est que du bonheur! J’aime énormément l’univers des traducteurs. Je me plais également à travailler avec eux, dès que j’en ai l’occasion. A titre d’exemple, pour la traduction anglaise de mes deux premiers romans, je me suis fait un énorme plaisir, cela a été fascinant de collaborer avec Sarah Adams. J’ai aimé travailler avec elle précisément parce qu’elle détient l’art de rester collée et fidèle aux personnages, aux idées véhiculées par leur auteur tout en les gardant dans leur propre contexte socioculturel. C’est surprenant de se lire dans une autre langue », affirme-t-elle, non sans admiration.
Forte du succès qu’a connu son premier roman, elle publie, 2 ans plus tard, Du Rêve pour les oufs qu’elle a enchaîné en 2008 par Les Gens du Balto. Récidiviste, la jeune femme comprend qu’écrire n’est pas uniquement sa vocation, mais aussi et surtout, la garantie de sa joie de vivre. Toutefois, elle n’a pas pour autant couper le cordon avec le cinéma et l’écriture des scénarios, elle a même commencé dans l’écriture des longs métrages.
Aussi, nous apprend-elle qu’elle n’est absolument pas du genre à se laisser guider par l’intrigue d’une histoire, mais elle accorde toute la priorité aux personnages de ses romans. L’élément déclencheur dans son processus d’écriture est le fait d’avoir tous ses personnages dans sa tête, ainsi que leurs réflexes, leurs caractères, leurs rêves et leurs déchirures.
D’ailleurs, dans son roman Les Gens du Balto, l’intrigue policière qui captive le lecteur n’est qu’une suite logique des chemins de vie des personnages de Faïza Guène, à la fois entremêlés et superposés. « L’aspect policier est né du fait de suivre les personnages du Balto dans leur intimité, de suivre leurs moindres faits et gestes. De relater leurs conversations les plus douteuses et les plus redoutables. A part cela, l’intrigue policière ne fut préméditée à aucun moment de l’écriture », témoigne-t-elle.
Selon ses termes, elle « éprouve un énorme plaisir à construire un personnage, à lui inventer une vie, à lui créer des problèmes et m’amuser à les résoudre. Ce que j’aime le plus dans ce processus, c’est d’animer une vie, lui donner de l’espoir, puis l’approcher de mes lecteurs et leur montrer que nous sommes comme ces personnages ». Et lorsque vous lui posez la très classique question sur l’influence de la vie des quartiers sur les écrivains nés de l’immigration, elle vous répondra certainement que « lorsqu’on naît en France, on croit faire partie des masses jusqu’à ce que les partis de droite nous rappellent au quotidien que nous sommes des étrangers. La quête aux présidentielles et aux législatives justifient, depuis 30 ans, ce climat d’admonestation, et ce, au grand malheur de ceux qui croient en l’intégration ».
Mais la question de l’immigration est tellement inhérente à la vie de Faïza qu’elle est omniprésente dans son univers de lecture et d’écriture. Toujours selon ses mots, même ses écrivains britanniques fétiches, également issus de l’immigration, exposent cette thématique que les politiques des deux pays respectifs refusent d’enterrer. Cependant, « je ne renie pas le plaisir de comparer nos peurs, nos appréhensions, nos bonheurs et nos malheurs communs par le biais de la littérature qui sert, surtout, à adoucir les maux les plus pesants. En outre, il est indéniable que le statut social influe grandement sur l’écriture et sur la carrière d’un écrivain », entrevoit-elle.
Les voyages, eux, lui permettent d’approfondir ses connaissances sur la thématique de l’immigration. Celle dont elle parle sans clichés, sans violence et sans haine, contrairement à certains médias hexagonaux. « Avant même de partir à la découverte du monde, des ghettos et des quartiers difficiles, j’ai fait la connaissance du quartier londonien Brixton au travers de mes lectures. J’ai également pu toucher du bout des mains la vie sensible des ghettos du Brésil, de la Chine et ceux des Etats-Unis, sans oublier ceux de l’Angleterre voisine. Lors de mes déplacements, j’ai également eu la chance de défendre mes idées lorsque j’étais invitée par mes éditeurs à l’étranger. Mais lorsque les invitations émanaient des ambassades, je représentais la culture française. Il est étonnant à quel point le regard de l’autre sur nous peut changer une fois nous réussissons dans un domaine ou dans un autre. Le fait de donner le meilleur de soi-même sert en grande partie à nous débarrasser des clichés liés à notre communauté, notre premier noyau », continue-t-elle.
Retenez également que Faïza Guène a la langue bien pendue. Dans son dernier roman Un Homme, ça ne pleure pas, elle nous laisse bouche bée en entrevoyant que « personne ne repart jamais de zéro. Pas même les Arabes qui l’ont pourtant inventé ». Le 26 mars, elle participera à une rencontre autour de son livre Un Homme, ça ne pleure pas, à Paris.
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