Maurice Audin, par Mustapha Boutadjine, Paris 1996, Graphisme-collage, Extrait de «Partisans», Collection de Mme Josette Audin
Dans La vérité sur la mort de Maurice Audin, à paraître ce jeudi, le journaliste Jean-Charles Deniau affirme que le militant communiste a été exécuté sur ordre du général Massu et avec l'assentiment du pouvoir politique de l'époque.
"Ce n'est pas une bavure. c'est un crime d'Etat",a affirmé ce mercredi matin l'auteur du livre sur France Inter. Le journaliste et réalisateur fait paraître ce jeudi La Vérité sur la mort de Maurice Audin (éditions de l'Equateur) dans lequel il retrace les derniers moments du jeune mathématicien arrêté par l'armée française le 11 juin 1957 et officiellement "porté disparu" depuis.
Se fondant sur les témoignages du général Aussaresses, recueilli juste avant la mort de celui qui avait avoué la torture durant la guerre d'Algérie, ainsi que d'un de ses sous-officiers, Jean-Charles Deniau explique que le général Massu a donné l'ordre à ses hommes d'exécuter Maurice Audin. Celui-ci a été emmené dans les environs d'Alger, poignardé et enterré là.
Protéger Massu
"On pense que ce soir là, les gens qui ont exécuté Audin n'ont pas creusé une fosse. Ils sont allés là où en existait déjà une", estime l'auteur des révélations. "Les autorités algériennes devraient faire une enquête pour retrouver les lieux. Avec les témoignages dans le livre, nous avons pu définir un pourtour où Audin a été enterré." L'auteur du livre donne du crédit aux dires du tortionnaire en chef Aussaresse. "Ca a été très difficile de le faire parler", raconte-t-il toujours sur France Inter. Dans un premier temps, "il a préféré dire que c'est lui qui l'a fait", afin de protéger le général Massu. "La facilité pour lui aurait été de s'en tenir à la thèse officielle (évasion puis disparition ou mort durant une sénace de torture, ndlr)."
Reconnaissance de la France
"Dès la mort de Audin, le couvercle s'est abattu sur l'histoire et Massu, qui était à la tête de l'équipe, a fait en sorte que rien ne sorte. Et le scénario de la disparition et de l'évasion a été monté immédiatement et a tenu depuis", résume Jean-Charles Deniau.
Interrogée par France Inter, Josette Audin, veuve de Maurice, a mis en doute la validité des confessions posthumes d'Aussaresses. "Il a passé sa vie à mentir quand il ne la passait pas à tuer des Algériens. Comment croire, dans ces conditions qu’il a pu dire la vérité? Selon moi, ces gens ne sont pas crédibles (…) C’est bien que le général ait dit sa vérité mais c’est seulement sa vérité. Ce n’est pas forcément la vérité. Cette vérité, la saura-t-on un jour? Je suis sceptique à ce sujet."
Partie 1
Partie 2
.
Josette Audin : «Ce livre, avec ce titre, est un peu fait pour appâter les gens»
-A-t-on enfin la vérité sur la mort de votre mari avec ce nouveau livre ?
Non, je ne pense pas. C’est une vérité comme une autre. On a déjà imaginé tellement de choses ; c’en est une de plus qui ne me semble pas vraiment fondée. Aussaresses est un personnage en qui je n’ai personnellement aucune confiance. J’ai peut-être tort, mais je pense qu’on ne peut pas avoir plus de confiance en lui que ce qu’ont déjà imaginé d’autres. En plus, comme c’est un personnage que je n’apprécie pas, ce livre, avec ce titre, est un peu fait pour appâter les gens, et les faire acheter un ouvrage qui n’apporte rien de plus que ce qui avait été clarifié auparavant. C’est plutôt une affaire commerciale, sans doute.
-Les aveux d’Aussaresses au journaliste Jean-Charles Deniau, cela vous paraît improbable ?
Non, cela ne me paraît pas improbable. Dans la mort de mon mari, on a déjà avancé beaucoup de choses, il y a eu plusieurs versions, celle-ci n’est pas plus crédible que les précédentes. Je ne sais pas laquelle de toutes ces versions est la bonne.
-57 ans après, quel est votre sentiment aujourd’hui que l’affaire de la mort de votre mari refasse ainsi la une de l’actualité ?
Ecoutez-moi, la seule chose que je peux espérer, ce n’est pas d’avoir la vérité, je crois qu’on ne la saura jamais, la vérité. Ce que maintenant je peux espérer, c’est qu’enfin on se décide de dire, de façon claire et nette, que pendant la guerre d’Algérie, l’armée française s’est conduite d’une façon telle qu’il faut la condamner, et que cette armée a été incitée à le faire par les gouvernements français de l’époque. Par conséquent, tout cela doit être dit et condamné. Je ne pense pas qu’on puisse faire autre chose que ça, parce qu’à mon avis, on ne saura jamais comment cela s’est vraiment passé.
-Au-delà de l’assassinat de votre mari, c’est cela qui a de l’importance pour vous à présent dire la vérité sur la guerre d’Algérie ?
Oui, car cela concerne mon mari, mais cela concerne aussi tous les Algériens qui, comme lui, ont subi le même sort. Ce n’est pas un problème d’un cas isolé, mais c’est le comportement de l’armée française qui est en cause…
-Etes-vous confiante à ce sujet ? Vous aviez eu des assurances des plus hautes autorités de l’Etat parmi lesquelles le président Hollande. Avez-vous du nouveau depuis ?
François Hollande m’avait promis de m’ouvrir les cartons d’archives concernant mon mari. Il n’y avait pas grand-chose dedans. Tous ceux qui ont fait disparaître mon mari n’ont pas été assez bêtes pour consigner et garder des preuves. Si par hasard ils l’avaient été, les ministres qui sont passés, après, ont eu le temps de faire le ménage et d’enlever tout ce qui n’était pas beau à montrer. Alors, effectivement les archives, on les a eues, et elles n’ont rien apporté de particulier. Maintenant c’est trop tard, on n’aura rien d’autre.
-D’où votre appel à ce qu’on reconnaisse les faits de l’armée française durant la guerre ?
C’est tout ce qu’il y a à faire.
-Avez-vous été consultée lors de la réalisation de l’ouvrage de M. Deniau ?
Certainement pas ! Je suis fort mécontente qu’on ait utilisé le nom de mon mari pour une entreprise qui me semble être une entreprise commerciale. C’est comme ça. J’ai découvert l’existence de ce livre une fois sorti, qu’on s’était servi du nom de Maurice Audin pour se faire du fric. Cela m’a un peu fâchée.
-Avez-vous au moins reçu un exemplaire de l’ouvrage ?
Oui, la veille de sa parution, ils ont eu cette correction.
-Qu’y avez-vous trouvé d’intéressant ?
Je ne l’ai pas aimé, cela serait difficile d’aimer un livre comme celui-ci. Ce n’est pas très fondé. C’était pour mettre en valeur Aussaresses, et je ne suis pas sûre que ce soit très réussi non plus. Mais je ne suis peut-être pas un juge vraiment impartial.
Walid Mebarek
.
.
«Que les autorités françaises disent la vérité»
La Ligue des droits de l’homme a publié hier un appel aux autorités politiques françaises, estimant que «le livre avance des éléments nouveaux qui rendent indispensable que les autorités françaises disent enfin la vérité sur ces faits. D’après lui, l’ordre de tuer Maurice Audin a été donné au commandant Aussaresses par le général Massu, avec l’assentiment probable du ministre résident en Algérie, le socialiste SFIO Robert Lacoste, alors que le président du Conseil était depuis peu le membre du Parti radical, Maurice Bourgès-Maunoury.
L’enquête confirme, par ailleurs, quant à l’exécuteur du crime, les informations publiées en mars 2012 par le Nouvel Observateur. L’objectif de cet assassinat étant de faire un exemple destiné à avertir et dissuader les communistes de soutenir la lutte d’indépendance algérienne». Pour la Ligue des droits de l’homme,«il est plus que temps, un demi-siècle après ces faits, que les plus hautes autorités de la République française, comme les différentes institutions de la société, le reconnaissent».
.
Les commentaires récents