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En cette fin de l’après-midi glaciale du 3 décembre, le ciel a libéré ses gros nuages gris chargés pour se rapprocher de la ville de Tipasa, l’un des 7 sites classés par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial depuis 1982.
Des grappes humaines éparses convergeaient vers le seuil du cimetière. Il s’agit des habitants du territoire berbérophone du Chenoua. La foule a pris du volume dès l’arrivée du fourgon de couleur blanche. Les citoyens anonymes se précipitent pour porter sur leurs épaules jusqu’à la tombe du défunt « érigée » à l’entrée de cet espace des morts, le simple cercueil dans lequel se trouvait la dépouille de Si Belkacem Nedjar (77 ans). Le défunt était la mémoire incontournable du site archéologique de Tipasa.
Il a participé et a été un précieux témoin de moult fouilles effectuées sur les différentes zones de la circonscription archéologique de Tipasa (CAT), et même de Cherchell (CAC). Depuis les années 40 jusqu’au années 90 ; Si Nedjar Belkacem a toujours vécu au milieu des sites archéologiques. Ses regards tendres croisent les « ruines abandonnées » des anciennes civilisations qui avaient laissé les traces de leurs passages à Tipasa.
Combien d’archéologues algériens et français avaient eu le privilège de côtoyer Si Nedjar Belkacem durant des décennies, afin qu’il leurs explique les dates des découvertes et communiquer les noms de pionniers qui avaient fouillé les sites, lors de la mise à jour des trésors enfouis sous les sols de Tipasa.
C’était un repère. « Ils restent encore sous la terre d’autres trésors d’une valeur inestimable que nous avons volontairement abandonnés sous la terre, afin de mieux les préserver, le public l’ignore » nous a-t-il avoué un jour. Si Belkacem Nedjar avait cette géniale manière de relater l’histoire de chaque site à ses invités. Tel un prestidigitateur, son simple exposé des faits transporte dans l’imaginaire les visiteurs vers le lointain passé.
Une fois en retraite, le discret Si Belkacem Nedjar s’efface complètement, pour faire des apparitions sporadiques au milieu du parc national archéologique, situé à proximité de sa maison, afin de vivre quelques souvenirs et humer l’air du site archéologique, d’une part et d’autre part savourer furtivement dans son petit coin à l’abri des curieux regards, les rares passages des groupes de touristes dirigés par sa fille, une guide du musée de Tipasa.
Vivait-il sa retraite paisiblement ? L’algérien Mounir Bouchenaki, Directeur du Centre International d’Etudes pour la Conservation et la Restauration des Biens Culturels (Iccrom) accompagnait l’italien Mandarin Francesco, le Directeur du Centre du Patrimoine Mondial (CPM) sur le site de Tipasa le 03 février 2010. Mounir Bouchenaki, l’ex.responsable du C.A.T se détache subitement de la délégation du CPM pour se jeter dans les bras d’une frêle silhouette qui se trouvait au pied d’un arbre centenaire. Souvenirs, souvenirs. L’ex D.G de l’Unesco ; Mounir Bouchenaki ; expliquait à Francesco Mandarin, les qualités humaines et l’importance des témoignages de Nedjar Belkacem dans l’histoire des sites archéologiques de Tipasa.
Notre compatriote était très affable et disponible pour dévoiler ses connaissances. Nedjar Belkacem aura vécu toute sa vie dans la simplicité au milieu des citoyens de sa région. Il nous quitte dans les mêmes circonstances, d’une manière saine. Après un répit de quelques heures, une pluie fine commence à tomber juste après avoir mis les dernières poignées de terre sur sa tombe. La wilaya de Tipasa avait perdu un illustre personnage au début de l’année 2013, en l’occurrence Cheikh Annani Slimane (Koléa) et vient de voire partir pour l’éternité au crépuscule de la même année, un autre homme de culture, Si Nedjar Belkacem (Tipasa). Deux hommes qui avaient semé l’univers culturel, jusqu’à dépasser les frontières algériennes, en formant des algériennes et des algériens dans leurs domaines respectifs. Des bibliothèques qui s’effondrent sous le poids des âges. C’est triste, au moment où le secteur avait besoin d’eux.
M'hamed Houaoura
Nedjar Belkacem au parc archéologique de Tipasa, entre Mounir Bouchenaki et le Directeur du CPM Francesco
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