«Tout au long de sa carrière, il a embrassé la cause des peuples colonisés, opprimés, exploités, et tous ceux qui réclamaient la reconnaissance de leur dignité.»
Les amis de l’Algérie algérienne s’en vont, un à un, furtivement. Après la disparition de M. Henri Alleg, c’est au tour de M. Jacques Vergès, de s’en aller. C’est dans l’hôtel particulier de Voltaire, celui qui, trois siècles plus tôt, défend une cause perdue, l’affaire Calas, qu’il rend son dernier souffle.
Admiration, fascination et répulsion, les réactions et les avis sont partagés.
Nous rendons un vibrant hommage au brillant juriste, à l’homme engagé qui ose prendre la défense de résistants algériens, pendant les années de braises que traverse l’Algérie. Militant impénitent de la cause algérienne, il en fait son cheval de bataille.
Alors que le pays est mis à feu et à sang, la résistance s’organise, celle des femmes est particulièrement remarquable. On les appelle les poseuses de bombes et opèrent en milieu urbain, pendant la Bataille d’Alger.
Leur action marque fortement, aussi bien les esprits français, qu’algériens, tant elles symbolisent une guerre où la violence atteint son paroxysme et touche toutes les couches de la société. Le groupe dont l’action revêt un éclat retentissant, en France comme à travers le monde entier, est celui des trois Djamila qui deviennent les icônes féminines de la lutte, pour la libération algérienne.
QU’ONT-ELLES DE COMMUN ?
Etudiantes, belles, jeunes, elles préparent leur avenir. Cependant celui-ci est brouillé, assombri, par les tristes évènements qui secouent leur pays.
Habitées par un amour viscéral de la terre natale, elles ne peuvent rester indifférentes, devant tant de souffrance et s’engagent dans les rangs du FLN !
Dès le mois de mai 1956, toutes les étudiantes marquent leur engagement dans la lutte de libération nationale par un arrêt de cours : adieu, cartable, feuilles et plumes !
Ces jeunes filles, décidées, cherchent des contacts avec l’organisation secrète de résistance et sont orientées vers le réseau des bombes, dirigé par Yacef Saadi. Qualifié de réseau terroriste, Maitre Jacques Vergès réplique ironiquement aux juges: « ce sont des résistants qui ont constitué une association de résistance, en tout semblable aux résistants français lors de l’occupation.»
Entre l’année 1956-57 la guerre fait rage. En réponse à l’agression du 19 juillet 1956 où des civils français trouvent la mort, les ultras de l’Algérie française organisent un attentat de la rue de Thèbes, dans la Casbah d’Alger, dans la nuit du 10 août 1956. Cet attentat, le plus meurtrier, fait 16 morts et 57 blessés, parmi la population musulmane et marque un tournant décisif dans la guerre d’Algérie.
responsable du FLN déclare à la suite de cette agression : «jusqu’au massacre de la rue de Thèbes, nous ne faisons des attentats à Alger qu’en réponse à des arrestations massives ou à des exécutions. Mais là, nous n’avions plus le choix. Fous de rage, les habitants de la Casbah, ont commencé à marcher vers la ville européenne pour venger leurs morts… je leur ai promis que le FLN les vengerait»
Pour mettre à exécution son projet, ce responsable crée ‘le réseau des bombes ‘pris en charge par de très jeunes femmes à l’allure européenne. Elles vont sévir dans les lieux publics, à des heures où la foule se presse. Leurs actions font des centaines de morts et de mutilés.
Djamila Boupacha est l’une d’entre elles. Dès son plus jeune âge, celle-ci bénéficie d’un éveil politique précoce, puisqu’elle reçoit son initiation de militante dans le sérail familial. Elle rejoint les rangs du FLN, sous le pseudonyme de Khelida.
Accusée d’avoir posé un obus piégé à la brasserie des Facultés, le vingt sept septembre 1959, elle est arrêtée le 10 février 1960, ainsi que toute sa famille.
Emprisonnée, elle est torturée pendant plus d’un mois, et subit toutes sortes d’humiliation, infligées par les militaires, pour lui extorquer des informations. Devant son mutisme obstiné, ses tortionnaires n’hésitent pas à la mutiler affreusement.
Lors d’une visite à la prison de Serkadji, Maitre Gisèle Halimi est scandalisée par tant de cruauté et décide de prendre sa défense. Elle écrit : «j’a vu sur son corps les traces de tortures, les seins brulés par les cigarettes, les côtes brisées par les coups, j’ai décidé d’être son avocate.»
Maitre Gisèle Halimi s’est illustrée dans la défense de militants de la cause algérienne. Pour défendre la jeune militante, elle dénonce les actes de tortures inhumains, auxquels elle est soumise.
Après un procès bâclé, elle est condamnée à la guillotine. Cependant Maitre Halimi s’efforce d’empêcher son exécution, déploie une activité exemplaire et fait appel à ses amis, pour sauver la jeune militante de la guillotine.
Elle alerte l’élite intellectuelle française et les hommes politiques, les plus influents de l’époque. Elle va jusqu’à interpeler le Président de la République et son ministre qui rétorque et affirme«que la torture ne se pratique pas en Algérie»
Maitre Halimi cherche à médiatiser l’affaire Djamila, en l’exposant au grand public .Alors, elle adresse un appel pressant à Simone de Beauvoir, dont elle connait le combat anticolonial et qui fera paraitre une tribune, dans le journal le Monde, intitulée «pour Djamila Boupacha».
Dans cet article, elle dénonce farouchement l’usage massif de la torture et les pratiques odieuses que subit la jeune résistante. La lecture de ce texte provoque de vives protestations, en métropole comme à l’étranger. Cette tribune débute par cette phrase «ce qu’il y a de plus scandaleux avec le scandale, c’est que l’on s’y habitue.»
La mobilisation prend de l’ampleur, met en branle toute la société française et, en particulier, l’élite intellectuelle. On crée un comité de soutien pour Djamila Boupacha. Celui-ci compte des personnalités politiques de renom et de prestigieux intellectuels, tels que Jean Paul Sartre et Jean Amrouche.
Grâce aux manœuvres de ce comité, le tribunal d’Alger est dessaisi du dossier, au profit de celui de Caen.
Transférée à la prison de Fresnes, puis à celle de Pau, la détenue est jugée fin juin 1961. Sauvée de la mort, elle est amnistiée en application des accords d’Evian et libérée le 21 avril de l’année en cours.
Peu à peu, Djamila Boupacha, la célèbre icône de la lutte pour l’indépendance s’éclipse de la scène politique, comme d’autres femmes qui ont le sentiment d’avoir bien accompli leur mission.
Djamila Bouazza est née en 1938 et travaille au centre de chèques postaux d’Alger. C’est une jeune fille charmante, aux longs cheveux noirs, aux yeux marron clair. Ses amis étudiants ‘pieds noirs «l’appellent miss cha cha cha» et elle semble parfaitement intégrée aux mœurs de la société française. Que désire-t-elle, sinon vivre et mordre la vie à pleines dents ?
Cependant le climat de guerre et de terreur qui règne à Alger, le bruit des arrestations, des interrogatoires et les massacres de populations innocentes ne la laisse pas indifférente. Aussi, quand Djamila Bouhired essaie de la recruter, sa fibre patriotique l’incite à s’engager, sans réticence aucune, dans les rangs du FLN et devient un membre actif du réseau de bombes.
Le vingt six janvier 1957, elle reçoit pour mission de déposer une bombe dans le bar le Coq Hardi. La peur au ventre, la porteuse de l’engin de la mort, d’un pas assuré, s’avance. Grâce à un sourire féminin charmeur, sans doute, à un coup d’œil complice, elle arrive à tromper la vigilance des militaires, échappe à la fouille minutieuse et parvient à passer à travers les mailles serrées du barrage. «Pour franchir les chevaux de frise, qui ceinturaient la Casbah, les voiles enveloppants du hayek algérien servaient à des dissimulations : tantôt ce rôle était dévolu au sac de plage, porté par des minettes à l’allure européenne.»
L’engin préparé par Taleb Abderahman provoque d’énormes dégâts : c’est l’attentat le plus meurtrier. Pour les Algériens, Djamila Bouazza est une héroïne, pour les Français, c’est une terroriste qu’il faut, absolument, abattre, Maitre Vergès avance avec conviction que: « cette militante a accompli, sous l’ordre de ses chefs, une action de guerre.»
Une autre militante avoue, avoir déposé une bombe, elle dit : «oui j’en ai reçu l’ordre, comme le lieutenant aviateur qui va bombarder un douar. La bombe est un moyen de guerre, le terrorisme découle du colonialisme»
En avril 1957, elle est blessée dans une fusillade et capturée par les militaires français. Accusée d’attentat à la bombe, durant la ‘ Bataille d’Alger’ elle est traduite en justice devant le tribunal militaire permanent des forces armées d’Alger.
Son procès libère un flot de haine qui influe sur les juges eux-mêmes. Condamnée à mort, son exécution est différée par une campagne savamment orchestrée par Maitre Vergès et Georges Arnaud qui signent un manifeste, publié aux Editions de Minuit, suivi de l’ouvrage d’Henri Alleg. Ces deux écrits alertent l’opinion française et éveillent leur conscience sur les mauvais traitements infligés, par l’armée française, aux indépendantistes algériens. Cette stratégie médiatique soulève un cri d’indignation, lui apporte un soutien indéfectible et lui évite la guillotine. Elle sera graciée, après les accords d’Evian, en 1962.
L’affaire Djamila Bouhired a des répercutions retentissantes à travers le monde entier, ébranle la gente féminine et suscite, en elle, le sentiment de résistance, de témérité et de liberté. Cette jeune militante, est recrutée par Yacef Sadi qui lui demande sa collaboration, dans les attentats de la Bataille d’Alger. Elle dépose une bombe au Milk Bar, le dimanche 30 septembre 1956. Cette déflagration meurtrière cause la mort de onze morts et fait cent cinquante blessés. C’est en défendant Djamila Bouhired et en même temps Djamila Bouazza, que la carrière embryonnaire du jeune avocat prend naissance, s’épanouit pleinement et connait ses heures de gloire. «La guerre d’Algérie a été la grande école de ma vie» dira-t-il.
Cet avocat hors du commun estime «que personne n’est indéfendable et que tout le monde a droit à un avocat.» Frondeur, innovant, Maitre Jacques Vergès bouscule le rituel classique de l’acte judiciaire. Pour juger des affaires délicates, qui se démarquent de l’ordinaire, l’avocat élabore une stratégie profondément méditée, appelée défense de rupture, dans laquelle, les rôles sont inversés : l’accusé devient accusateur, on ne fait le procès pas d’un individu, mais d’un acte : « nous sommes dans des procès politiques, notre défense est politique et nous soulevons des arguments politiques» clame, avec assurance, Maitre Vergès.
Les Algériens n’ont pas à être jugés selon la constitution française puisqu’ils ne sont pas Français, « pour nous, l’Algérie n’est pas la France et les Algériens sont des résistants, en tout, semblables aux résistants français pendant l’occupation»
Lorsque le tribunal les accuse d’association de malfaiteurs, M. Vergès réplique ironiquement aux juges que «ce sont des résistants qui ont constitué une association de résistance.»
Lorsqu’on les accuse de terroristes, M. Vergès souligne que « ce sont des militants de la cause nationale qui ont accompli, sous l’ordre de leurs chefs, des actes de guerre»
Pour de plus amples informations, lisons l’extrait suivant : « s’il défendait des hommes et des femmes, qualifiés de terroristes, aux cours des procès que les autorités françaises intentaient contre les nationalistes algériens du FLN, lui faisait, en parallèle, le procès du régime colonial, assimilable à celui de la terreur. C’est dans le célèbre procès de Djamila Bouherid, que Maitre Vergès adopte ce qui deviendra la clé de voute de ses plaidoiries, la défense de rupture. Elle consiste à dire que le juge et l’accusé ont des valeurs fondamentalement différentes et inconciliables, que le dialogue est impossible et que la raison d’être du procès est critiquable» :
Pour alerter l’opinion publique, il situe le problème sur le plan international et fait retentir le bruit de l’injustice, hors des tribunaux et des frontières. Ce qui rend célèbre Maitre Jacques Vergès c’est le procès de Djamila Bouhired. Son réquisitoire s’appuie sur la reconnaissance de son action de résistante à l’occupation française, ce qui est reconnu comme un acte légitime, et qui justifierait, en partie, les actes de violence commis.
Pour les résistants algériens, le choix de la violence est le seul moyen, dont ils disposent, pour lutter contre ceux qui veulent maintenir, à n’importe quel prix, l’Algérie française.
En acceptant, de faire partie du collectif des avocats du FLN, Maitre Jacques Vergès emploie toutes les ressources de la langue française, pour venir à bout de l’injustice et défendre un cas qui parait, de prime abord, indéfendable
Oser prendre ouvertement la défense de Djamila Bouhired, qualifiée de terroriste par le régime colonial, et remettre en question la justice de son pays est un défi, un acte de témérité pour les uns, un acte d’héroïsme pour les autres.
Dans une diatribe, née sous sa plume acerbe, Maitre Vergès explique que « dans le cas des poseurs de bombes de FLN, notamment celui de Djamila Bouhired, les juges disaient de l’accusé qu’il était citoyen français, que le FLN était une organisation de malfaiteurs et que l’attentat était un crime. L’accusé, quant à lui, répondait qu’il était Algérien, que le FLN était une organisation de résistants et que l’attentat était un acte de guerre contre l’occupant.»
Politique et morale sont inséparables. Peut-on bafouer les valeurs morales pour arriver à ses fins ? Arrestations, interrogatoires musclés, massacres collectifs, villages incendiés, brutalités, la terreur, entretenue par le régime colonial, est le lot quotidien des Algériens.
Dans sa plaidoirie, qui commence ainsi « je m’incline devant les morts du Coq Hardi et du Milk Bar, comme je m’incline devant ceux de la Casbah, de Belcourt et de Bab el Oued, du stade d’Alger et de Philippeville transformé en charnier » l’avocat cherche à émouvoir sur le sort des Algériens, à exciter la terreur et la pitié pour obtenir la clémence des juges.
Dominant, la tribune, il lutte avec véhémence contre le colonialisme, non sans se faire de multiples contempteurs alors que ses laudateurs sont peu nombreux !
Toutes sortes de manœuvres sont employées pour empêcher Maitre Vergès et le collectif des avocats de soutenir l’accusation, mais celui-ci apporte, aux débats, la plus grande obstination. Les assistants insultent et menacent les avocats, ce qui fait dire à M. Jacques Vergès, non sans ironie : «sommes-nous ici dans un tribunal ou un meeting d’assassinat ?»
Magistrat rebelle et courageux, il n’hésite pas à déstabiliser, à provoquer ses adversaires ou à heurter le sentiment de la foule pour défendre une cause juste. Sa nouvelle stratégie rencontre peu d’approbation parmi les gens qui soutiennent l’action injustifiable de l’armée française, des parachutistes et les partisans de l’Algérie française. Le procès de Djamila est houleux et déchaine bien des passions. «C’est sous les huées d’une centaine de personnes que les avocats parisiens quittèrent la salle et, en proie aux cris hostiles du public, massé aux abords du tribunal, ils durent être protégés par la police pour regagner leur hôtel. » Au cours de cette audience, Maitre Vergès est traité de Chinois ce qui ne manque pas d’attiser son ire et il répond par un .sarcasme cinglant : « dois-je rappeler à ces gens, que lorsque leurs ancêtres bouffaient des glands dans la forêt, les miens construisaient des palais ? »
En effet, le sarcasme n’attire que le sarcasme ; c’est une arme facile qui ne peut que provoquer l’antipathie ou le repli sur soi. Et naturellement, Maitre Vergès excelle dans l’emploi de ce procédé linguistique, ce qui fait de lui un avocat critiqué et haï.
Il possède, en outre, l’art de tirer parti de tout ce qui peut servir l’intérêt de l’accusé dont il assume la défense car il pense que : «plus l’accusation est lourde, plus le devoir de défendre est grand.»
Au cours de sa plaidoirie, Maitre Vergès est ironique et grave, tour à tour, véhément et emporté. Il a le talent de, toujours, tenir son auditoire en éveil. Il interroge, précipite les questions, pressant, brutal, quand l’intérêt de sa cause l’exige. Ses arguments, présentés méthodiquement, amènent, chez les juges, la conviction que la cause qu’il soutient est juste. «La persuasion est au bout de ses lèvres» disent les gens.
Après ce procès retentissant qui évite à Djamila Bouhired la peine de mort, M .Jacques Vergès est, pour son insubordination, suspendu du barreau français. Sauvée de la guillotine, Djamila sera graciée en 1962, suite aux accords d’Evian.
Cet auguste magistrat milite pour la dignité des Algériens et leur droit à l’indépendance de leur pays. Maitre Jacques Vergès, cet homme au grand cœur est, aussi l’avocat des humbles.
«Tout au long de sa carrière, il a embrassé la cause des peuples colonisés, opprimés, exploités, et tous ceux qui réclamaient la reconnaissance de leur dignité.» Lors d’une interview, Maitre Vergès évoque l’histoire de l’explorateur et du lion.
Il était une fois un explorateur qui tomba devant un lion. L’explorateur apeuré dit : «Dieu, faites que ce lion ait une pensée chrétienne !»
Et le lion répondit : « Dieu, bénissez ce repas !»
Les amis de l’Algérie algérienne s’en vont, un à un, furtivement. Après la disparition de M. Henri Alleg, c’est au tour de M. Jacques Vergès, de s’en aller. C’est dans l’hôtel particulier de Voltaire, celui qui, trois siècles plus tôt, défend une cause perdue, l’affaire Calas, qu’il rend son dernier souffle.
Admiration, fascination et répulsion, les réactions et les avis sont partagés.
Nous rendons un vibrant hommage au brillant juriste, à l’homme engagé qui ose prendre la défense de résistants algériens, pendant les années de braises que traverse l’Algérie. Militant impénitent de la cause algérienne, il en fait son cheval de bataille.
Alors que le pays est mis à feu et à sang, la résistance s’organise, celle des femmes est particulièrement remarquable. On les appelle les poseuses de bombes et opèrent en milieu urbain, pendant la Bataille d’Alger.
Leur action marque fortement, aussi bien les esprits français, qu’algériens, tant elles symbolisent une guerre où la violence atteint son paroxysme et touche toutes les couches de la société. Le groupe dont l’action revêt un éclat retentissant, en France comme à travers le monde entier, est celui des trois Djamila qui deviennent les icônes féminines de la lutte, pour la libération algérienne.
QU’ONT-ELLES DE COMMUN ?
Etudiantes, belles, jeunes, elles préparent leur avenir. Cependant celui-ci est brouillé, assombri, par les tristes évènements qui secouent leur pays.
Habitées par un amour viscéral de la terre natale, elles ne peuvent rester indifférentes, devant tant de souffrance et s’engagent dans les rangs du FLN !
Dès le mois de mai 1956, toutes les étudiantes marquent leur engagement dans la lutte de libération nationale par un arrêt de cours : adieu, cartable, feuilles et plumes !
Ces jeunes filles, décidées, cherchent des contacts avec l’organisation secrète de résistance et sont orientées vers le réseau des bombes, dirigé par Yacef Saadi. Qualifié de réseau terroriste, Maitre Jacques Vergès réplique ironiquement aux juges: « ce sont des résistants qui ont constitué une association de résistance, en tout semblable aux résistants français lors de l’occupation.»
Entre l’année 1956-57 la guerre fait rage. En réponse à l’agression du 19 juillet 1956 où des civils français trouvent la mort, les ultras de l’Algérie française organisent un attentat de la rue de Thèbes, dans la Casbah d’Alger, dans la nuit du 10 août 1956. Cet attentat, le plus meurtrier, fait 16 morts et 57 blessés, parmi la population musulmane et marque un tournant décisif dans la guerre d’Algérie.
responsable du FLN déclare à la suite de cette agression : «jusqu’au massacre de la rue de Thèbes, nous ne faisons des attentats à Alger qu’en réponse à des arrestations massives ou à des exécutions. Mais là, nous n’avions plus le choix. Fous de rage, les habitants de la Casbah, ont commencé à marcher vers la ville européenne pour venger leurs morts… je leur ai promis que le FLN les vengerait»
Pour mettre à exécution son projet, ce responsable crée ‘le réseau des bombes ‘pris en charge par de très jeunes femmes à l’allure européenne. Elles vont sévir dans les lieux publics, à des heures où la foule se presse. Leurs actions font des centaines de morts et de mutilés.
Djamila Boupacha est l’une d’entre elles. Dès son plus jeune âge, celle-ci bénéficie d’un éveil politique précoce, puisqu’elle reçoit son initiation de militante dans le sérail familial. Elle rejoint les rangs du FLN, sous le pseudonyme de Khelida.
Accusée d’avoir posé un obus piégé à la brasserie des Facultés, le vingt sept septembre 1959, elle est arrêtée le 10 février 1960, ainsi que toute sa famille.
Emprisonnée, elle est torturée pendant plus d’un mois, et subit toutes sortes d’humiliation, infligées par les militaires, pour lui extorquer des informations. Devant son mutisme obstiné, ses tortionnaires n’hésitent pas à la mutiler affreusement.
Lors d’une visite à la prison de Serkadji, Maitre Gisèle Halimi est scandalisée par tant de cruauté et décide de prendre sa défense. Elle écrit : «j’a vu sur son corps les traces de tortures, les seins brulés par les cigarettes, les côtes brisées par les coups, j’ai décidé d’être son avocate.»
Maitre Gisèle Halimi s’est illustrée dans la défense de militants de la cause algérienne. Pour défendre la jeune militante, elle dénonce les actes de tortures inhumains, auxquels elle est soumise.
Après un procès bâclé, elle est condamnée à la guillotine. Cependant Maitre Halimi s’efforce d’empêcher son exécution, déploie une activité exemplaire et fait appel à ses amis, pour sauver la jeune militante de la guillotine.
Elle alerte l’élite intellectuelle française et les hommes politiques, les plus influents de l’époque. Elle va jusqu’à interpeler le Président de la République et son ministre qui rétorque et affirme«que la torture ne se pratique pas en Algérie»
Maitre Halimi cherche à médiatiser l’affaire Djamila, en l’exposant au grand public .Alors, elle adresse un appel pressant à Simone de Beauvoir, dont elle connait le combat anticolonial et qui fera paraitre une tribune, dans le journal le Monde, intitulée «pour Djamila Boupacha».
Dans cet article, elle dénonce farouchement l’usage massif de la torture et les pratiques odieuses que subit la jeune résistante. La lecture de ce texte provoque de vives protestations, en métropole comme à l’étranger. Cette tribune débute par cette phrase «ce qu’il y a de plus scandaleux avec le scandale, c’est que l’on s’y habitue.»
La mobilisation prend de l’ampleur, met en branle toute la société française et, en particulier, l’élite intellectuelle. On crée un comité de soutien pour Djamila Boupacha. Celui-ci compte des personnalités politiques de renom et de prestigieux intellectuels, tels que Jean Paul Sartre et Jean Amrouche.
Grâce aux manœuvres de ce comité, le tribunal d’Alger est dessaisi du dossier, au profit de celui de Caen.
Transférée à la prison de Fresnes, puis à celle de Pau, la détenue est jugée fin juin 1961. Sauvée de la mort, elle est amnistiée en application des accords d’Evian et libérée le 21 avril de l’année en cours.
Peu à peu, Djamila Boupacha, la célèbre icône de la lutte pour l’indépendance s’éclipse de la scène politique, comme d’autres femmes qui ont le sentiment d’avoir bien accompli leur mission.
Djamila Bouazza est née en 1938 et travaille au centre de chèques postaux d’Alger. C’est une jeune fille charmante, aux longs cheveux noirs, aux yeux marron clair. Ses amis étudiants ‘pieds noirs «l’appellent miss cha cha cha» et elle semble parfaitement intégrée aux mœurs de la société française. Que désire-t-elle, sinon vivre et mordre la vie à pleines dents ?
Cependant le climat de guerre et de terreur qui règne à Alger, le bruit des arrestations, des interrogatoires et les massacres de populations innocentes ne la laisse pas indifférente. Aussi, quand Djamila Bouhired essaie de la recruter, sa fibre patriotique l’incite à s’engager, sans réticence aucune, dans les rangs du FLN et devient un membre actif du réseau de bombes.
Le vingt six janvier 1957, elle reçoit pour mission de déposer une bombe dans le bar le Coq Hardi. La peur au ventre, la porteuse de l’engin de la mort, d’un pas assuré, s’avance. Grâce à un sourire féminin charmeur, sans doute, à un coup d’œil complice, elle arrive à tromper la vigilance des militaires, échappe à la fouille minutieuse et parvient à passer à travers les mailles serrées du barrage. «Pour franchir les chevaux de frise, qui ceinturaient la Casbah, les voiles enveloppants du hayek algérien servaient à des dissimulations : tantôt ce rôle était dévolu au sac de plage, porté par des minettes à l’allure européenne.»
L’engin préparé par Taleb Abderahman provoque d’énormes dégâts : c’est l’attentat le plus meurtrier. Pour les Algériens, Djamila Bouazza est une héroïne, pour les Français, c’est une terroriste qu’il faut, absolument, abattre, Maitre Vergès avance avec conviction que: « cette militante a accompli, sous l’ordre de ses chefs, une action de guerre.»
Une autre militante avoue, avoir déposé une bombe, elle dit : «oui j’en ai reçu l’ordre, comme le lieutenant aviateur qui va bombarder un douar. La bombe est un moyen de guerre, le terrorisme découle du colonialisme»
En avril 1957, elle est blessée dans une fusillade et capturée par les militaires français. Accusée d’attentat à la bombe, durant la ‘ Bataille d’Alger’ elle est traduite en justice devant le tribunal militaire permanent des forces armées d’Alger.
Son procès libère un flot de haine qui influe sur les juges eux-mêmes. Condamnée à mort, son exécution est différée par une campagne savamment orchestrée par Maitre Vergès et Georges Arnaud qui signent un manifeste, publié aux Editions de Minuit, suivi de l’ouvrage d’Henri Alleg. Ces deux écrits alertent l’opinion française et éveillent leur conscience sur les mauvais traitements infligés, par l’armée française, aux indépendantistes algériens. Cette stratégie médiatique soulève un cri d’indignation, lui apporte un soutien indéfectible et lui évite la guillotine. Elle sera graciée, après les accords d’Evian, en 1962.
L’affaire Djamila Bouhired a des répercutions retentissantes à travers le monde entier, ébranle la gente féminine et suscite, en elle, le sentiment de résistance, de témérité et de liberté. Cette jeune militante, est recrutée par Yacef Sadi qui lui demande sa collaboration, dans les attentats de la Bataille d’Alger. Elle dépose une bombe au Milk Bar, le dimanche 30 septembre 1956. Cette déflagration meurtrière cause la mort de onze morts et fait cent cinquante blessés. C’est en défendant Djamila Bouhired et en même temps Djamila Bouazza, que la carrière embryonnaire du jeune avocat prend naissance, s’épanouit pleinement et connait ses heures de gloire. «La guerre d’Algérie a été la grande école de ma vie» dira-t-il.
Cet avocat hors du commun estime «que personne n’est indéfendable et que tout le monde a droit à un avocat.» Frondeur, innovant, Maitre Jacques Vergès bouscule le rituel classique de l’acte judiciaire. Pour juger des affaires délicates, qui se démarquent de l’ordinaire, l’avocat élabore une stratégie profondément méditée, appelée défense de rupture, dans laquelle, les rôles sont inversés : l’accusé devient accusateur, on ne fait le procès pas d’un individu, mais d’un acte : « nous sommes dans des procès politiques, notre défense est politique et nous soulevons des arguments politiques» clame, avec assurance, Maitre Vergès.
Les Algériens n’ont pas à être jugés selon la constitution française puisqu’ils ne sont pas Français, « pour nous, l’Algérie n’est pas la France et les Algériens sont des résistants, en tout, semblables aux résistants français pendant l’occupation»
Lorsque le tribunal les accuse d’association de malfaiteurs, M. Vergès réplique ironiquement aux juges que «ce sont des résistants qui ont constitué une association de résistance.»
Lorsqu’on les accuse de terroristes, M. Vergès souligne que « ce sont des militants de la cause nationale qui ont accompli, sous l’ordre de leurs chefs, des actes de guerre»
Pour de plus amples informations, lisons l’extrait suivant : « s’il défendait des hommes et des femmes, qualifiés de terroristes, aux cours des procès que les autorités françaises intentaient contre les nationalistes algériens du FLN, lui faisait, en parallèle, le procès du régime colonial, assimilable à celui de la terreur. C’est dans le célèbre procès de Djamila Bouherid, que Maitre Vergès adopte ce qui deviendra la clé de voute de ses plaidoiries, la défense de rupture. Elle consiste à dire que le juge et l’accusé ont des valeurs fondamentalement différentes et inconciliables, que le dialogue est impossible et que la raison d’être du procès est critiquable» :
Pour alerter l’opinion publique, il situe le problème sur le plan international et fait retentir le bruit de l’injustice, hors des tribunaux et des frontières. Ce qui rend célèbre Maitre Jacques Vergès c’est le procès de Djamila Bouhired. Son réquisitoire s’appuie sur la reconnaissance de son action de résistante à l’occupation française, ce qui est reconnu comme un acte légitime, et qui justifierait, en partie, les actes de violence commis.
Pour les résistants algériens, le choix de la violence est le seul moyen, dont ils disposent, pour lutter contre ceux qui veulent maintenir, à n’importe quel prix, l’Algérie française.
En acceptant, de faire partie du collectif des avocats du FLN, Maitre Jacques Vergès emploie toutes les ressources de la langue française, pour venir à bout de l’injustice et défendre un cas qui parait, de prime abord, indéfendable
Oser prendre ouvertement la défense de Djamila Bouhired, qualifiée de terroriste par le régime colonial, et remettre en question la justice de son pays est un défi, un acte de témérité pour les uns, un acte d’héroïsme pour les autres.
Dans une diatribe, née sous sa plume acerbe, Maitre Vergès explique que « dans le cas des poseurs de bombes de FLN, notamment celui de Djamila Bouhired, les juges disaient de l’accusé qu’il était citoyen français, que le FLN était une organisation de malfaiteurs et que l’attentat était un crime. L’accusé, quant à lui, répondait qu’il était Algérien, que le FLN était une organisation de résistants et que l’attentat était un acte de guerre contre l’occupant.»
Politique et morale sont inséparables. Peut-on bafouer les valeurs morales pour arriver à ses fins ? Arrestations, interrogatoires musclés, massacres collectifs, villages incendiés, brutalités, la terreur, entretenue par le régime colonial, est le lot quotidien des Algériens.
Dans sa plaidoirie, qui commence ainsi « je m’incline devant les morts du Coq Hardi et du Milk Bar, comme je m’incline devant ceux de la Casbah, de Belcourt et de Bab el Oued, du stade d’Alger et de Philippeville transformé en charnier » l’avocat cherche à émouvoir sur le sort des Algériens, à exciter la terreur et la pitié pour obtenir la clémence des juges.
Dominant, la tribune, il lutte avec véhémence contre le colonialisme, non sans se faire de multiples contempteurs alors que ses laudateurs sont peu nombreux !
Toutes sortes de manœuvres sont employées pour empêcher Maitre Vergès et le collectif des avocats de soutenir l’accusation, mais celui-ci apporte, aux débats, la plus grande obstination. Les assistants insultent et menacent les avocats, ce qui fait dire à M. Jacques Vergès, non sans ironie : «sommes-nous ici dans un tribunal ou un meeting d’assassinat ?»
Magistrat rebelle et courageux, il n’hésite pas à déstabiliser, à provoquer ses adversaires ou à heurter le sentiment de la foule pour défendre une cause juste. Sa nouvelle stratégie rencontre peu d’approbation parmi les gens qui soutiennent l’action injustifiable de l’armée française, des parachutistes et les partisans de l’Algérie française. Le procès de Djamila est houleux et déchaine bien des passions. «C’est sous les huées d’une centaine de personnes que les avocats parisiens quittèrent la salle et, en proie aux cris hostiles du public, massé aux abords du tribunal, ils durent être protégés par la police pour regagner leur hôtel. » Au cours de cette audience, Maitre Vergès est traité de Chinois ce qui ne manque pas d’attiser son ire et il répond par un .sarcasme cinglant : « dois-je rappeler à ces gens, que lorsque leurs ancêtres bouffaient des glands dans la forêt, les miens construisaient des palais ? »
En effet, le sarcasme n’attire que le sarcasme ; c’est une arme facile qui ne peut que provoquer l’antipathie ou le repli sur soi. Et naturellement, Maitre Vergès excelle dans l’emploi de ce procédé linguistique, ce qui fait de lui un avocat critiqué et haï.
Il possède, en outre, l’art de tirer parti de tout ce qui peut servir l’intérêt de l’accusé dont il assume la défense car il pense que : «plus l’accusation est lourde, plus le devoir de défendre est grand.»
Au cours de sa plaidoirie, Maitre Vergès est ironique et grave, tour à tour, véhément et emporté. Il a le talent de, toujours, tenir son auditoire en éveil. Il interroge, précipite les questions, pressant, brutal, quand l’intérêt de sa cause l’exige. Ses arguments, présentés méthodiquement, amènent, chez les juges, la conviction que la cause qu’il soutient est juste. «La persuasion est au bout de ses lèvres» disent les gens.
Après ce procès retentissant qui évite à Djamila Bouhired la peine de mort, M .Jacques Vergès est, pour son insubordination, suspendu du barreau français. Sauvée de la guillotine, Djamila sera graciée en 1962, suite aux accords d’Evian.
Cet auguste magistrat milite pour la dignité des Algériens et leur droit à l’indépendance de leur pays. Maitre Jacques Vergès, cet homme au grand cœur est, aussi l’avocat des humbles.
«Tout au long de sa carrière, il a embrassé la cause des peuples colonisés, opprimés, exploités, et tous ceux qui réclamaient la reconnaissance de leur dignité.» Lors d’une interview, Maitre Vergès évoque l’histoire de l’explorateur et du lion.
Il était une fois un explorateur qui tomba devant un lion. L’explorateur apeuré dit : «Dieu, faites que ce lion ait une pensée chrétienne !»
Et le lion répondit : « Dieu, bénissez ce repas !»
.
par Meriem Mahmoudi
.
Sources :
1 Voltaire, l’affaire Calas, p 170, Collection Lagarde et Michard, XVIIIe siècle.
2 : Internet.
1 Voltaire, l’affaire Calas, p 170, Collection Lagarde et Michard, XVIIIe siècle.
2 : Internet.
Les commentaires récents