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Comment ont-ils pris le pouvoir ? Dans quelles circonstances l’ont-ils quitté ? Comment s’est organisée leur succession ? C’est à ces questions cruciales que se propose de répondre cette série d’enquêtes consacrée aux principaux chefs d’Etat qui ont présidé aux destinées de notre pays depuis l’Indépendance. Il ne sera donc pas ici question de dresser un bilan de leur gestion ; notre propos est de nous arrêter exclusivement sur ces deux séquences-clés tant elles sont révélatrices des processus d’accession au pouvoir en Algérie.
A quelques mois de l’expiration du 3e mandat de Bouteflika, dans un contexte où la maladie du Président alimente toutes les supputations sur sa succession, il nous a paru utile d’esquisser cette rétrospective avec l’espoir que les démiurges qui s’agitent dans les «laboratoires du système» osent, pour une fois, le pari d’un président jouissant véritablement de la «légitimité populaire».
1re partie : Ahmed Ben Bella, le président du clan d’Oujda
18 mars 1962. Après six ans de détention dans différentes prisons françaises, Ahmed Ben Bella est enfin libéré. Il quitte la France pour Le Caire, sa ville de cœur, y retrouve son meilleur allié, Gamal Abdenasser, avant d’aller à Tunis scander «Nous sommes Arabes ! Nous sommes Arabes ! Nous sommes Arabes !», sous le regard ulcéré de Bourguiba. Passée l’euphorie, place à la politique.
Mai 1962 : Ben Bella prend le chemin de Tripoli pour participer au premier CNRA d’après-guerre. Décisif pour la suite des événements. De ce conclave va sortir, escompte-t-on, la nouvelle direction du pays. En toile de fond, des luttes féroces entre frères ennemis.
Le sang des martyrs n’a pas encore séché que les chefs de la Révolution s’étripent déjà dans une guerre autrement plus terrible, dont l’enjeu est la prise du pouvoir. En gros, deux blocs vont s’affronter avant même la proclamation de l’indépendance : le GPRA d’un côté, l’armée des frontières de l’autre. En somme, le politique et le militaire, soit les mêmes termes de l’équation formulée par Abane Ramdane. «Les mois qui précèdent le cessez-le-feu ont été une période de grande tension, aussi bien dans les rangs de la révolution que dans les prisons où, malgré leur privation de liberté, les ministres (les chefs historiques détenus au Château d’Aulnoy, ndlr) ne sont pas de simples spectateurs du conflit entre le GPRA et l’état-major. Chacun des protagonistes cherche à se les allier», écrit Harbi dans Le FLN, Mirage et réalité(1).
Pacte «faustien» avec Boumediène
Ben Bella avait d’emblée choisi son camp : l’armée des frontières du colonel Boumediène, forte de 35 000 hommes. Fait bien connu mais qui mérite d’être rappelé : c’est Bouteflika qui a servi d’intermédiaire entre Ben Bella et le chef de l’état-major général.
Flash-back : en décembre 1961, le capitaine Abdelaziz Bouteflika est dépêché par Boumediène en France pour faire du lobbying auprès des cinq prestigieux détenus du Château d’Aulnoy (voir le témoignage de Rédha Malek). Rappelons que Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mostefa Lacheraf, Mohamed Khider et Ahmed Ben Bella avaient été arrêtés cinq ans auparavant, le 22 octobre 1956 exactement, après que l’avion d’Air Atlas qui devait les ramener de Rabat à Tunis eut fait l’objet d’un acte de piraterie aérienne de la part de l’aviation française.
Ben Bella est fortement séduit par l’offre de l’émissaire de Boumediène et conclut un véritable pacte «faustien» avec le chef du «clan d’Oujda». «Boumediène avait besoin d’un politique et Ben Bella d’un fusil», résume Rédha Malek dans L’Algérie à Evian. «N’ayant aucune féodalité militaire sur laquelle s’appuyer comme le triumvirat des ‘3B’, il s’est rapidement rendu compte de l’importance du poids du clan d’Oujda pour la prise du pouvoir en Algérie», appuie Abdelkader Yefsah dans La Question du pouvoir en Algérie.(2)
Dans sa stratégie de conquête du pouvoir, Ben Bella s’attache, malgré tout, à mettre les formes. Il fait un forcing pour convoquer une réunion du CNRA, l’instance suprême de la Révolution algérienne, contre l’avis du GPRA. Les travaux du CNRA s’ouvrent le 27 mai 1962. Si le Programme de Tripoli est adopté sans encombre, la formation du bureau politique du FLN, primordiale dans l’architecture du nouvel édifice institutionnel du pays, exacerbe les divisions. Deux listes vont s’affronter : celle de Ben Bella et celle de Krim Belkacem. Le vote ne parvient pas à les départager. Et pour ne rien arranger, Ben Khedda (président du GPRA), quitte intempestivement le conclave. Le premier CNRA de l’indépendance, qui était censé jeter les bases du nouvel Etat, se termine par un clash, renvoyant dos à dos les protagonistes et leurs cliques respectives sans le moindre consensus.
«Sabaâ snin barakat !»
A partir de là, l’Algérie s’enlise dans le chaos. La patrie fraîchement libérée est au bord de la guerre civile. C’est la fameuse «crise de l’été 1962» marquée par le «wilayisme». De fait, des combats fratricides vont opposer les Wilayas pro-GPRA (la III et la IV notamment) et les Wilayas pro-EMG. Ces affrontements feront plus de mille morts, obligeant le peuple à sortir dans la rue aux cris de «Sabaâ snin barakat !» pour arrêter le massacre. Pendant ce temps, Ben Bella installe son QG à Tlemcen.
«Le 12 juillet, A. Ben Bella rentrait en Algérie dans les camions de l’armée des frontières», écrit Abdelkader Yefsah(3) avant d’ajouter : «Le 22 juillet, il annonçait la mise en place de son ‘bureau politique’ à Tlemcen qu’il déclara ‘habilité à prendre en main les affaires du pays’. Ce BP constituera en quelque sorte un contre-pouvoir au GPRA, tout comme Tlemcen, une contre-capitale.» Le 3 septembre, il donne l’ordre, à partir d’Oran, de marcher sur Alger. Le 9 septembre 1962, les contingents de la Wilaya IV se retirent de la capitale et laissent le champ libre à l’armée des frontières qui, le jour même, devient «Armée nationale populaire», selon Harbi.
Le 20 septembre 1962 ont lieu les élections de l’Assemblée constituante. Celle-ci est présidée par Ferhat Abbas. Le 27 septembre 1962, Ben Bella devient président du Conseil (c’est à dire chef du gouvernement) sur les décombres de l’Exécutif provisoire présidé par Abderrahmane Farès.
Ben Bella songe immédiatement à se blinder en se dotant d’une Constitution sur mesure. Fait cocasse : la Loi fondamentale de 1963 est élaborée à la salle Majestic (Atlas) de Bab El Oued, loin du contrôle des députés. Ferhat Abbas y voit une insulte à sa fonction et claque la porte. Selon le témoignage de Khalfa Mammeri, auteur de L’Indépendance confisquée, Ferhat Abbas aurait eu ces mots cinglants : «On ne prostitue pas la Constitution dans une salle de cinéma !»
Voir Pelé et mourir
La Constitution de Ben Bella sera malgré tout adoptée par l’Assemblée constituante le 28 août 1963 et par voie référendaire le 8 septembre. Le 11 septembre 1963, Ben Bella est désigné par l’appareil du FLN candidat unique à la présidence de la République. Le 15 septembre 1963, il devient officiellement le premier Président de l’Algérie indépendante.
Ben Bella aura un immense avantage sur ses successeurs : il accapare tout le prestige de la Révolution algérienne. Toutes les icônes révolutionnaires du XXe siècle paradaient à Alger. Il suffit de rappeler que c’est à Alger que Che Guevara prononça son dernier grand discours. C’était le 24 février 1964.
Grisé par le pouvoir, exalté par son nouveau statut de leader parmi les leaders du Tiers-Monde, Ben Bella en vient à oublier les autres réalités du pouvoir et les «mines antipersonnel» truffant le sérail. Fort de sa stature internationale, il ne veut plus être l’otage du clan d’Oujda, lui qui tutoyait Gamal Abdenasser, Nehru, Tito, Che Guevara, Nelson Mandela, Fidel Castro, Sékou Touré, Chou En-Lai… Après avoir écarté Khider, Medeghri et Bouteflika, il était décidé à limoger son dauphin. Mais le très habile successeur de Boussouf le prend de court. Le 19 juin 1965, Ben Bella est renversé par son ministre de la Défense, le colonel Boumediène. Deux jours avant le pronunciamiento, le 17 juin 1965, le président Ben Bella s’offrait un dernier caprice : serrer la main au roi Pelé. C’était à l’occasion d’un match amical entre l’Algérie et le Brésil, disputé au stade municipal d’Oran et remporté par la Seleçao par 3 buts à zéro. Ce n’est un secret pour personne : Si Ahmed était un grand amateur de football. Il avait même évolué, dans sa jeunesse, sous les couleurs de l’Olympique de Marseille. Ben Bella était sans doute un bon dribbleur. Mais la défense était trop forte…
Notes :
1) Mohamed Harbi. Le FLN, Mirage et réalité (Editions J. A., 1980, p. 372)
2) Abdelkader Yefsah. La Question du pouvoir en Algérie (ENAP, 1990, p. 69)
Idem (p. 89)
Ben Bella-Bouteflika-Boumediène : l’autre triumvirat des «3B»
Dans L’Algérie à Evian, Rédha Malek livre des détails croustillants sur l’épisode d’Aulnoy quand Bouteflika avait scellé, au nom de Boumediène, une alliance stratégique avec Ben Bella. Le récit qu’il en fait est basé sur un entretien que l’auteur a eu avec Bouteflika lui-même, le 13 juin 1989. «Début décembre 1961. Un jeune émissaire, Bouteflika, est dépêché par Boumediène auprès des ministres emprisonnés. Khatib, ministre marocain des Affaires africaines, organise le déplacement. Boukharta, un membre de son cabinet, prête son nom et son passeport à Bouteflika qui, après une escale technique à Madrid, arrive à Orly où il est pris en charge par Abdelkader Benslimane, n°2 de l’ambassade marocaine. Il sera son hôte pendant trois jours.
En fait, Bouteflika passe plus de temps à Aulnoy que chez le diplomate marocain. Chaque jour, de 10h du matin à une heure avancée de la nuit, il déjeune, dîne et discute avec ses aînés incarcérés, en particulier avec Ahmed Ben Bella» (in : L’Algérie à Evian, éditions Dahlab, 1995, p. 191). Contrairement à Boudiaf et Aït Ahmed qui refusent de marcher dans la combine, «Ben Bella, lui, n’a pas d’état d’âme. Il s’aligne sur l’état-major», note Rédha Malek. «Ben Bella lui communique un numéro de téléphone personnel et lui confie une lettre manuscrite pour Boumediène.» Quelques jours après cette visite, poursuit Rédha Malek, «Boumediène et Ben Bella ont un entretien téléphonique. Ils se disent très satisfaits de la mission de Bouteflika. L’alliance est scellée.».
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Mustapha Benfodil
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