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Plus habitué aux règlements de comptes internes qu’au déballage public, Alger est confronté à l’un des plus gros scandales de corruption de son histoire. En ligne de mire, le président Bouteflika et les élections présidentielles de 2014.
Les nuages s’accumulent pour le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, avec une tendance à l’orage. À l’origine des remous qui secouent le pouvoir depuis trois ans, la Sonatrach. Première entreprise du continent africain, la compagnie nationale de production d’hydrocarbures représente de loin, pour l’Algérie, la première source de devises grâce aux exportations. Une manne financière qui suscite envies et convoitises. L’affaire Sonatrach, qui a éclaté au début de l’année 2010, compte aujourd’hui plusieurs volets qui font l’objet d’enquêtes de la part du Département du renseignement et de la sécurité (DRS). La dernière en date, partie d’Italie en février 2013, menace désormais les plus proches cercles du pouvoir, sur fond de lutte de clans à l’approche de l’élection présidentielle qui doit se tenir en 2014 dans le pays.
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Pots-de-vin italiens
Le Parquet de Milan a déclenché la tempête en ouvrant, le 7 février dernier, une enquête pour “corruption internationale” contre Paolo Scaroni, le sulfureux dirigeant du géant du secteur de l’énergie italien, ENI. Déjà connu des juges pour son rôle dans l’affaire de corruption “Tangentopoli”, au début des années 1990, il avait été condamné à un an et demi de prison – qu’il n’a jamais purgé car la sentence n’était pas exécutoire. La maison mère et sa filiale Saipem sont aujourd’hui soupçonnées d’avoir versé des pots-de-vin à des membres du gouvernement algérien et à des dirigeants de la Sonatrach pour obtenir huit contrats dans le cadre de la construction du gazoduc Medgaz (inauguré en 2011 et qui relie l’Algérie à l’Espagne) et de l’exploitation du gisement Menzel Ledjmet Est (mis en service début 2013), entre 2007 et 2009. Les montants en jeu sont suffisamment importants pour susciter la convoitise : les contrats, dont la valeur a été évaluée à 11 milliards d’euros, auraient fait l’objet d’un versement de commissions d’un montant de 197 millions d’euros de la part d’ENI, par l’intermédiaire d’une société basée à Hong Kong. L’entreprise et son directeur ont cependant assuré, dans un communiqué diffusé début février 2013, être étrangers aux pratiques de la Saipem et annoncent vouloir collaborer avec la justice italienne pour faire la lumière sur l’affaire. Les principaux dirigeants ont dû démissionner de leur poste au sein de la filiale d’ENI.
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Scandale au sommet
L’ancien ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil– par ailleurs ami de Abdelaziz Bouteflika et né à Oujda comme lui –, est dans le collimateur des enquêteurs du DRS. Après dix ans d’exercice, il est débarqué au moment du démarrage de l’affaire, en 2010. Les perquisitions menées par les policiers dans deux de ses propriétés, le 25 mars dernier, devaient permettre d’en savoir plus sur le rôle joué par cet ancien homme fort du gouvernement. Mais les enquêteurs n’ont trouvé qu’un appartement vide et une porte fermée qu’ils n’ont pas réussi à forcer, leur interdisant l’accès au deuxième appartement de Chakib Khelil. Selon l’hebdomadaire Jeune Afrique, qui rapporte l’information, la porte avait été renforcée il y a peu… La justice a mis beaucoup de temps à se pencher sur le cas de l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines. Mohamed Meziane, un autre ancien dirigeant de la Sonatrach, a, lui, été placé sous contrôle judiciaire en 2010, puis condamné à deux ans de prison, dont un ferme, bien qu’il ait explicitement déclaré avoir agi uniquement sur ordre du ministre... Une situation qui laisse à penser que le président algérien tente d’éviter la contagion des scandales en la limitant à un certain niveau de la hiérarchie. La mise en cause de Chakib Khelil par la justice pourrait en effet avoir pour conséquence de lever le voile sur la responsabilité du premier cercle présidentiel.
L’invité surprise de cette retentissante affaire de corruption au sommet de l’État n’est cependant pas un ministre. Le scandale s’étend dorénavant au frère du président, Saïd Bouteflika, et donc au président lui-même. Jusque-là conseiller de ce dernier, il aurait été écarté de ses fonctions la semaine dernière par Abdelaziz Bouteflika, d’après Le Quotidien d’Oran et El Watan. La nouvelle a suscité de nombreux commentaires dans la presse algérienne, d’aucuns voyant dans cette mise à l’écart une tentative de mettre à l’abri son frère, et d’autres un premier pas du président vers une candidature à un quatrième mandat à la tête de l’État algérien. Les nominations et les limogeages des conseillers n’étant traditionnellement pas confirmés par voie officielle, il faudra cependant attendre les prochains déplacements du président pour avoir la confirmation de la mise à l’écart de Saïd Bouteflika.
Règlement de comptes ?
La bataille engagée autour du scandale Sonatrach n’est sans doute pas étrangère au scrutin à venir. Déjà à son troisième mandat, le président algérien, élu en 1999, n’a pas encore fait savoir s’il souhaitait en briguer un quatrième lors des élections prévues l’année prochaine. Mais les luttes de clans sont monnaie courante entre les différentes factions qui composent le Front de libération nationale (FLN), auquel appartient Bouteflika. Le DRS s’est montré lui-même particulièrement actif dans l’enquête sur le scandale de corruption touchant le géant national des hydrocarbures. À un an d’élections cruciales et dans un pays verrouillé par les services de sécurité, il est difficile de croire que les deux événements soient déconnectés. Les enquêtes peuvent être interprétées comme une tentative du DRS de gêner le président pour les élections à venir, voire de le dissuader de se présenter à nouveau.
Abdelaziz Bouteflika doit aussi faire face à un autre obstacle s’il souhaite se présenter en 2014. Âgé de 76 ans, son état de santé n’est pas excellent, et il n’est pas certain que le président puisse repartir pour cinq ans à la tête du pays. Victime, selon le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, d’un “accident ischémique transitoire sans séquelles” (un accident vasculaire cérébral), il a été hospitalisé le 27 avril à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, en France. De là à penser que le problème de santé de Abdelaziz Bouteflika aurait été provoqué par ses ennuis politiques et par la possible mise à l’écart de son frère, il n’y a qu’un pas que beaucoup de médias algériens se sont empressés de franchir. Officiellement, le président ne souffre cependant d’aucune séquelle, et son état ne susciterait “aucune inquiétude”, toujours d’après le Premier ministre. Abdelaziz Bouteflika est pourtant atteint d’un autre mal : un câble Wikileaks révélait, en février 2011, qu’il souffrait d’un cancer gastrique. Politiquement, la santé du président n’est pas très stable non plus.
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Hydrocarbures. L’empire Sonatrach Première entreprise du continent africain, la Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach) n’est pas seulement la vache à lait de politiciens et de membres de l’administration corrompus. Créée au lendemain de l’indépendance, elle figure 14ème sur la liste des plus grosses entreprises mondiales d’hydrocarbures. Le monopole algérien a réalisé un chiffre d’affaires de 56,1 milliards de dollars en 2010 (476,6 milliards de dirhams). La Sonatrach est le 3ème exportateur mondial de gaz de pétrole liquéfié (GPL) et le 5ème exportateur mondial de gaz naturel. L’entreprise avait récemment défrayé la chronique lors de la spectaculaire prise d’otages d’In Amenas, qui s’était déroulée sur l’un de ses sites, et qui s’était soldée par la mort de 38 otages et de 29 des 32 assaillants. |
Par : Vladimir Slonska-Malvaud
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