La Casbah s'écroule...
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Entre la Casbah d’antan et celle d’aujourd’hui, tout semble avoir changé. Celle d’avant était belle, celle d’aujourd’hui défigurée. Les murs de la Casbah s’écroulent sous le poids des années et des siècles. La mémoire matérielle s’effondre ainsi et sa restauration devient difficile. Si certaines « douérates » ou maisonnette sont épargnées par les ravages de toute sortes, d’autres par contre s’effacent de la carte définitivement… Dans ce qui suit suivez-nous dans une visite peu commune…
La Casbah a été inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, il y a 21 ans, en 1992. Tous les ingrédients sont réunis à la Casbah pour faire d’elle ce qu’elle est devenue aujourd’hui vétuste et livrée à elle-même. La restauration étape pourtant décisive peine à arriver. On est à l’étape des travaux d’urgence qui consiste à étayer les maisons pour leur éviter de s’écrouler. Certains habitants (propriétaires ou locataires) de la Casbah s’empressent, ils veulent la quitter.
A la Casbah,on peut tomber sur des douérates où plusieurs familles ou grandes familles y cohabitent. La famille Amani se compose du père, de la mère et de leurs 5 enfants (15 ans, 14 ans, 10 ans, 8 ans et 3 ans), ils vivent dans une seule chambre. Leur douéra est située à la rue Hamiti Belkacem. Plusieurs frères occupent la douéra, les frères sont tous mariés et ont des enfants. La famille Amani a hérité la maison de père en fils, bien avant la guerre de libération nous dit-on. Comme les Amani, plusieurs familles s’entassent dans les douérates dans une Casbah qui tourne le dos au reste du monde. Mais il suffit de s’y aventurer pour réaliser à quel point la Casbah va mal.
Porte dans une ruelle à la Casbah
Pour atteindre la Casbah, nous sommes passés par le chemin le plus connu de tous (du moins les habitués) et le plus court, celui du Sahat Echouhada (Place des martyrs). L’imposante mosquée Ketcheoua (située dans la Basse Casbah, fondée en 1436) « cachée » derrière les bâtisses gigantesques de l’époque coloniale s’offre à notre regard timidement. Comme à l’accoutumée Sahat Echouhada est animée. Les bus archi pleins pour la plupart font leur va et vient quotidien transportant les passagers désirant atteindre les environs d’Alger. À cet endroit de la capitale, le métro d’Alger est en chantier. Le bruit des engins y est strident, il se mêle aux vrombissements des moteurs des voitures. Les vendeurs exposent leurs marchandises dans les moindres recoins, occupant trottoirs et ruelles, les mendiants tendent leurs mains espérant recevoir de l’aumône…
Plus loin, nous abordons la rue Professeur Soualah, une grande affiche y est érigée nous annonçant que le secteur est classé comme patrimoine sauvegardé. Nous empruntons l’escalier baptisé en nom du professeur Soualah, plus haut nous tombons sur des ruines dont un mur avec une porte en forme d’une voûte au milieu, la porte donne sur un terrain sauvage. Les ornements sur la porte nous renseignent que cette porte fait bel et bien partie de cette Casbah en ruine mais qui résiste encore.
Nous entrons dans une maisonnette en plein cœur de la Casbah, à la rue Hamiti Belkacem autrefois baptisée rue Darfour, M’hamed Guediche 45 ans nous invite à entrer chez sa mère. Comme M’hamed, plusieurs habitants de la Casbah que nous avons croisés sur notre chemin voulaient absolument s’exprimer pour raconter leur quotidiens difficiles.
Khalti Zobeida raconte sa participation à la Guerre de libération…
A peine arrivés chez les Guediche, au seuil nous apercevons Sakina ,57 ans, habillée en robe de couleur vert pistache, portant un foulard à l’intérieur d’une pièce très exiguë, ou est installée une cuisinière sur laquelle se trouve une casserole de lait. Sakina est la tante maternelle de M’hamed, célibataire, qui vit chez sa sœur Zobeida.
M’hamed appelle sa mère qui est en train de faire la sieste. « Maman on a de la visite. Réveille-toi stp ! ». Nous nous approchons de la pièce où se trouve khalti Zobeida 76 ans, moudjahida. Elle vit à la Casbah depuis plus de 60 ans. Elle a 6 enfants tous mariés. Un d’entre eux est parti vivre ailleurs à Alger. Les autres sont restés à la Casbah et vivent à deux pas de chez elle. À l’intérieur une forte odeur de café nous effleure le nez, il n’est que 14h30 est on prépare déjà le café au lait. Ici le temps se fige ou plutôt il est sans repères, il est déréglé.
Khalti Zobeida avec son fils M'hamed
En entendant son fils l’appeler, Zobeida se lève et s’assoit. Elle semble porter sur son dos le poids des années, elle a l’air fatigué mais se montre accueillante malgré tout… Son regard dégage une certaine fierté. Elle nous raconte avoir été moudjahida. Elle nous montre deux trous au niveau du crâne. « C’est un soldat français qui m’a asséné un coup sur la tête à l’aide d’une barre de fer parce que j’aidais les moudjahidines … ». Assez concaves, les deux trous ont failli couter la vie à khalti Zobeida. Il y a 19 ans, elle a subi une opération chirurgicale car du sang s’est entassé dans une partie de son cerveau à cause du coup qu’elle a reçu selon ce que les médecins lui ont expliqué.
La pièce où se trouve Zobeida sert de chambre à coucher mais aussi de salle de bain. Dans la pièce, une petite fenêtre donne sur un décor apocalyptique, un tas de maisons effondrées. Cette partie de la Casbah semble s’effacer définitivement. Chats errants, borgnes, aux pattes blessées et détritus ... occupent désormais les lieux .Les chats à la Casbah subissent aussi comme les humains la décadence de la Casbah. Zobeida nous dit espérer un jour sortir de cette maison et avoir une maison plus spacieuse. « Le jour de ma mort je voudrai qu’on me lave dans un endroit spacieux » souhaite-elle.
Ce diaporama vous montrera un des visages de la Casbah. Une Casbah qui malheureusement cède sous le poids du temps...
Atteindre 60 ans pour avoir droit à une prime de chômage :
Sakina a toujours vécu chez sa sœur Zobeida. Aujourd’hui âgée de 57ans, Sakina ne reçoit aucune prime. Elle espère pourtant un jour en avoir droit. Elle a déjà déposé un dossier pour percevoir une prime de chômage. « Plusieurs fois, on m’a promis de m’accorder cette prime. Finalement on m’a dit d’attendre que j’atteigne 60 ans pour en avoir droit ».
Sakina de la famille Guediche
Des artisans que la Casbah a vue grandir…
Les quatre amis d’enfance que nous avons rencontrés à la rue de la Casbah, la principale artère de la Casbah, le point de rencontre de quatre chemins ont exprimé leur désir de voir la Casbah retrouver sa vie d’antan : animée, conviviale, chaleureuse... Trois d’entre eux sont artisans de père en fils, le quatrième est cartographe. Guerre de libération, européens, la langue arabe et française, les anciens propriétaires de la Casbah qui faisaient très attention pour la préserver de l’eau…ce sont là des sujets qui se sont invités à notre discussion avec ces amis d’enfance.
Mahiout Khaled dans son atelier dont le registre de commerce remonte aux années 30 du siècle dernier. Il l'a hérité de son oncle
En tous cas, il n’y a pas un endroit à la Casbah qui soit dépourvu d’une dimension multi historique. C’est inévitable. Chaque endroit évoque un épisode de l’Histoire de la Casbah. Dans l’atelier de Mahiout Khaled,un des quatre amis d’enfance , il y a un abri enfoui qui autrefois avait servi les moudjahidines durant la bataille d’Alger, une sorte de boite aux lettres nous dit-on.
La boite aux lettres qui avait servi pendant la guerre de libération nationale aux moudjahidines pour cacher des documents
Farid Smallah né à la Casbah, est un autre artisan dont l’atelier se trouve plus bas que l’atelier de Mahiout . Farid 31 ans, s’est lancé dans son métier artisanal en 2006. Il occupe un local en plein rue de la Casbah, sous la forme d’une voute (forme architecturale propre à la Casbah). Farid fait de la décoration sur bois, il est artisan dessinateur. Il nous dit avoir appris ce métier en autodidacte grâce à l’aide de son maitre Mustapha Bendbagh aujourd’hui décédé et dont il célèbre les réalisations et son héritage.
Une Casbah qui résiste au temps ,à la négligence humaine
Pourquoi l’état de Casbah s’est –il dégradé ? Farid explique que cela est dû à deux facteurs. L’eau et la négligence humaine. « Les infiltrations d’eau ont fait que la Casbah aujourd’hui est rongée de l’intérieur et du coup elle s’effrite » explique-t-il. Pour lui, la Casbah n’a pas été construite par les Ottomans comme ils veulent nous faire croire, mais par les Berbères. Notre interlocuteur, préfère nous parler Histoire. Farid affiche un large sourire et il est fier de son métier mais tient à nous évoquer les Zirides à travers l’Histoire et oublie de nous parler de son métier.
On est en plein mois de mai et la pluie est au rendez-vous à la Casbah. Les ruelles de la Casbah sont mouillées offrant un beau paysage. Le silence semble régner en maitre. Les douérates ont cette particularité de tourner le dos à l’extérieur mais dès que vous vous aventurez à l’intérieur plusieurs secrets se livrent à vous …
Avis d’une conservatrice sur l’état de la Casbah :
« Il est urgent de passer à l’étape de la restauration » :
Notre interlocutrice a préféré s’exprimer anonymement. Elle apporte des explications sur les travaux qui servent à sauvegarde la Casbah. Elle assure que les travaux qu’on est en train d’effectuer à la Casbah sont, selon le jargon des spécialistes : « des travaux d’urgence ». Des étaiements avec du bois rouge pour soutenir les murs, les dalles…Donc on n’est pas encore arrivés à l’étape de la restauration. Celle –ci tarde à venir et pour cause c’est « l’éternel problème du relogement » qui freine l’avancement du projet de restauration.
Notre spécialiste affirme qu’un délai de 6 mois à 12 mois est requis pour passer à cette étape. Car les étaiements qui vont être enlevés par la suite s’ils restent longtemps fixés là, ils vont endommager les constructions.
Ce sont les bureaux d’études composés d’équipes de chercheurs et spécialistes qui se chargent de ces travaux. Tout est donc bien étudiée selon notre interlocutrice.
Signe amazigh, les croix gammées, MCA…signes taguées sur l’un des murs extérieurs de la Casbah
Un vieil homme habitant de la Casbah. Il venait d'achever ses ablutions. La douéra où il vit nous montre un intérieur qui a su garder tout son charme malgré sa vétusté
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