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Train de vie impérial, dépenses somptuaires, faste et bling-bling, l’Etat s’asphyxie dans ses comptes spéciaux, se noie dans ses puits tarissables de pétrole. Des salaires mirobolants, des privilèges innombrables et démesurés, des résidences somptueuses, l’Etat et ses agents baignent dans le luxe indécent, dépensent sans compter, sans rendre véritablement compte de l’utilisation de l’argent public. Un «Etat de la gabegie» dont les dirigeants confondent souvent «bien public» et «bien privé», richesse monétaire et développement. «L’Algérie n’est pas la Suède», dixit Daho Ould Kablia, le ministre de l’Intérieur (entretien au Soir d’Algérie, édition 8 novembre 2012).
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Hémicycle Zighout Youcef, mardi 25 septembre. Une heure avant le «grand oral» du frais Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Aux abords du siège de l’APN, c’est le défilé incessant de rutilantes berlines, dont les prix de certaines dépassent les 15 millions de dinars (1,5 milliard de centimes). Les nombreux parkings de l’APN affichent le trop-plein. Toutes les grandes marques de l’UE s’y retrouvent dans la promiscuité charnelle du pouvoir et de l’argent. Une préférence particulière pour les Allemandes et les marques françaises, fournisseurs «historiques» du gouvernement et de la haute administration. Des Audi A4, des BMW, des Mercedes, des Peugeot 608, des Mégane, ne manquent à l’écurie officielle que les Lamborghini et autres Porsche. Fébrile, visiblement ému, le Premier ministre, nouvelle égérie de la presse, s’essaie laborieusement au sérieux de la fonction. L’humour populaire reprend vite le dessus, transformant certaines phases de son discours de présentation du «plan d’action» du gouvernement en spectacle one-man-show. «Li yehab yerbah, yerbah (les voies de l’enrichissement sont ouvertes !)», lâche Sellal dans un parler populaire. «Draham kayen, El Hamdou Lilah (l’argent est à profusion, Dieu merci).»
Quelques phrases plus loin, le Premier ministre commet un lapsus (révélateur ?) : «Investissement public», en arabe, est prononcé «Istiaâmar el âm» (colonisation publique). Eclats de rires dans les travées de l’Assemblée, des ping-pongs de regards et chuchotements complices parmi l’équipe fournie du gouvernement : 35 ministres et secrétaires d’Etat de la République, parmi les plus «chers» au monde. Payé (en moyenne) 350 000 DA (35 millions de centimes), le ministre est entouré d’une foultitude de privilèges et avantages. C’est d’autant plus «justifié» que le temps des «vaches grasses» s’y prête largement : les réserves de change ne cessent de grimper, dépassant les 193 milliards de dollars à fin septembre 2012, comme le rappelle M. Sellal «himself» aux députés. Une assemblée législative (462 députés, 27 de plus que la Chambre des représentants US) dont le budget est revu aussi à la hausse, passant à 6,5 milliards de dinars, soit 85 millions de dollars. Le budget de fonctionnement de l’APN se situe, certes, en dessous de celui de la présidence de la République (9,3 milliards de dinars,) mais il est trois fois plus important que celui du département ministériel du Tourisme et de l’Artisanat, du ministère de l’Aménagement du territoire/Environnement (2,7 milliards de dinars) ou de la Pêche et des Ressources halieutiques (2,2 milliards). Pour l’ex-député de l’opposition parlementaire Ali Brahimi, le scandale autour des indemnités mensuelles du député (300 000 DA) ne visent rien d’autre qu’à «détourner» l’attention des Algériens des «vrais privilégiés du système».
Les privilégiés du système
Les hauts cadres et fonctionnaires de l’Etat, les officiers supérieurs
des services de sécurité et de l’armée qui baignent dans le luxe et un
océan de prébendes et avantages divers, allant des lignes de crédit
illimité, concessions foncières, jusqu’aux petites prises en charge
médicales à l’étranger et parfois pour des «petits bobos». L’objectif
étant, d’après Brahimi, de «dévaloriser complètement la fonction
élective». Atteints du «syndrome hollandais» — dépendance totale aux
revenus des hydrocarbures —, l’Etat et ses hauts représentants, addicts
qu’ils sont aux avantages divers, rattachés (ou non) à la fonction, aux
salaires mirobolants, à commencer par celui du chef de l’Etat et des
membres du gouvernement (d’après Wakt El Djazaïr, édition du 4 octobre
2011,
le Président toucherait un salaire de 930 000 DA, soit 9 300 euros et
le Premier ministre 610 000 DA), sombrent dans le luxe que confèrent la
«belle» conjoncture, ignorant royalement The day after, l’après-pétrole.
Décrets non publiables, société secrète
Pour l’heure, seule semble compter la ruée vers l’or, la chasse à
l’oseille, au pognon et privilèges. Secrets d’Etat par excellence, les
salaires et avantages octroyés aux hauts dirigeants font tous l’objet de
décrets «non publiables». Une «bizarrerie» dont l’introduction dans la
littérature juridique et dans le jargon officiel, est intervenue,
d’après Nasreddine Lezzar, avocat d’affaires et praticien en arbitrage
international, au début des années 1990, lorsque le pouvoir a commencé à
céder au dinar symbolique des villas à la résidence d’Etat de Club des
Pins. L’avocat, au barreau de Annaba, affirme ne pas connaître un seul
texte qui définit le décret non publiable (DNP), ni qui prévoit la
dispense de publicité ou qui détermine les matières ou le champ
d’application des DNP. Pour l’homme de loi, les textes non publiables
sont une amorce à la privatisation des affaires de l’Etat, en ce sens
qu’ils (DNP) «transforment les finances publiques en une sorte de caisse
noire dont le peuple ne connaît ni le contenu ni la façon dont il est
géré». La généralisation de cette pratique est le signe, d’après Me
Lezzar, que «l’Etat a entamé sa transformation progressive, lente et
sûre, en une sorte de caste privée et une société secrète».
Ministre suédois vs ministre algérien
Des décrets non publiables, des caisses noires (lire encadré en page
5), des fonds spéciaux incontrôlés et incontrôlables, l’Etat s’est donné
tous les moyens d’une gestion opaque, mafieuse de l’argent public. Pour
Ouchichi Mourad, docteur en sciences politiques, «l’Etat algérien est
incontestablement parmi les plus grands gaspilleurs de la planète». Les
dépenses dites de «fonctionnement» sont «excessives», comparées au PIB
et au niveau de vie moyen de l’Algérien, observe l’enseignant d’économie
à l’université de Béjaïa. «On est loin, dit-il, de ces ministres
suédois ou norvégiens qui n’ont comme lieu de travail qu’un simple
bureau et qui se déplacent en vélo en ville, et leurs enfants
fréquentent la même école que le reste des citoyens, et qui utilisent
les voitures de service strictement dans les déplacements
professionnels. Les dirigeants chez nous se considèrent au-dessus de
tout le monde, des êtres supérieurs qui doivent forcément baigner dans
le luxe avec l’argent de la collectivité.» Abdelaziz Rahabi, diplomate,
ancien ministre (limogé de son poste de ministre de l’Information,
porte-parole du gouvernement, puis démissionnaire du gouvernement en
1999) ne fait pas de quartier quand il évoque la facture salée de la
gouvernance Bouteflika.
«Un jour on devrait sérieusement se poser la question : combien Bouteflika a coûté à l’Algérie et aux Algériens ?» Pour l’heure, une telle perspective paraît d’emblée surréaliste, tant les instruments de contrôle des dépenses publiques sont paralysés ou complètement inféodés au pouvoir politique et à ses différents cercles de l’impunité, dont celui érigé par Bouteflika. «Qui contrôle qui ? La Cour des comptes ?, s’interroge Rahabi. Elle est gelée par Bouteflika depuis1999 pour «successibilités personnelles»! L’APN ? L’IGF ? L’Office de la lutte contre la corruption ? Qui a contrôlé Tayeb Belaïz (président du Conseil constitutionnel mis en cause dans le scandale Khalifa,ndla) ? Qui a contrôlé Chakib Khelil, quand il faisait construire par Sonatrach des complexes hôteliers à 800 millions de dollars (le Méridien d’Oran), des centrales de dessalement d’eau de mer, ou signer un contrat de 12 ans de fourniture de gaz à la France sans jamais le déposer à la Banque centrale ? Qui a contrôlé le chef de l’Etat lui-même lorsqu’il s’est acheté un quadriréacteur de la dernière génération à 300 millions de dollars.
Angela Merkel, «bouche bée» devant l’Airbus 340 présidentiel
Quand Angela Merkel a vu l’Airbus A 340 présidentiel (visite d’Etat, 18 juillet 2008), elle est restée bouche bée tant le luxe et le confort sautaient aux yeux (de la chancelière allemande)".
Pour cet ancien diplomate, les messages faits d’impunité, de gaspillage
grandeur nature, de confusion entre bien public et bien privé,
véhiculés par les gros scandales politico-financiers de l’ère Bouteflika
font ravages dans la société, entament lourdement la crédibilité de
l’Etat. «C’est que les Algériens ont le sentiment de n’exercer en
définitive aucun contrôle sur le gouvernement et les finances publiques.
C’est ce sentiment diffus au sein de la société qui fait que l’Etat n’a
plus d’autorité, qu’il est constamment défié. L’Etat doit rendre compte
en permanence de son action s’il veut rétablir la confiance.» Donner
l’exemple de la rigueur et de l’austérité, c’est, selon lui, le meilleur
message qu’on puisse envoyer au peuple.
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Mohand Aziri
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Les Dunes Vue sur la nouvelle «cité interdite» du pouvoir
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Des airs de Mamounia sur la côte ouest d’Alger. Mardi 30 octobre, tandis qu’au Parlement, boulevard Zighout Youcef, le gouverneur de la Banque d’Algérie discourait sur la «gestion prudente» de l’argent public, sur la côte ouest d’Alger, à plage Fontaine, nichée au pied de la toute nouvelle résidence d’Etat, les vagues s’écrasent indolemment et indifféremment sur la digue protégeant les nouveaux quartiers de la nomenklatura.
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Visiblement trop à l’étroit dans son enclave démodée et surpeuplée du Club des Pins, nouveaux et anciens oligarques déménagement vers les Dunes. La très select résidence d’Etat — dont la construction a été confiée à une entreprise chinoise en mai 2007 — snobera, sous peu, le mythique palace royal de Marrakech, la Mamounia. Sur quatre hectares (41 000 m2) de ce qui fut autrefois un domaine agricole, exproprié pour utilité publique, s’étend désormais une forêt de chalets haut standing. Agencées au millimètres près, les charpentes en bois d’un bleu indigo, aguichantes de loin, les villas (plus de cinq pièces chacune) avec jardin verdoyant, vue panoramique, équipées de garages avec portique à commande à distance, système de chauffage centralisé, piscines et autres équipements sportifs et de loisirs, attendent depuis des mois d’être affectées (par le président Bouteflika) à leurs bienheureux propriétaires. Clôture et périmètre de sécurité de rigueur, une discothèque style Ibiza avec façade en verre, un bar-restaurant trônent sur la promenade du front de mer de la résidence.
Yacine a compté 123 chalets. «Pas 53 comme ils vous l’ont annoncé», précise cet ancien employé de la résidence d’Etat du Sahel, établissement à caractère industriel et commercial (EPIC) sur lequel trône, depuis sa création, en 1997, l’inamovible majordome du régime, Hamid Melzi. Rencontré à la cité Bellevue (ouest de Aïn Benian), le jeune père de famille — qui occupe une pièce dans l’appartement de son paternel — qui dit y avoir travaillé pendant des années, a vu le miracle chinois se produire, pousser et grandir les superbes chalets, fleurir les jardins et jacuzzi sur l’endroit même où une trentaine de familles vivotaient dans leur haouch squatté à l’indépendance, avant d’en être expulsées vers des logements sociaux situés en périphérie. «T’chouf, t’choka ! (Tu vois, t’es choqué !), ajoute-t-il. La carcasse du chalet a elle seule a coûté 17 milliards. Je vous laisse imaginer le reste.» L’érection de cette nouvelle structure, non loin des bourgs populaires de Aïn Benian et Chéraga, nourrit les fantasmes et l’imaginaire des cités, suscite autant l’ire, le rire et surtout l’indignation.
Extension des colonies
«Hadi extention taâ al Ihtilal (c’est l’extension des colonies)»,
assène du tac au tac un commerçant, un des derniers survivants de son
espèce sur ce tronçon dorloté de la RN11 longeant la résidence. Ses
copains éclatent de rire. Des éléments de décoration et du mobiliers
italien, dit-on, à l’argenterie espagnole, en passant par les palmiers
californiens à «100 millions de centimes l’unité», tout devient prétexte
à la plaisanterie et aux commentaires souvent décapants. «Depuis qu’ils
l’ont construite (la résidence), nous n’avons plus le droit de planter
nos parasols sur nos plages, nous n’avons même plus le droit d’aller
pêcher avec notre barque. Mamnouâ (nterdit)», lance un autre jeune. Le
21 décembre 2010, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia (l’Epic de la
résidence d’Etat Sahel dépend des services du Premier ministre) signe un
décret instituant et délimitant un périmètre de protection de la zone
d’Etat, comprenant une zone terrestre et une zone maritime. Par ce
décret, le gouvernement donne carte blanche à l’Epic de la résidence
d’Etat, validant tous ses actes d’expropriation (de terres), de
démolition (d’habitations et commerces), d’interdiction (d’activités
même agricoles) pris envers et contre la peuplade des Dunes. Mais le
trop-plein de zèle, la réquisition systématique de la puissance publique
pour chasser du «périmètre de sécurité» les petites gens, considérées
comme une «menace» potentielle (décret), n’opère plus lorsque le pouvoir
est confronté à ses caudillos.
Zone d’état, zone du peuple
Lors de la visite de Bouteflika l’an dernier, à la veille du
1er Novembre, au chantier du Centre international de conférences,
raconte, non sans rire nerveux, Younès, des immenses panneaux en zinc
ont été élevés derrière lesquelles «ces trois villas, que vous voyez
là-bas, ont disparu de la vue du président Bouteflika». «Des villas,
ajoute-il, sans papiers, appartenant à un général». Potemkine se
découvrant en post-mortem des origines algériennes ? Possible.
Surplombant les plages Fontaine et El Bahdja, désertes, sauf de ces
couples fuyant la morale publique et sa pléiade de polices des mœurs, la
butte de la Madrague, quartier en perpétuel reconfiguration, s’offre en
promontoire. «Ici, tu es encore dans la zone du peuple, fel houdoud (à
la frontière) plaisante un riverain. Nous avons une superbe vue sur la
zone d’Etat, en face.» En contrebas, une station d’épuration des eaux
usées plantée à l’embouchure de l’oued Beni Messous. Un oued faisant
office de barrière naturelle entre deux univers s’épiant comme des
chiens de faïence et se vouant une haine réciproque. El Djamila change
de propriétaires et les Dunes virent au «rocher», la principauté de
Monaco. Le quartier fait sa mue : la largeur de la chaussée — la RN11 a
été dédoublée — est élargie : ronds-points, trémies, échangeurs, double
file de palmiers californiens, les services de la DTP ont montré plus
qu’un savoir-faire, un savoir anticiper les besoins et desiderata de la
tribu qui s’installe.
Les chantiers pharaoniques de Melzi
Les ouvriers de la China State Construction Engineering Corporation
s’affairent comme des succubes dans leur mégachantier de la future
école supérieure d’hôtellerie et de restauration d’Alger, située à
quelques centaines de mètres de la résidence d’Etat. A droite de
celle-ci, un autre chantier non moins pharaonique : le nouveau Centre
international des conférences (CIC), un Palais des nations-bis, en
construction à quelques kilomètres du premier. Le CIC, c’est 27 ha (270
000 m2), 500 millions d’euros (50 milliards de dinars), un auditorium de
6000 places (six fois plus qu’au Palais des nations), des espaces chefs
d’Etat et VIP, une salle de banquet (2500 places) et des restaurants
(3400 places). Certains restaurants tenait à consoler (fin octobre 2011,
dépêche de l’APS) le directeur de la résidence Sahel, «seront ouverts
au public à longueur d’année». Ces infrastructures à statut hybride,
public-privé, viendront enrichir le patrimoine déjà non négligeable de
l’EPIC de la résidence d’Etat qui compte déjà à son actif l’Entreprise
de gestion du centre du Club des Pins, la résidence d’Etat Sahel,
l’entreprise touristique Sahel, la Société d’investissements hôteliers
propriétaire du Sheraton Club des Pins, des logements à Staouéli et
Chéraga, le Palais des nations, etc. Le très imposant portail de la
résidence, édifié en brique pleine et ressemblant étrangement aux portes
de la Cité interdite (Chine) ne s’ouvre que rarement. Seulement pour
offrir gîte et couvert à de distingués hôtes étrangers en visite
officielle, ou parfois pour des noceurs pistonnés, férus des contes
des mille et une nuits.
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