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Crise des missiles à Cuba En octobre 1962, le monde est au bord du gouffre et l’apocalypse atomique évitée « par chance »...
L’installation de missiles nucléaires soviétiques à Cuba a donné lieu il
y a 50 ans à la crise la plus aiguë de toute la guerre froide, au cours
de laquelle le monde n’a échappé à l’apocalypse atomique que « par
chance ». Ce sont les protagonistes de la confrontation eux-mêmes qui
l’assurent.
Pendant des décennies, la « crise des missiles » a été
présentée comme un épisode géré de main de maître par le président
américain John F. Kennedy. Un cas d’école. La secrétaire d’État Hillary
Clinton n’a ainsi pas manqué de comparer la gestion de la crise par
Kennedy à l’attitude de l’administration de Barack Obama vis-à-vis du
dossier du nucléaire iranien.
Il n’en reste pas moins que l’ouverture des archives soviétiques et
américaines fait émerger une réalité plus prosaïque : ces 13 jours
d’octobre ont révélé la difficulté pour Kennedy et son homologue Nikita
Khrouchtchev à maîtriser l’enchaînement des événements.
Inquiet du
retard soviétique en matière d’armements stratégiques et des menaces que
font peser les États-Unis sur la révolution cubaine, le numéro un
soviétique décide en mai 1962 l’envoi de plus de 40 000 hommes et de
dizaines de missiles nucléaires sur l’île. Tout en continuant d’assurer
aux Américains qu’il n’est pas question de poster des armes offensives à
Cuba. Et ce n’est qu’à la faveur des photographies prises par un
avion-espion U-2 que les dirigeants US apprennent le 16 octobre la
présence des missiles. « Le sentiment dominant était le choc et
l’incrédulité », confiera Robert Kennedy, le frère du président. La
surprise stratégique est totale. Elle a pourtant été précédée de
nombreux rapports à la CIA d’agents cubains : il y en a eu 882 pour le
seul mois de septembre selon Michael Dobbs, auteur de One minute to
midnight. Ces rapports faisaient état de mouvements d’étranges convois
la nuit sur les routes de l’île.
Un U-2 est abattu...
À
la Maison-Blanche, les généraux préconisent des frappes aériennes,
voire une invasion de Cuba, tandis que le secrétaire à la Défense Robert
McNamara et les diplomates préfèrent le blocus de l’île pour empêcher
les navires soviétiques de continuer à y livrer les armements. Le 22
octobre, JFK annonce la situation aux Américains et place les forces US
en état d’alerte maximale. Le monde pousse un soupir de soulagement
quand il apprend que la majorité des navires fait demi-tour.
En
coulisses le drame se poursuit. Kennedy et Khrouchtchev tentent de
trouver une issue, mais leurs efforts sont pollués par l’impossibilité
de communiquer directement et par les messages et événements
contradictoires.
Le 26 octobre au soir, les Soviétiques proposent de
retirer leurs missiles contre la garantie de ne pas envahir Cuba, mais
le lendemain matin exigent en plus publiquement le retrait des fusées
américaines de Turquie. Le samedi 27, c’est l’escalade : un U-2 est
abattu au-dessus de Cuba, les choses semblent échapper à tout contrôle.
Les plans du Pentagone sont prêts pour des frappes massives le mardi
d’après, suivi d’un débarquement de 120 000 hommes sur l’île.
Intervention divine
Ce
n’est que 30 ans après que les Américains apprendront que « les
Soviétiques disposaient de dizaines de missiles tactiques sur l’île,
équipés de têtes nucléaires capables d’anéantir toute une force
d’invasion », selon Michael Dobbs.
La peur finit par l’emporter le
samedi soir : Washington promet de ne pas envahir Cuba, et secrètement
de retirer ses fusées de Turquie, Moscou de rapatrier ses missiles de
Cuba.
« Pendant des années, j’ai considéré la crise des missiles de
Cuba comme la crise de politique étrangère la mieux gérée des 50
dernières années (...), a confessé Robert McNamara lors d’une conférence
à La Havane en 2002. Maintenant, j’en conclus que, quelle que soit
l’habileté déployée, à la fin de ces 13 jours extraordinaires, la chance
a bien aidé à éviter la guerre nucléaire d’un cheveu. » Et pour
l’ancien chef du département cubain du KGB, Nikolaï Leonov, « c’est
presque comme si une intervention divine nous avait aidés à nous
sauver ».
De quoi mettre tout le monde d’accord...
En réalité,
cette crise des missiles était une véritable partie de poker à trois.
Autour de la table : un jeune président américain, John F. Kennedy, un
vétéran soviétique, Nikita Khrouchtchev, et un fougueux dirigeant
cubain, Fidel Castro.
Aller au théâtre...
En
avril 1961, Kennedy gérait d’une façon calamiteuse l’épisode de la baie
des Cochons : il avait refusé tout soutien US aux rebelles
anticastristes une fois débarqués à Cuba. Une gestion qui convainc vite
le numéro un soviétique que le locataire de la Maison-Blanche n’est pas à
la hauteur – ils s’étaient rencontrés à Vienne deux mois plus tard.
Quand
la crise des missiles éclate, Kennedy doit naviguer au sein de son
cabinet entre le camp des faucons, qui poussent à l’invasion de Cuba, et
les partisans de l’apaisement. Soumis à un stress intense et bien que
lourdement médicalisé tout au long de la crise (il prend des stéroïdes,
de la cortisone et des antibiotiques pour soigner son dos en compote et
une vieille maladie vénérienne), il parvient avec Khrouchtchev à trouver
une issue pacifique à la crise. « Il n’a pas surestimé la puissance de
l’Amérique » et « s’est gardé une porte de sortie de la crise », saluera
le Soviétique dans ses Mémoires. Quant à ses hagiographes, ils ont fait
de la crise des missiles une consécration pour Kennedy, salué comme
homme d’action qui a su « regarder dans les yeux » Khrouchtchev, mais
aussi un sage.
Quelques heures après la fin de la crise, lui-même
semblait en être convaincu. « C’est le soir où je devais aller au
théâtre », a-t-il dit à son frère Robert, en référence à la nuit où
Abraham Lincoln a été assassiné en pleine gloire, cinq jours après la
victoire dans la guerre civile américaine. Ce qui lui est d’ailleurs
arrivé le 22 novembre 1963 à Dallas...
Le moujik
Concernant
Khrouchtchev, il faut rappeler que ce sont l’impétuosité du numéro un
soviétique et ses menaces « d’enterrer » le système capitaliste qui ont
conduit le monde au bord de l’apocalypse nucléaire à la suite de sa
décision de déployer des missiles nucléaires à Cuba.
Encore
aujourd’hui considéré en Russie comme l’archétype du « moujik », cet
homme simple d’origine paysanne, ouvrier agricole puis mineur, savait,
sous son visage rond et son sourire, frapper du poing sur la table. Il
est aussi l’homme qui a osé dénoncer les crimes de Staline et lancé la
déstalinisation lors du congrès du Parti communiste d’URSS de 1960, mais
n’a pas hésité à réprimer dans le sang le soulèvement populaire de 1956
en Hongrie.
Son entourage a admis par la suite que Nikita
Khrouchtchev espérait bénéficier du fait accompli après avoir déployé
les missiles à Cuba et que Kennedy n’oserait s’y opposer. Il n’avait pas
de « plan B » si les missiles étaient découverts avant d’être
opérationnels.
Sur le plan intérieur, une timide politique de
réformes et le succès du premier vol spatial habité de Iouri Gagarine
sont à porter à son crédit. En 1964, il est destitué par ses pairs et
remplacé à la tête du parti et du gouvernement par Leonid Brejnev et
Alexeï Kossyguine. « Je suis vieux et fatigué. J’ai fait le principal.
Quelqu’un aurait-il pu rêver de pouvoir dire à Staline qu’il ne nous
convenait pas ? (...) C’est ma contribution », dira-t-il. Il décédera
d’une crise cardiaque le 11 septembre 1971.
Fidel fulmine
À
36 ans, Fidel Castro, le jeune leader de la révolution cubaine, est
sous pression depuis sa victoire un an plus tôt face au débarquement
dans la baie des Cochons de rebelles anticastristes soutenus par les
États-Unis.
Ayant pris le pouvoir début 1959 après des années de
guérilla, Fidel Castro multiplie les appels du pied au bloc soviétique
et déclare en avril 1961 une « révolution socialiste », puis assure
quelques mois plus tard avoir toujours été un « marxiste-léniniste ». Il
justifiera longtemps son attitude qui a confiné à l’exaltation
guerrière pendant la crise des missiles. « Nous étions en discussion
avec les Soviétiques. Nous discutions des mesures à prendre – sans
parler de missiles –, de ce qu’il fallait pour faire comprendre aux
États-Unis qu’une invasion de Cuba entraînerait une guerre avec l’Union
soviétique », a-t-il expliqué à son biographe Tad Szulc.
Discutée
pendant l’été 1962, la proposition de déploiement de missiles est
finalement acceptée par Fidel Castro. Ce dernier affirmera plus tard
qu’il n’aimait pas cette idée : « Pour nous, ce n’était pas intéressant
d’avoir des missiles ici ni une base militaire. Ce qui nous intéressait,
c’était l’image du pays. Une base soviétique dévalorisait l’image de la
révolution, sa capacité à influer sur la région. Pourquoi l’avons-nous
acceptée (les missiles) ? Cela a été très dur. Mais c’était une question
de solidarité internationaliste. »
Mais quand les deux supergrands
concluent un accord pour sortir de la crise sans que Khrouchtchev prenne
la peine de le consulter, Castro fulmine. « Jamais je n’avais envisagé
le retrait comme une solution », a-t-il expliqué plus tard en évoquant
« la ferveur révolutionnaire, la passion, l’effervescence de ces
journées ». Et après cette expérience amère mais instructive au cours de
laquelle Cuba n’a été ni consultée ni considérée comme elle aurait dû
l’être, les Cubains « n’auront jamais plus confiance dans la capacité de
la direction soviétique à gérer les affaires internationales », selon
l’historien cubain Tomas Diez Acosta.
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(Source : AFP)
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