À Paris s'ouvre une exposition sur l'histoire des Juifs d'Algérie. Des
plus anciennes traces de sa présence, vieilles de 2000 ans, jusqu'à
l'Indépendance, la communauté juive a vécu des fortunes diverses. Plus
de 270 objets et archives sont réunis pour illustrer cette histoire.
Le musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris présente une exposition consacrée à l’histoire des juifs d’Algérie
jusqu'au 27 janvier 2013. À quand remonte les premières traces de juifs
en Afrique du Nord ? Quelles relations entretenaient-ils avec les
autorités et les autres populations ? Quels sont les évènements
importants qui ont jalonnés leur histoire ? L’exposition tente de
répondre à ces questions.
L’objectif est aussi « d’attirer l’attention sur des aspects peu connus
de l’histoire des juifs en Algérie, comme la période espagnole et la
période ottomane », déclare Anne-Hélène Hoog, commissaire de
l’exposition. Pour elle, il ne s’agit que d’un premier pas dans la
recherche de sources « permettant de reconstruire le parcours des juifs
en Algérie ».
Les visiteurs sont accueillis par une trentaine de sacs pour châle de
prière. Suspendus dans une vitrine et éclairés par le haut, ils forment
un tableau coloré et solennel à la fois. Juste derrière, un poste
multimédia permet de se rendre virtuellement en Algérie sur les lieux de
la mémoire juive grâce à une application proche de Google Earth.
On entre ensuite dans une succession de petits espaces qui découpent
l’Histoire en grandes périodes chronologiques, des « origines antiques
du judaïsme algérien » jusqu’à « l’exil » post-indépendance.
L’implantation juive à l’époque romaine est « attestée dans les zones
côtières, déjà marquées par une antique occupation phénicienne, comme à
Caesarea (Cherchell), à Tafsa (Tipasa) et à Ausia (Aumale) ». Un sceau
portant une inscription en hébreux daté du VIIe siècle avant J.-C et
retrouvé à Tripoli illustre cette période.
Il y a ensuite « Le monde judéo-berbère jusqu’à l’arrivée de l’Islam ».
L’exposition s’appuie notamment sur les textes de Saint-Augustin, qui «
fait souvent référence aux juifs d’Hippone (Annaba) dans ses écrits ».
Un extrait de l’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldoun est l’occasion
d’affirmer que « dans la mémoire collective, le lien entre les Juifs et
les Berbères est incarné par la légendaire figure de la ‘Reine juive’
Dihya el-Kahina ». Plus prudent, le texte de Denis Cohen-Tannoudji,
Vice-président de la Société d’histoire des juifs de Tunisie, précise
dans le catalogue de l’exposition que « certains historiens comme Haim
Zeev-Hirschberg mettent en doute la conversion des Berbères au judaïsme
(…), d’autres prétendent même que la Kahena était chrétienne ». Restent
plusieurs éléments qui viennent corroborer la présence de populations
juives sur la zone côtière mais aussi de tribus berbères judaïsés, comme
des inscriptions hébraïques ou la découverte d’un chandelier à sept
branches.
le pacte d’Umar ouvre l’espace dédié à « l’âge d’or de la Méditerranée
musulmane ». Ce texte fixait les règles du statut de dhimmi, qui
s’appliquait aux « gens du livre » : Juifs et Chrétiens. En échange d’un
impôt, de restrictions dans la pratique religieuse et d’autres
contraintes dans la vie quotidienne, ces derniers recevaient la
protection des autorités. Cette période est celle des échanges
scientifiques « de Babylone à Cordoue », favorisés par l’unité
linguistique. Dans cet environnement stimulant, le judaïsme maghrébin
s’affranchit de la tutelle orientale. Plus sombre, la période de la
dynastie Almohade voit la conversion forcée et l’exil de nombreux « gens
du livre ».
Ce sont les juifs d’Espagne qui redonneront de la vigueur à cette
communauté. Chassés par la Reconquista entre 1391 et 1497, ils
s’établissent à Tlemcen, Oran, Alger, Bejaïa ou Annaba. Le parcours de
quelques grandes familles, comme les Duran ou les Sasportas, donne corps
à cette histoire.
Vient la période ottomane, riche en manuscrits : lettres de change,
déclaration de dettes, inventaires de marchandises. Ici se dessine la
place des commerçants juifs dans l’espace méditerranéen. Ce rôle
d’intermédiaire est illustré entre autres par la déclaration de dette
d’Antonio Cicarello, un génois « esclave du beylik d’Alger », auprès de
Raphael Jacob Busciara, « négociant juif d’Alger », pour le rachat de sa
liberté.
La colonisation française est le temps de l’émancipation des Juifs. Qui
mieux que Crémieux pouvait symboliser ce bouleversement. Un portrait
photographique de 1860 donne chair à cet avocat juif qui obtint la
naturalisation collective des juifs d’Algérie en octobre 1870. On peut
lire un peu plus loin le texte du décret qui porte son nom.
La première et la seconde guerre mondiale sont des périodes plus
fournies en documents personnels et objets d’archives. Pour la petite
histoire, celle des destinés familiales, on trouve un burnous de
circoncision, un pot à henné décoré d’une étoile à six branches et de
nombreuses paires d’ornements de bâtons de Torah. Sur quelques
photographies, les étoiles jaunes rappellent que les conflits se sont
bien exportés sur notre rive. De même que les lettres de soldats envoyés
au front. Le coup de tonnerre vient de l’abrogation du décret Crémieux,
« vécue très douloureusement par les familles », explique Anne-Hélène
Hoog. Tout aussi douloureuse sera la lenteur des autorités à rétablir ce
décret après la libération.
La guerre d’Indépendance est traitée sans grande profusion : Lettre du
FLN « aux israélites d’Algérie » en 1956, photographies d’attentats
contre des juifs et du saccage de la grande synagogue d’Alger. Pour
Anne-Hélène Hoog, cette période est compliquée car « beaucoup de gens se
sont engagés au côté des indépendantistes mais beaucoup aussi du côté
de l’OAS ». Ainsi que l’écrivait Wladimir Rabbi en février 1961 : «
depuis le début du conflit, les Juifs sont littéralement écartelés ».
Finalement, l’exposition se conclue sur une note sportive et musicale.
On convoque les boxeurs Robert Cohen et Alphonse Halimi aux côtés de
Reinette l’Oranaise, Lili Boniche et Line Monty. Seule manque à cette
exposition, l’histoire de plus en plus clandestine des Juifs d’Algérie
après 1962. Le musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris présente à
partir d’aujourd’hui une exposition consacrée à l’histoire des juifs
d’Algérie. À quand remonte les premières traces de juifs en Afrique du
Nord ? Quelles relations entretenaient-ils avec les autorités et les
autres populations ? Quels sont les évènements importants qui ont
jalonnés leur histoire ? L’exposition tente de répondre à ces questions.
L’objectif est aussi « d’attirer l’attention sur des aspects peu connus
de l’histoire des juifs en Algérie, comme la période espagnole et la
période ottomane », déclare Anne-Hélène Hoog, commissaire de
l’exposition. Pour elle, il ne s’agit que d’un premier pas dans la
recherche de sources « permettant de reconstruire le parcours des juifs
en Algérie ».
Les visiteurs sont accueillis par une trentaine de sacs pour châle de
prière. Suspendus dans une vitrine et éclairés par le haut, ils forment
un tableau coloré et solennel à la fois. On entre ensuite dans une
succession de petits espaces qui découpent l’Histoire, des « origines
antiques du judaïsme algérien » jusqu’à « l’exil » post-Indépendance.
Le monde judéo-berbère
L’implantation juive à l’époque romaine est « attestée dans les zones
côtières, déjà marquées par une antique occupation phénicienne, comme à
Caesarea (Cherchell), à Tafsa (Tipasa) et à Ausia (Aumale) ». Un sceau
portant une inscription en hébreux daté du VIIe siècle avant J.-C et
retrouvé à Tripoli illustre cette période.
Il y a ensuite « Le monde judéo-berbère jusqu’à l’arrivée de l’Islam ».
L’exposition s’appuie sur les textes de Saint-Augustin, qui « fait
souvent référence aux juifs d’Hippone (Annaba) dans ses écrits ». Un
extrait de l’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldoun est
l’occasion d’affirmer que « dans la mémoire collective, le lien entre
les Juifs et les Berbères est incarné par la légendaire figure de la
‘Reine juive’ Dihya el-Kahina ».
Plus prudent, le texte de Denis Cohen-Tannoudji, Vice-président de la
Société d’histoire des juifs de Tunisie, précise dans le catalogue de
l’exposition que « certains historiens comme Haim Zeev-Hirschberg
mettent en doute la conversion des Berbères au judaïsme (…), d’autres
prétendent même que la Kahina était chrétienne ». Restent plusieurs
éléments qui viennent corroborer la présence de populations juives sur
la zone côtière mais aussi de tribus berbères judaïsés, comme des
inscriptions hébraïques ou la découverte d’un chandelier à sept branches
dans la région de Tlemcen.
Minorité juive en terre d'Islam
Le pacte d’Umar ouvre l’espace dédié à « l’âge d’or de la Méditerranée musulmane ». Ce texte fixait les règles du statut de dhimmi,
qui s’appliquait aux « gens du livre » : Juifs et Chrétiens. En échange
d’un impôt, de restrictions dans la pratique religieuse et d’autres
contraintes dans la vie quotidienne, ces derniers recevaient la
protection des autorités. Cette période est aussi celle des échanges
scientifiques « de Babylone à Cordoue », favorisés par l’unité
linguistique. Dans cet environnement stimulant, le judaïsme maghrébin
s’affranchit de la tutelle orientale. Plus sombre, la période de la
dynastie Almohade voit le massacre et la conversion forcée de nombreux «
gens du livre ».
Ce sont les juifs d’Espagne qui redonneront de la vigueur à cette communauté. Chassés par la Reconquista
entre 1391 et 1497, ils s’établissent à Tlemcen, Oran, Alger, Bejaïa ou
Annaba. Le parcours de quelques grandes familles, comme les Duran ou
les Sasportas, donne corps à cette histoire.
Vient la période ottomane, riche en manuscrits : lettres de change,
déclaration de dettes, inventaires de marchandises. Ici se dessine la
place des commerçants juifs dans l’espace méditerranéen. Ce rôle
d’intermédiaire est illustré entre autres par la déclaration de dette
d’Antonio Cicarello, un génois « esclave du beylik d’Alger », auprès de
Raphael Jacob Busciara, « négociant juif d’Alger », pour le rachat de sa
liberté.
Accès à la citoyenneté
La colonisation française transforme profondément les rapports de la
minorité juive avec les gouvernants et avec les populations à majorité
musulmane. Qui mieux que Crémieux pouvait symboliser ce bouleversement.
Un portrait photographique de 1860 donne chair à cet avocat juif qui
obtint la naturalisation collective des juifs d’Algérie en octobre 1870.
On peut lire un peu plus loin le texte du décret qui porte son nom.
Plus loin, on mesure l'impact de l'affaire Dreyfus, à travers des
télégrammes de soutien envoyés à la femme du commandant par des Juifs
d'Algérie. Enfin, une photographie des "antijuifs" Edouard Drumont et
Max-Régis rappelle qu'à cette époque l'antisémitisme tenait lieu de
programme électoral.
La première et la seconde guerre mondiale sont des périodes encore plus
fournies en documents personnels et objets d’archives. Pour la petite
histoire, celle des destinés familiales, on trouve un burnous de
circoncision, un pot à henné décoré d’une étoile à six branches et de
nombreuses paires d’ornements de bâtons de Torah. Sur quelques
photographies, les étoiles jaunes rappellent que les conflits se sont
bien exportés sur notre rive. De même que les lettres de soldats envoyés
au front. Le coup de tonnerre vient de l’abrogation du décret Crémieux,
« vécue très douloureusement par les familles », explique Anne-Hélène
Hoog. La lenteur des autorités à rétablir le décret après la libération
sera tout aussi difficile à digérer.
Huit ans plus tard, le pays replonge dans la guerre. La lutte pour
l'Indépendance est traitée sans grande profusion : Lettre du FLN « aux
israélites d’Algérie » en 1956, photographies d’attentats contre des
juifs et du saccage de la grande synagogue d’Alger. Pour Anne-Hélène
Hoog, cette période est compliquée car « beaucoup de gens se sont
engagés au côté des indépendantistes mais beaucoup aussi du côté de
l’OAS ». Ainsi que l’écrivait Wladimir Rabbi en février 1961 : « depuis
le début du conflit, les Juifs sont littéralement écartelés ». Alors,
les clés de la maison représentent l'exil, ce pays qu'ils ont quitté
juste après l'Indépendance ou les années suivantes.
L’exposition se conclue sur une note sportive et musicale. Les boxeurs
Robert Cohen et Alphonse Halimi cotôient Reinette l’Oranaise, Lili
Boniche et Line Monty. Seule manque à cette exposition, l’histoire de
plus en plus clandestine des Juifs d’Algérie après 1962.
.
Sophie Elbaz: "Je suis une métisse de la République".
Quel est votre lien avec l’Algérie ?
Mon père est né en Algérie. Son père a décidé de rester à Constantine
après l’Indépendance, alors que ses enfants et sa femme avaient quitté
l’Algérie depuis les années 1950. Il avait une très grande rancune
envers les Français après l’épisode de 1942(*). Il lui a fallu rendre sa
carte d’identité alors qu’il était officier de la Première Guerre
Mondiale.
Quand mon grand-père est mort, six mois après l’Indépendance, j’étais
très jeune. J’avais deux ans. C’était pour moi une figure totalement
idéalisée et surtout mon seul lien avec cette terre. Je l’ai donc nourri
dans mon imaginaire jusqu’au jour où j’ai été capable de me rendre sur
place pour me réapproprier les récits, les images et les sensations.
*****
Apparemment, notre famille est originaire d’Espagne. Ils sont passés par le Maroc avant de s’installer en Algérie vers 1720.
Comment s’est passé ce premier voyage ?
C’était en 2007. Une amie franco-algérienne ( ?) m’a proposé de la
rejoindre à Alger. Je n’oublierais jamais la première fois que j’ai
descendu la rue Didouch Mourad. J’ai ressenti un vent de liberté
incroyable. Mais j’étais en complet décalage avec les gens autour de
moi. Il y avait chez moi une forme d’inconscience parce que je n’avais
pas encore perçu les codes de la société algérienne. Ensuite, je suis
partie en train jusqu’à Constantine, arrivée de nuit. Je me suis
installée à l’hôtel Cirta. J’y tenais absolument car c’est là qu’est
mort mon grand-père. J’ai ressenti très fortement sa présence.
Le lendemain, je me suis installée à la terrasse d’un café et j’ai
observé tous ces vieux hommes qui ressemblaient tant à « Baba Aziz »,
mon arrière grand-oncle dont je garde précieusement la photo. C’est une
autre grande figure de la famille et un sage que les voisins
consultaient.
Vous êtes rapidement revenue pour un second séjour ?
Oui, l’attaché culturel de l’ambassade de France à Constantine m’a
proposé une résidence d’artiste. J’ai axé mon travail sur la recherche
de traces du passé et de la présence de ma famille dans cette ville. Ce
qui était très dur c’est qu’une femme à Constantine à 6 heures du soir
c’est bouclée à la maison et puis c’est tout. Comme je suis venue dans
un cadre officiel, j’étais en plus escortée tous les jours. La police
m’attendait tous les matins et m’emmenait me promener. Cela rendait mon
travail encore plus compliqué. Les gens ne parlent pas facilement, mais
avec une escorte policière en plus ! Heureusement j’ai un grand ami qui
m’a beaucoup aidé à rencontrer les gens et retrouver certains lieux. Je
suis rentrée à Paris avec beaucoup de matière, dont le film-hommage à
mon grand-père et le triptyque L’île fantastique qui sont présentés dans
l’exposition.
Que dit cette installation que vous présentez à côté de l’exposition « Juifs d’Algérie » ?
En me lançant dans cette aventure avec le musée j’étais consciente de
l’importance de faire connaître l’histoire des juifs d’Algérie. Quand
les vieux vont partir avec qui va-t-on parler de tout cela ? Il y a la
crainte de voir la mémoire juive disparaître du monde arabe.
Mon installation décrit un processus qui commence avec une quête
identitaire (une psychanalyse, des voyages, un imaginaire,…) qui tout
d’un coup se désintègre pour revenir à une réalité plus enrichissante et
constructrice. On n’est pas dans le produit simpliste et heureux, ni
dans la facilité. C’est compliqué de traiter de façon contemporaine une
histoire douloureuse qui en plus est pleine de zones d’ombres.
*****
Moi ça m’a passionné de faire ce travail de recherche sur les archives
personnelles – Pour moi c’est vraiment une affirmation de venir dans une
musée juif et dire « mon père est juif, ma mère n’est pas juive et
voilà ce que je suis » et je crois qu’il y a bcp de gens dans ma
position qui ont vécu dans une certaine honte et qu’en 2012 ce qui nous
définit ce n’est pas seulement nos fiches d’état civil – je suis une
métisse et je n’ai pas peur de ce terme, je suis une métisse de la
RépubliqueQuel est votre lien avec l’Algérie ?
Sophie Elbaz est photographe. Ancienne grand reporter, elle a
notamment couvert de nombreux conflits pour l'agence Sygma. Né en 1960,
d'un père juif algérien et d'une mère française chrétienne, elle a
effectué plusieurs voyages sur la terre natale de son père. Elle
présente une installation intitulée Géographies intérieures, dans laquelle elle évoque son histoire familiale.
Quel est votre lien avec l'Algérie ?
Apparemment, notre famille est originaire d’Espagne. Ils sont passés par le Maroc avant de s’installer en Algérie vers 1720.
Mon père est né en Algérie. Son père a décidé de rester à Constantine
après l’Indépendance, alors que ses enfants et sa femme avaient quitté
l’Algérie depuis les années 1950. Il avait une très grande rancune
envers les Français après l’épisode de 1942(*). Il lui a fallu rendre sa
carte d’identité alors qu’il était officier de la Première Guerre
Mondiale.
Quand mon grand-père est mort, six mois après l’Indépendance, j’étais
très jeune. J’avais deux ans. C’était pour moi une figure totalement
idéalisée et surtout mon seul lien avec cette terre. Je l’ai donc nourri
dans mon imaginaire jusqu’au jour où j’ai été capable de me rendre sur
place pour me réapproprier les récits, les images et les sensations.
Comment s’est passé ce premier voyage ?
C’était en 2007. Une amie franco-algérienne ( ?) m’a proposé de la
rejoindre à Alger. Je n’oublierais jamais la première fois que j’ai
descendu la rue Didouch Mourad. J’ai ressenti un vent de liberté
incroyable. Mais j’étais en complet décalage avec les gens autour de
moi. Il y avait chez moi une forme d’inconscience parce que je n’avais
pas encore perçu les codes de la société algérienne. Ensuite, je suis
partie en train jusqu’à Constantine, arrivée de nuit. Je me suis
installée à l’hôtel Cirta. J’y tenais absolument car c’est là qu’est
mort mon grand-père. J’ai ressenti très fortement sa présence.
Le lendemain, je me suis installée à la terrasse d’un café et j’ai
observé tous ces vieux hommes qui ressemblaient tant à « Baba Aziz »,
mon arrière grand-oncle dont je garde précieusement la photo. C’est une
autre grande figure de la famille et un sage que les voisins
consultaient.
Vous êtes rapidement revenue pour un second séjour ?
Oui, l’attaché culturel de l’ambassade de France à Constantine m’a
proposé une résidence d’artiste. J’ai axé mon travail sur la recherche
de traces du passé et de la présence de ma famille dans cette ville. Ce
qui était très dur c’est qu’une femme à Constantine à 6 heures du soir
c’est bouclée à la maison et puis c’est tout. Comme je suis venue dans
un cadre officiel, j’étais en plus escortée tous les jours. La police
m’attendait tous les matins et m’emmenait me promener. Cela rendait mon
travail encore plus compliqué. Les gens ne parlent pas facilement, mais
avec une escorte policière en plus ! Heureusement j’ai un grand ami qui
m’a beaucoup aidé à rencontrer les gens et retrouver certains lieux. Je
suis rentrée à Paris avec beaucoup de matière, dont le film-hommage à
mon grand-père et le triptyque L’île fantastique qui sont présentés dans
l’exposition.
Que raconte cette installation que vous présentez à côté de l’exposition « Juifs d’Algérie » ?
En me lançant dans cette aventure avec le musée j’étais consciente de
l’importance de faire connaître l’histoire des juifs d’Algérie. Quand
les vieux vont partir avec qui va-t-on parler de tout cela ? Il y a la
crainte de voir la mémoire juive disparaître du monde arabe.
Mon installation décrit un processus qui commence avec une quête
identitaire (une psychanalyse, des voyages, un imaginaire,…) qui tout
d’un coup se désintègre pour revenir à une réalité plus enrichissante et
constructrice. On n’est pas dans le produit simpliste et heureux, ni
dans la facilité. C’est compliqué de traiter de façon contemporaine une
histoire douloureuse qui en plus est pleine de zones d’ombres. Mais ça
m'a passionné de faire ce travail de recherche sur les archives
personnelles. Cela me permet de dire, et je n'ai pas peur d'utiliser ce
terme, que je suis une métisse de la République. Pouvoir venir dans un
musée du judaïsme et dire: « mon père est juif, ma mère n’est pas juive
et voilà ce que je suis », c'est une affirmation forte. Nous ne sommes
pas que des fiches d'état civil.
.
Sophia Ait Kaci
Les commentaires récents