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E N I G M E
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E N I G M E
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Rédigé le 31/10/2012 à 19:58 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
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Après les hommages unanimes à l'humanisme de Camus et sa panthéonisation ratée, cet essai brillamment provocateur de l'universitaire Yves Ansel (coéditeur des oeuvres de Stendhal en Pléiade) ajoute une voix discordante au concert de louanges.
Le totem du titre, c'est donc Camus, ou plutôt la statue que lui ont élevée ses thuriféraires - lesquels ne lui concèdent qu'un tort, celui « d'avoir raison avant tout le monde ». Le tabou, c'est ce sujet sur lequel il eut peut-être un peu moins raison : la décolonisation de l'Algérie. Après une préface sur les mouvements de contrepoids propres à la postérité (on y voit Sartre et Aragon couler avec le communisme, et Camus remonter), Yves Ansel s'attaque à la question qui fâche, en s'appuyant sur le texte camusien et sur ceux des « encenseurs ». Certes, les contradictions qu'il met au jour, parfois à l'intérieur d'une même phrase, montrent l'inadéquation de la posture camusienne (la fameuse troisième voie) à une réalité qui la déborde de toute part. On ne compte plus les clichés brisés. Camus, trop pauvre et progressiste pour être dépeint en colon ? Avec Sartre et Memmi, l'auteur rappelle qu'il n'y a ni bons ni mauvais colons, seulement des colons. Camus, Algérien emblématique ? Ansel souligne que c'est de Paris qu'il attendait le salut littéraire, et que son Algérie fut surtout côtière et citadine. Camus, soucieux du sort des Arabes ? Dans ses articles, certes. Où sont-ils dans ses livres ?
C'est dans son chapitre « L'Étranger et les ravages du discours d'escorte » qu'Ansel se montre le plus iconoclaste. Meursault, cet être « marginal, atypique, singulier, étrange », y apparaît surtout comme un Algérois conformiste, voire une petite frappe. Son aide au truand Raymond, sa science des rixes (« Ça ferait vilain de tirer comme cela ») s'expliquent soudain. Ansel va jusqu'à inscrire le meurtre dans une perspective coloniale : « Avant d'être "étranger" au monde [...] Meursault est aussi, sinon d'abord, un étranger en Algérie, un pied-noir tuant un Arabe occupant un espace qu'il estime être devenu le sien. » Un commentaire propre à faire frémir les amoureux d'un Meursault désincarné ? Que dire de cette démonstration qui, s'appuyant notamment sur la « confession » de l'Étranger à l'aumônier (« Le chien de Salamano valait autant que sa femme. La petite femme automatique était aussi coupable que la Parisienne que Masson avait épousée ou que Marie qui avait envie que je l'épouse »), en déduit le machisme d'un Meursault s'estimant en prison à cause des femmes ? Si on ne suit pas tous les avis d'Ansel (notamment sur les « billevesées critiques » de Barthes et des tenants du meurtre solaire), son analyse a le mérite de ramener le regard sur les discours et actes de Meursault. Autrement dit, de livrer, dans une forme enthousiasmante et pleine d'humour, une étude strictement littéraire d'un texte qui semble voué aux interprétations philosophiques.
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Rédigé le 30/10/2012 à 20:34 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
Suite et fin des confessions de Chadli Bendjedid.
Ce serait d'ailleurs cette immense fidélité à Boumediène qui l'aurait contraint à accepter, en 1979, de prendre les rênes d'un pays qui vivait une époque particulièrement difficile. "Ce que les gens doivent savoir, c'est qu'à la mort de Boumediène Chadli Bendjedid n'a jamais revendiqué la succession. En qualité de coordinateur de l'armée, c'est moi qui ai proposé à des candidats médiatisés à l'époque de prendre la relève. Ils ont refusé. Oui, ils ont refusé, et ils ont refusé parce que la situation était complexe, l'endettement énorme, les caisses vides, les étals déserts et la pénurie régnante Chadli n'avait pas vocation à devenir Président, mais il n'avait plus le choix." Il s'était tu un moment puis avait laissé le tomber cette phrase désappointée : "Quand tu entends ce que dit de moi Bouteflika… Comme à Monaco… [Ce dernier l’y avait notamment qualifié de "quelqu'un qui n'est pas aviateur, mais qui a pris les commandes d’un Boeing 737", regrettant que "Chadli qui est resté finalement autant de temps au pouvoir que Boumediène a curieusement mis le même temps pour détruire tout en ce que Boumediène avait construit»].
Chadli était indigné : "Où est le sens de l'État ? Dire ça devant des étrangers…"
C’était un samedi pluvieux. Il méditait. "Et tu as entendu Bouteflika parlant de la succession à Boumediene ?" Chadli évoquait cette déclaration de l’actuel chef de l’État devant des journalistes étrangers : "J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediène, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’Etat à blanc et l’armée imposé un candidat imprévu… Ce qui est reproché au président Chadli, c'est sans doute d'avoir accepté des responsabilités pour lesquelles il n'était pas du tout préparé et pour lesquelles il n'avait aucune disposition…" Chadli n’avait pas supporté. "Je n’ai pris la place de personne. L’Algérie n’est pas un royaume privé. Les gens oublient qu’avant sa mort, le président Houari Boumediene m’avait désigné responsable des corps de sécurité. Je n’aspirais pas, personnellement, au poste de président. Je dirai tout ça en détails un jour dans mes mémoires."
Il n'avait rien oublié des sarcasmes du nouveau président et paraissait particulièrement chagriné par cette moquerie dite en public, à propos de la rencontre entre Chadli Bendjedid et le président français François Mitterrand. "J’étais surpris un jour d’apprendre par la télévision que le chef de l'Etat algérien de l’époque et le chef d'Etat français de l’époque, que Dieu ait son âme, avaient eu un entretien en tête-à-tête de dix heures, avait déclaré Bouteflika. Je connais les deux, je sais que le chef de l'Etat français pouvait parler pendant dix heures. Je ne suis toujours pas sûr que le chef de l'Etat algérien — et il est toujours vivant — pouvait, lui, parler pendant une demi-heure, pour dire des choses très essentielles."
Cette déclaration de Bouteflika lui avait fait très mal. "Pour l’Algérie, plus que pour moi…" Puis, prenant un air condescendant : "Que sait-il de la considération que me portait Mitterrand ? Que sait-il du rayonnement diplomatique de l’Algérie sous ma gouvernance ? J’ai fait la seule visite d’Etat aux Etats-Unis d’un président algérien. Bush père m’avait fait l’amitié, un jour de fête, de m’inviter dans sa propre maison où je côtoyais sa famille et ses petits enfants qui ouvraient leurs cadeaux au pied de la cheminée… Je souhaite, pour l’Algérie, qu’il connaisse la moitié de l’influence diplomatique qui était la mienne. J’ai reçu à Alger les plus grandes personnalités du siècle, comme la reine d’Angleterre ou le roi d’Espagne…" Il a une moue désolée.
"Où est le respect de l'Algérie ? Bouteflika… Quand on pense que Bouteflika critique ma gestion et ma politique, qu’il parle de «politique désastreuse des années 1980 qui a brisé l’élan du développement et péché par un manque de vision» alors qu'il l’avait votée en qualité de membre du Bureau politique et de ministre… Tout le monde oublie que Bouteflika est resté au pouvoir après mon élection en 1979, qu'il avait été membre du Bureau politique et du gouvernement jusqu'en décembre 1981."
Chadli rappelait, sans le dire vraiment, que Bouteflika n’avait pas été écarté du FLN pour ses idées, mais pour "gestion occulte de devises au niveau du ministère des Affaires étrangères", selon la formule d’inculpation de la Cour des comptes. Il payait ainsi pour avoir placé sur des comptes particuliers en Suisse, entre 1965 et 1978, et à l’insu du Trésor algérien, les reliquats budgétaires de certaines ambassades algériennes à l’étranger. Dans la décision de suspendre l’appartenance d’Abdelaziz Bouteflika de ses rangs "en attendant son exclusion par le congrès", le comité central, réuni ce jour-là en 6e session, signale que "le concerné s’engage à restituer les biens et dossiers du parti et de l’Etat en sa possession", parle de "dossier au contenu grave" qui justifie de "saisir la justice de l’affaire".
Chadli s'offusque : "De quelle traversée du désert parle-t-il ? Il est revenu au comité central en 1989. J'avais donné mon accord pour cela. Cheikh Zayed m’avait dit qu’il valait mieux que Bouteflika soit pris en charge par les Emirats que par Saddam ou Kadhafi ou, pire, par la France." Avec une lueur maligne dans les yeux, Chadli avait ajouté : "Le cheikh m’avait dit, en riant : ‘’Votre ministre abuse un peu des boutiques de l’Intercontinental’’ Les achats de Bouteflika étaient, en effet, réglés par le palais royal..."
Le regard absorbé par les souvenirs, Chadli Bendjedid continue de parler, sans me regarder.
"Aujourd'hui il parle de décennie noire, de politique désastreuse de Chadli. Pourquoi l’avait-il approuvée alors, lui qui fut associé aux sept résolutions du congrès extraordinaire du FLN réuni de juin 1980 Pourquoi n’avait-il pas émis des réserves en ce moment-là ? Il me reproche, aujourd’hui, devant la presse étrangère d'avoir accepté des responsabilités pour lesquelles je n’étais pas du tout préparé et pour lesquelles je n’aurais aucune disposition ; il me décrit comme un faux aviateur qui a pris les commandes d’un Boeing 737… Pourquoi multipliait-il alors les gestes de déférence excessifs envers moi ? Je me souviens de la première fois qu’il a siégé en Conseil des ministres, raconte Chadli. Il s’est mis au garde-à-vous devant moi et m’a dit : “Vous êtes le commandant et je suis votre caporal. J’attends vos ordres.” Tout le monde m’appelait par mon prénom, il était le seul à m’appeler “Fakhamat erraïs”… Je savais qu'il faisait tout cela pour rester à l'intérieur du pouvoir, et pour s’éviter le jugement à propos des fonds des Affaires étrangères qui avaient été détournées entre 1965 et 1979… Je n'étais pas dupe. Il me parvenait de toutes parts le compte rendu des médisances qu'il proférait contre moi, dont certaines devant des étrangers…"
Chadli se rappela de la première mission de Bouteflika en tant que ministre conseiller.
"Je l’avais chargé d’un message au président du Yémen du Sud qui était en conflit latent avec le Yémen du Nord. L’hôte yéménite, qui ne connaissait rien de moi, a voulu en savoir plus auprès de Bouteflika. Ce dernier, pour toute réponse, eut un geste désolé : “Que voulez-vous que je vous en dise, Monsieur le Président ? Son nom est suffisamment éloquent.” Le président yéménite, en me rapportant ces propos quelques jours plus tard lors d’une visite à Alger, a eu ce commentaire : “Essayez de mieux connaître ce ministre avant de lui faire confiance.”"
"J’ai fait ce qu’il fallait faire envers Bouteflika"
Ce fut l’une des dernières fois que Chadli se laissa aller à critiquer le président Bouteflika. Il ne le fera de nouveau qu’en 2009, lors d'une conférence à Tarf où il conspuera "ceux qui ont juré sur le Coran de respecter la Constitution et qui ont fait l'inverse". Chadli avait cru utile d'ajouter : "Je ne suis pas de ceux-là."
Nous étions en hiver et il tombait sur le jardin une pénombre glaciale. Chadli, attristé, caressait des plantes.
"Et où est la gratitude ? Tu sais, Mohamed, je ne me suis jamais fait d'illusions sur la gratitude des hommes, mais quand même, Bouteflika, lui qui me suppliait de lui éviter la prison… Oui, je savais qu'il faisait tout cela pour rester à l'intérieur du pouvoir, et pour s’éviter le jugement à propos des fonds des Affaires étrangères qui avaient été détournées entre 1965 et 1979… Ce que j'ai fait pour lui, je ne l'avais fait pour personne."
Chadli raconte que dès sa prise de fonction, il avait demandé à Bouteflika de rembourser les sommes qui avaient été détournées et placées dans des comptes en Suisse, en joignant tous les justificatifs. Il l’avait chargé de prendre attache avec Mohamed Seddik Benyahia, alors ministre des Finances pour régler l’affaire au plus vite. Mais il ne remboursera que dix pour cent du montant demandé et sans joindre les justificatifs. "Nous avions comparé avec les chiffres qui étaient en possession des services de renseignement et avions découvert qu’il manquait presque 6 milliards. J’ai alors donné mon accord pour le déclenchement de la procédure judiciaire… (1)"
Il observe un moment de silence, puis ajoute d’un ton grave :
"Mais j’avais intervenu pour qu’il ne soit pas emprisonné…J’ai fait ce qu’il fallait faire envers Bouteflika… Il avait multiplié les interventions auprès des membres de ma famille – notamment auprès du beau-père, Mohamed Bourokba, alors hospitalisé à la clinique Hartmann de Neuilly (2) et auquel il rendait visite fréquemment pour le supplier d’intercéder auprès de son gendre président afin qu’il recouvre sa place dans le système - et avait même chargé certains amis, comme le Marocain Mohamed Basri ou les dirigeants palestiniens Yasser Arafat et Hawatmeh d’intercéder en sa faveur auprès de moi… "
Ce fut ainsi que Bouteflika obtint de Chadli l’assurance qu’il pouvait rentrer au pays sans être inquiété. Les mesures conservatoires prises à son encontre dans le cadre de l’enquête judiciaire seront levées une à une.
"Je lui avais rendu son passeport diplomatique et lui avais rétabli son traitement de haut fonctionnaire. Il avait récupéré tous ses biens grâce à moi…"
Bouteflika négocia, en effet, avec succès la restitution de sa villa de Sidi Fredj confisquée par le wali de Tipaza et gendre de Chadli, Kaddour Lahoual. Il bénéficiera ensuite d’une somptueuse demeure de 22 chambres située sur les hauteurs d’Alger, Dar Ali Chérif, en compensation d’une villa qu’il occupait avant que l’Administration ne l’affectât à Messaoudi Zitouni, ancien ministre et président de la Cour des comptes.
"A propos de villa… Sais-tu que l’inventeur de l’expression «décennie noire» est un responsable qui a voulu s’accaparer d’une demeure propriété de l’État, qu’il refusait d’évacuer à la fin de ses fonctions ? C’est parce que j’ai refusé de lui céder ce bien d’État qu’il s’est répandu dans Alger avec cette formule de décennie noire que la presse a vite fait de reprendre…".
J’ai gardé de Chadli l’image de l’homme déchiré. Il personnifiait un trouble singulier : comment se prévaloir d’un régime qui a pris le pouvoir par la force et s’étonner qu’il fut aussi hégémonique, autoritaire et impitoyable ? J’avais l’impression d’avoir devant moi une illusion aux cheveux blancs. Chadli incarnait notre impuissance : ce pouvoir ne changera pas avec de bons sentiments. J’ai emporté de Chadli avec un malaise qui ne m’a plus jamais quitté..
M.B.
FIN
1) Le 5 janvier 1979, soit une semaine à peine après le décès de Boumediène, Bouteflika remet au Trésor public un chèque libellé en francs suisses d’une contre-valeur de 12 212 875,81 DA tiré de la Société des banques suisses à Genève. Il ne rapatriera pas d’autres sommes, ce qui irritera fortement les autorités qui s’estimaient fondées à considérer ces légèretés comme une marque de mépris à leur endroit. Le chèque remis par Bouteflika était, en effet, loin de correspondre aux chiffres que détenaient les services de renseignements de Kasdi Merbah : Bouteflika aurait "oublié" de s’expliquer sur la disparition de 58 868 679, 85 DA. La Cour des comptes le lui rappellera dans l’arrêt qui sera prononcé le 8 août à son encontre et qui, précisément, "met en débet Abdelaziz Bouteflika pour une somme dont la contre-valeur en dinars représente 58 868 679, 85 DA et qui reste à justifier". La Cour explique que ce montant "est l’aboutissement des longues investigations de l’institution tant au niveau de la Trésorerie principale d’Alger qu’à celui du ministère des Affaires étrangères, et tient compte notamment du rapatriement par M. Abdelaziz Bouteflika au Trésor public de la contre-valeuren dinars de la somme de 12 212 875,81 DA."
2) Bouteflika aura la même prévenance envers le propre frère de Chadli, Abdelmalek Bendjedid, hospitalisé à la même clinique. Il ira plusieurs fois s’enquérir de sa santé, multipliant des visites intéressées au cours desquelles il évoquait avec zèle le passé d’officier de l’ALN du frère de Chadli, vantant ses mérites de directeur de l’Ecole militaire de Guelma et ceux de commandant adjoint de la 1re Région militaire. Il n’oubliait évidemment pas de solliciter, au passage, l’obligeance du frère de Chadli pour qu’il plaidât son cas auprès du chef de l’Etat. Dans sa frénésie à vouloir s’introduire coûte que coûte au sein de la famille de Mme Bendjedid dont il présumait de l’influence auprès de l’époux président, Bouteflika ira jusqu’à faire plusieurs pèlerinages à la zaouïa des Bourokba. Il s’y fera inviter pour la première fois en 1987 et séjournera plusieurs jours de suite à Mazouna, Relizane et Sidi Khetab, localités de la zaouïa.
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Mohamed Benchicou
LEMATINDZ
Rédigé le 27/10/2012 à 07:15 dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
Suite des confessions de Chadli Bendjedid.
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Ce jour-là, et puisque Nezzar avait introduit le débat, Chadli s’était longuement attardé sur les réformes et sur Hamrouche. "Quelles réformes de Hamrouche ? Les réformes, c’est moi ! Pour mener des réformes, il faut posséder le pouvoir et le pouvoir, à l’époque, c’était moi qui l’avais. Je voulais que l'Algérie tire les leçons de l'empire soviétique et ne tombe pas dans les mêmes travers." Chadli insiste. "Il n’y a pas de réformes Hamrouche. C’est moi qui ai, dès mon accession au pouvoir, poussé vers la réhabilitation de l'Etat de droit et la transition vitale vers une Algérie rénovée et rajeunie. Une de mes toutes premières décisions fut de libérer Ben Bella. Je ne concevais pas d’État de droit avec un prisonnier politique dans nos geôles. J’aspirais à l’État de droit. Par profonde conviction politique. Une vieille, une ancienne conviction, transmise par mon père, qui était lieutenant de Ferhat Abbas pour la région d’Annaba. Je l’ai fait par attachement aux idées libérales héritées de mon père, et à la mémoire de Ferhat Abbas, une figure qui a marqué ma jeunesse, un homme qui était en avance sur son temps, qui a eu le courage de ne pas succomber aux populismes et qui avait une idée gigantesque de la démocratie, de la société civile et de l'État. Oui, j’ai toujours été UDMA et pas PPA, et j’ai agi en conséquences. Les réformes, ça ne m’est pas venu comme ça, par hasard. C’est une vieille obsession de jeunesse. J’ai toujours voulu arracher l'Algérie aux monopoles de la pensée et de l'économie. Je regrette seulement de n'avoir pas eu le temps de rendre irréversibles ces réformes politiques et économiques. Alors, quand j’entends parler de "réformes de Hamrouche"… Laissons faire le temps. Je ne cherche pas une place dans l’histoire, mais il arrivera vite l’époque où l’on se rappellera qui est véritablement l’instigateur, en Algérie, du pluralisme politique, de l’ouverture du champ médiatique et de la culture des droits de l’Homme…"
Puis, en me regardant, le doigt pointé sur moi : "Oui, Mohamed, pour engager des réformes, il faut posséder le pouvoir. C'était tellement plus commode d'employer les attributs du pouvoir à des fins personnelles. Mais je n'ai pas l'habitude de trahir mes croyances. J’ai mis mon pouvoir - «et j'avais un énorme pouvoir» - au service de la transformation de l’Algérie. Dans l’honnêteté et la transparence. Et je dirai même, dans une certaine fidélité à Boumediene. Il me disait : «N'oublie pas que celui qui tient à me suivre mourra dans le dénuement » Moi, je suis fier, aujourd'hui, de n'avoir pas accumulé des richesses sur le dos de l'Algérie et je pense haut et fort que la véritable richesse est de rester fidèle à ses idées. Pour la dignité de l'Algérie, Chadli n'a jamais tendu la main à l'étranger."
Pour faire ses contrôles médicaux, l'ancien Président de la République, qui déclarait vivre de sa seule pension de retraité, devait toujours recourir à la Sécurité sociale algérienne, "faute de moyens pour suivre des traitements médicaux privés".
"On a dit toutes sortes de choses à propos de mes réformes, notamment que je voulais effacer les traces de Boumediene. C’est faux ! J’ai toujours été fidèle à Boumediene. Son unique souci était de libérer l’Algérie de la colonisation et la construction d’une Algérie qui jouisse de la justice sociale et de la prospérité. Il rêvait d’une société affranchie de l’ignorance et de la dépendance. Il a servi son peuple au point d’oublier les siens et sa propre personne. Mais je sais qu’avant sa disparition, Boumediene pensait sérieusement à introduire des changements radicaux dans la politique agricole, la politique industrielle et les nationalisations. Tu veux que je te dise ? Ceux qui m’accusent d’avoir voulu effacer les traces de l’ère Boumediene sont précisément ceux qui ont le plus bénéficié de la situation et qu’on appelle les barons du régime. Ils ont été aidés par une minorité de gauchistes qui ont voulu obtenir des privilèges au prix de quelques marchandages. Mais j’ai refusé."
"Je n’ai ni créé ni aidé le FIS"
Cela dit, Chadli redoutait de rester dans l’histoire comme celui qui aura créé le Front islamique du salut, accusation qui l'accable plus que toute autre. "Je n'ai jamais créé le FIS ni aidé à le créer. J'étais en conférence dans un pays d'Afrique, quand des collaborateurs parmi les plus proches m’avaient joint pour m'informer de l'idée de laisser se constituer les islamistes au sein d'une grande formation politique. J'étais sceptique. Ils m’ont alors rassuré, avançant qu'ils savaient ce qu'ils faisaient. La suite vous la connaissez. Je n'ai jamais eu de sympathie particulière pour le FIS dont j'ai de tout temps considéré les dirigeants comme des hypocrites politiques qui instrumentalisent la religion pour arriver au pouvoir. Contrairement à ce qui est avancé de façon pernicieuse, je n'ai jamais rencontré de responsables du FIS en dehors des rencontres publiques avec les formations politiques, qui ont eu pour théâtre le siège de la Présidence de la République et auxquelles était convié le FIS au même titre que tous les autres partis. J'ai d'ailleurs toujours évité de voir qui que ce soit à l'extérieur de la Présidence, par respect infaillible à ma mission de premier magistrat. J'étais chargé de mettre l'Etat au-dessus de toutes les considérations politiciennes." A-t-il été surpris, alors, que le FIS ait réussi à s'imposer largement aux législatives ? "Oui, car nous avons été trompés par les sondages officiels et officieux qui parvenaient régulièrement à la Présidence, qui faisaient fausse route totale et qui attribuaient au parti de Abassi Madani moins du quart des suffrages. Mais de là à suspendre le processus électoral…"
Il assume son choix d’avoir refusé de mettre fin aux élections. "C'était mon choix de poursuivre le processus électoral, d'affronter l'énorme incertitude et de faire confiance en l'avenir Je ne voulais pas abdiquer à la volonté d'un système qui avait vieilli. Alors, entre ma conscience et mon poste, j'ai choisi ma conscience. C'était une question de fidélité à sa morale et à ses convictions. Nous étions devant un dilemme inattendu, certes, mais quand on a des convictions on ne peut faire une autre politique que celle que dicte votre conscience. On ne peut prétendre édifier un Etat de droit et accepter qu'on bafoue le verdict des urnes, quel que soit ce verdict."
Ce choix contrarié, Chadli Bendjedid, pour ne pas avoir "à faire une autre politique", dit alors avoir choisi, de son propre chef, de partir le 11 janvier 1992. Neuf ans plus tard, il ne regrettait toujours pas cette décision majeure qui, souligne-t-il, l’avait mis en adéquation avec lui-même. Quant à ce qui s'est produit par la suite, il préfère répondre par un soupir : "Le temps aurait travaillé pour la vérité et aurait dévoilé la véritable face du FIS."
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Mohamed Benchicou
LEMATINDZ
Rédigé le 26/10/2012 à 21:46 dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
Entre l'automne 2000 et le printemps 2001, j'ai rencontré l’ancien
président Chadli Bendjedid, un dizaine de fois, dans sa demeure
algéroise du quartier Poirson où il vivait retiré avec ses proches.
Celui qui fut un très controversé chef d'État voulait me confier la
rédaction de ses mémoires auxquelles il pensait déjà, neuf ans après
avoir quitté le pouvoir. «J'ai besoin d'un nègre, je l'avoue, et on t'a
recommandé particulièrement», avait-il murmuré, à notre première
rencontre, avec ce sourire à la fois espiègle et confus qui caractérise
nos provinciaux. J'avais réservé ma réponse. Ce qui m’importait en
premier était d'arracher, pour le compte de mon journal Le Matin, la
première interview de cet ancien chef d'État qui s'était muré dans le
silence depuis son départ du palais d'El-Mouradia. Je caressais, en
outre, le projet d’en obtenir des informations de première main pour le
livre "Bouteflika une imposture algérienne" dont j'avais commencé la
rédaction.
Il m'accueillait en famille. C'était toujours en compagnie de son épouse Halima, de ses fils ou, parfois, d'Abdelhamid Mehri, parent par alliance, que débutaient nos rencontres avant que, très délicatement, il les transforme en de longs tête-à-tête qui duraient, parfois, jusqu'à une demi-journée.
Le plus souvent amer et dépité par tout ce qui se racontait sur lui, Chadli Bendjedid s'abandonnait volontiers à des confidences sur les arcanes de la politique algérienne dont il fut un acteur et un témoin privilégié, n'hésitant pas, sans en avoir l’air, à lever un timide voile sur le personnel politique algérien. Je découvrais alors un homme à l'opposé du portrait que dressaient de lui ses adversaires. Le Chadli que j'ai eu à rencontrer n'avait rien du roi fainéant ni du sot monarque qu'on aimait à dépeindre pour la grande joie de l'homme de la rue. Il était plutôt à l'aise avec les choses de la politique, insistant sur le rôle de l'État en démocratie, n'hésitant pas à faire le lien avec l'histoire et avec le mouvement national, affichant de cette perspicacité rentrée que portent en eux les Algériens du pays profond, c'est-à-dire une discrète clairvoyance qu'on répugne généralement à étaler. Il semblait avoir pleine conscience de la démarche stratégique à imprimer à l’avenir du pays.
L'homme était intarissable, s'exprimant avec une insoupçonnable franchise, mélangeant l'amertume à l’ironie et au mépris, s'exprimant parfois avec colère mais jamais avec haine. Il gardait toutefois la lucidité propre aux hommes politiques et conditionnait la poursuite de ces entretiens très spéciaux à la promesse de ne pas les publier sans son consentement. "N’écris rien sans mon feu vert !" Chadli tenait à ne pas rompre le silence qu’il s’imposait depuis neuf ans.
Je dois dire qu'il me fut bien difficile de respecter un l’engagement de ne rien écrire sans sa permission. Les révélations que me faisait l'ancien président constituaient, pour le journaliste que je suis, une de ces aubaines dont on dit qu'elles ne se produisent jamais deux fois au cours d'une carrière. J’ai dû déployer des trésors de diplomatie pour lui extorquer la permission de publier un premier condensé de ses déclarations dans Le Matin du 13 janvier 2001. Ce fut alors la première sortie médiatique du président Chadli Bendjedid depuis son retrait de la vie politique. J'ai utilisé un autre partie de ces confidences dans le livre Bouteflika une imposture algérienne. Le plus gros des divulgations que Chadli m’a faites et qu’il disait réserver pour ses mémoires n'ont, cependant, jamais été portées à la connaissance du public. À ce que j'en ai appris, les dites mémoires qui devraient bientôt paraître sur le marché, ne devraient pas contenir de révélations notables. Ayant choisi, in fine, de ne fâcher personne, l’ancien président les auraient expurgées des confidences les plus fracassantes.
Ce sont donc des confessions inédites sur une époque marquante de mutation politique de l’Algérie, que je me propose de rapporter ici, par devoir envers le public mais aussi par souci de vérité envers un homme si souvent brocardé sans être vraiment connu.
"Personne n'a obligé Chadli Bendjedid au silence"
J’avais en face de moi un homme qui semblait avoir domestiqué le temps. Après près de dix ans d’ermitage, l'ancien président n’avait pas changé. Toujours cette corpulence de sportif endurci, la même chevelure cendrée qui ne concède aucune parcelle à la calvitie et toujours cet accent sans emphase qui lui a valu bien des sarcasmes. Celui qui a présidé durant treize longues années aux destinées de l'Algérie et qui fut au centre de plusieurs controverses, tenait à ne rien laisser paraître de ses amertumes, s’efforçant d’afficher la singulière sérénité d'un homme "à la conscience tranquille et qui ne regrette rien". Tout juste, par instants, se laissait-il trahir par une lueur désabusée qui assombrissait un peu plus un regard blasé par "tant d'ingratitude", l’ingratitude de presque tous, de ceux-là à qui il a rendu la liberté ou d'autres à qui il avait fait confiance. Mais n'est-ce pas cela, tout cela et rien que cela, le système à qui il avait lui-même si longtemps appartenu ? A l'écouter, la politique serait une affaire de morale et on se surprend à découvrir un homme presque ingénu à la place de celui qu'on croyait rompu aux impitoyables manoeuvres du sérail. Chadli, président outragé, homme blessé, justifie son long silence par "un choix personnel, sans aucune contrainte de qui que ce soit." Il dit avoir résisté aux démons de la polémique, par amour de la patrie : "Répondre à qui ? Et pourquoi ? Pour ajouter de l'huile sur le feu qui n'en manque pas ? Pour créer d'autres motifs de discorde à une situation déjà sérieusement compliquée ? Non je préfère ne rien dire pour l’instant, je laisse à plus tard…" L'immense égard qu'il déclare garder pour la fonction qui fut la sienne, le sens de l'Etat et des responsabilités qu'il a eu à assumer ainsi que l'éthique politique qu'il disait chérir au-dessus de tout, l'ont conduit donc à ce remarquable "silence responsable" qui, pense-t-il très fort, a épargné l'Algérie des déchirures supplémentaires. "Non, personne d’autre que Chadli Bendjedid n'a obligé Chadli Bendjedid au silence. Le pays a davantage besoin de protection et de responsabilités que d'échange de quolibets."
La retraite forcée lui permet de lire et de s'adonner aux joies de la famille. L'ancien Président, qui vivait alors à Oran, non pas dans une résidence d'Etat comme on s'était plu à le raconter mais dans "la modeste habitation de sa belle-famille", se disait libre de tous ses mouvements, libre de se déplacer à l'intérieur et à l'étranger. "Mais quand on ne fait pas partie des gens qui aiment voyager ou qui adorent faire le tour des chefs d'Etat, les déplacements à l'étranger ne sont pas une obsession."
A quel prix, cependant, se plie-t-on au silence responsable ? Chadli était exaspéré par tous ceux-là qui, exploitant son mutisme, faisaient des gorges chaudes à son propos. Ce matin-là, je l’avais trouvé plus dépité que de coutume. Devant lui, la presse du jour qui rapportait les propos dédaigneux et quasi insultants du général Khaled Nezzar se gaussant de l’inculture de l'ancien président. "Avec Chadli, c'était très simple : quand il disait quelque chose d'intelligent, on devinait qu'il venait de recevoir Mouloud Hamrouche !", avait déclaré l'ancien chef d'État-major de l’armée algérienne. Chadli hochait la tête avec tristesse et gravité. "Ah, il parle, il parle, maintenant Nezzar…" Après un long moment de silence, il murmura, le regard fixé sur le pin qui s'élevait vers les cieux : "Le problème, vois-tu, c'est la morale. Moi j'ai toujours agi en fidèle aux hommes que j’ai côtoyés. A Boumediene, à Bouglez… J’ai toujours agi en fonction d'un code d'honneur. C'est primordial, l'honneur, le respect, la discrétion, la réserve… Nezzar n’en a pas. C'est une petite créature. Un personnage de circonstances. Il rasait les murs quand j’étais président. Il sollicitait des entrevues que j'accordais rarement. Tu peux le vérifier auprès de ceux qui collaboraient avec moi à l’époque : personne ne s'autorisait à élever la voix parmi ceux qui aujourd'hui se pavanent devant la presse et se répandent en médisances. J’avais un énorme pouvoir et je le mettais au service des transformations sociales et politiques de l'Algérie, au service de son honneur. Aujourd'hui, devant le silence des anciens, c'est la foire des parvenus. Écoutez Khaled Nezzar, ou Anissa Boumediene, ou Bouteflika... Qu’adviendrait-il si je me mettais à leur répondre ? Je sais tout sur eux. Tout : comment ils ont été promus, comment ils sont devenus ce qu’ils sont. Ils ne savent rien sur moi. Veut-on vraiment qu’on dise tout sur Nezzar ? Ce serait catastrophique pour lui. Je le dirai peut-être dans mes mémoires. Mais nous devons à ce peuple d’être dignes en politique."
A ma connaissance, le président Chadli n’a rien révélé de fracassant, dans ses mémoires, à propos du général Nezzar. Mais il n’en pense pas moins. En 2009, à Tarf, lors d’une rencontre sur Amara Bouglez, fondateur de la base de l’Est, il l’accusa rien moins que d’avoir été "un espion" pour le compte de l’armée française. Ce qui est, avouons-le, assez édifiant !
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Mohamed Benchicou
LEMATINDZ
Rédigé le 26/10/2012 à 20:12 dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)
Le jeudi dernier, l’expert jordanien, Jamel Safy, et le chef du projet Athena, le Pr Kharchi Fattoum, avaient dirigé un cycle de formation des éléments du ministère de la Culture et celui de l’Habitat, autour du thème : «Formation sur l’utilisation du scanner 3D dans les sites archéologiques».
Mme Kharchi Fattoum exerce au laboratoire «Bâti dans l’environnement» de l’Université Houari Boumediene. Elle dirige le projet Athena, un projet euro-méditerranéen qui regroupe des partenaires des 2 rives de la Méditerranée. Ce projet est financé globalement par la Commission européenne. Ce projet comprend des équipes espagnole, italienne, jordanienne, tunisienne et algérienne. Les travaux de ce projet, lancé depuis 3 ans, s’articulent autour du thème : «Relance des théâtres antiques dans la vie contemporaine».Deux volets constituent ce projet euro-méditerranéen. D’abord, le volet matériel et technique qui concerne le bâti et la restauration des sites archéologiques, et le volet immatériel et gestion. Dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet, les responsables chargés de l’encadrement de la formation avaient porté leur choix sur les théâtres antiques de Cherchell et de Tipasa.
L’objectif recherché est d’arriver à trouver les moyens adéquats pour utiliser ces théâtres dans la vie quotidienne. Certes, le projet selon ses initiateurs est complet et global. Cela commence par la récolte de toutes les données historiques, techniques et des matériaux qui composent le site archéologique. Ensuite, interviennent les études de la structure, dans tous ses aspects, les risques environnementaux, les risques sismiques, l’utilisation des équipements techniques et ceux de l’audio et de l’audiovisuel, jusqu’à l’élaboration d’un plan de développement. Chaque spécialiste de l’équipe se penche sur un sujet de travail. Pendant la formation, l’accent a été mis sur l’utilisation des techniques nouvelles pour effectuer les relevées géométriques. Dans le passé, on utilisait les théodolites qui exigeaient beaucoup de temps pour faire les calculs.
Or, avec les techniques du scanner aux 3D, les archéologues font des prises de vue qui sont traitées par des moyens informatiques. Ces nouvelles techniques permettent d’obtenir des données très rapidement, synthétisées et prêtes pour être utilisées soit pour la restauration du site archéologique, sinon à d’autres besoins. Le cycle de formation a été assuré par une équipe jordanienne qui maîtrise cette technologie. Le scanner 3D dans les sites archéologiques est une technique qui n’est pas très répandue en Algérie, bien qu’elle soit utilisée dans certaines universités.
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Rédigé le 25/10/2012 à 19:14 dans Les ruines | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 21/10/2012 à 08:51 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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Cinquante ans après l’indépendance nationale, des pans entiers de l’histoire de la lutte de Libération restent encore enfermés dans des zones d’ombre.
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Des acteurs aux hauts faits d’armes tus par une histoire sélectivement écrite. C’est le cas des militants de l’OS de la Fédération de France du FLN, que nombreux parmi eux n’ont pas trouvé leur place dans une indépendance chèrement acquise. C’est cette part importante d’une dimension de la lutte de libération en métropole que l’historien Daho Djerbal sort de l’ombre dans son livre, qui vient de paraître aux éditions Chihab sous le titre L’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN (1956-1962).
La spéciale. Un livre qui jette un coup de projecteur sur le rôle des hommes et des femmes qui ont porté la guerre sur le territoire français. Un ouvrage qui donne la parole aux principaux acteurs de la «spéciale». Leurs témoignages lèvent le secret sur cette phase décisive dans la lutte pour l’indépendance. Le livre se veut «un hommage rendu aux hommes et femmes qui se sont battus pour l’indépendance. Je suis un restitueur de parole à des militants qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour que nous soyons libre», a soutenu Daho Djerbal à l’occasion d’un débat autour de son livre, avant-hier, à la maison d’édition Chihab à Alger.
L’auteur parle de «grande injustice politique et morale» à l’égard de ces militants. Situant le contexte historique et politique qui l’a amené à sortir cette période historique et ses acteurs de l’oubli, Daho Djerbal fait un reproche aux historiens et autres acteurs qui ont écrit sur la Fédération de France du FLN. Il cite La 7e Wilaya de Ali Haroun qui, selon l’historien, «dans le passage sur l’OS, des militants n’ont pas trouvé le mérite qui leur revient. Une déconsidération et une atteinte aux sacrifices de ces militants», juge-t-il. Plus tragique encore, ces militants n’ont pas trouvé leur place à l’indépendance. «Ils étaient écartés», s’indigne Daho Djerbal.
Un des acteurs de la «spéciale» retient essentiellement l’intérêt de
l’auteur. Il s’agit de Aït Moukhtar Necereddine, qui était adjoint de
Saïd Bouaziz. «Ce militant s’engage dans la spéciale sur le terrain en
menant des actions après avoir arrêté ses études de médecine suite à la
grève des étudiants de 1956. Il a rompu avec tous. C’était un candidat à
la mort pour la liberté. A l’indépendance, on lui a refusé de continuer
ses études de médecine et il a été contraint de s’exiler en Belgique
pour pouvoir accomplir ses études», témoigne Daho Djerbal.
Le cas de Aït Moukhtar est emblématique de nombreux militants(es) de
l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN, dont
l’historien a tenté de sortir de l’oubli et de l’ombre de l’histoire de
la guerre, à travers son livre.
Un ouvrage qui restitue la parole à ces acteurs, dont beaucoup ne sont
plus de ce monde, que l’histoire officielle a passés sous silence. «La
part qui est réservée aux membres de l’OS dans l’histoire de la
Fédération de France n’était pas du goût du plus grand nombre. Il y
avait en fait un contentieux que le temps n’avait pas aidé à résoudre :
la spéciale de la Fédération de France du FLN était-elle une
organisation civile ou une organisation militaire ? (…) Pour les membres
de la spéciale, il n’y avait pas l’ombre d’un doute ; ils étaient des
djounoud de l’ALN», écrit Daho Djerbal en guise d’avertissement dans son
livre.
Et c’est à ce moment que Aït Moukhtar décide d’écrire l’histoire de ces
vaillants «oubliés de l’histoire». Un travail qu’il n’a pu finir en
raison
d’une maladie handicapante, mais que l’historien a repris et mené à bout au terme d’années de recherches et de témoignages recueillis auprès de nombreux militants de la «spéciale», pour qu’ils puissent enfin être reconnus par l’histoire à défaut de reconnaissance de la République. Le livre de Daho Djerbal lève le voile sur une part cachée de l’engagement des militants humbles qui ont donné de leur vie pour l’idéal indépendantiste. Il relance le débat sur l’histoire contemporaine de l’Algérie, entourée de points aveugles. Un demi-siècle après l’indépendance – timidement célébrée – la vérité historique continue à déranger.
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Daho Djerbal, l’Organisation spéciale de la Fédération de
France du FLN : histoire de la lutte armée du FLN en France (1956-1962),
Editions Chihab, Alger 2012, 446 pages.
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Rédigé le 18/10/2012 à 20:01 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Avec L’œuvre en fragments de Kateb Yacine, on retrouve, grâce à Jacqueline Arnaud qui a mis plus de vingt ans pour rassembler des textes épars et inédits de l’auteur de Nedjma, la beauté d’une langue française aux diaprures teintées d’un « Maghreb » secouant le joug du colonialisme. Mais aussi le profil d’un auteur dont on n’a pas fini de découvrir la modernité, le chant presque prémonitoire de la révolution du Jasmin et le sens d’un humanisme sans concession.
Rédigé le 16/10/2012 à 21:40 dans Politique, Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
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Et si c’était le livre qu’on attendait sur la guerre d’indépendance ? Mieux, sur l’histoire franco-algérienne, une relation imbriquée ? Les auteurs (ils sont nombreux) se sont attaqués à 132 ans de passé commun l Pour le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, des centaines de livres ont été publiés en France, beaucoup moins de l’autre côté de la Méditerranée, rares sont ceux qui ont entrepris une œuvre aussi titanesque.
Algérie-France, France-Algérie, l’histoire n’en finit pas de réclamer son dû. Les éditions La Découverte (Paris) et les éditions Barzakh (Alger) publient conjointement et simultanément cet ouvrage collectif destiné à un large public sur l’histoire de l’Algérie pendant la période coloniale (1830-1962). Une heureuse initiative qui a réuni des historiens des deux rives et d’autres nationalités. «Cet ouvrage replace ainsi la guerre d’indépendance dans le temps long de la période coloniale, car c’est bien dans cette longue durée que le conflit s’enracine. Il permet ainsi de rendre compte des résultats des nombreux travaux de recherches novateurs conduits sur la période comprise entre la conquête et le début de cette guerre. Dans ce cadre historique, l’ouvrage entend questionner comment l’histoire de ces deux pays et de leurs populations s’est nouée dans des rapports complexes de domination et de violence, mais aussi d’échanges, dans les contextes de la colonisation puis de la décolonisation.
Il s’agit enfin d’interroger les héritages de ces cent trente-deux ans de colonisation qui marquent encore les sociétés algérienne et française», expliquent dans leur introduction Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault. Le livre, l’encyclopédie plutôt, s’intéresse à plusieurs facettes. Au-delà de l’aspect militaire, nécessairement très présent, de nombreux auteurs (ils sont plus d’une soixantaine) se sont attachés à narrer l’Histoire par des histoires captivantes. Michel Levallois nous fait (re)découvrir Ismaÿl Urbain, né en Guyane sous le nom de Thomas Appoline, d’un négociant marseillais et de la petite-fille d’une esclave noire. Français converti à l’Islam (1812-1884), il est décrit par Charles-Robert Ageron comme «le premier et plus grand des indigènes», «un homme de couleur», saint-simonien et musulman. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec Frantz Fanon, même si les deux démarches sont très différentes.
L’aménagement de l’espace peut être aussi une occasion de mise en scène idéologique. L’architecte paysagiste, Ghanem Laribi, et l’écrivain et éditeur, Sofiane Hadjadj, attaquent fort : «L’histoire du Jardin d’essai du Hamma à Alger, considéré comme un des plus importants jardins d’acclimatation au monde, célébré jusque dans les écrits de Karl Marx, André Gide, Albert Camus ou Jacques Derrida, se confond précisément avec celle de la colonisation ?» Et de démontrer qu’il a été pensé comme une mise en scène de l’appropriation et de la réussite coloniales. Objectif du livre : «mettre à disposition des lecteurs une histoire partagée et critique de cette période historique, qui tienne compte des interrogations actuelles des sociétés sur ce passé». Objectif dépassé. Un livre indispensable.
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Rédigé le 16/10/2012 à 17:21 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
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