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Il y a 70 ans, l’auteur de « L’Étranger » séjournait sur le plateau pour la première fois.
Retour vers le passé
« J’ai lié une intrigue avec ce pays, c’est-à-dire que j’ai des raisons de l’aimer et des raisons de le détester », disait l’écrivain en évoquant le Haut-Lignon, où il a séjourné, au Mazet-Saint-Voy et au Chambon-sur-Lignon, de 1942 à 1952. La première fois qu’Albert Camus vient au Mazet-Saint-Voy, c’est en juillet 1942, avec son épouse, Francine.
La grand-tante de cette dernière, Sarah Oetly, tient alors une pension de famille dans une ferme-forteresse, avec tour et portail à créneaux, à « Panelier », sur une petite route reliant Le Mazet-Saint-Voy au Chambon-sur-Lignon.
Enfants, Francine Faure et ses sœurs passaient leurs vacances ici.
Camus est malade. Son pneumothorax l’oblige à quitter l’Algérie et Oran, cité étouffante, pour une région au climat vivifiant. Il prend contact avec un médecin à Saint-Étienne pour suivre un traitement à base d’insufflations.
Outre la fraîcheur des températures sur le plateau, la nourriture contribue à le requinquer. Les fermiers vendent volontiers beurre, lait, fromage, viande et ces délicieuses pommes de terre rattes dont il raffole.
L’écrivain apprécie le paysage, mais lentement. « Beau pays, un peu grave. Des prés, des bois, des sources, jusqu’à l’infini. Des odeurs d’herbe et des bruits d’eau pendant toute la journée. Je le trouve beau, mais il n’est pas encore rentré en moi. Il faudra beaucoup de promenades. »
Camus marche, taquine la truite, s’attache à une chatte qu’il baptise Cigarette. À l’automne 1942, sa femme repart en Algérie. Il ne pourra pas la rejoindre, car les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord le 8 novembre.
À « Panelier », on écoute les émissions de la BBC et ses messages. Surtout, Camus travaille. Il écrit, dans une pièce qui ouvre sur une majestueuse allée de hêtres, Le Malentendu, et vraisemblablement la plus grande partie de La Peste. Certains se plaisent à dénicher, au détour des pages de ce chef-d’œuvre, des noms rappelant son séjour à « Panelier ». On peut ainsi trouver dans le personnage du docteur Rieux des analogies avec le docteur Roger Le Forestier (exécuté par les nazis en 1944).
Après la guerre, il séjourne régulièrement, en famille, au Chambon-sur-Lignon, dans la villa « Le Platane ». Sa fille Catherine, née en 1945, se souvient : « Dès l’âge de 2 ans, j’ai passé beaucoup de vacances heureuses avec mes parents, au pied des grands arbres, au milieu des fleurs, avec le chant du Lignon. »
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Fabienne Mercier
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Le plateau sous la plume de Camus
Dans ses Carnets II, parus chez Gallimard, Albert Camus évoque les paysages du plateau et ses impressions saisies à « Panelier », au Mazet-Saint-Voy.
« Panelier… 17 juin 1947… Merveilleuse journée. Une lumière mousseuse, luisante et tendre au-dessus et autour des grands hêtres… »
« Octobre… Dans l’herbe encore verte, les feuilles déjà jaunes, un vent court et actif, forgé avec un soleil sonore sur la verte enclume des prés, une barre de lumière dont les rumeurs d’abeilles venaient jusqu’à moi. »
« À l’automne, ce paysage se fleurit de feuilles, les cerisiers deviennent tout rouges, les érables jaunes, les hêtres se couvrant de bonze. Le plateau se couvre de mille flammes d’un deuxième printemps. »
« Il y a dans ce pays une perpétuelle confusion entre le printemps et l’hiver. »
« Dans ce pays où l’hiver a supprimé toute couleur, le moindre son, tous les parfums, la première odeur d’herbe du printemps doit être comme l’appel joyeux, la trompette éclatante de la sensation… »
« Le matin, tout est couvert de givre, le ciel resplendit derrières les guirlandes et les banderoles d’une kermesse immaculée. »
« Avant le lever du soleil, au-dessus des hautes collines, les sapins ne se distinguent pas des ondulations qui les soutiennent. Puis le soleil dore le sommet des arbres. On dirait une armée de sauvages empennés surgissant de derrière la colline. »
Évoquant Saint-Étienne : « La pluie noie le paysage crasseux d’une vallée industrielle. »
« Quand je n’ai rien de mieux à faire, je vais chercher des champignons. Cette pacifique occupation m’aide à oublier tout ce que je vois quand je vais à Saint-Étienne pour mon traitement : la plus affreuse misère que j’aie jamais rencontrée. »
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