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La BATAILLE de SOUK ARHAS vue du coté ALN
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Bataille de Souk-Ahras (27 au 29 avril 1958). Aït Mehdi dit "Si Mokrane", officier de l’ALN en Willaya III, raconte.
J’ai fréquenté le lycée de garçons de Maison carrée actuellement El-Harrach où je fréquentais un cellule MTLD.
Je me suis engagé sciemment dans l’armée Française pour mieux la combattre. D’abord la PMS (Préparation Militaire Supérieure), puis école des sous officiers de Cherchell où j’ai préparé ST CYR. Mais j’ai été envoyé à ST MAIXENT d’où je sortis Sous Lieutenant. Le 14 septembre 1957, je suis arrêté à Dinan (France) pour atteinte à la sûreté de l’Etat et tentative de désertion. Je fus mis aux arrêts de forteresse puis incarcéré à la prison de Fresnes.
A ma libération, je prends la décision de rejoindre les rangs du FLN/ALN. Je me porte volontaire pour la Willaya III en même temps que Benmessabih lui aussi ex-officier de l’armée française et originaire de Mascara. Les affectations nous sont notifiées par Arezki Bouzida. Nous sommes ensuite conduits à Ghardimaou où nous recevons notre paquetage. Je me défais alors de mes habits civils et de mon identité au profit de Mohand Ouchaâbane qui avait perdu un bras en Wilaya III. Après cela, nous regagnons le camp d’El Mina où étaient cantonnés les djounouds de la Wilaya III. La direction du camp est assurée par Hidouche mort au combat en août 1959 dans l’orangeraie d’Annaba.
Après quelques jours passés là, nous embarquons sur des véhicules civils en direction du camp de Zitoun, situé à la frontière. Là, je rencontre le commandant Bensalem dit "Si Abderrahmane" "Que Dieu ait son âme" originaire de la région de Souk Ahras. Il portait une cravate à laquelle il devait tenir. Il était calme et chaleureux, fumait beaucoup et ne se séparait jamais de sa canne.
Ex sergent-chef de l’armée française, déserteur en 1956 avec plusieurs autres militaires, ils ont emporté l’armement complet d’une compagnie et détruit le camp où ils étaient. Compagnon du Colonel Aouachria, Commandant de la Base de l’Est de l’ALN, le commandant Bensalem a joué un rôle important dans l’acheminement en hommes et en armes au profit des willayas de l’intérieur. Le lendemain de notre arrivée, nous nous dirigeons vers la ligne Morice où le commandant Bensalem chargé de notre passage était déjà parti en élément précurseur.
Le franchissement de la ligne Morice se faisait un par un par nuit très noire. Un passage était creusé sous le premier réseau électrifié qu’il fallait emprunter en rampant et en s’aplatissant au maximum dans la flaque d’eau qui inondait les lieux.
Si Abderrahmane se tenait debout toujours muni de sa canne. Tout à coup, un cri déchirait la nuit et une odeur de cheveux brûlés se dégageait. Un djoundi venait d’être électrocuté. Si Abderrahmane, à l’aide de sa canne tire le corps pour libérer le passage. Un instant après, un second djoundi subit le même sort. Une fois le passage du premier réseau achevé ; un char arrivait balayant de ses projecteurs la zone où nous nous trouvions (entre deux réseaux électrifiés).
Immobilisés et plaqués au sol, nous échappions aux vues de la patrouille. Vu l’heure tardive (4 heures), il fallait cisailler le second réseau et foncer à vive allure. Au lever du jour (7 heures), nous arrivons sur le terrain où il n’y avait ni montagne, ni rocher, ni maquis.
A 4 kms environ à vol d’oiseau apparaissait un poste militaire. Soudain, se dirige vers nous un avion d’observation Piper.
La seule stratégie qui s’imposait devant une situation aussi critique était la dispersion. Que faire contre des chars et des avions ?. Ordre a donc été donné de se disperser par petits groupes. Pour ma part, j’ordonnais aux sept djounouds qui étaient avec moi de garder leur sang froid, de s’aplatir le long d’une tranchée naturelle et de se reposer. En fin d’après-midi, nous sommes repérés par un hélicoptère et immédiatement après un avion d’observation Piper suivi d’un T6, se dirigent vers nous.
Je prends la tête du groupe et nous détalons du plus vite que nous pouvions après que le Piper eut balancé une grenade fumigène destinée à signaler au T6 notre position. Lorsque le T6 expédie sa mitraille et sa roquette, nous étions déjà loin. C’était une folle course poursuite qui a duré le temps de quelques bonds jusqu’au moment où le talweg devient assez profond et où nous sommes arrêtés dans notre course par un mur de ronces. Les avions nous perdent de vue, tournent au dessus de nos têtes. Le T6 continue de mitrailler au hasard et s’en va.
Un seul djoundi est blessé, quel miracle ! Mais voici qu’un hélicoptère « Banane » dépose des militaires à 400 m environ devant nous lesquels militaires s’interpellent à très haute voix. L’un d’eux appelait « Mon Commandant » avec un très fort accent du midi. Ils remontent vers nous en mitraillant et en balançant des grenades dans le fond du talweg. A l’approche des militaires, à savoir 1000 m, je dis aux djounouds qu’il fallai sortir et tirer sur le commandant et ses hommes. L’ancien moudjahid qui venait d’être blessé me dit : « Si Mokrane, restons là et ayons confiance en Dieu ».
D’accord, je l’ai écouté et sommes restés silencieux attendant la suite. Arrivés à notre hauteur, ils allèrent brûler une mechta située à proximité. Puis, retentit un coup de sifflet que j’ai compris être l’ordre de ralliement. Dans cinq minutes ce sera la tombée de la nuit. Nous sortons de notre refuge et allons prospecter les lieux non loin de là où l’aviation est intervenue très activement. Nous découvrons quelques djounouds tombés au champ d’honneur, délestés de leurs tenues et pataugas. Nous nous dirigeons vers une mechta devant laquelle se tenait un habitant. Il nous fait rentrer chez lui, nous donna le peu de couscous qui lui restait un café et une cigarette chacun. Nous lui demandons de nous accompagner et de nous mettre en contact des djounoud de la région ou nous conduire vers un relief favorable. Il répondait que les militaires étaient embusqués un peu partout et qu’il nous proposait de nous abriter à l’intérieur d’une cache à 20 minutes de là dans un terrain vague. Nous n’avions d’autres alternatives que de lui faire confiance.
Cette opération de franchissement avait mobilisé 1.300 moudjahidines et a eu lieu en plusieurs points de la ligne Morice les 28, 29 et 30 avril 1958 et du 1er au 3 mai 1958. Depuis le 28 avril jusqu’au 3 mai, un bataillon de l’ALN renforcé de deux katiba a livré des combats inouïs pour rompre un encerclement aux portes de Souk Ahras. Ce fut une bataille marquante de notre lutte armée. Son ampleur a justifié que le général Vanuxen, commandant la zone Nord constantinois, s’y implique personnellement. Les combats ont été très rudes en de nombreux endroits.
Des corps à corps furent fréquents, les assauts repoussés et renouvelés pour rompre des encerclements se sont succédés, marqués parfois par des ruses et des simulations efficaces. Le nombre de morts, près de six cents, côté ALN et quasiment l’absence de prisonniers attestent de la détermination des djounouds de l’ALN et de leur foi dans la cause de l’indépendance.
Notre déplacement jusqu’à la Wilaya III a été une très grande épreuve. Nous faisions de longues étapes parfois presque au pas de gymnastique de façon à arriver en lieu sûr avant le lever du jour. Nous manquions de sommeil. Il m’est arrivé de dormir en marchant l’espace d’un moment sans pour autant perdre mes réflexes. C’est inimaginable. Nous avions parfois les pieds en sang car les jours de repos étaient inexistants et pour nous soulager, nous utilisions une plante appelée « Amaghramane » dont nous mettions les feuilles sous la plante des pieds à l’intérieur des pataugas jusqu’à ce qu’elle perde ses effets. Cette plante cicatrisait la peau, la rendait un peu plus dure, réduisait la transpiration et soulageait la douleur. Certaines étapes étaient dures, car nous marchions à travers les maquis en dehors des sentiers pour éviter les endroits à risques, parfois accompagné par de gros orages où la nuit était tellement noire, le vent réellement fort qu’il fallait se coller les uns aux autres. Nous dormions parfois dehors, tantôt dans des refuges aménagés par des moudjahidines en zones interdites et aussi chez l’habitant. Même fatigués, la foi nous transformait au point où nos comportements d’endurance et de courage étaient invraisemblables. Quel potentiel de réserve chez l’être humain lorsque celui-ci est tenu par un idéal, par la foi.
La rencontre avec le colonel Si Amirouche (Que Dieu ait son âme) a lieu à Bounaâmane. Il me pose quelques questions, s’informe et me dit : « Repose-toi ». Le lendemain, je me rends avec lui dans l’Akfadou et là, il me confie la formation intensive et accélérée d’une compagnie. A l’issue de ce stage très efficace, la compagnie fut présentée en présence de hauts cadres et djounouds. Satisfait, il me fait cadeau de sa propre carabine et de sa montre automatique, n’ayant pas suffisamment de chargeurs, il m’en réclama deux autres au commandant Si H’mimi, chef de la zone I qui se tenait à sa droite. Le lendemain, nous partons à Aït Ouabane au pied du Djurdura où il me confia le commandement de la compagnie de cette région d’Aïn El-Hammam, précédemment dirigée par l’aspirant Si Layachi.
J’aide à la création de plusieurs unités de commandos, au renforcement de l’équipe d’artificiers du village Tasga Melloul (douar Aït Menguellat), et la mise en place d’un bataillon dans la région de Kouriet. Le 12 septembre, accrochage où nous avons fait de nombreux morts au sein de l’ennemi et où nous avons perdu trois djounouds et un blessé par des éclats d’obus en la personne de Zahzouh, de la Fédération FLN de Tizi-Ouzou. Le 13 octobre 1958, je me trouvais avec une section au village Aghoussim lorsque des forces ennemies considérables se mettent en place. Un Piper survolait les lieux.
Nous ne connaissions pas le terrain. Soudain, surgissait le sergent-chef militaire Si Mouloud dit « Rimifon », actuellement commandant en retraite de l’ALN, pour me dire que le lieu le plus recommandé pour le combat était « Tazrout Ou Amrane ». C’était une crête rocheuse couverte d’un petit maquis qui abritait dans ses grottes plusieurs moussebilines et recherchés et séparée du village Tifilkouts par une rivière. Vu l’ampleur de ce qui se préparait et la position stratégique de Tazrout Ou Amrane qu’il fallait occuper avant l’ennemi et donc suivis par le Piper, nous allons au pas de course nous y installer. La bataille de Tazrout Ou Amrane face au village de Tifilkouts dans la région de Illilten où avec une section nous avons résisté aux assauts des militaires et des T6 depuis 11 heures jusqu’à la tombée de la nuit sauvant ainsi tous les moussebilines et les recherchés dont certains ont quitté les lieux au moment du repli (20 minutes avant la tombée de la nuit) et d’autres à la faveur de la nuit. Au cours de ce combat héroïque, je fus blessé trois fois : une fracture au coude droit et deux autres au pied gauche. Un moudjahid blessé grièvement au thorax se voyant mourir, me remet son arme : un mousqueton qui m’a permis de neutraliser un parachutiste à 6 m de moi et de faire feu sur un Piper qui s’attaquait à moi l’obligeant à prendre la fuite.
En guise de représailles contre cette résistance farouche, un B26 largua à deux reprises sur le village Tifilkouts des bidons de napalm détruisant plusieurs maisons et tuant plusieurs civils sans défense. Une partie du village était encore en flammes à la tombée de la nuit. Quelques temps auparavant, il m’était arrivé d’assurer la protection du colonel Si Amirouche au village de Darna, lorsqu’il recevait sa mère, l’espace d’une nuit. La seconde fois, alors qu’il pleuvait et qu’il y avait du brouillard, des militaires venus du poste d’Ait Saâda, sont arrivés jusqu’aux abords du village où ils ont eu droit à un feu très nourri de la part des djounouds installés aux points stratégiques.
Avec le colonel Si Amirouche, j’ai eu à rencontrer le colonel Si Haoues, chef de la Wilaya VI, le colonel Si M’hamed, chef de la Wilaya IV et Si Abdelkader El-Bariki, un vaillant combattant d’un courage sans pareil qui est mort par la suite en héros à Djebel Bou Abad et enterré au village Righia dans la plaine de Annaba.
Au cours de la même année, j’ai eu le plaisir d’accompagner et d’escorter le commandant Si Omar Oussedik (Que Dieu ait son âme) et le commandant Azzedine qui traversaient la région de Aïn El-Hammam pour se rendre en Tunisie.
Après mes blessures, j’ai longtemps boité. La rééducation se faisait sur le terrain et sans ménagement. J’assurais alors les fonctions de chef de région successivement dans la région de Aïn El-Hammam puis de la vallée de la Soummam Béjaïa et l’Akfadou - Mindjou et Beni Ksila et enfin celle de Draâ El-Mizan - Boghni - Tizi Ghenif - Sidi Ali Bounab - Naciria -Draâ Ben Khedda
Bou M’henni, etc. J’ai eu pratiquement à opérer dans les deux dernières régions durant et après l’opération "Jumelles". Des moyens énormes et impressionnants ont été mis en place par l’ennemi et une stratégie nouvelle a été appliquée. Les zones interdites où nous vivions ont été investies par l’ennemi, ses troupes ont été larguées sur l’Akfadou d’autres ont été héliportées. Des convois n’arrêtaient pas de se mouvoir et des engins de travaux publics étaient mis en branle. Nous avons eu des pertes considérables et pour déjouer la supériorité de l’adversaire, nous avons du appliquer la stratégie de la guérilla qui nous a permis, notamment dans la région de l’Akfadou et Béjaïa, de réussir quelques actions d’éclats.
Des villages entiers ont été détruits et vidés de leur population, lesquelles ont été installées dans d’autres villages entourés de barbelés rendant ainsi les contacts avec les moudjahidines difficiles. Les péripéties de cette période de ma vie et de cette belle page d’histoire faite de bonheur, dans la douleur parfois, le sacrifice, les émotions, l’enthousiasme de cette vie hors du commun, seront relatés dans un ouvrage que je me dois d’entamer rapidement.
EPILOGUE sur la bataille de SOUK HARAS : Le chef du 4e bataillon, feu Ahmed Sirine, n’ayant pu franchir le barrage, c’est son adjoint militaire, Youcef Latreche, ancien sous-officier déserteur qui conduisit la bataille. Les récits rapportés à ce sujet, notamment par le capitaine Mokrane Aït Mehdi côté ALN (Wilaya III), et le général Robert Gaget, côté armée française, ne sont que des épisodes de cette grande bataille. Elle le fut par l’intensité des combats, le courage des combattants, l’ampleur gigantesque que les moyens déployés par l’ennemi, tant aériens que terrestres.
L’ALN, forte de près de 1.300 hommes fit une démonstration de courage et d’abnégation. Devant l’inégalité des forces et l’incertitude de rejoindre leur zone, ils durent devant cette forte adversité de battre comme des lions. Nombreux sont ceux qui sont tombés au champ d’honneur. La cause des nombreuses pertes subies par les français est due à l’expérience des hommes et des chefs qui, malgré un terrain peu favorable, surent l’utiliser au mieux en recherchant d’abord la dispersion créant ainsi plusieurs points d’ancrage et obligeant l’ennemi à disloquer son commandement et ses liaisons. Celle de l’ALN était tout autant par la violence des combats et aussi la qualité des troupes, mais le gros de nos pertes est incontestablement du aux frappes aériennes et à l’artillerie. Cette tactique et la rage de réussir le passage permit à l’ALN de faire durer les combats pendant près de 8 jours.
Aux 1.300 djounouds l’Armée française opposa 6 bataillons d’infanterie, 4 régiments paras, 1 groupement blindé et un appui feux aérien et d’artillerie. L’ALN s’est battu à 1 contre 12.
Du côté Français, on notera le communiqué suivant :
"26 Avril - 5 MAI 1958 : Un bataillon de l’ALN tente de franchir le barrage Tunisien : 680 membres de l’ALN tués ainsi que 87 militaires français".
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La BATAILLE de SOUK ARHAS vue par le 9e R.C.P.
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Le 29 Avril 1958, à 7h du matin, le 9e R.C.P. (renforcé par le II/60e RI, 2 compagnies du III/60, le II/153e RIM, l’escadron de chars du 152e RIM, le 4e Groupe du 8e Régiment d’Artillerie et sa batterie de 155) est en opération pour retrouver les quelques dizaines de survivants ayant échappé la veille à son action d’interception mais également pour rechercher une nouvelle bande de 25 HLL bien armés qu’un renseignement d’habitant a signalé de manière assez certaine comme étant passés la nuit dans la région.
C’est alors que commence une journée qui va être marquée par une succession de renseignements de patrouilles et d’habitants, faisant état de franchissements importants et non détectés dans la nuit. Ainsi le barrage est battu dans sa mission essentielle : il ne renseigne plus. Le renseignement devient incertain et parvient tardivement, et de manière fractionnée.
Chaque élément supplémentaire de renseignement provoque l’engagement de nouvelles unités prélevées sur les forces de secteur. Lorsque le degré de probabilité les justifie, ce sont des changements complets dans le dispositif des opérations en cours qu’il faut opérer. On fait appel pour déplacer les unités aux camions du Train, tant que l’urgence ne commande pas de consommer le potentiel des 18 hélicoptères qui ne seront que progressivement amenés à pied d’œuvre dans le courant de la journée. Ces bouleversements « dans le calme » s’accompagnent souvent du déplacement des tubes d’artillerie. Malgré les qualités manœuvrières de ces unités très entraînées, de telles reconversions de fronts se font à un rythme plus lent que celui de l’évolution du renseignement.
Dans le courant de la matinée de ce 29 Avril, les patrouilles signalent six tranchées creusées sous le barrage avec des traces laissant supposer des passages importants. Deux cadavres électrocutés sont relevés, dont l’autopsie révèle une mort entre 5h et 7h du matin. Les passages ont eu lieu à trois kilomètres seulement des lisères de Souk-Ahras, à proximité immédiate de la piste d’aviation qui est située en terrain difficile, au fond de la vallée de la Medjerda. Tous ces renseignements provoquent dans le courant de la matinée un premier retournement de l’ensemble du Groupe Mobile du 9e R.C.P. qui est réengagé à 12h45. Il est encadré par le 14e R.C.P., par le 1er Bataillon du 152e RIM et par un sous-groupement mixte du 26e RIM, par le 153e RIM.
Toutes les unités disponibles dans le secteur de Souk-Ahras sont progressivement engagées et des renforts doivent être acheminés des secteurs voisins de Laverdure, Guelma, Sedrata et Morsott. Les régiments d’infanterie, les 26e , 151e et 153e RIM, le 60e RI et le 3e REI, sont présents avec des détachements allant d’une compagnie à deux bataillons. Les groupements se font et se défont. L’ensemble de l’opération passe aux ordres du colonel Craplet qui se joint sur le terrain au P.C. du 9e RCP.
Sur ces entrefaites, à 14h45, les renseignements se précipitent et annoncent que des éléments amis en opération de fouille à l’ouest du barrage, dans la zone du franchissement, viennent d’être accrochés sévèrement. Les appareils et hélicoptères atterrissant à Souk-Ahras sont tirés du sol dans la dernière partie de leur approche. Il apparaît de manière évidente que le franchissement, s’il s’est passé sous le barrage et sans donner l’alerte, a été très lent. Les détachements de tête et d’avant-garde ont pu prendre du large à la faveur de la nuit, mais le gros a dû rester sur place dans les environs du barrage, camouflé dans un terrain très mouvementé et couvert de buissons.
Il n’y a plus que cinq heures de jour et tout reste à faire. Les unités engagées sont en cours d’opération loin de leurs véhicules et les plus proches de la zone à traiter en sont distantes d’une dizaine de kilomètres. Le seul régiment encore disponible, le 1e REP, est à Guelma et ne pourrait être amené à pied d’œuvre avant plusieurs heures. Les Etats-Majors sont inquiets car l’arrivée de la nuit peut marquer l’échec du barrage. C’est alors que parvient au colonel Buchoud ce message conventionnel en direct du général commandant le secteur de Souk-Ahras : « Je n’ai plus aucun moyen. Je vous passe l’affaire. Prenez l’action à votre compte… » Il est 15h. La seule manœuvre à tenter est de démonter toutes les opérations en cours et de faire affluer au plus vite, sous l’appui, défaut d’artillerie, de l’aviation de chasse, toutes les unités vers la zone occupée par un adversaire dont la force est estimée à plusieurs centaines d’hommes très bien armés. Compagnies et bataillons seront disposés comme la situation le commandera, au moment où ils arriveront.
Le 9e R.C.P. sera engagé en fer de lance, par vagues et héliportages de 12 hélicoptères. Les compagnies reçoivent l’ordre de se regrouper sur des terrains d’atterrissage d’hélicoptères. Les premières prêtes seront les premières embarquées.
La manœuvre est conduite par le colonel Buchoud en personne qui va diriger en Alouette – ses appareils seront touchés trois fois – pendant trois heures durant. Faisant embarquer ses unités et dirigeant le poser sur un terrain d’action qui est bien connu du régiment, il recherchera les points dont l’occupation doit être la clé du succès. Les 1e, 4e, 3e, 2e compagnies du 9e R.C.P. seront ainsi posées successivement en points d’appui dominant.
Mais il se révèle que l’adversaire, contrairement à son habitude, au lieu de se camoufler dans les fonds, a recherché lui aussi les mêmes points forts. Les compagnies du 9e R.C.P., à peine débarquées, ont à manœuvrer sous le feu. Toutes semblent d’en tirer, sauf la 3e Compagnie qui va connaître des heures douloureuses.
Dans la manœuvre de contrôle de cette zone de 20 km² qu’il s’agit de nettoyer, rien n’est possible sans occuper le Djebel Mouadjène, sorte de faîte de toit dominant de plus de 200 m d’altitude les deux ravins de l’oued Dekma au nord et de l’oued Chouk au sud, et cloisonnant tout le terrain au sud. Qui détient le Mouadjène tient la clé de l’ensemble.
C’est la 3e Compagnie qui est posée la première sur ce mouvement de terrain. Le Sergent Lasne ainsi que le Lieutenant Saboureau décrivent ainsi l’action qu’ils ont vécue :
« Après un vol d’une vingtaine de minutes, nous sommes posés sur le Djebel Mouadjène. La végétation est dense, petits arbustes et buissons plus ou moins desséchés. La visibilité est réduite. Le largage est assez mouvementé. Le Capitaine BEAUMONT embarque dans la première rotation des 6 « bananes » (hélicoptères) du GH2 de Sétif, avec la 1e section du Sous-Lieutenant Thierry et sa section de « commandement ».Quelques instants après embarquent dans la première « banane » de la 2e rotation le Lieutenant Saboureau chef de la 2e Section, sa petite « commandement » et une équipe. Suivent dans la 2e, le Sergent Manneville avec le reste de la voltige et dans la 3e, le Sergent Lasne avec le groupe feu. Ensuite, la 3e Section de Chatagno avec Rouchette.
« Les deux premières « bananes » se posent sans encombre, mais la suivante se fait sérieusement accrocher et le reste du largage qui ne peut plus être interrompu, se passe sous un feu nourri. Certains appareils rentreront criblés de balles. Un parachutiste est blessé avant d’avoir sauté. Il sera d’ailleurs de nouveau touché sur le terrain quelques instants plus tard. Nous bondissons vers le Capitaine aperçu au bord de la clairière. Il est debout et essaie « d’accrocher » les appuis avec un SCR 536 (son SCR 300 est déjà détruit). Il serre avec un foulard une blessure au cou qui ruisselle sur sa tenue « J’ai été blessé deux fois, me dit-il » comme un constat sans gravité « Allez dégagez Thierry ! ».
« Le reste de la section n’a pas encore rejoint. Nous pénétrons à quelques-uns dans les fourrés et tombons immédiatement sur des corps de gars de la 1e Section. De grosses grenades à fusil, atterrissent lentement et déchiquètent les arbustes dans une envolée de feuilles et de branches. J’arrive à hauteur de Thierry. Quelques-uns de ses hommes entourent son corps, désorientés par la mort de leur chef. A ce moment-là la densité du feu semble faiblir et permet de reprendre en mains les éléments de la 1e Section encore indemnes et de récupérer le reste de la 2e Section qui a rejoint.
« Que s’est-il passé ? Nous sommes tombés en plein dispositif ennemi. Très supérieurs en nombre, très bien équipés et armés, les fellaghas dissimulés dans les arbousiers ont usé d’un stratagème. Notre habitude de l’emporter sur l’adversaire est telle que lorsque, à quelques mètres, les rebelles se découvrent, vision impressionnante de casquettes kaki et feignent de se rendre les bras levés, nos parachutistes cessent de tirer et se lèvent pour les capturer. A ce moment-là, un coup de sifflet strident déclenche avec une violence extrême des tirs à la cadence très rapide de mitrailleuse MG 42 – excellente arme allemande qui équipe fréquemment l’ALN – qui déciment les nôtres.
« Maintenant entièrement posée, la compagnie, soit environ 90 hommes, est complètement encerclée, ce qui gêne l’aviation. Les combats se déroulent à courte distance, presque au corps à corps, sans liaison entre les sections et avec des initiatives individuelles d’officiers, de sous-officiers et même d’hommes de troupe. Les actes d’héroïsme ne se comptent plus.
« Les rescapés des différentes sections, après avoir ferraillé au corps à corps, se retrouvent sur un espace découvert autour du Capitaine BEAUMONT grièvement blessé à la tête mais continuant, soutenu par son radio, la liaison avec le P.C. Les cadavres jonchent le sol et nous récupérons sur eux les chargeurs qui commencent à faire défaut.
« Le Capitaine BEAUMONT ordonne la percée vers l’oued proche, au sud. Il est tué après avoir donné ses derniers ordres et après avoir demandé par radio un impossible parachutage de munitions. Son radio le Chasseur Desmares, meurt à ses côtés. La fin de la 3e Compagnie approche. Déjà beaucoup sont tombés. Le Sergent Pfender, le Sergent Colle, l’idole de ses hommes qui l’auraient suivi n’importe où et dont la perte est très lourde ; le Sous-Lieutenant Thierry, chef remarquable en même temps que séminariste, au visage enfantin, l’anti-thèse du para tel qu’il est souvent présenté par certains ; le 2e Classe Briswalter, fustigeant ses camarades et ne voulant pas céder un pouce de terrain, le Caporal Andrejak qui, avant de mourir, cache son canon de 57 dans les buissons, le 2e Classe Rioton, tireur au fusil-mitrailleur, tué à sa pièce au moment où il protégeait le regroupement de la compagnie ; beaucoup d’autres encore dont les noms ne peuvent tous être cités ici.
« A la tombée de la nuit, quand tout le bouclage est en place, le Colonel Buchoud demande aux survivants regroupés d’aller chercher le corps du Capitaine resté sur le terrain : « Les parachutistes n’abandonnent pas le corps de leur chef. Nous allons ensemble chercher votre Capitaine ». Tous ces hommes, qui viennent de s’en tirer miraculeusement, repartent sans hésiter derrière le Colonel. Mais la nuit et le nombre d’unités sur le terrain empêchent l’opération de se poursuivre. A ce moment-là le Capitaine GUEGUEN qui vient de s’installer appelle le Colonel : « Je suis près de BEAUMONT, sa main est dans la mienne et je l’ai interrogé « BEAUMONT veux-tu rester ta dernière nuit sur le terrain en soldat avec tes camarades ou préfères-tu la passer à la morgue de Souk-Ahras ? », j’ai cru l’entendre répondre qu’il préférait être avec nous ».
La manœuvre convergent de la 2e Compagnie du 9e R.C.P. (Capitaine Gueguen) renforcée par la 1e Compagnie du 1e REP (Capitaine Glasser) qui vient directement de la Guelma, force aux prix de pertes assez sévères l’encerclement de la 3. Participent à l’action : l’escadron du 152e RIM (Capitaine Collomb) qui arrive le long de la crête, de toute la vitesse de ses chars ; la 4e Compagnie du 9e R.C.P. (Lieutenant Lefur) qui, sur écoute radio, vole au secours de la compagnie accrochée ; et l’unité du Lieutenant Clémencin qui monte au feu en venant du poste de la Tuilerie, dans l’oued Chouk. Les survivants de la 3e Compagnie peuvent ainsi se dégager.
Il est 18h. La 3e Compagnie vient de perdre 28 hommes ; elle compte également 28 blessés.
Mais dans la zone intéressée, l’adversaire est fixé. Il est sous notre feu. Tout mouvement lui est interdit. L’affaire n’est pas terminée pour autant. Il ne reste que deux heures de jour durant lesquelles un bouclage serré et sans failles devra être mis en place pour briser toutes les tentatives de fuite.
Le seul plan qui s’impose est de fermer la zone à l’est par le barrage électrifié, en le faisant surveiller par des patrouilles mobiles blindées, et de continuer le bouclage au nord et à l’ouest par un cordon d’unités disposés tout le long de la route de Souk-Ahras à Sédrata, soit 10 à 15 Kms qu’il faut tenir pour envelopper suffisamment le terrain. Au sud, sur le Mouadjène, la nasse sera fermée en tous terrains par les unités (deux compagnies du 9e R.C.P., le 14e RCP, le I/152e) maintenues sur place en fin de journée.
Le Général Vanuxem est sur le terrain et assume le commandement de l’ensemble. Les unités affluant de toutes parts sont placées en bouclage au fur et à mesure de leur arrivée. Six bataillons d’infanterie, trois régiments de parachutistes, la valeur d’un groupe blindé, soit plus de trente compagnies ou escadrons, prendront place au coude à coude dans ce dispositif d’interception de nuit.
A 20h, cependant, aux approches de la nuit, un trou de plusieurs kilomètres est béant. Le 1e REP qui est en route, venant de Guelma doit l’occuper. L’échec peut venir de cette brèche qu’il faut colmater d’urgence. C’est là que se situe le stratagème du 9e R.C.P. Le Colonel Buchoud fait disposer tous les véhicules vides de son régiment (150 jeeps, camionnettes, camions) à intervalles de 20 à 30 mètres. Chaque véhicule, défendu par un seul chauffeur, l’arme à la main, a les phares allumés et tournés vers le terrain à surveiller. La chance est de notre côté la nuit est claire.
Le Général Vanuxem fait compléter ce plan de feu lumineux par des projecteurs de DCA qu’il a fait venir de Bône et qui sont mis en batterie sur une hauteur pour éclairer les fonds et interdire tout mouvement. A 21h, le bouclage est en place. Il va se révéler efficace puisque, dans la nuit, six tentatives de franchissement seront repoussées.
La fin de l’affaire est simple. Au lever de la journée du 30 Avril, jour de fête pour la Légion, honneur devait être laissé au 1e REP qui, encadré de quelques unités, a serré la nasse comme un point se ferme et pressé l’adversaire sur le barrage électrifié infranchissable, où il le détruira.
En fin de journée, les pertes rebelles se chiffraient par 257 tués et 11 prisonniers, tandis que 10 mitrailleuses, 11 FM, un mortier, 4 armes anti-chars et 265 armes individuelles étaient récupérées.
Le coup est très dur pour l’ALN et tout semble terminé. Mais, aussi insensé que cela puisse paraître, le lendemain, 1e Mai, dans la nuit, une nouvelle bande franchit le barrage au même endroit que l’avant-veille. La riposte est immédiate et confiée au 2e REP qui est arrivé de Philippeville en renfort. En fin de journée, le FLN a perdu de nouveau 80 hommes et laissé 7 armes automatiques et 40 armes individuelles.
Le 3 Mai enfin, dernier acte. Un renseignement signale que des unités rebelles, ayant échappé à nos actions, se sont réfugiées dans les mines du Nador. Une action est montée par le Colonel Buchoud à Souk-Ahras et confiée aux 14e et 18e RCP. En fin de journée, l’ALN laisse sur le terrain 90 des siens avec 57 armes.
Ainsi en 6 jours, du 28 Avril au 3 Mai, ce sont 620 combattants que le FLN a perdus tandis que 484 armes de guerre étaient récupérées par nos troupes. L’ALN ne tentera plus aucun passage. Le barrage est étanche : mission remplie.
Cette victoire d’une ampleur unique dans la guerre d’Algérie aura été acquise aux prix des sacrifices du 9e R.C.P., qui perdait le Capitaine BEAUMONT et 32 de ses hommes, tandis que 40 autres avaient été blessés. Le régiment avait seul assumé la charge pendant quelques heures, de tout l’enjeu de cette phase de la guerre. Ses qualités manœuvrières et la vaillance de ses hommes avaient permis aux communiqués de la fin de la journée du 29 d’annoncer que le pari était gagné. Le 9e R.C.P., régiment du contingent, avait répondu à la confiance que le commandement lui avait faite.
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