LA GRANDE JARRE. — LES SARCOPHAGES DE MARBRE.
— LA COLLECTION NUMISMATIQUE.
Vers l'an 1900
C'est une mine encore vierge, ou peu s'en faut
du moins, et les endroits explorés par M. Trémaux,
qui la possède en grande partie, ne sont
véritablement rien à côté de ceux dont les indigènes
seuls ont pu troubler le repos séculaire. De
temps en temps, quand les moyens et les loisirs le
permettent, des tumulus sont fouillés, des sarcophages
ouverts, et nul doute qu'à la longue, d'intéressants
objets ne viennent enrichir le musée
auquel ces travaux ont donné naissance.
Ce musée, établi dans le jardin de la villa de Trémaux,
et qu'aucun mur ne dérobe aux yeux, attire de
prime abord le regard. L'heure du déjeuner n'étant
pas encore venue, le maître me proposa
d'y faire, sous sa conduite, une étude préliminaire.
Jamais offre ne fut acceptée de meilleur coeur.
On entre par une grille toujours libéralement
ouverte au public, et tout de suite, parmi les
peupliers, les pins d'Alep, les lauriers roses, les
eucalyptus qui les ombragent, parmi les chrysanthèmes,
les iris, les plombages, les daturas qui
fleurissent à leurs pieds, non sans laisser quelque
place aux cultures maraîchères, paraissent les antiquités.
Ce sont, je prends au hasard, car les foins coupés
et les gazons secs permettent que le visiteur,
s'écartant des allées, coure partout sans dommage,
au seul gré de la fantaisie, ce sont ici des incrustations
grossières, des chapiteaux de forme étrange,
des sculptures du dessin le plus grotesquement
sauvage et corroborant l'hypothèse précédemment
énoncée d'une occupation antérieure
à la venue des Romains. Ce sont là des espèces de
bouteilles, de la couleur et de la matière des
tuiles, mais manquant toutes de fond, et quel -
ques unes d'embouchure. Elles servaient, paraîtil,
au même usage que nos briques creuses. On
les employait aussi, emboîtées l'une dans l'autre,
à former des arceaux de voûtes.
Au milieu de la pelouse centrale, et tenant la
place d'honneur, s'élève une jarre énorme, mesurant
près de cinq mètres de circonférence. Les
musées d'Alger et de Cherchel en peuvent mon—
trer d'aussi grandes, mais ils n'en ont certes pas
d'un galbe aussi correct et d'un tour aussi pur.
Rose, propre et sans la moindre écornure, on la
dirait cuite hier. Elle a été trouvée dans un
amoncellement de débris, près du port. Je pourrais
citer bien d'autres morceaux, des inscriptions,
des colonnes, des fragments de bas-reliefs.
J'ai hâte d'arriver aux deux magnifiques tombeaux,
la richesse et l'honneur du musée de Tipasa. Ils
sont en marbre blanc, et les sujets sculptés qui les
décorent ont une réelle valeur artistique. Sur l'un
d'eux, le plus petit, sont représentés deux lions
symétriques tenant chacun dans leurs griffes un
herbivore fortement cornu, antilope, chèvre ou
gazelle, qu'ils s'apprêtent à dévorer. Les têtes
des carnassiers, exécutées en haut-relief, ont une
expression de férocité parfaitement rendue. Leurs
corps, moins saillants, s'amincissent aux angles du
sarcophage qu'ils contournent pour finir en basrelief
sur les petits côtés. Au milieu de la face antérieure,
entre les têtes des lions, marche gaiement,
avec la brebis légendaire sur ses épaules et
deux béliers tressautant à ses pieds, un personnage
qui ne saurait être que le bon pasteur. Salut
ici, danger là, l'allégorie est aussi transparente
qu'ingénieuse.
Le second sarcophage l'emporte encore en importance,
en perfection sur le premier. Il est partagé
en six tableaux : deux sur les petits côtés,
représentant des sacrificateurs aux prises avec le
taureau victimaire ; deux aux extrémités de la
face antérieure, ayant pour sujet des guerriers
dont les nus, très fouillés, sont traités avec une
rare entente de l'anatomie ; deux enfin au milieu,
les plus remarquables de tous. Le temps ou le
vandalisme en a malheureusement mutilé les traits
essentiels; des têtes sont usées, d'autres manquent.
Ce qui reste, toutefois, suffit pour dénoter
une oeuvre appartenant, sinon aux bonnes époques,
au moins aux meilleures traditions de l'art.
Il s'agit, comme sujet, de cérémonies nuptiales :
ici l'amour avec son flambeau, là le trépied des
fiançailles. Suivant toute probabilité, ce sarcophage
provient d'une sépulture païenne. Un cadavre
chrétien devait occuper l'autre. Ils ont été
trouvés, par hasard, dans un caveau, près de la
vieille enceinte, à gauche de la route en allant
vers Cherchel.
Exposés comme ils sont, en plein soleil, parmi
les arbres et les fleurs, ces tombeaux attirent
mieux l'attention, captivent plus fortement que
s'ils étaient emprisonnés dans une salle obscure et
confondus avec d'autres débris. Ils comptent aussi
beaucoup dans l'attrait de Tipasa. Les ruines, sans
eux, paraîtraient découronnées. Dans le cas où la
surveillance dont ils sont l'objet paraîtrait insuffisante,
ne pourrait-on les garantir au moyen d'une
construction légère ? Je les verrais avec peine prendre,
ainsi qu'on les y convie, le chemin du musée
d'Alger.. Sache plutôt celui-ci se contenter d'un
moulage, comme il a fait pour le corps du bienheureux
Géronimo !
Le musée du jardin Trémaux est complété, dans
la maison, par une collection de monnaies et
d'ustensiles antiques. Les monnaies appartiennent,
pour la plupart, à cette période de l'empire comprise
entre le commencement du deuxième et la fin
du quatrième siècle. Citons parmi les noms qui forment
leurs légendes : Adrien, Marc-Aurèle, Gordien,
Probus, Dioclétien, Constantin-le-Grand, Julien-
l'Apostat. Toutes de bronze ou de cuivre, sauf
une en or, de Léon Ier. Nombre de têtes portent la
couronne rayonnée. Beaucoup de revers charmants,
bas-reliefs en miniature qui, grossis au microscope,
feraient d'excellents modèles d'académie.
Parmi les ustensiles, des vases, des lacrymatoires,
des bracelets, des lampes dont une avec
cette inscription : « Je ne coûte qu'un sou. »
Les personnes curieuses de pousser plus loin
cette étude trouveront au musée d'Alger une douzaine
de morceaux provenant de Tipasa. Les deux
principaux, nos 178 et 179, très frustes, en pierre
poreuse et plus précieux sans doute comme antiquités
que comme objets d'art, sont des tombes à
tableaux représentant, l'une un cavalier au galop,
l'autre un groupe composé d'un homme, d'un enfant
et d'un petit cheval sans proportion avec les
personnages.
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Le nouveau Musée de Tipaza
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