EFFET INATTENDUDES RUINES. — EMMÉNAGEMENT.
— LA VILLA TRÉMAUX.
Vers l'an 1900
Prévenu contre elles et croyant avoir, pour les
découvrir, à sonder des touffes de palmier nain, à
fouiller même la terre, je ne pus, à leur aspect,
retenir une exclamation de surprise et de joie. C'étaient
bien des ruines, de véritables ruines, les
unes jonchant le sol comme un immense chantier,
les autres levant jusqu'aux nues leurs masses
imposantes et leurs crêtes altières. Ici, dressées
comme des menhirs et régulièrement espacées,
elles me rappelaient les champs druidiques de
Caroac; là, compactes, monumentales, elles me
faisaient rêver d'Athènes et de Rome. Que dis-je !
elles me semblaient préférables au Parthénon,
préférables au Colisée, leur altération même, leur
informité, leur isolement convenant mieux au
génie du paysage moderne, assez médiocrement
épris des symétries architecturales que mit jadis
en honneur l'école de Claude Lorrain.
La route passe au milieu, bordée de pierres de
taille,, débris des vieux palais, des antiques demeures,
et pareillement au milieu sont disséminées
les habitations des colons. Qu'elles m'ont
paru modestes, grand Dieu ! avec leur bas rez-dechaussée
couvert d'un toit rouge à pignon ! Mais
je n'ai pas eu le temps de les examiner que la
voiture déjà s'arrête devant « ma maison. »
C'est la dernière du village. Murs blanchis à la
chaux, portes et volets verts. Trois travées; pas
d'étage. Un homme vaque à quelques pas de là.
Nous l'appelons. C'est le garde champêtre. Il lit
ma lettre d'admission, va gravement chez lui
prendre la clé promise et me la remet d'un ,air
digne. La porte ouverte, je dépose mes effets
dans la première chambre venue. L'heure du déjeuner
approche, il est temps d'y pourvoir. Je
reprends à côté du guide ma place dans le véhicule,
et nous nous rendons à l'auberge... pardon !
à l'hôtel des Bains de Mer.
L'hôtel des Bains de Mer de Tipasa forme, avec
un café-restaurant et l'habitation Trémaux, un
groupe excentrique au plan du village. Ce groupe
n'en est pas moins, pour l'animation, le centre.
Là viennent chez leur adjoint les administrés,
près du maître les ouvriers, au cabaret les colons,
à l'hôtel les étrangers. Je commande mon repas,
je congédie mon conducteur, et pour expérimenter
enfin le crédit de mes lettres d'introduction,
je me dirige vers la maison de M. Trémaux.
Ainsi que les gens, les maisons ont un air. Celleci
me parut, de prime abord, souriante. Ses persiennes
mi-closes me faisaient comme des oeillades.
Sa porte grande ouverte m'attirait. Point de
cave canon terrifiant; le cordial ave des seuils pompéiens.
Elle avait en outre, pour moi, le charme
d'une analogie singulière avec ce manoir d'Yèbles
où j'ai passé mon enfance : même nombre de fenêtres,
même étage, même toit, même vestibule
au milieu, et la façade mouchetée des mêmes ombres
transparentes que des arbres pareils épandaient
à l'entour.
N'était la crainte de déplaire, je dirais ici les
bontés parfaites, les délicatesses exquises d'un accueil
tel que frère, camarade d'enfance, ami de
longue date, n'en eussent pu rêver de meilleur.
J'ouvrirais à tous les regards cet intérieur patriarcal
où grandissent sous les yeux, aux leçons,
aux exemples d'une mère accomplie, quatre gracieuses
fillettes. Ses gais repas au menu confortable,
digne du baron Brisse, en compagnie d'amis,
de parents, de voisins, auraient aussi leur grande
part d'éloges.
Qu'il me soit permis toutefois de reconnaître
publiquement l'obligeance infatigable, le désintéressement
absolu avec lesquels M. Trémaux a
bien voulu me faire part de ses recherches, de ses
découvertes, de ses hypothèses même, me livrer
enfin tout entier son trésor archéologique. C'est à
lui que je dois la plupart des documents spéciaux
qui, parsemés en ce récit, tout d'observation badine
et de fantaisie touristique, lui pourront donner
quelque prix.
Ces documents, si mal interprétés qu'ils soient
par une plume étrangère au langage de la science,
mettront du moins les antiquaires sur la voie.
Quelle bonne fortune pour eux ! Et quel intéressant
ouvrage à publier lorsque de nouveaux gains,
dont chaque jour augmente le bagage, auront jeté
quelque lueur sur les origines obscures et la fin
moins connue encore d'une cité qui, vu ses immenses
débris, dut fournir une longue et brillante
carrière !
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