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Dans une de ces cités nouvelles qui rongent inexorablement ce qui reste de la Mitidja, des hommes ont retroussé les manches pour le grand nettoyage. On ramasse, on brûle, on bêche dans la sueur et, c'est vrai, dans une bonne humeur surprenante. Les échanges sont brefs, pas de cris, pas d'apostrophes. Les hommes travaillent avec méthode, en se chargeant chacun d'un secteur. Ceux qui sont de passage n'ont pas le temps d'être surpris de voir tant de bonnes volontés et de ne pas entendre les éternelles expressions de lassitude : «krahna», «digoutage», «n'rouh» Une anomalie démographique frappe l'observateur : ceux qui triment, avec ardeur, ont tous plus de 40 ans. Pas l'ombre d'un jeune sous ce soleil virulent. Ceux qui œuvrent à rendre salubre la cité malgré un vent têtu qui soulève des nuées de poussière ne reprochent rien à ces jeunes qui ne «sont pas là», qui se tiennent loin de ceux qui se dévouent. Ce sont leurs enfants ou leurs jeunes frères. «Les pauvres, ils ne vont pas bien (ma rahoumch mlah), on ne va pas en rajouter». D'autres livrent leur explication : il n'y a rien à faire ici, ils vont en ville. En réalité, ils ne sont pas loin. Juste là, à une cinquantaine de mètres avant l'entrée de la cité, on rencontre un groupe de jeunes, assis, imperturbables, à l'ombre d'une murette, à regarder passer les voitures et le temps. Ceux qui s'occupent de la cité, sans leur aide, expriment une forme de compréhension inquiète. Ils ne critiquent pas les jeunes «qui ne font rien», mais ils agissent parce qu'ils sont convaincus que s'ils laissent les choses aller, la cité sera rapidement invivable. Le nettoyage, ils s'y collent une fois par mois. La première fois, se souvient l'un deux, des jeunes ont participé avec un entrain plutôt forcé. Ils ne sont plus revenus. Ils se sentaient «idiots» de se livrer à un tel exercice alors que beaucoup d'autres jeunes, leurs copains, n'y participent pas. C'est comme ça L'émulation négative fonctionne. Et puis soudain, un quinquagénaire sort de son mutisme en s'exclamant : «Ici, ça va plus ou moins, mais si tu vas à Medjbeur !». Il s'agit d'un toponyme. Celui d'un gros bourg du côté de Ksar El-Boukhari, au milieu de nulle part. Comme beaucoup d'agglomérations d'Algérie, trop loin de tout, où il n'y a rien. Et où les jeunes se réveillent avec une unique envie, un seul désir : partir. Et pour ceux qui ne peuvent l'envisager, explique un passant, il n'y a que l'ennui qui suscite une fascination morbide pour le maquis ou pour la délinquance «ordinaire». Il faut en effet visiter ces lieux d'une Algérie sous-administrée pour saisir que l'ennui, qui suinte dans nos villes et y crée une tension palpable et permanente, est autrement plus insupportable à l'intérieur du pays. On saisit dès lors la compréhension paradoxale d'hommes âgés qui se chargent de la corvée, tandis que leurs enfants, à l'énergie en berne, semblent les narguer. Ils essaient, malgré tout, d'entraver l'impitoyable dégradation. Moderne Sisyphe d'un hinterland sans perspectives. Si tu vas à Medjbeur, mon frère !
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K. Selim
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