Alger juin 43 : depuis plusieurs mois des tensions existent* entre : Roosevelt-Churchill d'un côté et De Gaulle de l'autre. La France divisée, occupée, embrouillée, commence cependant à croire en la victoire des alliés.
Les deux chefs de la France combattante , Giraud et De Gaulle s'ignorent. L'hôte de Londres a boycotté en février 43 une réunion au Maroc où le président américain avait fait le déplacement ainsi que Churchill et Giraud , puis en juin 43 De Gaulle voulant asseoir son hégémonie et affirmer sa souveraineté sur tout le territoire non occupé et régler le problème Giraud , se pose sur le petit aéroport de Boufarik le 30 mai, un peu avant midi. Giraud l'accueille poliment, mais dès la première réunion au lycée Fromentin à Alger , De Gaulle se lève*, rompt toutes négociations et se verrouille dans la villa les Glycines sur les hauteurs d'El Biar se doutant que Giraud le fasse mettre aux arrêts ou même l'enlever**(ambiance !)
Quelques jours plus tard Mac Millan que De Gaulle estimait, l'informa qu'il était invité par un mystérieux général Lyon : le roi Georges VI venu incognito inspecter les troupes britanniques débarquées depuis novembre 42 à Sidi Ferruch.Le représentant de la France libre était très sympathique au souverain depuis juin 40.
Nous sommes le 13 juin 43 l'été est déjà là car il fait chaud. De Gaulle après le repas demande à Mac Millan ce qu'il fait cet après midi. Celui ci lui dit : je vais me baigner et me promener dans les ruines romaines à Tipasa. De Gaulle lui propose de l'accompagner. Mac Millan se souvenant de cet après midi là dit plus tard : cette promenade dans les ruines romaines fut un moment privilégié de discussions incessantes ,nous avons parlé de tout , de politique , de religion , d'histoire ancienne et moderne .
Mac millan rapporte avec humour qu'il se baignait nu à la pointe extrême de l'ancienne cité romaine ,tandis que De Gaulle restait assis sur son rocher , en uniforme ,ceinturon ,képi .
Un Tipasien se souvient, que cet après midi là ,une voiture , venant d'Alger par le littoral, pénétra discrètement dans le village désert à cette heure de la traditionnelle sieste. Désert aussi et surtout parce que la plupart des hommes valides étaient mobilisés . La voiture noire descendit la rue du port ,tourna devant ' le café des ruines romaines' et se gara lentement sous les bel'ombras devant ' chez Angelvy ' Deux hommes en sortirent, dont un militaire ,avec képi à la main, particulièrement immense qui eut du mal à s'extirper du véhicule et se déplia avec soulagement .Ils avancèrent lentement et pénétrèrent cérémonieusement dans le parc des ruines romaines comme on entre dans un temple ,une église , un lieu sacré . Sitôt franchie l'enceinte du parc ils étaient face à l'amphithéâtre sous la fraîcheur des grands eucalyptus ,étonné par cette chappe de silence suspendue à la baguette du chef d'orchestre des lieux : la nature troublante . L'odeur puissante , enivrante des eucalyptus,des romarins et des lentisques ajoutaient à l'étrangeté de ces pierres blondes encore assemblées mais déjà ruinées. Comme les roues des chars romains avaient façonnées les dalles de pierre de cette voie décumane ,les deux hommes façonnaient l'histoire moderne en mettant leur pas dans les pas de l' histoire antique.
Les deux visiteurs s'appréciaient :cela se voyait :le rythme de leurs pas lents, de leurs gestes amples , synchronisés, de l'écoute attentive et acquiescement de la tête, l'un vers l'autre ,puis l'un après l'autre, donnait au rare promeneur qui les croisait la vision d'une parfaite communication entre eux . Ils étaient incollables sur l'histoire de la Rome antique et aucun n'eut l'inconvenance d'être 'le professeur-qui-sait-tout' . Maintenant les deux promeneurs arrivaient au ' nouveau temple ' baigné de lumière. Rarement les deux hommes se sentirent aussi en phase avec les vibrations de cette nature :l'air chargé des parfums envoûtants ,ces colonnes ciselées, brisées mais qui s'élancent encore , ces pierres meurtries d' où jaillissent des fleurs jaunes ,rouges et bleues, et puis le chemin des oliviers : le plus mystérieux parcours de cette cité endormie .Là où le promeneur devient spectateur ,là où le silence est prélude d'ouverture à la révélation et crée une indicible sensation qui transporte l'homme universel , enfin satisfait d'être en paix avec lui-même et définitivement heureux de se réaliser ici. C'est le divin dessous des choses
Tout à coup, le grand militaire avec le képi à la main devint encore plus grand ,et son corps se détendit tout entier. Libéré. Il ne faisait plus de grands gestes ,ne parlait plus. Emu, souriant , il regardait l'anglais , dans ce site magique où l'homme se rapproche de l'homme , où l'homme sent s'accomplir en lui la plus profonde nécessité de liberté .
Alors ,comme pour saluer Uranus , Pluton , Neptune : la mer argentée, les pins maritimes, la masse bleue du chenoua , le chant des chardonnerets et des rouges-gorges s élevèrent dans la féerie des mystères de la nature .De longues minutes s'écoulèrent,le temps s'était arrêté...l'homme au képi à la main était resté seul, figé là, sur cette esplanade antique de la basilique Saint Alexandre ,le regard levé au ciel ,ébloui , abasourdi par tant de beauté et heureux de s'accomplir ainsi.
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- venez ! -venez ! la voix rieuse de Mac Millan l'interpella . Comme un enfant , l'Anglais s'était jeté à l'eau , nu , au bout de cette pointe rocheuse de l'antique cité. C'était naturel .Tout Tipasien vous le dira : Cela fait partie du parcours initiatique ,du cheminement, du voyage à travers le temps et l'espace ***.Arrivé là, on a envie de plonger ,de communier avec la dame nature en se jetant dans cette eau limpide , calme et apaisante :tout juste quelques clapotis sur les rochers ,mais prenez donc garde aux oursins !..
-venez ! -venez ! Le grand se retourna , surpris ,et vit juste en contre bas de la basilique ,Mac Millan dans l'eau ,riant aux éclats ,heureux d'avoir étonné son compagnon rêveur et lui faisant des signes de la main pour venir le rejoindre : - venez ! venez ! .
Ces vêtements étaient soigneusement pliés et posés dans le creux d'un rocher. En un instant le grand eut presque le geste de dégrafer sa pesante et encombrante vareuse,de s'abandonner , puis se ravisa ...son corps, étrangement , se raidit . Il resta là , planté comme le centurion romain avec son glaive de justice , comme Pharaon -roi-prêtre-des millions-d'années entre les colonnes du temple ,face à la mer transparente , face à l'histoire qui passe et qui juge . Vareuse , ceinturon , képi : ...héroïque... Que se passa -il ? On le devina bien plus tard****...
...mais, en ce début de soirée,alors que la lumière jaune du soleil , déjà derrière le chenoua, se faisait plus douce, que l'ombre des colonnes dans cet espace sacré , s'étirait , comme pour mesurer le temps ; en ce lieu béni des dieux , il ne se baigna pas .
*jean Lacouture /De Gaulle le rebelle (seuil)
**agence Reuter
*** albert Camus / prix nobel de littérature ,
moraliste , essayiste
**** A.Ange./l'homme à la boucle d'oreille
Saint Augustin (confessions)
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