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TIPAZA. L’écrivain Albert Camus – Prix Nobel de littérature en 1957- y a vécu des instants privilégiés et écrit ses plus belles pages.
Au détour d’une crique turquoise ourlée de blanc, au carrefour, si l’on arrive d’El Affroun ou d’Ahmer El Aïn, l’émotion survient. Evidente. Toujours recommencée. Jamais contenue devant le paysage sublime, le recueillement à venir.
Silence ! Il n’y a plus de place que pour le regard, la lumière et les senteurs, l’éblouissement…
L’iode marine, l’odeur des pins diffuse, l’étendue de la mer scintillante, sans ride, le Mont Chenoua aux courbes douces, gros chien couché dans la mer, garde imperturbablement le site.
C’est une fête annoncée.
Traverser, à la hâte, la ville fraîchement repeinte, ramifiée, étendue, neuve, domestiquée. Une cité en profonde mutation au regard de son développement socio-économique. Et retrouver l’enchantement dans les lieux antiques mythiques où le béton n’a pas droit de cité : la mer qui vient soupirer près des ruines où les pins se penchent dans la même direction, ruines se succédant en cascade jusque dans la mer, l’odeur du maquis, les parfums mêlés de plantes sauvages – buissons de lentisque, couronnes d’absinthe, touffes d’armoise et de romarin- oliviers séculaires entrelacés, ocre du sable, de la terre et pierres couleur du soleil…
Se poser là dans ces hauts lieux de mémoire et de sauvage beauté, et se dire que les Phéniciens qui y avaient établi un comptoir commercial, devenu port romain, avaient la même vue sur la Méditerranée.
Depuis la plus haute antiquité, ce site enchanteur a attiré l’homme et l’a retenu au bord de ses rivages.
Camus prenait plaisir à venir méditer dans ce village « habité par les Dieux », lieu de ressourcement et de reconstruction, « devant la mer, dans le vent, face au soleil, enfin libéré de ces villes scellées comme des tombeaux ».
Il a chanté Tipaza avec lyrisme et avec gravité dans un mince recueil « Noces », écrit en 1937. Il y célèbre l’accord parfait de la terre, de la mer, du ciel, de la lumière, qui en font une sorte de paradis païen, où il reviendra toujours et dont il aura la nostalgie, une fois rentré en Europe. Dans ce lieu magique, les vestiges de la civilisation disparue s’harmonisent avec la beauté de la nature :
« au printemps, écrit-il, Tipaza est habitée par les Dieux et les Dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres(…).
« Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l’échine solide du Chenoua, mon cœur se calmait d’une étrange certitude. J’apprenais à respirer, je m’intégrais et je m’accomplissais(…).
Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure » - phrase que son ami, le sculpteur Louis Benisti, a gravée sur une stèle érigée face au massif du Chenoua, à sa mémoire.
L’intensité heureuse du vécu, la richesse des sensations et des impressions conduisant à l’exaltation, à l’extase vécus par Camus sur ces lieux sont encore vrais dans l’extrait : « il n’y a qu’un seul amour dans ce monde. Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j’aurai conscience, contre tous les préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil (…), J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition humaine. Pourtant, on me l’a souvent dit, il n’y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources. ».
C’est dans cette nature douce, libre et belle, qu’il s’est « ouvert à la tendre indifférence du monde » sous le ciel intarissable de force et de lumière.
Albert Camus, enfant pauvre de Belcourt, « fils d’une race née du soleil et de la mer » a passé
des étés, ébloui, sur la plage du Chenoua - à l’époque, avec cabanons sur pilotis.
« C’est une grande folie, et presque toujours châtiée, de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à quarante ans ce qu’on a aimé ou dont on a fortement joui à vingt… ».
Il n’a pas guéri de Tipaza, lieu de véritable ressourcement « au cœur du désordre humain ».
Riche de ses émotions et de ses sens, de ses doutes et de son désarroi intérieur, dans ce site magnifique, lieu de confluence entre l’histoire, la nature et le mythe où il a célébré, dans sa vingtième année, ses « Noces » avec la nature.
Camus écrira plus tard : « il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur. Vivre à Tipaza, témoigner, et l’heure d’art viendra ensuite ».
Tipaza éternelle invite toujours à l’exaltation et à la célébration. On y vient de loin, très loin même, quérir la magie créée par la rencontre de la mer et de la lumière dans cet incomparable écrin de verdure, avec, parfois un petit livre ouvert : « Noces ». Non pas ces noces bruyantes, criantes, criardes et ostentatoires qui se suivent et se ressemblent, aujourd’hui, mais une fête intérieure et un recueillement profond devant la grandeur, la beauté de ce décor idyllique, féérique, divin qui demeure unique, étranger, indifférent à l’autre monde arrogant, hideux qui le côtoie… celui du port outrageusement « bétonisé », de plages domestiquées, privatisées, urbanisées, de ruines profanées, souillées et d’un village – celui du Chenoua – défiguré par des constructions laides et des us gagnés par la loi de l’utilité, la rentabilité (principes devenus sacro-saints) : l’argent au détriment de l’esthétique, de la qualité de vie, de la paix intérieure, de la poésie...
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In Liberté
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