Sur la côte septentrionale de l'Afrique, par le 36°, 8', 30"
de latitude et le 0°, 7' de longitude Est du méridien de
Paris, (Déclinaison de la boussole 18°, 19' N.-O.), s'élevait
autrefois une belle et imposante cité, dont l'antiquité et la
grandeur ne le cédaient à aucune ville de l'ancien monde.
Cette ville était le rendez-vous commun de tous les commerçants
de la Méditerranée.
Des transactions importantes d'échange unissaient les
peuples, qui avoisinent le Sahara, ceux, qui bordent le littoral
africain de la Méditerranée, aux nations du vieux
continent de l'Europe. Une foule compacte se mouvait dans
des rues enlignées, espacieuses, ornées de maisons et de
monuments magnifiques.
Elevée au centre de la Mauritanie Césarienne; Tipasa,
aujourd'hui Tessed, rivalisait, par son commerce et son industrie,
avec la belle et plus moderne cité : Julia Cesarea
de nos jours Cherschel.
Que sont devenues les générations, qui donnaient la vie
à cette riche contrée ? qu'a fait le temps de ces superbes
palais, de ces quais, sur lesquels s'étalaient de riches produits ;
de ces navires de toutes nations, qui en encombraient les
ports ? Tout a disparu! luxé, monuments, navires, population
; tout à été englouti ! Les uns sont retournés en poussière,
les autres gisent sur le sol, à l'état de cadavres, pour
apprendre au voyageur, que là, avait jadis existé une ville
florissante, détruite par l'instabilité des choses de ce monde.
Les chênes, les lentisques, les plantes parasites se sont emparées
de ces monuments et les étreignent de leurs bras
vigoureux ; et la terre , où germent des moissons, où paissent
des troupeaux, sert de linceuil à une cité. La mer,
elle-même, a concouru à l'acte de la dévastation ; elle a
disséminé,dans ses profondeurs, les digues, les constructions,
qui formaient son port, et abritaient les vaisseaux contre la
tempête. Le doigt de Dieu l'avait désignée ; il avait effacé
de ses portes le sang de l'agneau qui devait la faire épargner;
il l'a punie de ses débordements et de ses hérésies : et,
par un prodige surprenant, avec le nom de Tipasa , comme
témoignage de sa toute puissance, il n'a conservé de son
histoire, qu'une légende miraculeuse, et de ses monuments,
qu'une église et une nécropole chrétienne.
Malgré les funestes antécédents, qui ont présidé à l'existence
précaire de cette contrée elles ruines qui jonchent
aujourd'hui un sol inégal et sablonneux, la ville de Tipasa
pourrait offrir, en y plaçant un centre de population, de
grandes ressources, pour la colonisation de l'Algérie.
Avant de parler de ce qu'elle promet d'être, nous allons
tracer rapidement les notions historiques que nous avons
recueillies sur sa fondation et sur les phases de sa vie.
.
Comme la plupart des villes, qui bordent la Méditerranée,
et surtout le littoral de l'Afrique, Tipasa, qui s'appelait
Thapsus dans l'origine, doit sa fondation à des navigateurs
phéniciens. Celte nation établissait des colonies, dans tous
les lieux, où se présentait un aliment à son commerce, partout
où elle trouvait un débouché à ses produits.
Les nouveaux habitants eurent bientôt établi des relations
de voisinage et d'échange, avec les peuplades d'alentour, telles
que : les Icompenses, possesseurs du territoire, les Nababes
de nos jours, les Beni-Menasser, qui occupent les rives de
l'Isser, les tribus des gorges du Chenouan, celles de la vallée
du Nador et de l'ouest de la plaine de la Milidja. Aussi
Tipasa prit une extension rapide.
Sous la domination romaine, l'empire crut devoir lui
accorder le titre de colonie, et 35 ans avant l'ère chrétienne,
Juba l., qui releva le royaume de Numidie, et en fixa le
siège, à Jol à laquelle, par courtisannerie, il donna le nom
de Césarée, contribua à l'aggrandissement et à l'embellissement
de Tipasa qu'il dota d'édifices magnifiques.
Tipasa accrut encore d'importance, quand Claude eut divisé
la Mauritanie en Tingitane et Césarienne. Elle faisait
partie de la seconde province. Une multitude d'Européens
vinrent alors s'y fixer.
Plus tard elle devint le siège d'un évêque (Episcopus Tipasitamis)
; le seul d'entr'eux, dont le nom soit venu jusqu'à
nous, est celui de Reparatus, qui vivait en 484 et qui fut
exilé par Hunéric.
L'histoire de cette cité ne peut être isolée de l'histoire
générale du nord de l'Afrique; elle subit le sort de toutes les
villes, qui se sont courbées, avec impatience,il est vrai, sous
le joug de tous ceux qui ont voulu les conquérir.
Tipasa se ressentit peu de la domination Carthaginoise-,
mais sous celle des romains, on la voit grandir et se rendre
digne d'être comprise dans le dénombrement de l'empire.
Les institutions romaines ne furent point assez efficaces
pour se rendre maîtresses de l'humeur tracassière des habitants,
et l'armée fit constamment de grands efforts pour
maintenir les vaincus dans l'obéissance.
Mais ce qui contribua puissamment à entretenir ces peuples
dans un état permanent de trouble et d'agitation, ce furent
les querelles religieuses qui, en Afrique, à cause de
l'exaltation des esprits, eurent plus de durée et plus d'intensité
qu'autre part.
Les hérésies d'Arius et de Donat, ensanglantèrent souvent
le sol de Tipasa, et vinrent joindre leurs passions fanatiques
aux persécutions des empereurs romains.
Saint-Optat et Victor de Vite nous ont tracé des tableaux
sublimes des martyrs, qui confessèrent, à cette occasion,
la religion catholique.
La chronique nous rapporte que, sous Julien l'Apostat,
deux évêques donatistes : Urbain de Formes et Félix d'Idiere,
vrais fléaux des chrétiens, se rendirent à Tipasa accompagnés
du gouverneur Athenius et de sa légion, en chassèrent
les catholiques, battirent les hommes, massacrèrent les
enfants, jetèrent l'eucharistie à des chiens, qui, pris de
fureur, se tournèrent contre leurs maîtres, corrompirent des
religieuses ; et Félix poussa l'extravagance et le sacrilège
jusqu'à coiffer l'une d'elles de la mitre : coiffure que l'on
donnait alors aux vierges, qui se consacraient à Dieu.
La trahison du comte Boniface, général romain, qui vendit,
en quelque sorte, l'Afrique aux Vandales, ne fit qu'aggraver
le sort des chrétiens de Numidie.
Genséric commandait ces hordes, sorties du fond de la
Germanie. Convertis au christianisme, les Vandales embrassèrent
l'arianisme et par leur exagération en matière de foi,
ils persécutèrent cruellement les chrétiens orthodoxes ; ils
saisirent, avec avidité, cette proie vierge des incursions
barbares, et se hâtèrent de dépouiller les églises, d'en chasser
les prêtres, et de s'emparer des richesses qu'elles contenaient.
Après la mort de. Genséric, Hunéric son fils continua
l'oeuvre de destruction. Avec les siens, il voulut introniser
un évêque ; les habitants de Tipasa effrayés de ce sacrilège
résolurent d'abandonner la ville et de porter en Espagne
leur industrie et leur fortune. Ceux qui purent se procurer
des barques, échappèrent aux violences dont cette intronisation
fut le prétexte ; ceux à qui la fuite fut impossible,
assumèrent sur eux toute la colère d'Hunéric. Ils furent
traînés sur la place publique, exposés aux insultes des
soldats et de la populace ameutée, et eurent la langue et
la main coupées.
Victor de Vite rapporte : qu'un sous-diacre, nommé Réparatus,
subit ces mutilations ; et que., par un miracle, il continua
à parler aussi clairement qu'auparavant.
Inée de Gaza, philosophe platonicien, qui se trouvait
Constanlinople, assure avoir vu et parlé à ce Réparatus, qui
s'y était réfugié. L'historien Procope, le comte Marcelin, dans
leur chronique, témoignent de ce fait.
Sous les successeurs de Genséric, les Tipasiens eurent à
souffrir encore de ces guerres de religion. A la chute des
Vandales en 534, Tipasa passa, avec les autres villes d'Afrique,
sous la domination bysanline ; mais, si elle respira
plus à l'aise sous ces nouvelles institutions, elle fut impuissante
pour se préserver contre les donatistes et les tribus insoumises
des monts Ferratus (Djurjura), qui, par des attaques
multipliées et des rapines journalières la ruinaient en
détail. Aussi, lorsque le général Théodose, père de Valentinien,
vint secourir les chrétiens persécutés, il arriva trop
tard pour les sauver, Tipasa n'était plus qu'un monceau
de décombres.
Un événement qui devait l'anéantir à tout jamais se préparait
au fond de l'Arabie.
En 608, Mahomet commença à publier ses préceptes religieux.
Sa doctrine se répandit avec rapidité parmi ces
peuples; il flatta leurs passions et eut
bientôt de nombreux adeptes. Avec eux, il envahit l'Egypte
et fondit sur l'Afrique.
L'Eglise fut de nouveau persécutée ; tout ce qui avait:
reçu le baptême fut martyrisé; les villes saccagées; enfin,
en 713, toute l'Afrique se courba sous l'étendard de Mahomet.
Les habitants de Tipasa, qui avaient survécu aux désastres,
cherchèrent à la relever de ses ruines; ils parvinrent
à rassembler, en ville; les matériaux épars sur le sol; mais
leurs efforts devaient être vains; elle fut de nouveau com
plètement détruite en 1507, par Muley Mahomet, bcy de
Tunis.
.
PROJET D'ETABLISSEMENT
D'UNE FERME-VILLAGE
A TIPASA (ALGÉRIE)
IMPRIMERIE SENES;RUE CANEBIÈRE, 15.
Marseille
1854
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