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Cherchell de ce début du troisième millénaire a beaucoup peur pour son histoire ! De sa propre histoire ! On y aura entre temps tout dépravé et tout détruit de cette mémoire collective qui fait remonter le temps et réactualiser les évènements.
Le désastre y est grand ! La catastrophe énorme ! Les dégâts astronomiques
!
Il est bien dommage qu'une histoire pareille parte en ruines, déchirée en mille morceaux !
Les quelques vestiges et sépultures, gisant tels des cadavres humains, seuls témoins vivants de cette grande tragédie, ne peuvent plus refaire l'histoire : l'oubli est trop important ! Les trous de mémoire auront donc tout détruit ! Ou tout emporté de cette mémoire qui refuse d'être inspectée !
Le puzzle est trop compliqué dans sa configuration pour être recomposé. Il est plutôt question de cette autre mentalité qui se moque royalement de l'histoire du pays, parce que tout le temps instrumentalisée par un pouvoir aux aguets, refusant toujours de reconnaître cette vérité qui l'exclue de toute gloire et l'efface de toute mémoire.
Un important pan de la société s'effrite : c'est sa mémoire collective qui est en danger ! Cherchell refuse ces bas-compromis et autres nombreuses combines faites à son sujet ! Elle tient à nous dicter sa propre histoire, décidant de se retourner vers ses aïeux et ses nombreux héros !
Ainsi, Iol et Césarée y sont pour l'occasion invités à sa rescousse, accueillant qui son fils qui son petit-fils dans leur giron, le couvrant de bénédiction pour l'amener bien loin de ces regards complètement désintéressés de son nombreuse population par l'état de déliquescence avancé de ces lieux d'histoire où l'archéologie en témoin plutôt gênant et millénaire tient le haut du pavé.
La ville, longtemps oubliée et à répétition piétinée, se recroqueville sur elle-même, se réfugiant dans son histoire la plus ancienne ! Plus grave encore, personne parmi sa nombreuse et bien éduquée population ne consent à l'en empêcher ! Ne se résout à aller la chercher au plus profond de ses tripes ! Au plus loin de son voyage fait à reculons jusqu'à décider de ressusciter sa gloire légendaire, ses héros immortels et son autorité, autrefois implacable sur toute la région !
Le recul est donc réalisé dans le plus intime de ses rêves ! Dans le plus inaccessible de son éternel sommeil !
Lorsqu'en 1984, en haut lieu de la hiérarchie du pouvoir algérien, on lia son sort à celui de Tipasa, les grands hommes de lettres et de bonne culture pensèrent un moment à cette union vitale entre cette utile histoire à conjuguer avec cette ancestrale culture à bon escient espéraient-ils !- dans cet espace touristique qui allait lui servir de véritable tremplin au plan géographique et spirituel.
Ils auront vite déchanté de voir les deux contrées vouées aux gémonies de l'enfer de cet oubli qui tue plus fort que l'arme de combat au milieu de ces cités-mouroir qui étonnent leur monde par leur salubrité et se bétonnent à tout va et contre le fait culturel.
Depuis, Cherchell, dépitée par tant de malheur qui lui arrive par la manière osée de sa propre progéniture, est donc retournée se calfeutrer à l'intérieur de ses plus vieilles hardes et très anciennes guenilles. Et comme dans un rêve, un peu moins inconscient, elle y rencontra Iol et Césarée, le temps d'une très brève sieste, lors d'une tempête de l'inculture annoncée mais jamais dénoncée !
Seulement son malheur dure dans le temps. Son calvaire perdure dans cette galère dont elle ne voit plus la fin !
Résultat de l'équation proposée : il n'y fait plus bon vivre comme autrefois et jadis
!?
On y ressent ou y découvre donc cette tristesse de Iol, ces sanglots de Césarée et cet abandon à jamais de l'actuel Cherchell
!
La ville, encore frustrée de son histoire magnifique et très honorifique pour le pays et la région, refuse donc de voir du côté de la mer. A présent, elle tourne carrément le dos à la Méditerranée, méditant son sort et s'accrochant de toutes ses forces à ce col auquel elle est tout le temps bien collée et qui la protège de ces vents chauds venant du sud du pays.
Juba, Jugurtha, l'Emir Abdelkader et bien d'autres héros et valeureux combattants pour l'indépendance du pays, se retourneront certainement dans leur tombe en prenant connaissance de son état lamentable de déliquescence du moment, difficilement admis au plan de la forme et surtout dans le fond pour une si belle perle de la Méditerranée d'antan.
Leur combat si noble et très fécond suscitera-t-il un quelconque intérêt pour cette merveilleuse ville qui refuse de mourir, de périr et de sombrer dans cet anonymat culturel ambiant et bizarre du pays ?
La contrée, bien vieillie et complètement dépouillée de ses nécessaires béquilles, ne peut plus relever la tête, se redresser sur pieds, se soulever très haut pour planer comme autrefois sur ce flanc de la Méditerranée.
Elle attend toujours le diagnostic de son médecin privé, lequel semble incapable de trouver à son mal le remède approprié.
Cherchell a surtout besoin de considération pour bien se réveiller. Pour revenir de nouveau à la vie ! Elle a vraiment hâte de renaître à la vie et couvrir de son charme discret le touriste éveillé pour lui faire découvrir sa grandeur, ses splendeurs, telle cette fleur printanière qui embaume de ses toniques odeurs l'atmosphère, ou cette resplendissante demoiselle qui étrenne sa beauté et ses rondeurs, dévoilant au passage ses formidables couleurs et répandant abondamment alentour ses enivrants parfums du terroir et de bonheur.
Sommes-nous conscients de tout cela ?
Ou alors lui a-t-on déjà préparé son cercueil au même titre que d'autres prestigieuses contrées du pays ?
Cherchell a tout le temps été perçue telle cette très élégante demoiselle jouant sur ses deux barres parallèles, où l'histoire et le quotidien de la ville ne sont plus que deux lignes droites qui ne se rencontreront jamais ! D'où d'ailleurs l'abandon forcé de cette culture qui fait l'histoire des civilisations !
La caricature est très expressive. Symbolique même ! Et à plus d'un titre. Elle nous empêche de regarder dans le rétroviseur ! De nous situer dans le temps ! De nous remettre tout le temps en cause ! De nous intéresser à la ville et à son histoire la plus ancienne
!
Est-ce un nouvel état d'esprit ? Où est-ce encore l'effet néfaste de notre propre inculture ? L'absence de ce tourisme florissant des années soixante-dix du siècle dernier n'y est-elle pas pour quelque chose ?
Tout concourt à conclure que notre très difficile quotidien nous met à une bonne distance de notre valeureuse histoire, très profonde et bien féconde.
Ce choix douloureux, somme toute- aura peut-être été fait à dessein. Et seul l'avenir pourra y répondre, un jour
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par Slemnia Bendaoud*
(*) Il est l'auteur d'un ouvrage paru dernièrement chez Edilivre, France, ayant pour titre : «vrais échos et fausses résonances».
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