Kateb Yacine
Yacine
Premier novembre, date ancrée dans ma chair
je me souviendrai de toi à la Casbah avec M'hamed, momo et papa
à l'assaut de l'impossible brouillard
je me souviendrai de toi quand pour la première fois
j'ai fait connaissance avec le vertige de l'amour
je me souviendrai de toi quand le froid a atteint la flamme
de mon corps et que ta demeure salutaire sur moi veillait
je me souviendrai de toi quand tu venais porter secours à mon coeur
amoureux
je me souviendrai de toi tu m'as offert ton lit quand je fus
expulsé de la paternité
je me souviendrai de toi, tu m'as interdit de boire de l'alcool
tu connaissais sa traitrise
je me souviendrai de toi, tu m'as pris dans tes bras quand
M'hamed est parti
je me souviendrai de toi quand j'avais honte de parler mon Kabyle
tu m'a dit le Français est une épine
je me souviendrai de toi, maman affolée tu l'a rassurée
avec un couffin de fraternité
je me souviendrai de toi et l'aube nous est dérisoire Ali Zaamoum
pleurait la patrie
je me me souviendrai de toi le doigt sur la joue tu disais Kablout
est mon ancêtre
je me souviendrai de toi, Ouahab, Djilali et Tahar faisant le monde
toi tu dessinais les mots
je me souviendrai de toi logeant ma solitude d'adolescent
dans tes bras puissants et paternels
je me souviendrai de toi dansant sur le corps inanimé de l'humanité
et toi chantant l'absurde du pouvoir
je me souviendrai de toi réclamant Amazigh au fin fond de la berbérité
tu disais c'est mon fils
je me souviens de toi Yacine
KAMEL YAHIAOUI
"Kateb Yacine"
Oeuvre kamel Yahiaoui
Fanon, Amrouche et Feraoun
Trois voix brisées qui nous surprennent
Plus proches que jamais
Fanon, Amrouche, Feraoun
Trois sources vives qui n'ont pas vu
La lumière du jour
Et qui faisaient entendre
Le murmure angoissé
Des luttes souterraines
Fanon, Amrouche, Feraoun
Eux qui avaient appris
A lire dans les ténèbres
Et qui les yeux fermés
N'ont pas cessé d'écrire
Portant à bout de bras
Leurs oeuvres et leurs racines
Mourir ainsi c'est vivre
Guerre et cancer du sang
Lente ou violente chacun sa mort
Et c'est toujours la même
Pour ceux qui ont appris
A lire dans les ténèbres,
Et qui les yeux fermés
N'ont pas cessé d'écrire
Mourir ainsi c'est vivre.
KATEB YACINE
Le sang
Reprend racine
Oui
Nous avions tout oublié
Mais notre terre
En enfance tombée
Sa vieille ardeur se rallume
Et même fusillés
Les hommes s’arrachent la terre
Et même fusillés
Ils tirent la terre à eux
Comme une couverture
Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir
Et sous la couverture
Aux grands trous étoilés
Il y a tant de morts
Tenant les arbres par la racine
Le cœur entre les dents
Il y a tant de morts
Crachant la terre par la poitrine
Pour si peu de poussière
Qui nous monte à la gorge
Avec ce vent de feu
N’ enterrez pas l’ancêtre
Tant de fois abattu
Laissez-le renouer la trame de son massacre
Pareille au javelot tremblant
Qui le transperce
Nous ramenons à notre gorge
La longue escorte des assassins.
KATEB YACINE
Kateb Yacine
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