Dans le djebel avec Camus
Albert Camus en bandes dessinées, est-ce possible ? Voici ce qu’en pensait Yves-Marie Labé
“Si la vogue des adaptations romanesques en BD est désormais établie, au point d’avoir fait naître chez plusieurs éditeurs des collections ad hoc publiant des oeuvres diverses – de Ponson du Terrail à Mac Orlan -, le projet de faire de même avec un texte à dimension philosophique pouvait paraître impossible. Pourtant, un autre enfant né en terre algérienne, Jacques Ferrandez, a relevé le gant en adaptant L’Hôte, nouvelle du recueil L’Exil et le Royaume paru en 1957, année où l’auteur de L’Homme révolté reçut le prix Nobel de littérature.
L’histoire : Daru, jeune instituteur français né en Algérie, vit dans son école, au cœur des hauts plateaux. Un jour d’hiver, le gendarme Balducci lui confie un prisonnier en lui donnant l’ordre de le convoyer jusqu’à la ville voisine pour le livrer à la justice. Daru a beau refuser la mission, le gendarme s’en va et laisse là le prisonnier.
“L’Hôte” est une courte nouvelle d’Albert Camus extraite de “L’Exil et le Royaume”. J’ai découvert ce texte il y a une vingtaine d’années, au moment où je commençais ma grande saga des “Carnets d’Orient”, et il a immédiatement résonné en moi comme un élément central dans l’œuvre de Camus à propos de la question algérienne. C’est peut-être le seul texte de fiction où Camus fait allusion à la guerre d’Algérie. Il a entrepris son écriture en 1951 et l’a probablement remanié avant sa parution en 1957. Entre-temps, il y avait eu l’insurrection de novembre 1954 et la démarche infructueuse de Camus en faveur de la paix, avec son appel à la trêve civile à Alger en janvier 1956. La nouvelle met en scène trois personnages : Daru, l’instituteur, symbole de l’instruction, de la connaissance, de “l’œuvre civilisatrice de la France”. Balducci, le gendarme représentant l’autorité et le pouvoir colonial. Et le prisonnier arabe, figure métaphorique des populations colonisées, tantôt soumises, tantôt rebelles.
Le jeu qui va se jouer entre ces trois personnages, reflète la pensée de Camus, lui-même déchiré pendant la guerre d’Algérie et aux prises avec une situation inextricable. On trouve, au-delà de la solitude de Daru et du cas de conscience qui se pose à lui, toute la problématique camusienne sur le choix, l’engagement, la morale, la justice. Cela faisait vingt ans que j’avais envie de l’adapter en bande dessinée.
Jacques Fernandez..
Ci-dessous, une courte biographie dédiée à une critique élogieuse de la BD de Jacques Hernandez
Jacques Ferrandez est un auteur méditerranéen, véritable spécialiste de l’Algérie avec notamment ses albums de la série Carnets d’Orient dont il a achevé le second cycle au printemps 2009 avec un tome 10 chez Casterman. Il vient de publier un document jeunesse sur la décolonisation de l’Afrique, Nos ancêtres les Pygmées avec Didier Daeninckx aux éditions Rue du Monde. Né à Alger, Jacques Ferrandez a grandi dans le Sud de la France, où il a suivi une formation à l’École nationale d’Art décoratif de Nice. Il démarre dans la BD avec Rodolphe comme scénariste : ils publieront ensemble la série Raffini. Il a gardé des images fortes de ses racines et de ses nouvelles attaches. Cette influence se retrouve dans Arrière pays, l’Eau des collines ou Nouvelles du Pays, pour la Provence, et les Carnets d’Orient, sa série emblématique qui s’est achevée au moment de la déclaration de l’indépendance de l’Algérie. Jacques Ferrandez possède une parfaite maitrise de l’image, à laquelle il sait donner une grande puissance évocatrice.
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