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Un colloque vient d'être organisé à Alger sur le thème favori de la Méditerranée mal partagée, l'immigration clandestine. La harga. Sa conclusion provisoire est que la harga est une urgence. Sauf qu'il y manque l'essentiel: la vraie vérité. La solution du «un local par somalien» développée par le gouvernement n'a pas fonctionné. Ni celle de l'offre d'emploi, ou de l'aide directe de l'Etat. La raison ? Il s'agissait de solutions socialistes dans un monde capitaliste; dans le sillage du néo-communisme, on considère encore le problème de la harga sous la perspective de la crise bovine: il suffit de donner du foin pour que l'animal reste chez lui. Vision déshumanisante, sous-développée et d'un manque de culture, tout simplement tragique, sur l'histoire de l'humanité.
Les haraga algériens ne partent pas parce qu'ils sont pauvres, chômeurs ou n'ont pas un local commercial, bien que c'est ce qu'ils disent. Ils partent parce que, ici, dans ce pays, ils n'ont pas de sens, ne peuvent pas rêver et, surtout, ne s'amusent pas, ne rient pas, n'embrassent pas, ne colorient rien et vieillissent par la tête. Et c'est simple: vous voulez faire comprendre à un expert sur la harga ce qu'est la harga ? Prenez-le, videz-lui les poches, prenez son portable, ses adresses, son salaire, donnez-lui deux sandales chinoises, quatre dinars, un village vide et dites-lui est-ce qu'il a compris, au bout de deux mois. Il vous dira oui. Car si, par le bruit, on croit que l'Algérie est composée de villes, par le constat on sait qu'elle est d'abord composée de villages. Et dans ces villages, il faut le constater pour le comprendre, l'ennui est sidéral, incroyable, insoutenable, inhumain. Il faut y être pour constater le néant viscéral, cet ennui sans issue et cette oisiveté qui vous refroidit même l'instinct de reproduction. Dans les villages algériens, malgré ses milliards et sa Khalida Toumi, le régime ne réussit pas à réintroduire la vie après le départ du colon et de Boumediène. On y a certes installé des maisons de culture mais allez-y faire un tour pour constater l'essentiel: on ne s'y amuse pas. On s'y acquitte d'un folklore au nom d'une administration qui l'a dégagé. Et donc il n'y a rien: sauf la poste qui fait tourner la fin du mois, la mosquée qui fait tourner le reste des jours et les calendriers routiniers des enterrements, des citernes, des mariages brefs, agités et tristes et des vieillissements médicalisés. Rien qui ne soit jeune, quadrichromique, joyeux et enthousiaste. Et c'est ce constat qui est le plus simple, le plus évident et le plus négligé sur les raisons de la harga: le manque de loisirs. Pas seulement au sens de l'amusement infantile mais aux sens le plus vaste, le plus anthropologique, le plus ancien de l'humanité. Dans les villages, qui ont une surface totale plus grande que celle de l'Algérie, on ne s'amuse pas. On s'ennuie, profondément. Il n'y a rien. Absolument. Totalement. On n'y trouve pas de piscines (alors que c'est simple à lancer comme programme, expliquera un promoteur), pas de son de guitares, pas de fêtes, pas de match heureux qui ne soit pas encadré par des policiers hargneux. Les maires y sont tristes et voraces, les mosquées insuffisantes face à l'appel de la vie, les routes négligentes, les coupures d'électricité fréquentes et la violence, contre soi, larvée. Seuls les cybercafés réussirent plus ou moins à y éclairer les visages par réflexion et faire pressentir un autre monde qui existe ailleurs. Sinon, c'est le vide, l'ennui et la tristesse.
Le même vide qui a poussé une génération à prendre la barbe et les armes et, aujourd'hui, à prendre la mer. D'ailleurs, il est étonnant de voir que le régime, pour asseoir sa concorde civile, s'est contenté de pardonner à ses adversaires et de donner un peu d'argent aux survivants. Pour les villages algériens, là d'où est partie la vague, on y est encore au même ennui sidéral, le même vide.
C'est dire que les Algériens qui partent n'avaient pas besoin d'emploi, de manger mais de croire, de rire et de s'amuser. De nager l'été, envoyer un courrier à une femme aimée, sortir la nuit, aller dans un parc vert, manger dans une forêt reconquise, et organiser des fêtes, des rencontres, des concerts ou des matchs sans sentir les barbelés et la surveillance. Un jeune a besoin d'être jeune, pas d'un local. Ce n'est pas un estomac mais un rêve. Pour solutionner la harga, allez donc dans les villages, vivez-y trois mois, vous et vos enfants qui sont à Londres, et vous comprendrez pourquoi on veut partir d'un pays où même son Président ne sourit pas et est tout le temps en colère.
par Kamel Daoud
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