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Il vient toujours un moment où l’on a trop vu un paysage,
de même qu’il faut longtemps
avant qu’on l’ait assez vu.
Albert Camus in, “Noces à Tipaza”
Noces à Tipasa…à l’ombre de Camus…
Dans une conversation, un nom et voilà que s’ouvrent des portes, celles d’un voyage, de noces avec un lieu ,”Tipasa”
Une émotion devant un paysage sublime, un jour d’avril lointain, des ruines romaines magnifiques, les plus belles qu’il m’ait été donné de voir. Ces pierres, la mer, le vent, le mont Chenoua aux courbes douces, les odeurs de romarin en fleurs, le chant des insectes.
Ce lieu de confluence entre l’histoire, la nature et le mythe .
ruines de Tipasa (cliquer sur le lien pour voir d’autres photos de Cyril Preiss)
« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillon dans les amas de pierre. »
A l’endroit où Camus aimait se tenir, une stèle toute simple lui rend un vibrant hommage avec ses mots gravés:
« Je comprends ici ce qu’on appelle gloire. Le droit d’aimer sans mesure. »
Ces mêmes mots que l’on retrouve dans “Noces” dont voici quelques extraits
Au printemps ,Tipasa est habité par les dieux […]
Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmis les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon coeur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l’échine solide du Chenoua, mon coeur se calmait d’une étrange certitude. J’apprenais à respirer, je m’intégrais et je m’accomplissais […]
Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure. Il n’y a qu’un seul amour dans ce monde.
Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer.
Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j’aurai conscience, contre tous les préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort […]
J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition humaine. Albert Camus a aimé Tipaza au point de ne jamais y passer plus d’une journée d’affilée, car « il vient toujours un moment où l’on a trop vu un paysage, de même qu’il faut longtemps avant qu’on l’ait assez vu », et moi j’aimerais tant revoir ce paysage…
http://malcontenta.blog.lemonde.fr/2008/01/29/noces-a-tipasaa-lombre-de-camus/
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L'Algérie...toujours
« Est-ce qu'on fait la nomenclature des charmes d'une femme très aimée ? Non, on l'aime en bloc, si j'ose dire, avec un ou deux attendrissements précis, qui touchent à une moue favorite ou à une façon de secouer la tête. J'ai ainsi avec l'Algérie une longue liaison qui m'empêche d'être tout à fait clairvoyant à son égard. Simplement, à force d'application, on peut arriver à distinguer, dans l'abstrait en quelque sorte, le détail de ce qu'on aime dans qui on aime. C'est cet exercice scolaire que je puis tenter ici en ce qui concerne l'Algérie »
"Petit guide pour des villes sans passé" dans « L'été », Albert Camus, 1947
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Les mythes n’ont pas de vie par eux-mêmes. Ils attendent que nous les incarnions. Qu’un seul homme au monde réponde à leur appel, et ils nous offrent leur sève intacte. Nous avons à préserver celui-ci et faire que son sommeil ne soit point mortel pour que
la résurrection devienne possible.
Je doute parfois qu’il soit permis de sauver l’homme d’aujourd’hui. Mais il est encore possible de sauver les enfants de cet homme dans leur corps et dans leur esprit, il est possible de leur offrir en même temps les chances du bonheur et celles de la beauté.
Albert Camus, in L’Eté, Promethée aux enfers
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“Tombés de la cîme du ciel, des îlots de soleil rebondissent brutalement sur la campagne autour de nous. Tout se tait devant ce fracas et le Lubéron, là-bas, n’est qu’un énorme bloc de silence que j’écoute sans répit. Je tends l’oreille, on court vers moi dans le lointain, des amis invisibles m’appellent, ma joie grandit, la même qu’il y a des années. De nouveau une égnime heureuse m’aide à tout comprendre. ”
Albert Camus, L’été
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…Seuls aussi avec l’horizon. Les vagues viennent de l’Est invisible, une à une,
patiemment, repartent vers l’Ouest inconnu, une à une.
Long cheminement, jamais commencé, jamais achevé…
La rivière et le fleuve passent, la mer passe et demeure.
C’est ainsi qu’il faudrait aimer, fidèle et fugitif.
J’épouse la mer…
…J’ai toujours eu l’impression de vivre en haute mer, menacé, au coeur d’un bonheur royal.
Albert Camus, in La mer au plus près , journal de bord, 1953
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“…Ce soleil,cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque:
il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre…”
Albert Camus
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” Même ma mort me sera disputée. Et pourtant ce que je désire de plus profond aujourd’hui est une mort silencieuse, qui laisserait pacifiés ceux que j’aime.”
Albert Camus “Carnets” 1949-1959
C’était encore les oliviers, les linges bleus du ciel entre les branches, et l’odeur des lentisques le long des prés roussis où séchaient des étoiles violettes, jaunes, rouges (…)
Depuis la baie à la courbe parfaite tout en bas, une sorte d’élan brassait les herbes et le soleil, et portait les pins et les cyprès, les oliviers poussiéreux et les eucalyptus jusqu’au pied de la maison. Au cœur de cette offrande fleurissaient, suivant les saisons, des églantines blanches et des mimosas, ou ce chèvrefeuille qui des murs de la maison laissait monter ses parfums les soirs d’été. Linges blancs et toits rouges, sourires de la mer sous le ciel épinglé sans un pli d’un bout à l’autre de l’horizon, la Maison devant le Monde braquait ses larges baies sur cette foire des couleurs et de lumières. Mais, au loin, une ligne de hautes montagnes violettes rejoignait la baie par sa pente extrême et contenait cette ivresse dans son destin lointain.
Albert Camus in, ” La mort heureuse.”
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n'allez pas là-bas si vous vous sentez le coeur tiède,
et si votre âme est une bête pauvre!
Mais, pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non,
de midi et des minuits, de la révolte et de l'amour,
pour ceux enfin qui aiment les bûchers devant la mer,
il y a, là-bas, une flamme qui vous attend.
C’est ainsi qu’il faudrait aimer ; fidèle et fugitif.
J’épouse la mer “
Albert Camus, in l'Eté
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“Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible.“
L’ombre d’un homme qui marche au soleil… plane, lui, qui écrivait dans Le premier Homme, “le livre doit être inachevé“
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D’autres après nous encore recevront sur cette terre le premier soleil,
se battront, apprendront l’amour et la mort,
consentiront à l’énigme et reviendront chez eux en inconnus.
Le don de vie est adorable.
Albert Camus in, La postérité du soleil
Gallimard
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Janine ne savait pas pourquoi cette idée l’emplissait d’une tristesse si douce et si vaste qu’elle fermait les yeux.
Elle savait seulement que ce royaume, de tout temps, lui avait été promis et que jamais, pourtant, il ne serait le sien,plus jamais, sinon à ce fugitif instant, peut-être, où elle rouvrit les yeux sur le ciel soudain immobile, et ses flots de lumière figée, pendant que les voix qui montaient de la ville arabe se taisaient brusquement.
Il lui sembla que le cours du monde venait alors de s’arrêter et que personne, à partir de cet instant, ne vieillirait plus ni ne mourrait.[…]
Albert Camus, in L’exil et le royaume
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“La perplexité de Sisyphe “
“Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux: c’est le suicide. juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie […].
Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre de travail, repas, sommeil, et lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps.
Un jour seulement le “pourquoi” s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement.
“Commence”, ceci est important, la Lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience[…]
Je disais que le monde est absurde et j’allais trop vite. Ce monde en lui-même n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c’est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme. […]
L’absurde est essentiellement un divorce […] Je tire […] de l’absurde trois conséquences, qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. Par le seul jeu de la conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort et je refuse le suicide.
La création […] est le bouleversant témoignage de la seule dignité de l’homme: la révolte tenace contre sa condition, la persévérance dans un effort tenu pour stérile. Elle demande un effort quotidien, la maîtrise de soi, l’appréciation exacte des limites du vrai, la mesure et la force. Elle constitue une ascèse.
Tout cela “pour rien”, pour répéter et piétiner.
Mais peut-être la grande oeuvre d’art a moins d’importance en elle-même que dans l’épreuve qu’elle exige d’un homme et l’occasion qu’elle lui fournit de surmonter ses fantômes et d’approcher d’un peu plus près sa réalité nue.”
Albert Camus , in “Le Mythe de Sisyphe” Gallimard
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Partir... Revenir...
“Quelque chose pourtant, pendant toutes ces années me manquait obscurément. Quand une fois dans sa vie on a eu la chance d’aimer fortement, la vie se passe à chercher de nouveau cette ardeur et cette lumière. Le renoncement à la beauté et au bonheur sensuel qui lui est attaché, le service exclusif du malheur demande une grandeur qui me manque.
Mais après tout rien n’est vrai qui force à exclure…[…]
Un jour vient où a force de raideur, plus rien n’émerveille, tout est connu, la vie se passe à recommencer. C’est le temps de l’exil, de la vie sèche, des âmes mortes. Pour revivre, il faut une grâce, l’oubli de soi ou une patrie…[…]
Je regardais…et je rassasiais les deux soifs qu’on ne peut tromper longtemps sans que l’être se dessèche, je veux dire aimer et admirer. Car il y a seulement de la malchance à ne pas être aimé; il y a du malheur à ne point aimer….”
“Noces” de Camus…retour à Tipasa
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http://malcontenta.blog.lemonde.fr/category/albert-camus/
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