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"Il y avait une fois une femme que la mort de son mari avait rendu pauvre avec deux enfants. Elle avait vécu chez sa mère, également pauvre, avec un frère infirme qui était ouvrier. Elle avait travaillé pour vivre, fait des ménages et avait remis l'éducation de ses enfants dans les mains de sa mère. Rude, orgueilleuse dominatrice, celle-ci les éleva à la dure."
Extrait de "L'Envers et l'Endroit"
Je rencontre parfois des gens qui vivent au milieu de fortunes que je ne peux même pas m'imaginer. Il me faut cependant un effort pour comprendre qu'on puisse envier ces fortunes. Pendant huit jours, il y a longtemps, j'ai vécu comblé des biens de ce monde : nous dormions sans toit, sur une plage, je me nourrissais de fruits et je passais la moitié de mes journées dans une eau déserte. J'ai appris à cette époque une vérité qui m'a poussé à recevoir les signes du confort, ou de l'installation, avec ironie, impatience, et quelque fois avec fureur. Bien que je vive maintenant sans le souci du lendemain, donc en privilégié, je ne sais pas posséder. Ce que j'ai, et qui m'est toujours offert sans que je l'aie recherché, je ne puis rien en garder. Moins par prodigalité il me semble que par une autre sorte de parcimonie : je suis avare de cette liberté qui disparaît dès que commence l'excès des biens. Le plus grand des luxes n'a jamais cessé de coïncider pour moi avec un certain dénuement. J'aime la maison nue des Arabes ou des Espagnols.
Le lieu où je préfère vivre et travailler (et, chose plus rare, où il me serait égal de mourir) est la chambre d'hôtel. Je n'ai jamais pu m'abandonner à ce qu'on appelle la vie d'intérieur (qui est si souvent le contraire de la vie intérieure) ; le bonheur dit bourgeois m'ennuie et m'effraie.
Camus dans la préface de " l'Envers et l'Endroit" – deuxième édition - 1958
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A. Camus 1921
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