Charles Martel
La véritable histoire de la bataille de Poitiers
Que s'est-il vraiment passé à Poitiers le 25 octobre 732
Salah Guemriche, d'origine algérienne, retrace cette histoire épique qui opposa dans un face-à-face meurtrier l'Espagne de l'émir Abd er-Rahman au royaume franc gouverné par Charles Martel, et stoppa l'expansion des Arabes… Peu de batailles dans notre histoire auront nourri autant de fantasmes que celle de Poitiers. Depuis Chateaubriand, les Français ont appris que la victoire de Charles Martel avait sauvé la France du péril musulman.
Mais de quelle France s'agit-il ? Ses frontières ne sont pas celles que l'on connaît aujourd'hui.
Et quel est ce péril musulman ? L'Espagne, conquise par les Arabes dès 711, s'étend, à la veille de Poitiers, au-delà des Pyrénées.Ainsi la Septimanie ? notre actuel Languedoc-Roussillon?est-elle une province arabo-berbère gouvernée par Munuza depuis Narbonne. Les religions du Livre y cohabitent jusqu'au jour où Munuza épouse une chrétienne, Lampégie d'Aquitaine,fille du duc de Toulouse. Pour l'émir d'Espagne Abd er-Rahman, Munuza est un renégat qu'il faut punir ; pour le duc des Francs,Charles, cette alliance est une menace et une provocation. Se mettent alors en place les conditions d'une confrontation qui demeurait jusqu'alors méconnue.
Salah Guemriche raconte la véritable histoire de la bataille de Poitiers, telle qu'elle fut vécue des deux côtés, musulman et chrétien. Il dissèque ce mythe national construit au fil des siècles pour faire peur. Poitiers, dit-il, ne fut pas le Waterloo des Arabes et, malgré les lourdes représailles exercées par les Francs dans le Midi, beaucoup de musulmans y firent souche. Sans que cela ait jamais gêné personne…
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Le livre de Guemriche, qui est en fait une étude historique très documentée, repose sur une bibliographie qui comporte plus de 120 auteurs. Ecrit dans un style précis qui pourtant ne sacrifie pas à des soucis littéraires, l’ouvrage a ceci d’original sur le plan formel d’intégrer des séquences assimilables au genre romanesque. Assimilables, mais il reste à prouver qu’elles le sont. C’est un peu du Maurice Druon ou du Marguerite Yourcenar expurgés de leur trame fictionnelle. «Mon œuvre, explique l’auteur dans l’avant-propos, aura été, à travers ces pages, de faire, autour de Charles Martel et de Poitiers, une halte, un point de retour sur nos plus anciennes certitudes, sur ce que les concepteurs et les faiseurs de manuels ont l’art, sinon la consigne d’occulter. Une halte et une invite à rejoindre, avec Benjamin Stora les historiens des deux rives dans leur appel à l’ouverture d’un débat sur l’histoire de France, sur ses lumières comme sur ses ombres, afin d’intéresser dans un même récit national toutes les mémoires, y compris les mémoires blessées». En un mot, c’est un livre qui tombe à point nommé dans cette France qui se cherche une identité dans un moment qu’elle croit singulier ou de rupture par rapport à un passé qui serait dominé par une sorte de pureté ethnique. Toutes choses que le livre de Guemriche s’atèle à démolir avec fulgurance. Significatif est le retour du refoulé avec cette histoire d’amour qui vient se mêler à un conflit atroce et sanglant dont le moins qu’on puisse dire est qu’il a déterminé longtemps l’imaginaire du monde contemporain. Numérance-Ménine dite Lampégie est la fille du duc d’Aquitaine, elle était en voyage sous bonne escorte lorsqu’elle est enlevée par Munuza, le sultan musulman de Narbonne.
Le prince sarrasin, comme on disait à l’époque, était en perpétuelle guerre contre son voisin chrétien. Lampégie devait donc servir d’otage à la rançon, mais contre toute attente, ravisseur et victime s’entichent l’un de l’autre, et il ne reste à Munuza qu’à dépêcher auprès du duc de Toulouse, le père de la victime, un émissaire pour demander sa main ! Le moment de stupéfaction passé, le père y consent. C’est ainsi que le chef amazigh de Narbonne épouse officiellement une ressortissante chrétienne.
Mieux, Munuza est tellement épris de Lampégie qu’il se gardera bien d’épouser d’autres femmes comme le lui permet la loi musulmane. Mais ce mariage est un mariage maudit que ce soit du côté musulman ou chrétien. Pour Charles Martel, le futur tombeur des Sarrasins et Abd er-Rahman, le chef de Cordoue, l’alliance entre le gouverneur de Narbonne et le duc d’Aquitaine, est une alliance « contre nature » qui découle d’une « haute trahison ». Et vous l’avez compris : c’est ainsi que va s’ouvrir l’une des plus sombres pages que l’histoire humaine n’a jamais connue…
Par : Larbi Graïne
Abd er-Rahman contre Charles Martel. La véritable histoire de la bataille de Poitiers de Salah Guemriche, mai 2010, Editions Perrin, Paris, 312 pages, 23 euros.
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