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Leïla
Marouane, écrivaine algérienne,
a fait de ses livres une lutte contre l’obscurantisme. Contrainte de se
réfugier en France, elle garde une vision partagée de son pays natal,
entre
crainte et amour. Combattante, elle n’a jamais baissé les bras. Portrait
d’une
femme sans compromis.
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Une littérature de combat
C’est à Djerba qu’est née
Leïla Zineb Mechentel qui se fera appeler plus tard Leïla Marouane.
Pourtant,
c’est en Algérie qu’elle passe son enfance et son adolescence au milieu
des
troubles qui secouent le pays après l’indépendance en 1962. Son père est
un
homme de lettre éduqué et marxiste, membre du parti communiste français.
Sa
mère mène aussi un combat : féministe et anticolonialiste, elle est
surnommée «
la Jeanne d’Arc des Djebels ». A 6 ans, la jeune Leïla écrit déjà.
Entourée des
livres qui remplissent le bureau de son père, elle se lance rapidement à
la
découverte de Sartre, son père lui ayant interdit d’ouvrir la comtesse
de Ségur
: « Trop bourgeoise » disait-il. Très vite, ses instituteurs remarquent
son
goût ainsi qu’un certain talent pour l’écriture : à 12 ans, on lui
propose de
publier un premier recueil, mais il faudra attendre vingt ans de plus
avant
qu’elle ne se décide à faire partager ses écrits.
A 25 ans, après des études
de lettres à l’Université d’Alger, elle devient journaliste à Horizons,
quotidien algérien. Après une série d’articles et de tribunes touchant
les
interdits de la société algérienne, elle reçoit des lettres d’insultes
et de
menace. Son combat a commencé : elle le paiera lourdement. Cinq ans
après être
rentrée à Horizons, des hommes l’attaquent, la frappent et la laissent
pour
morte, en sang, sur un trottoir de Bou Ismaïl, le long de la côte
algérienne.
Elle sera sauvée, mais décide de quitter pour de bon son pays et
s’installe à
Paris « le temps que les choses se calment ». Un an plus tard, sa mère
décède.
Leïla est à Paris, les menaces qui pèsent sur elle l’empêchent de
retourner en
Algérie assister aux obsèques. La jeune fille le vit très mal : c’est à
partir
de cette année qu’elle décide de publier ses écrits, ressentant un «
besoin de
partager, comme certains ressentent, après la mort d’un proche, un
besoin
d’enfanter ». Depuis, huit ouvrages sont parus dans un style qu’elle
définit
elle-même comme celui d’une « littérature de combat ».
Entre un père communiste
antireligieux et une mère féministe anticolonialiste, tout prédisposait
la
jeune Leïla Mechentel à entrer elle aussi dans la lutte. Du côté
paternel, elle
a gardé une méfiance vis-à-vis de la religion et un regard noir sur la
politisation
d’un islam rigoureux aux interdits foisonnants. Côté maternel, le combat
est
resté celui de l’affranchissement des femmes : celui qui s’oppose au
port du
voile, à la répudiation, à la polygamie, à l’excision … la liste est
longue et
les sujets ne manquent pas pour sa « littérature du combat ». Si Leïla Marouane s’est
toujours placée du côté des femmes, son dernier livre, La Vie sexuelle
d’un
islamiste à Paris, est une immersion dans la peau d’un homme, de ses
complexes
et de ses fantasmes. Derrière un titre provocateur, c’est un monde loin
des
clichés habituels sur les « extrémistes de banlieues » qui se dévoile au
lecteur. Si l’auteur avoue le « peu d’empathie pour son personnage, avec
lequel
elle prenait soin de garder une certaine distance », l’immersion fut
cependant
totale dans la tête de Mohammed, personnage à la limite de la
schizophrénie,
partagé entre religion, sexe et famille. « Sans personne pour m’informer
sur la
vie masculine, il ne m’était pas facile d’entrer dans l’intimité
sexuelle de
mon héros », avoue-t-elle. Le résultat donne une analyse tant
psychologique que
sociétale, évitant la haine et préférant l’humour à la colère. Mais le
travail
semble avoir été pénible. « Ce roman m’a fatiguée, poursuit l’auteur,
j’avais
hâte de me débarrasser d’un personnage qui ne m’était pas sympathique »,
ajoute-t-elle. Entre une féministe active qu’est Leïla Marouane et un
islamiste
— son héros — au regard naïf et sournois sur les femmes, le fossé est
important. Chercher à comprendre, « à viser juste », mais sans dépasser
les
frontières menant à une certaine estime de son héros signifiait, pour
l’auteur,
un jeu avec son ennemi. Un ennemi dont il faut s’approcher pour mieux le
contrer et le combattre.
Simple mais affirmée,
Leïla Marouane est une femme entière croyant en ses combats et à
l’écriture
pour y parvenir. Même s’il faut parfois en payer le prix. Grande gueule,
elle
l’a toujours été et ne s’est jamais refusée de dénoncer ce qu’elle
jugeait
scandaleux, de grandes questions sociales au fait divers de « viande
avariée ».
La censure ? Elle la connaît bien depuis avoir travaillé dans le
journalisme
algérien. A cette époque, le ministère la convoquait pour lui signifier
de
changer son article, de modifier telle ou telle information. « Ils
m’envoyaient
un chauffeur qui me conduisait au ministère où l’on me dictait la mise
au point
», se souvient-elle. Elle la connaît aussi de la France où règne « une
censure
non dite » et « où me faisait jouer le rôle d’arabe de service »,
poursuit-elle.
Femme de caractère, elle ne s’est jamais laissée intimider malgré les
menaces,
les insultes et les coups. Mais elle reste aujourd’hui plus prudente
qu’à
l’époque où elle « fonçait tête baissée » dans les tabous et les
interdits
d’une Algérie malade.
De l’Algérie, elle garde
des souvenirs brûlants de sa jeunesse et de ses débuts dans le
journalisme. Des
souvenirs d’une enfance heureuse passée plongée dans les livres de la
bibliothèque paternelle ou dans l’écriture de ses textes de jeune fille
griffonnés sur sa table d’études du pensionnat Ben Bouali. Des souvenirs
douloureux aussi, mais qui ne l’empêchent pas de vouloir retourner à Bou
Ismaïl, là ou elle passa une partie de son enfance. Pour autant, Leïla
Marouane
continue d’avoir peur de retourner chez elle. Crainte de l’extrémisme,
de la
folie, de la terreur. Crainte du politique ou de la censure, les raisons
pour
ne pas y retourner tout de suite font légion. Le temps est désormais son
meilleur allié.
Leïla Marouane fait partie
de cette génération d’écrivains maghrébins en lutte contre les maux qui
touchent leurs pays. Souvent d’expression française, ces auteurs, qu’ils
écrivent de Paris, de Rabat ou d’Alger, ont fait de leur littérature un
moyen
de résistance. Que la dénonciation des normes sociales soit évoquée en
toile de
fond ou s’impose comme l’objet du livre, beaucoup considèrent l’écriture
comme
le meilleur moyen d’opposition aux dérives sociales, religieuses ou
politiques
qui touchent les milieux qu’ils côtoient, de près ou de loin. De Tahar
Ben
Jelloun à Assia Djebar, rares sont ceux dont les regards ne se font pas
critiques lorsqu’ils évoquent leurs sociétés. Entre ces auteurs, Leïla
Marouane
est peut-être un des plus virulents, si ce n’est par les mots mais par
l’implication dont elle fait preuve depuis toujours. Un combat d’une vie
qui
n’utilise que la force de l’imagination pour dénoncer des vérités bien
réelles.
Inventer pour finalement décrire ce qui existe. « La littérature doit
mentir
pour être vraie », avoue l’auteur.
Réveiller les consciences
en accentuant la réalité pour la rendre plus vraie est un des buts de
l’écrivain pour qui le journalisme a pourtant marqué une partie de sa
vie.
Jeune Afrique, Politis ou encore des hebdomadaires allemands, Leïla
Marouane
mène son combat par les mots, qu’ils soient ceux de la presse ou du
roman.
Celle qui, dans ses derniers ouvrages, « a mis à nu les femmes », comme
elle
aime le dire, ne rechigne pas à changer de casquette pour défendre ses
objectifs. Des objectifs de changement prônés par une féministe se
disant «
consciente de la condition des femmes » dans les pays arabes en
particulier et
dans le monde en général. Celle qui a décidé de
vouer sa vie à l’écriture, non pas seulement pour la beauté des mots,
mais
aussi pour leur pouvoir de faire changer les choses, n’aspire qu’à une
chose :
continuer son action qu’elle a commencée il y a trente ans en Algérie.
La route
est encore longue, mais Leïla Marouane, comme d’habitude, ne baissera
pas les
bras.
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Alban de Ménonville
Jalons
1960 :
Naissance à
Djerba (Tunisie)
mais passe
son enfance en Algérie.
1980 :
Etudiante
à la
faculté des lettres
d’Alger.
1991 :
S’installe
à Paris après
avoir été
victime
d’une agression suite
à la publication
d’une série
d’articles.
1996 : Publication de La
Fille de la
Casbah (Juillard), son
premier roman.
2007 : Publication de La Vie
sexuelle d’un
islamiste à
Paris (Albin Michel).
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