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“Que les portes du bien s’ouvrent et que les portes du mal se ferment”
La porte du Nouvel an amazigh
“Tabburt u seggas” ou “Amenzu n’Yennayer” s’ouvre le 12 janvier de
chaque année. Ce jour inaugure l’an 2959 du calendrier berbère dont le
départ remonte à 950 avant Jésus-Christ. Les Imazighen qui célèbrent
cette fête du passage au nouvel an dans la liesse et la communion ont,
à l’instar d’autres civilisations dans le monde, leur propre calendrier
bien ancien, basé à la fois sur les changements de saisons et les
différents cycles de végétation qui déterminent les moments des travaux
agricoles, ainsi que sur les positionnements des astres, comme la Lune
et le Soleil.
Du point de vue historique, Yennayer remonte, selon
une hypothèse fort répandue, à la victoire de Chachnaq I, fils de
Namart, sur le pharaon Psoussenes II en l’an 950 avant le Christ, qui
lui permit de conquérir l’Egypte où il fonda la XXIIe dynastie avec
Bubastis pour capitale. Selon une croyance très ancienne, la
célébration de cette manifestation est née d’un mythe : Yennayer
sollicite Furar (février) pour lui prêter un jour afin de punir une
vieille femme qui s’est moquée de lui. Ce jour-là, dit-on, un violent
orage se leva et poursuivit la vieille femme jusqu’à l’étouffer. La
mort de celle-ci symbolisera dans la mémoire collective le sort réservé
à quiconque osera parodier la nature. Yennayer, qui marque l’avènement
de la période séparant les deux cycles solaires, les solstices et les
équinoxes, correspond également au début du calendrier agricole, ce qui
explique sa célébration par des rites liés aux travaux agricoles,
rythmant à ce jour la vie des paysans. Le nouvel an amazigh coïncide
avec l’approche de la rupture des provisions gardées pour l’hiver,
“aoula”. Il convient donc de renouveler les forces spirituelles, par
l’observance des rites et des sacrifices, pour exorciser la faim et le
malheur, et attirer l’abondance des récoltes et le bonheur, finalité
commune d’une fête célébrée, malgré les différences de forme, dans la
communion à l’est, à l’ouest, au centre et au sud du pays. “Imensi
n’Yennayer” (le souper de l’année) consiste, en Kabylie comme dans
d’autres régions du pays, en un couscous au poulet garni de légumes. A
cette occasion, un coq est sacrifié sur le seuil de la maison pour
présager une bonne récolte et évincer la malédiction, “Daâwussu”. Si
les moyens le permettent, le dîner sera copieux. Ceux qui ne peuvent
accomplir un tel sacrifice, dénommé “asfel”, servent de la viande
séchée, “lakhli’e”, gardée pour une telle circonstance. Le repas servi,
les membres de la famille se doivent de l’honorer en mangeant à
satiété. C’est “lal boukham” (la maîtresse de la maison) qui invite les
enfants à faire bombance, faute de quoi, les prévient-elle, la vieille
de Yennayer viendra remplir leur ventre de paille et de foin. A la fin
du repas, les enfants déclarent : “Necca, nerwa” (nous avons mangé et
nous sommes rassasiés). En la circonstance, on n’oublie pas également
d’offrir des assiettes aux proches et aux voisins “tunticht”. Même les
absents ont leur part d’Imensi n’Yennayer : des cuillères symbolisant
leur présence et une proportion symbolique du mets leur seront laissées
par la mère dans le plat collectif, censé rassembler tous les membres
de la famille.
Les jours qui suivent Amenzu n’Yennayer donnent
lieu à la préparation d’autres mets, mais sans viande, à savoir
“uftiyen” (soupe à base de pois chiches, blé et fèves), ingrédients
symbolisant la fécondité et l’abondance des récoltes, accompagnés de
“tighrifin” (crêpes) ou de beignets, “lasfendj”, ainsi que de sucreries
pour avoir une année douce.
Dans certaines régions, on s’abstient
de manger des aliments épicés ou amers, de peur d’augurer d’une année
du même goût. D’autres rites,ayant toujours la fécondité pour fil
conducteur, sont associés au bon présage de Yennayer, tel le fait de
faire coïncider le mariage avec cette période propice à la fécondité,
ou de donner au dernier-né sa première coupe de cheveux. Les femmes se
font belles et se fardent les yeux avec de l’antimoine (tazult), alors
que les filles marient leurs poupées et font la fête rogatoire de la
pluie (anzar), en promenant de maison en maison une grosse cuillère en
bois habillée en mariée (ghondja). Les céréales collectées à cette
occasion serviront à préparer la soupe (uftiyen). Il est d’usage
également de planter des lauriers roses dans les champs de culture,
pour en chasser les parasites. Afin d’honorer Yennayer, on procède
également au badigeonnage de l’intérieur des maisons avec de l’enduit
(tumlilt), ainsi qu’au changement des trépieds de l’âtre (inyen
l’kanoun).
Pour les garçons, Yennayer est une occasion de
s’adonner à un sport favori appelé “takladjet”. Il s’agit d’une sorte
de hockey sur gazon. Le calendrier berbère, d’essence agraire et
comptant une avance de 950 ans sur le calendrier universel, est une
transcription en symboles des cycles et périodes agricoles, avec des
noms désignant ce qu’il faut dire et faire à des moments recommandés
pour l’accomplissement de chaque tâche et ce, toujours dans un souci
d’une meilleure réussite. Ainsi, pour inaugurer les labours “Adhref”,
célébrer un mariage ou ourdir un métier à tisser, le moment choisi est
la lune croissante : pendant ce temps, les épis seront nombreux dans le
sillon, serrés comme l’est la laine sur le métier à tisser. Le tissage
égal, le mariage conclu sera heureux et fécond.
Au-delà du
cérémonial et pour que le mythe devienne réalité, il est à souhaiter
que Yennayer soit un déclic pour un retour à la terre nourricière, car
c’est là le message fondamental de la célébration de cette fête.
Que les portes du bien s’ouvrent et que les portes du mal se ferment ! Aseggas Ameggaz ! Bonne année !
Des conférences et des tables rondes seront également animées, dimanche soir et lundi, autour de thèmes liés à l'Histoire Amazighe et à la tradition de Yennayer, par M.M. Hamid Bilek, responsable au niveau du HCA, Meziane Ouchem, universitaire de la wilaya de Bordj Bou Arreridj et Salah Bendaoud, universitaire de la wilaya de Tipaza.
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